Entrée de carnet
Expo Pop-Up
Auteur inconnu. «The Get Out Clause» [Capture d’écran d’une vidéo de surveillance]
Parmi l’ensemble des expositions présentées dans le cadre de la dernière édition des Rencontres d’Arles, il en est une qui retient plus particulièrement l’attention, From Here On, une exposition dite manifeste signée par un quintette de spécialistes de la photographie contemporaine, le commissaire Clément Chéroux, l’éditeur Erik Kessels, et les artistes Joan Fontcuberta, Martin Parr et Joachim Schmid. Annoncée par un manifeste collectif, From Here On prend le parti des pratiques artistiques contemporaines sensibles aux mutations introduites par les usages numériques de l’image. Appropriation digitale, déplacement, retranchement, transformation d’images mises en ligne et en partage, c’est la panoplie des exploitations rendues possibles par Internet qui est ici convoquée et questionnée. Quelques exemples de travaux tributaires de cette hyper-accessibilité des images : Jens Sundheim (www.jens-sundheim.de) pose devant des webcams placées sur les cinq continents et en télécharge des captations depuis Internet ; Les Get Out Clause (www.thegetoutclause.co.uk), un groupe de musique pop de Manchester, installent leur matériel devant des caméras de surveillance installées un peu partout en Grande-Bretagne, et jouent. Ils récupèrent ensuite les rushs en vertu d’une législation l’autorisant et produisent un clip à partir de ce matériau ; Pavel Maria Smejkal (www.pavelmaria.com) récupère des images de presse célèbres comme celle de l’affrontement de la place Tienanmen, etc. et en efface le sujet principal, pour ne laisser que l’arrière-plan. Curieusement, la reconnaissance des images n’en est pas pour autant compromise. Malgré son titre et son ambition, From Here On ne prétend aucunement décrire un phénomène nouveau ni revendiquer une rupture dans l’histoire culturelle des images. Avec d’autres moyens, les Surréalistes avaient déjà, à leur manière, envisagé la presse illustrée et les répertoires d’images comme autant de sources visuelles où puiser du merveilleux et de l’étrangeté. Ce que From Here On souligne en revanche c’est l’intensification des recours à ces « filons d’images » (Chéroux) dont regorge Internet. Plus que la nouveauté, c’est l’exacerbation d’un principe connu, amplifié à la faveur des technologies actuelles, que présente cette exposition.
Auteur inconnu. «From here on» [Photographie de l’exposition]
Mais pourquoi nous montrer tout cela sous la forme d’une exposition, avec ses cimaises blanches, sa scénographie affirmée, ses tirages photographiques de formats variés, ses enclaves dédiées aux projections vidéos? Pourquoi le choix de cette forme somme toute classique de monstration publique? Par nécessité tout d’abord puisque les œuvres en question requièrent toutes d’être soit accrochées soit projetées. Les travaux présentés imposent leur matérialité : papier photographique, cadres de bois ou de formica, cartons, éléments sculpturaux, vitrines … et même des poules pondeuses. Une bonne quantité de Placoplatre et de bois d’œuvre a donc dû être utilisée afin de montrer adéquatement ces travaux. Premier constat : les pièces et la muséographie de cette exposition sont en dur alors que l’immatérialité du numérique est au fondement des processus de création en cause. Les procédés sont en porte-à-faux avec les processus. Ce curieux paradoxe est mis en lumière par l’adoption d’une scénographie syncopée où les ruptures d’échelles et les surprises visuelles empruntent aux qualités éruptives des pop-up. Cette surprenante solution scénographique, si elle évoque également les propositions muséographiques de l’entre-deux-guerres et plus particulièrement les expositions didactiques et propagandistes, trahit néanmoins un double refus : d’une part celui d’un accrochage linéaire adaptée à la photographie d’art, celui d’autre part d’une cybermuséologie et d’un commissariat en ligne. On aurait cru la seconde proposition davantage en phase avec la nature des propositions artistiques retenues. Ce serait compter sans le fort pouvoir de légitimation de l’exposition physique. Car l’autre raison au fondement de ce choix tient à la valeur symbolique rattachée à la forme-exposition. La photographie numérique ou ses avatars artistiques pourraient ne pas quitter l’écran, au même titre que le photojournalisme pourrait s’en tenir à la page imprimée. Ce serait oublier que l’exposition publique des œuvres et des images procède d’un rituel collectif de validation et d’une forme de sociabilité à laquelle il apparait décidément bien difficile de renoncer.