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Au-delà des «sources» et des «influences». Analyse sociologique des mobilisations plurielles des idées de Spinoza dans l’œuvre de Pierre Bourdieu
Collage réalisé par l’artiste-peintre Françoise Royer
(Credit : Victor Collard)
L’histoire des idées a produit d’innombrables travaux sur les relations intellectuelles entretenues par ceux que l’on désigne comme de «grands penseurs». On ne saurait en effet dénombrer les ouvrages et articles consacrés aux rapports entre Spinoza et Aristote, entre Kant et Platon, ou entre Nietzsche et Pascal, pour ne nommer que ces quelques exemples. Ceux-ci se présentent le plus souvent comme des rapprochements théoriques, opérés à partir de la lecture d’un tiers chercheur qui se propose de commenter les points de convergences ou de divergences entre deux œuvres. Le philosophe Pierre Macherey donne par exemple une illustration tout à fait nette de cette méthode classique à propos de ses travaux sur la pensée de Michel Foucault: «je voyais une certaine affinité avec des schèmes théoriques hérités de Spinoza: du moins, me semblait-il, cela pouvait avoir un sens de lire ensemble Foucault et Spinoza, non pour les assimiler l’un à l’autre, ce qui eût été absurde, mais pour essayer de mettre en place et de faire fonctionner une relation d’échange entre ces deux mondes de pensée qui se rencontraient, du moins dans ma tête» (Macherey, 2009: 29). Parmi ces très nombreuses mises en dialogue opérées par les commentateurs, celle qui concerne le célèbre philosophe hollandais du XVIIe siècle Baruch Spinoza et le sociologue français du XXe siècle Pierre Bourdieu retient particulièrement l’attention. En effet, tantôt de manière brève au détour d’une phrase, tantôt de manière plus approfondie, ce rapprochement a été analysé en France par des philosophes (Lazzeri, 2008; Sévérac, 2012), des sociologues (Wacquant, 2014; Dufoix, 2018) mais également par de nombreux chercheurs de nationalités très diverses (Moore, 2004; Gremigni, 2016). Malgré leurs rattachements disciplinaires distincts, ceux-ci considèrent ainsi avec une certaine évidence que Spinoza aurait constitué un auteur important dans la trajectoire intellectuelle de Bourdieu. S’ils ne s’intéressent guère à la façon dont le sociologue a été mis en contact avec cette œuvre, c’est-à-dire à la question des modalités de la réception des idées de Spinoza par Bourdieu, ils sont en revanche beaucoup plus prolixes quant aux usages que ce dernier aurait faits des idées du philosophe hollandais. En effet, la quasi-totalité des commentateurs considèrent que c’est la conception spinoziste du déterminisme qui aurait particulièrement intéressé Bourdieu et dont il se serait inspiré pour développer sa propre théorie de l’action en sociologie. Pourtant, en postulant que le sociologue serait un «spinoziste», qui aurait trouvé chez le philosophe hollandais le parfait allié notamment contre les «théories du sujet» inspirées de Descartes, qui conçoivent l’individu comme libre et autonome, ces travaux prennent le risque de projeter un écran de fumée sur les usages réels que Bourdieu a faits de cette œuvre.
Dans le cadre de cet article, plutôt que de nous contenter des rapprochements lointains et imprécis que produisent habituellement les études s’intéressant à l’«influence» d’un penseur sur un autre, et en l’occurrence de celle de Spinoza sur Bourdieu, nous souhaitons analyser rigoureusement cette circulation des idées qui permet à l’œuvre d’un philosophe du XVIIe siècle d’être traduite dans le travail d’un sociologue contemporain. En délaissant une perspective plus conceptuelle en histoire des idées, qui tend à prêter davantage d’attention aux aspects de l’œuvre de Spinoza qui auraient pu intéresser Bourdieu plutôt qu’à ses usages réels, nous souhaitons, dans une perspective d’histoire sociale des idées (Matonti, 2012; Gaboriaux, Skornicki, 2017), suggérer une façon plus sociologique d’interroger la circulation des idées entre auteurs et la mobilisation concrète qu’un chercheur peut faire de l’œuvre d’un autre.
