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Jean Paulhan et le tribunal des Lettres

Laurence Côté-Fournier
couverture
Article paru dans Politiques de la littérature. Une traversée du XXe siècle français, sous la responsabilité de Laurence Côté-Fournier, Élyse Guay et Jean-François Hamel (2014)

Dans le court récit «Une semaine au secret», Jean Paulhan revient sur son arrestation par les Nazis, survenue en mai 1941, et sur le long interrogatoire qu’il a dû subir avant d’être relâché, quelques jours plus tard, grâce à l’intervention de Drieu La Rochelle. Paulhan est alors fortement impliqué dans la Résistance et la menace qui pèse sur lui est bien réelle; les actes posés et les informations détenues pourraient lui valoir d’être torturé ou fusillé, comme le seront plusieurs de ses camarades. Or, malgré l’aspect terrifiant de la situation, le ton du récit est fidèle à celui qui caractérise le reste de l’oeuvre de Paulhan: ambiguïté et mystère prennent le pas sur tout épanchement. À l’enquêteur qui lui demande: «Quelles sont vos opinions politiques?», Paulhan réplique: «Je n’en ai pas». Lorsque l’enquêteur insiste en lui rappelant qu’il est «conseiller municipal, [qu’il a] donc un parti», Paulhan joue à l’ignorant: «En France nous admettons que la politique est une sorte de technique: il y faut une préparation que je n’ai pas. Au Conseil municipal, je m’occupe de la bibliothèque.»

Il va de soi que ces esquives ont d’abord pour but de dévoiler aux militaires le moins d’informations possible. Tant par leur fond que par leur forme, ces paroles ne jurent cependant pas avec la posture qu’a adoptée Paulhan vis-à-vis de la politique dans nombre de ses écrits. De manière récurrente, l’auteur des Fleurs de Tarbes, reconnu pour sa plume sibylline, emploie en effet une sorte de désinvolture, un air de fausse naïveté, pour laisser croire qu’il n’entend rien aux conflits de partis et aux manigances qui sous-tendent les affaires de la Cité. À la mort de Staline, il se contente ainsi de propos qui évitent de commenter l’essentiel: «Je ne m’entends guère en politique. Mais [s]es réflexions sur la linguistique étaient pleines de bon sens. […] Ses opinions littéraires étaient plus discutables; à mon sens, un peu systématiques.» De même, dans une lettre à Drieu La Rochelle, en 1943, il choisit de définir sa position par un paradoxe: «Me croyez-vous anti-fasciste? Je suis normal. Je suis comme chaque homme normal. Je suis violemment fasciste et violemment démocrate.»

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