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Just Like The Movies

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Films, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée:

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Le jour se lève sur New York — et comme à l’ordinaire, à peine s’est-il levé que déjà commence, dans les rues et les stations de métro, le brouhaha de l’heure de pointe… Les hommes d’affaires du Lower Manhattan investissent leurs bureaux — encore inconscients de la menace qui approche. Un engin venu du ciel (avion? ovni?) perce la ligne d’horizon; une ombre s’étend sur New York. Bientôt, la terre vibre — premier fracas; que se passe-t-il? Abasourdis, passants et badauds lèvent les yeux vers le ciel… La panique s’installe… Quelque part, le compartiment passager d’un avion en vol n’est plus qu’une scène de carnage… Dans la ville, ambulances, voitures de police et camions de pompiers se précipitent vers l’épicentre d’une catastrophe inouïe… Pendant ce temps, des individus encagés dans leurs bureaux par les flammes se défenestrent: chutes vertigineuses de corps devenus projectiles, écrasant des voitures à l’«atterissage» dans la panique générale… Alerté dans la Maison Blanche, le président se prépare à agir ou à déclarer quelque chose. Mais les organes de la Défense sont dépassés; ses émissaires écarquillent les yeux comme les autres en face du spectacle. Seconde collision, effondrements ; au ras du sol, une marée de fumée monstrueuse engloutit les rues avoisinantes, absorbant le décor dans une brume opaque… Vue du ciel, New York est défigurée, en ruines. Et pourtant, une aube nouvelle se lève, parfois sur une Amérique partiellement couverte par la fonte des glaciers, mais où le sommet des deux tours pointe encore. Tout cela n’était-il donc qu’un rêve? En quelque sorte, oui — disons, avant que le réel ne s’en mêle, puisque toutes les images que l’on voit dans Just Like The Movies sont tirées de films hollywoodiens (films d’action, films catastrophe ou de science-fiction) qui ont été créés avant les attentats du 11 septembre. Ce faisant, le film donne corps à ce sentiment de «déjà vu» éprouvé par plusieurs devant la chute spectaculaire des tours — en matérialisant, pour ainsi dire, cet « arrière-plan fantasmatique » dont parle Slavoj Žižek (Bienvenue dans le désert du réel, p.39), « sans lequel cet événement n’aurait pas eu une telle portée.» Autre manière de dire qu’avec les attentats du 11 septembre, «la réalité n’a pas fait irruption dans l’image [,] c’est l’image qui a fait irruption dans notre réalité» (Žižek).

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Court-métrage expérimental. Film de montage.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Film de montage, Just Like The Movies organise son matériau (puisé dans une cinquantaine de films) de manière à respecter le déroulement linéaire d’une journée entière dans la ville de New York, partant des petites heures du matin pour aller jusqu’à l’aube du jour suivant. L’effet produit est celui d’une séquence narrative à focalisation externe à points de vues multiples (grand imagier). Ce faisant, et afin d’assurer à ce collage un déroulement souple, Michal Kosakowski emploie toutes les ressources du montage cinématographique : fondus enchaînés, raccords sémantiques, plans de réaction («reaction-shot»), raccords sur le mouvement, champs-contrechamps, jump-cuts, ralentis, écrans noirs, plans subjectifs. Cependant aucune citation sonore n’est utilisée; l’accompagnement musical de Paolo Marzocchi au piano, rappelant les «ragtime» du cinéma muet, ajoute à la polysémie de l’œuvre par l’intertextualité de la partition, laquelle provoque tantôt des effets de distanciation (ironie, ton moqueur et syncopé du ragtime), tantôt des effets empathiques angoissants (montées et descentes chromatiques accompagnant les plans de chutes de corps ; brefs passages atonaux), qui contribuent au malaise général inspiré par le film.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est particularisée et centrée sur New York et le World Trade Center.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés de façon explicite. La démonstration du film consiste en partie à prouver que le cinéma hollywoodien, même avant les événements du 11 septembre, est allé assez loin dans l’illustration fantasmagorique de catastrophes comparables pour les présenter de façon telle que certaines de ses images paraissent rétrospectivement comme le calque des images d’actualité qui ont capté l’événement.