Les fausses évidences de la mobilisation de Spinoza par Bourdieu
Bourdieu a souvent présenté son rapport aux figures de l’histoire de la philosophie et des sciences sociales comme essentiellement pragmatique. Le sociologue perçoit ces derniers comme des alliés à qui il peut demander, en fonction des combats scientifiques qu’il mène, «un coup de main dans les situations difficiles» (1987: 40). À cet égard, de nombreux commentateurs ont mis en avant l’affinité supposée de Bourdieu avec la perspective déterministe développée par Spinoza comme clé d’explication de la relation privilégiée qui existerait entre ces deux penseurs.
Nous pouvons en donner quelques exemples tirés d’horizons disciplinaires divers. Du côté des chercheurs en philosophie, Christiane Chauviré et Stéphane Chevallier, auteurs d’un Dictionnaire Bourdieu (2010), relient par exemple explicitement la vision de la liberté développée par Bourdieu à l’œuvre de Spinoza: «Bourdieu adopte ici clairement une conception spinoziste de la liberté comme connaissance des causes qui nous déterminent» (98). De même, la chercheuse en philosophie Charlotte Nordmann, qui a consacré un ouvrage à l’esquisse d’un dialogue entre les pensées de Bourdieu et de Jacques Rancière, estime également: «S’il y a un spinozisme de Bourdieu, il réside dans le lien posé entre connaissance et liberté: la connaissance de la nécessité induit par elle-même une certaine liberté. Cette idée est constamment maintenue, en dépit même de sa critique de “l’illusion intellectualiste”, qui consiste à croire qu’on peut changer ce qui est, simplement en modifiant la conscience qu’en ont les agents» (190). Il est vrai que Bourdieu, dans l’un de ses cours donnés au Collège de France, expose lui-même l’intérêt que revêt à ses yeux l’Éthique en mentionnant cette opposition entre Descartes et Spinoza (2015: 347).
Pour autant, nous pouvons constater que ce rapprochement opéré autour de la question du déterminisme est clairement surestimé par les commentateurs, au détriment des usages multiples qu’un auteur comme Bourdieu a pu faire de la pensée de Spinoza. En effet, il est important de noter que la mobilisation du spinozisme à titre d’allié «déterministe» contre la philosophie du sujet de Descartes est très attendue mais en réalité peu présente chez Bourdieu. D’une part, le supposé «déterminisme» du sociologue est un qualificatif qui n’a jamais été revendiqué par ce dernier pour décrire l’orientation de son œuvre. Le sociologue luttait au contraire contre l’idée mécaniste qu’il supposait véhiculée par ce genre de terme. Tout en reconnaissant être le premier surpris de «voir le degré auquel les choses sont déterminées» (Bourdieu et al., 1992: 172), il se défendait d’encourager ce déterminisme en affirmant: «on se trompe formidablement quand on dit que mes analyses sont déterministes» (2016: 696). D’autre part, les questions de liberté et de déterminisme apparaissent propres à une discussion métaphysique typique de ce que de nombreux sociologues, à commencer par Bourdieu, ont identifié comme propre à la philosophie (Lordon, 2019).
Il convient dès lors de se méfier des lectures téléologiques qui font de la réception des idées spinozistes dans le champ français un processus ayant occasionné une seule et unique lecture d’un même corpus à toutes les époques. Les idées spinozistes présentées dans les années 1950 et auxquelles Bourdieu a d’ailleurs été initié par les cours de Ferdinand Alquié à la Faculté des Lettres de Paris, n’abordent pas principalement cette question et ses présupposés politiques (Alquié, 2003). C’est ainsi qu’en 1968, quand il s’agit de traiter de la question du déterminisme dans leur ouvrage Le métier de sociologue, Bourdieu et ses co-auteurs mobilisent un texte de Durkheim et un autre de Claude Bernard (Bourdieu et al. 1968: 168) plutôt que certaines propositions de l’Éthique.
