Article d'une publication
La capture du sombre
Œuvre référencée: Brossard, Nicole. 2007. La capture du sombre. Montréal : Leméac, Montréal, 142 pages.
Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project, au Labo NT2)
Présentation de l’œuvre
Résumé de l’œuvre
Anne, une éditrice à la retraite, profite de l’invitation de Tatiana Beaujeu Lehmann dans son château en Suisse, pour entreprendre l’écriture d’un roman dans une langue qui n’est pas la sienne. Au gré de ses pensées, Anne nous fait partager ses angoisses, ses envies, ses doutes à travers des rêveries éveillées dans lesquelles nous rencontrons ses personnages : June, Kim, Charles et Laure. Tout d’abord clairement séparé du récit principal, le récit de leurs vies respectives rencontre celui d’Anne pour enfin y prendre une place réelle. C’est alors que les vies de Laure, l’avocate qui prend soin de sa mère, June, passionnée de cinéma qui doit dire adieu à Kim partant pour l’archipel de Svalbard, et Charles, sculpteur sur bois, viennent s’immiscer dans la vie d’Anne qui ne sait plus qui elle est : « Qu’est ce qui me fait croire dans la tête que je suis quelqu’un d’autre qui ne peut pas vraiment me ressembler ou peut-être le contraire […] » (p.78). On comprend alors que les personnages d’Anne sont Anne elle-même, des identités qu’elle croise tout au long de son processus d’écriture qui demeure largement influencé par les lieux : un château où de nombreux poètes et écrivains ont vécu afin, eux aussi, de trouver l’inspiration pour écrire leur œuvre. Le paysage, souvent décrit comme un paysage d’âme, évoque et traduit les sentiments de l’écrivaine qui cherche à avoir un regard nouveau sur le monde, mais aussi sur l’écriture, en éprouvant la langue, le texte et les figures, en travaillant sur la respiration, l’obscurité et les sonorités. Plus que de prendre un sens, le texte prend des sens dans la mesure où l’ouïe, la vue et le toucher y sont exacerbés. C’est sur le fond d’une toile peinte qu’Anne écrit son œuvre fortement poétique, une œuvre de laquelle sort notamment Laure avec qui elle se lie d’amitié et qui vient souvent prendre le thé au château, où Kim et June les rejoignent enfin.
Précision sur la forme adoptée ou sur le genre
Roman
Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre
La narratrice, Anne demeure au centre du récit, mais prend, tout au long du texte, la voix de ses propres personnages fictionnels : June, Laure, Kim et Charles.
Modalités de présence du 11 septembre
La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?
La présence du 11 septembre est générique car les événements y sont simplement évoqués. On peut les voir de manière particularisée quand la narratrice évoque des avions dans le ciel en les comparant à « des bombes ». (p. 13)
Les événements sont-ils présentés de façon explicite?
Les événements sont explicites lorsqu’ils sont simplement mentionnés dans une conversation ou lorsque les personnages se remémorent ce qu’ils ont vu ou lu. Ils ne sont d’ailleurs mentionnés que comme « le 11 Septembre » et prennent une valeur purement historique, c’est-à-dire un événement daté. (On en observe deux occurrences aux pages 11 et 19). La seconde façon de représenter le 11 Septembre explicitement est relative au projet de Laure lorsque celle-ci consulte journaux, albums, articles ou tout autre document relatif aux événements)L’évocation du 11 Septembre demeure implicite à deux reprises dans le roman, tout d’abord par un procédé poétique selon lequel les avions sont tels des « blessures dans l’azur » (p. 82) et ensuite par un procédé métaphorique, lorsque la narratrice précise que « les passages à la frontière sont devenus de plus en plus longs et difficiles » (p. 131), sous-entendant probablement les mesures de sécurité renforcées dans les aéroports.
Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?
Les personnages du récit n’ont pas de lien avec les événements qu’ils mentionnent simplement dans leurs conversations. Il y a néanmoins le personnage de Laure qui s’y intéresse de plus près en effectuant des recherches dans des journaux, albums, photographies ou tout autre document lié aux événements. Avocate, elle doit produire un rapport sur l’Acte du patriote, et semble rattacher cet Acte au 11 Septembre. Dans ce long passage de la page 27, on assiste aux recherches de Laure qui étudie des albums, recueils de photographies prises le 11 Septembre 2001 (explosions, corps, objets retrouvés dans les décombres, blessés, hommes qui se jettent dans le vide…). On apprend quelques pages plus loin qu’elle lit L’Ethique de Spinoza, parallèlement à l’Acte du Patriote. Il semblerait donc qu’elle cherche à théoriser l’Acte du patriote dans une perspective éthique, avec en toile de fond et en argument principal, les événements du 11 Septembre. Nous n’avons pas davantage de renseignement quant au projet de Laure mais lors de la dernière évocation de l’Acte du Patriote, nous pouvons déduire le rapport qu’elle entretient avec cet acte législatif et l’orientation que son travail va prendre : « […] vérifiant, contre-vérifiant le sens de chaque mot, les conséquences de chaque oubli, les associations de mots qui pouvaient facilement compromettre un paragraphe, un chapitre ou un destin. Tout son corps est rempli d’une colère qui semble sans issue. Comme si chaque ligne de l’Acte du Patriote alimentait en elle un tressaillement continu, un malaise fou, l’intuition précoce que cette anomalie législative aurait pour résultat de plonger son humanité de Nord-Américaine dans un vertigineux chaos. » (p. 103)Il semblerait que l’auteure propose ici, de manière implicite, une ébauche de questionnement à propos de l’éthique et du 11 septembre.