L’effet de calque est particulièrement senti dans certains plans : la ligne d’horizon de New-York avec l’une des tours du WTC incendiée après avoir été percutée aux étages supérieurs par un OVNI; corps chutant des tours (du WTC ou de quelque autre tour surélevée), plans de rues englouties par la poussière d’un écroulement d’immeuble. De plus, quelques plans saisis à l’intérieur du compartiment passager d’un avion (probablement tirés d’un des films de la série Die Hard) se réfèrent de toute évidence au drame du vol de l’United 93 ainsi qu’aux derniers instants des avions qui ont percuté les tours du World Trade Center.)

Des moyens de transport sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène?
Oui ; dans la lignée d’une présentation de New York comme ville cosmopolite, tous les moyens de transport sont représentés dès le début du film, recréant l’agitation de l’heure de pointe avant la catastrophe : autobus , voitures, taxis jaunes, vélos, métros, ascensceurs. Par la suite, à l’approche et au déroulement de la crise, il y aura aussi des hélicoptères, des ambulances, des voitures de police, des camions de pompiers (connotant le rôle des moyens de transport dans la gestion de la crise), ainsi que des avions et même des OVNI (Independence Day!), impliqués activement quant à eux dans l’approche et le déclenchement de la crise.

Les médias ou les moyens de communication sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène?
Des télévisions diffusent des images de la catastrophe; cependant les moyens de communication comme tel n’ont pas une présence marquée.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Il ne semble pas possible, avec la structure narrative du film, de répondre à cette question, question, le film étant sans protagoniste auquel arrimer un point de vue quelconque sur les événements. Les événements sont abordés d’un point de vue collectif et rétrospectif.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun «son» n’est présent, à l’exception de la musique empathique de Paolo Marzocchi.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucune figure de texte.

Autres aspects à intégrer

Lien menant à une image de l’affiche du film :
http://chiefmag.com/issues/1/features/Just-Like-The-Movies/images/justlikethemoviesposter.jpg [Cette page n’est pas accessible]

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Faisant partie de la compilation DVD «Underground Zero», le film ne comporte aucun résumé ou argumentaire sur la couverture arrière de l’édition.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

—So where were you on September 11th, 2001?

—I was at home. With my friend from New York. We were doing a film about him for Austrian television and this day it was raining in Vienna, so we came back home around two o’clock pm, which is eight o’clock am in New York, six hours back. So we watched CNN, saw the first time, when breaking news appeared on CNN. We followed from the first moments it went on CNN. We stayed like six or seven hours in front of the TV, so we watched the second plane crashing live. It was like, like a movie, you know? The first tower collapsing and the second tower collapsing… And when the first tower collapsed, I immediately had this one image from Godzilla, Roland Emmerich’s film from 1996, when Godzilla steps through a building and it collapses. I had this image immediately in my mind because it was so… it was the same perspective, it was the same color, and everything was like that. I said, “What the fuck is going on?”

—And how did you move from that image to what would become Just Like The Movies?

—Through that image I realized that there are more images in Hollywood films. I knew that. Immediately. But I didn’t have the idea for the movie. I just had the idea to collect the images and do something with it. Because of course, from the beginning I didn’t know if it’s going to be possible to reconstruct a whole day in New York City. So months passed by and I started watching movies. And one year later I had around 50 images collected and then I realized, fuck, it is possible actually to do a film out of this.

Then I wrote a concept, two A4 pages with six main parts: waking up, rush hour, the silence before the storm, the first crash, people watching, the second crash which was more covered by thousands of angles as it was in reality too. So I even went inside the plane and just tried to do super editing of these different angles. And then I had people jumping, which was the fifth part. And the sixth part was the collapse of the two towers, and the last part was like the epilogue, you know? The aftermath, when you see the twin towers standing again, like a sign, like “Hey, wake up, it’s a movie, it’s not reality.”
And it was amazing for me because in all these Hollywood films like Deep Impact, Armageddon, Artificial Intelligence, they show the World Trade Center there, standing, but all of New York was wiped out, and these two towers remain. But in reality it’s the opposite.

So I developed this concept and I continued to watch films and taking out of every film what I needed. OK, I need people watching… this has a good one, this one, this one, this one. And slowly archiving them. And it took me almost four years. Going through like 600 movies.

— But you didn’t use any films made after September, 2001?

