Entrée de carnet

Gastromovies – Expérience culturelle, expérience culinaire

Megan Bédard
couverture
Article paru dans Produire, préparer, manger ensemble, sous la responsabilité de Jonathan Hope (2018)

Depuis quelques années, j’entretenais un de ces rêves qui ne prennent forme qu’au cours de conversations entre amies, puisqu’ils demandent du temps et de l’organisation pour se réaliser. Je voulais réunir en une soirée mes passions pour la nourriture et le cinéma. Au cours de cet évènement, le contenu du repas s’agencerait, directement ou indirectement, à la thématique ou à l’origine des films visionnés 1Parfois, le choix d’une nourriture (des plats indiens, par exemple) désignera explicitement le genre cinématographique ou le pays d’origine de la programmation qui l’accompagnera le mieux (Bollywood) et inversement. À certaines occasions, nous consommons la nourriture représentée visuellement dans la diégèse (manger de la pizza en regardant Teenage Mutant Ninja Turtles); à d’autres moments, il s’agit plutôt d’une association stéréotypée entre un genre et un repas (manger de la salade et des cocktails sucrés en regardant de la Chick Flick). C’est au mois de mars 2017 qu’a eu lieu la première édition de ce que mes colocataires et moi-même avons nommé les « Gastromovies » ; une dizaine de personnes se sont alors réunies dans notre appartement pour écouter une sélection de films de superhéros américains. Pour l’occasion, j’ai cuisiné un repas de nourriture américaine (du moins, ce que la croyance populaire et l’imaginaire occidental identifient comme tel) qui fut servi sous forme de buffet. Chacun amenait son plat dans le salon et nous mangions devant le téléviseur.

Cette formule est devenue rapidement celle de tous les Gastromovies qui se sont déroulés depuis, chaque premier dimanche du mois (à trois exceptions près). Ces petites réunions thématiques soulèvent des questionnements par la convergence entre plusieurs objets culturels (cinéma et cuisine) au sein d’une pratique collective récurrente de confrontation avec de nouvelles cuisines (ethniques; réinterprétation végétarienne/végane de plats familiers), avec de nouvelles subjectivités (des goûts culinaires et cinématographiques) et des nouvelles sensibilités (puisque les Gastromovies construisent des espaces inclusifs respectant à la fois les régimes alimentaires restrictifs des gastrocinéphiles (véganisme ou allergies alimentaires, entre autres) et les inconforts par rapport au contenu des films).

Dans le choix et l’association de deux objets culturels, et dans leur rapprochement au cours d’une activité de communication incorporée et multisensorielle, se déploient déjà plusieurs niveaux d’interprétations. La consommation du repas devant la télévision  faisant notamment écho au changement des pratiques apporté par l’arrivée des téléviseurs dans les foyers américains ― fait émerger des métadiscours sur l’appréciation culinaire et cinématographique ainsi que sur les renvois entre la fiction et la nourriture. L’exploration de nouvelles cultures ou, à d’autres moments, la redécouverte de repas familiers à la lumière de l’association avec certaines œuvres cinématographiques, nécessite une renégociation constante des habitudes alimentaires dans le cadre d’une pratique hors du quotidien qui met en jeu une communauté.

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    Parfois, le choix d’une nourriture (des plats indiens, par exemple) désignera explicitement le genre cinématographique ou le pays d’origine de la programmation qui l’accompagnera le mieux (Bollywood) et inversement. À certaines occasions, nous consommons la nourriture représentée visuellement dans la diégèse (manger de la pizza en regardant Teenage Mutant Ninja Turtles); à d’autres moments, il s’agit plutôt d’une association stéréotypée entre un genre et un repas (manger de la salade et des cocktails sucrés en regardant de la Chick Flick).
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