Article d'une publication

Je rien Te deum

Julie Bramond
couverture
Article paru dans Théâtre, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Melquiot, Fabrice. 2005. Exeat/Je rien Te Deum. Scène ouverte. L’Arche, Paris, 84p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

   

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Bone se lave les mains dans un lavabo d’une des tours du World Trade Center quand cette dernière est frappée par l’un des deux avions, «la belle horreur», dit-il. À partir de ce moment, Bone va vouloir s’échapper mais pas par l’ascenseur ou l’escalier, il veut trouver une autre issue, «un fil pour sortir de là, autrement». Le lecteur sera transporté dans l’esprit de Bone, au gré de ses idées, des digressions auxquelles il s’adonne de manière fragmentée et évasive. Le lecteur sera le spectateur des dernières pensées de Bone qui vont tout d’abord à Clue, l’être aimé. L’anticipation de la mort amène le souvenir charnel de l’être aimé et le désir d’être avec lui à ce moment précis. Bone prendra ensuite conscience de toutes les choses qu’il ne dira plus ou qu’il ne fera plus, des choses ordinaires comme lavabo et Coca Cola, des choses incongrues comme chrysolithe et enfin des mots symboliques que deviendront World Trade Center. C’est à une dernière prière que se consacre Bone, une prière qui finit à son apogée dans le ventre maternel, sorte de régression fœtale salvatrice, ce fil argenté tant recherché.

  

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Pièce de théâtre.

  

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Monologue intérieur, discours indirect libre omniprésent. Passages incessants entre l’intérieur et l’extérieur.

   

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est particularisée, avec notamment une gradation quant à la précision de la désignation du lieu de l’action. Manhattan est tout d’abord évoqué, puis l’évocation se précise: «l’autre tour», «trois cent mètres au-dessus du vide», ensuite «la tour» (avec sa description précise: date de construction, coût, matériaux, etc.) pour enfin aboutir à l’une des dernières répliques: «je ne dirai plus World Trade Center», seul moment où les deux tours sont nommées explicitement.

  

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont évoqués de manière explicite avec un point de vue complètement contemporain, puisqu’il s’agit d’un avion qui vient s’écraser dans l’une des tours où se trouve le personnage principal qui est aussi le narrateur. Le personnage demeure réaliste et semble être conscient de son issue fatale, il ne cherche pas à fuir mais à trouver une autre échappatoire, davantage d’ordre spirituel.

   

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Le narrateur est le personnage principal, un homme qui travaille dans l’une des tours. Les événements sont abordés sous un angle très subjectif dans la majorité de l’œuvre, puisque le lecteur fait face aux pensées du narrateur au moment des événements. Néanmoins, la voix de cet homme résonne comme porte-parole de tous les individus présents dans la tour, et laisse ainsi une sorte de témoignage collectif.

   

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

La dimension auditive dans l’œuvre est essentielle. En effet, avant même que le narrateur n’évoque l’avion qui vient de s’écraser dans la tour, il parle du «premier cri». La référence aux cris est présente à plusieurs reprises. Le silence est aussi marquant dans le texte et révélé par la syntaxe. En effet l’écriture fragmentaire et brève met en exergue le silence (comme il s’agit ici d’un texte théâtral, il serait intéressant de voir la pièce jouée, afin de voir comment le silence est mis en scène). Les phrases non terminées, nominales, ou même constituées d’un seul mot participent de cette mise en valeur du silence, que l’on pourrait assimiler à l’impossibilité du personnage, à certains moments, d’entendre ce qui se passe autour de lui tant le choc (physique et psychologique) est violent.

  

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Le texte est une pièce de théâtre mais ne présente absolument pas les formes conventionnelles du théâtre écrit. En effet, il n’y a ni les noms des personnages, ni les didascalies. C’est un monologue fragmenté où se côtoient de longs paragraphes, des phrases séparées par de grands sauts de lignes. La page peut être soit couverte de texte, soit à peine marquée de quelques phrases, telles des traces laissées de manière sporadique par le narrateur.