— First of all I want to show that these images had been created before. By the dream factory. And on the other side I looked at some of these images that were made after September 11th, like War of The Worlds, Flight Plan, you know there are many films… The Day After Tomorrow, this kind of stuff. But at some point these images didn’t have the same naive quality as the images made before September 11th, because they were so strongly influenced by this event, so the way of directing the film had totally changed. They didn’t fit at all together, like taking comedy and mix it with tragedy, something like this. It just didn’t work. The dust is more realistic… The fear the actors are showing is totally different…. So I decided not to take any of them. Only images made before.

And this makes the concept even stronger.

Finally, by the end, I chose images from 52 Hollywood films.
[…]

— What do you think about the attacks themselves? Have you seen any of these conspiracy theory films that are coming out now?

— OK, my personal opinion is that this was done by some kind of terrorist, I have a problem with this word “terrorist,” but ok, let’s say it was Al Qaeda, that’s what we know, Osama Bin Laden, let’s say they organized it. But… I’m so convinced somehow that the Bush administration, they exactly knew what was going to happen. They just didn’t do anything. Just to have a pretext for the politics they’re doing right now. And they’re going to continue that for the next twenty, thirty years. That’s what it’s all about. And I think that’s the most realistic scenario for me. I’m sorry, you can’t tell me that one of the best secret services in the world didn’t know about it. You can’t plan that huge attack without anyone knowing anything. Or… it was in the film United 93, where I saw the other point of view where they were really all confused. It was so quick, you know? Just things happening every ten minutes: another hijacking, another crash, collapse, the Pentagon… They were totally confused. But on the other side, it was not a thing they did… Oh, on the ninth of September, “Let’s hijack four planes,” you know? It’s a very long-term plan. Years. But of course, we’re never going to know. Because that would just fuck up the whole world. (Laughing.) The world would collapse.

So the only way to make an opinion is to do films like I do. Just to give you a completely different point of view…

(tiré d’une entrevue avec le réalisateur, https://web.archive.org/web/20071214193418/http://chiefmag.com/issues/1/features/Just-Like-The-Movies/ [Page consultée le 13 août 2023])

The instantaneous multimedia spread of the images of the catastrophe in New York on September 11, 2001 profoundly disturbed our perception apparatus. The images of the aeroplanes slamming into the towers, and the towers’ subsequent collapse seemed, at first glance, to be scenes from a disaster movie.
“”It’s just like the movies!”” was usually the first reaction of those watching the events unfolding on their TV screens, no doubt recalling the endless number of catastrophes that Hollywood has proposed over the years. Now confronted with the reality of one such scenario – of unprecedented destructive and symbolic resonance – a feeling of déjà vu arises while looking at these images. This paradoxical déjà vu presents a great challenge to our realism. If documentary images are graphic testimony of real events, then footage of 9/11 is evidence of the realization of the existing fiction. Just Like the Movies is an attempt to re-construct the events of 9/11 by highlighting the parallels between the fictive worlds and the images of the real events.

(texte de présentation du film rédigé par l’auteur, disponible sur http://www.nosugar-added.com/deutsch/POPUPS/aktuelle-projekte/aktuelle-projekte14-e.html)

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

https://web.archive.org/web/20080616081423/http://www.arte.tv/fr/art-musique/tracks/1212414.html [Page consultée le 13 août 2023]

https://web.archive.org/web/20071202082032/http://chiefmag.com/issues/1/features/Just-Like-The-Movies/ [Page consultée le 13 août 2023]

Impact de l’œuvre

Peu d’informations concrètes sont disponibles à cet égard ; cependant, on peut imaginer l’impact comme important sur le public (de plus en plus élargi) qui a été exposé à ce film. D’après le réalisateur, le film, à la base, avait été réalisé de manière confidentielle, pour être présenté à quelques amis, et a rapidement suscité une vague d’intérêt qui l’a éventuellement propulsé sur le réseau des festivals et des événements artistiques pluridisciplinaires. Une communication lui a d’ailleurs été consacrée au colloque «Fictions et Images du 11 septembre» en décembre 2007 (Laetitia Kugler, Université de Paris III : « Mensonges mythiques et vérité cinématographique : Just Like the Movies de Michal Kosakowski »).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Sorte de reconstitution narrative des attentats tels qu’ils auraient été, pour ainsi dire, anticipés par les fabricants de la «machine à rêves», Just Like the Movies soulève plusieurs pistes d’analyse intéressantes, essentiellement en ce qui concerne les nombreuses ressemblances que partagent, de façon assez troublante, les modes de présentation d’événements catastrophiques tant dans la fiction hollywoodienne que dans le documentaire. Cette problématique pourrait s’articuler à partir des points suivants :