Aspects médiatiques de l’œuvre
Des sons sont-ils présents?
Il n’y a pas de sons réellement présents dans le texte, mais ce sont davantage les sonorités des mots et des phrases utilisés par la narratrice qui confèrent au texte une dimension sonore importante.
Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?
Au début du roman, les récits concernant chacun des personnages respectifs sont séparés par des astérisques et présentés tels des croquis furtifs. D’ailleurs, le deuxième chapitre intitulé « Cahiers de croquis » consacre cinquante pages à la peinture des tranches de vies de June, Kim, Laure et Charles. Il s’agit bien là de moments croqués sur le vif, des fragments enchevêtrés les uns dans les autres. Plus on avance dans la lecture, et plus ces récits deviennent indistincts pour aboutir dans le troisième chapitre, intitulé « Clôtures dans la respiration », à une seule et même longue phrase de plusieurs pages, où se croisent les voix de tous les personnages. Certaines paroles sont mises en exergue par les italiques, et certains passages sont isolés sur des pages blanches. La narration peut être aussi bien très compacte, que très fragmentée.
Autres aspects à intégrer
N/A
Le paratexte
Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat
Depuis hier, quelque chose s’est glissé dans mes pensées qui a modifié le cours du temps de manière à ce que j’aie, pour une raison qui m’est encore inconnue, envie d’écrire lentement un livre dans une langue qui ne serait pas la mienne… Comme une étrangère, je veux plonger dans le paysage d’un monde provisoire où le sens écarte le sens au fur et à mesure de mon passage. J’écris aussi ce livre pour ne pas être douce et pour voir venir l’horizon des incendies.Invitée dans un château en Suisse, Anne entreprend l’écriture d’un roman dans une langue autre. La singulière ivresse qui s’empare alors d’elle et de ses personnages – Charles, Kim, June, Tatiana Beaujeu Lehmann et l’avocate Laure Ravin – lui permettra-t-elle de traverser l’obscurité du monde ?
Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises
N/A
Citer la dédicace, s’il y a lieu Aucune. Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web
- http://www.academiedeslettresduquebec.ca/pdf/BrossardCaptureDuSombre.pdfhttp://www.cyberpresse.ca/article/20071118/CPARTS02/711180599/1050/CPARTS02 [Cette page n’est plus accessible]
- Un court article suivi d’extraits audio d’une entrevue : http://www.radio-canada.ca/radio/emissions/document.asp?docnumero=44714&numero=1658 [Cette page n’est plus accessible]
Impact de l’œuvre
Impact inconnu
Pistes d’analyse
Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre
Il est difficile de situer cette œuvre en regard du 11 septembre car les événements demeurent simplement évoqués de manière succincte. Certaines analyses voient dans l’évocation du 11 septembre la représentation d’un « désordre social » ou d’ « une violence sourde ». (https://web.archive.org/web/20071128221012/http://www.academiedeslettresduquebec.ca/pdf/BrossardCaptureDuSombre.pdf [Page consultée le 11 août 2023])Par ailleurs, on peut voir la présence des événements du 11 septembre dans l’œuvre comme un symptôme d’une société qui a changé du jour au lendemain, une société dans laquelle on ne peut plus écrire comme avant. Le projet de la narratrice, Anne, d’écrire dans une langue étrangère reflète probablement sa volonté de dire autrement, de trouver une échappatoire par les mots, afin d’apporter une réponse à l’impasse artistique qu’ont pu susciter de tels événements. (On peut, dans une certaine mesure, comparer cette hypothèse avec la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, où la découverte des camps de concentration avait bouleversé beaucoup d’écrivains, qui ont tenté par la suite de trouver une explication par l’art, mais aussi de se questionner sur la nature humaine).L’auteure pose ici deux questions fondamentales. La première est d’ordre philosophique, et interroge l’individu, sa condition, et la façon dont il est possible d’évoluer dans l’obscurité d’une société qui étouffe et qui souffre. Le champ lexical de la noyade et de l’étouffement sont omniprésents non seulement par les sujets traités : l’attirance d’Anne pour le Lac dans lequel des poètes se ont noyés (la majuscule du mot a son importance), le rituel du bain entre une fille et sa mère mourante ; mais aussi par l’écriture même de l’auteure, saccadée, haletante, à la recherche du moindre oxygène.C’est ensuite une question d’écrivain et de poète que se pose l’auteure : en effet comment dire le 11 Septembre, comment le représenter, comment le mettre en image ? Il y a d’un côté la représentation rationnelle de l’événement au travers de Laure, l’avocate qui cherche à le théoriser et lui trouver un sens légalement parlant. Il y a ensuite la représentation poétique d’Anne qui, en voyant les avions comme des blessures dans l’azur du ciel, métaphorise le 11 Septembre, fait s’évaporer toute la matérialité de l’événement pour en faire une image poétique.
Donner une citation marquante, s’il y a lieu
« Depuis le 11 septembre, les avions sont bombes, tombes trompe-l’œil dans le ciel, et j’ai perdu un peu de ce bonheur qui, sans avoir jamais été la tranquillité, me laissait cependant, joie au fond de l’âme, la certitude que le monde et le sens de ma vie ne pouvaient pas s’effondrer si facilement. Depuis ce temps, les mots ne suffisent plus à la tâche de consolation. » (pp. 13-14)
Noter tout autre information pertinente à l’œuvre
N/A
Couverture du livre