  

Autres aspects à intégrer

N/A

   

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Le ciel a quelque chose de si douloureux, ce soir. J’en oublie presque ma peine, si c’est une peine, ce dont je ne suis pas sûr, encore. Je m’estime heureux d’avoir tout perdu de mon corps plutôt qu’avoir subi une sorte d’amputation partielle, une jambe ou une main, ça fait hurler ce genre de. Non. Le corps tout entier, c’est bien. Le ciel en bave, lui. Va vers l’orage, en remuant des queues de nuages épaisses et fades. Je vois, avec je ne sais quels yeux, le ciel du soir préparer le petit cataclysme de saison.

    

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

«Je crois que les États-Unis sont à un moment important de leur histoire, où chacun est mis face à son désir d’engagement, à sa fragilité d’individu au sein d’un peuple qui se sait maintenant vulnérable, après des événements majeurs, comme le 11 septembre, l’Afghanistan, l’Irak ou Katrina. Du coup, j’ai le sentiment qu’une conscience politique s’aiguise. Comme une nouvelle exigence qui pourrait naître de ces grands chocs. Je trouve le cinéma américain assez révélateur de cette tendance. Même les studios élargissent leurs horizons. Il ne faut pas oublier que la poésie est insurrectionnelle. Qu’elle appelle à la pensée. Au sens critique. Les artistes doivent retrouver leur force d’engagement, travailler contre le seul entertainment, au nom d’une réflexion basée certes sur un plaisir de spectateur, mais un plaisir source d’intelligence. Le fruit de tout ça, le but, s’il y en a un, c’est quand même de penser mieux, de vivre mieux, ensemble.» (tiré d’une entrevue conduite par Davina Cohen en février 2006 sur Fool’s Fury1https://web.archive.org/web/20060718174256/http://www.foolsfury.org/fabrice_interview.html [Page consultée le 3 août 2023])

   

Citer la dédicace, s’il y a lieu Aucune. Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Présentation de la pièce:

  

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

   

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

L’auteur prend clairement le parti d’évoquer les événements du 11 septembre comme une expérience spirituelle. La mort est métaphorisée par la figure du funambule qui pourrait, dans une certaine mesure, rappeler ces personnes qui ont sauté dans le vide, acte qui a sucité un certain nombre d’interrogations d’un point de vue ethique. L’auteur prend donc une distance assez importante avec la réalité, mais sans minimiser la portée de l’événement. Ainsi le texte, marqué par une dimension poétique forte, résonne comme une réflexion poétique sur la mort, omniprésente dans le texte, notamment à travers l’onomastique du personnage. Bone est certes une victime parmi d’autres du 11 septembre, mais il est surtout celui qui laissera une trace, qui marquera par son esprit et son corps cet événement. (on fera aisément le lien avec bone en anglais qui signifie «os»). Enfin la mort semble être représentée comme un objet phallique à travers la figure de l’avion, avec une violence explicite :«long comme un bras dans un cul quand on n’a pas l’habitude de recevoir de tels bras au milieu des entrailles […] Parce qu’on l’a vu l’instrument, venir à grande vitesse vers sa bouche, comme une mouche trop grande, qu’on ne pourra pas avaler» (p. 49). La dimension charnelle et corporelle sera omniprésente à partir de ce moment, puisque les pensées du narrateur iront vers l’être aimé, dont les caresses et les baisers manquent. Enfin la dimension corporelle sera à son apogée au moment où le narrateur trouve refuge dans le ventre maternel: «chez moi». (p. 83)

   

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«La belle horreur, on se la colle au bide et c’est les uns contre les autres, les joues des uns dans la poitrine des autres, c’est prêt à s’étouffer dans une boîte, c’est prêt à mourir pour pas mourir, pas des amis, des visages et je leur ai souri.» (p. 50).

   

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

À titre indicatif, une présentation de l’œuvre accompagnée de pistes d’analyses2https://web.archive.org/web/20080329081515/http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Je-rien-te-deum/ensavoirplus/ [Page consultée le 3 août 2023]: Le texte est publié avec Exeat, qui ne traite pas directement du 11 septembre mais qui s’inscrit dans l’imaginaire de la catastrophe. (évocation d’une inondation comme un cataclysme avec une référence aux sauveteurs)

Ce site fait partie de l'outil Encodage.