—l’effet d’inquiétante étrangeté ressenti à la découverte de la dimension soi-disant prophétique des films utilisés, dont la sortie fut antérieure aux événements;

—le constat que la plupart de ces films partagent une grammaire suffisamment homogène, de manière à ce qu’elle autorise de jouer de l’interchangeabilité de ses images, laquelle permet de constituer des séquences nouvelles où les images, prises de sources différentes, s’insèrent avec facilité dans de nouveaux continuums narratifs qui acquièrent dans ce cas-ci le statut de modèle morphologique relatif à la représentation hollywoodienne d’événements catastrophiques ;

—le constat, assez troublant, des grandes affinités formelles entre ces fictions et les techniques narratives et l’imagerie employés par quantité de documentaires relatant l’événement. (Spécialement ceux, tels que 9/11 ou In Memoriam, qui furent diffusés par de grandes chaînes ). En effet, ces derniers s’avèrent reconduire souvent les mêmes procédés de monstration — notamment en ce qui concerne la temporalité linéaire, la focalisation externe, la multiplication des angles de prises de vue, l’usage du «reaction-shot» et du montage serré —, de manière à laisser penser que le cinéma hollywoodien, loin de se contenter d’avoir soit-disant «prophétisé» ou scénarisé les événements, en avait déjà aussi établi le «storyboard». Aussi, l’effet de déjà-vu ressenti par le spectateur ne porte pas seulement sur la dimension soi-disant prophétique des films hollywoodiens; ce sont aussi les méthodes de mise en scène des documentaires qui en retiennent les procédés, établissant ainsi une équivalence hasardeuse entre l’effet d’hyperréalité créé par la fiction, et la «fictionnalisation» abusive du Réel par les documentaires qui partagent avec la fiction une grammaire commune et uniforme;

— enfin, au-delà de ce jeu de similitudes, on pourra comparer la relative pudibonderie et l’autocensure pratiquée par ces documentaires en ce qui concerne le soubassement obscène de l’événement — la représentation explicite des pertes humaines, les corps qui tombent et qui s’écrasent au sol — avec l’emphase qu’y mettent, au contraire, certains films cités par Just Like The Movies, dont les images, bien que fictives, révèlent bel et bien ce qui a été presque entièrement forclos, «souci de pudeur» oblige, par les documentaires commémoratifs.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Ne s’applique pas (film sans dialogues).

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Voici une liste des titres des films dont Michal Kosakowski a tiré les images de Just Like The Movies :

2001: A Space Odyssey [1968], The French Connection [1971], Earthquake [1974], Ransom [1975], 3 Days of the Condor [1975], King Kong [1976], Marathon Man [1976], Taxi Driver [1976], Superman [1978], Meteor [1979], Superman II [1980], Escape from New York [1981], Nighthawks [1981], Q—The Winged Serpent [1982], Ghostbusters [1984], F/X [1986], A Better Tomorrow II [1987], Wall Street [1987], Die Hard [1988], Ghostbusters II [1989], Die Hard 2 [1990], Jacob’s Ladder [1990], The Fisher King (1991], Passenger 57 [1992], Cliffhanger [1993], Groundhog Day [1993], Last Action Hero [1993], Léon [1994], Speed [1994], Die Hard: With a Vengeance [1995], Daylight [1996], Independence Day [1996], As Good As It Gets [1997], Conspiracy Theory [1997], The Devil’s Advocate [1997], Armageddon [1998], Deep Impact [1998], Earthquake in New York [1998], Godzilla [1998], The Siege [1998], Arlington Road [1999], The Astronaut’s Wife [1999], End of Days [1999], Fight Club [1999], The Matrix [1999], American Psycho [2000], Boiler Room [2000], AI: Artificial Intelligence [2001], Swordfish [2001], Vanilla Sky [2001], Gangs of New York [2001], Spider-Man [2001].

Affiche / pochette du film

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