Cela ne signifie pas en soi que la vision d’un Spinoza déterministe ne traverse jamais la pensée de Bourdieu, qui cite à une seule reprise dans l’ensemble de ses écrits la vision déterministe de Spinoza (2015: 346). Tout porte à croire cependant que nous avons affaire à un biais qui consiste à ne concevoir le déterminisme que comme l’apanage du philosophe hollandais, sans considération pour les autres auteurs qui pourraient tout aussi bien être mobilisés sur ce sujet. C’est notamment le cas de Leibniz: le philosophe Jacques Bouveresse raconte avoir d’ailleurs convaincu Bourdieu que sa conception de la liberté était plus proche de celle de Leibniz que de celle de Spinoza (Bouveresse, 2004: 39), ce qui signifierait implicitement que le sociologue a peut-être lui-même pensé pendant un certain temps être proche de Spinoza sur ce sujet. Or l’affirmation de Bouveresse est plausible puisque Bourdieu affirme justement, dans un Cours du Collège de France le 17 juin 1993, c’est-à-dire dans les années où tous deux sont professeurs dans cette institution: «Leibniz, qui a la théorie la plus intéressante de la liberté selon moi» (Bourdieu, 2017: 246). De même, dans un entretien avec Loïc Wacquant paru l’année précédente, Bourdieu évoque les Stoïciens et Leibniz comme références intellectuelles à partir desquelles il est possible de penser un certain «jeu» face aux déterminismes (Bourdieu, Wacquant: 111).
Cela atteste ainsi qu’une vision au plus près des pratiques est à même d’opposer un démenti à certains commentateurs, qui paraissent s’attacher à ce que Bourdieu aurait pu faire des idées de Spinoza au lieu d’observer la façon dont il les a véritablement mobilisées.
Une typologie plus éclectique des idées «spinozistes» chez Bourdieu
La supposée proximité conceptuelle entre Spinoza et Bourdieu sur la question du déterminisme apparaît davantage mise en avant par les commentateurs qu’elle ne l’est par le sociologue. Elle a par conséquent tendance à éclipser la mobilisation réelle que fait Bourdieu de l’œuvre spinoziste dans son propre travail. Ces références à l’œuvre du philosophe hollandais sont nombreuses et de différents ordres. Elles ne peuvent alors être mises sur le même plan et il apparaît nécessaire de proposer une rapide typologie en trois grandes catégories.
Les références à Spinoza comme fioritures rhétoriques
Nous allons d’abord nous concentrer sur le recours de Bourdieu à un certain nombre de concepts et de syntagmes incontestablement tirés de l’œuvre du philosophe hollandais et qu’il ne lui est pourtant pas nécessaire d’aller chercher dans le texte spinoziste lorsqu’il y fait référence. Certaines de ces reprises semblent en effet originaires d’une habitude contractée lors de ses années d’étude en classes préparatoires et à l’École normale supérieure au tournant des années 1940-1950: elles se présentent comme un reliquat des nombreuses dissertations et exercices scolaires dans lesquels sont mobilisés ce type de formules et relèvent donc d’une sorte d’habitus cultivé. Le sociologue américain Robert Merton propose la dénomination d’obliteration by incorporation pour qualifier ces concepts devenus à ce point célèbres et usités qu’ils n’ont plus besoin d’être référés à leur auteur d’origine (1949: 27-28). Pour en donner quelques exemples, Bourdieu cite très fréquemment des expressions telles qu’«empire dans un empire» (1966: 904), «connaissance du troisième genre» (1975: 90), «asile de l’ignorance» (et al. 1995: 121), ou même «amour intellectuel de Dieu» (1979: 251). Malgré une propension importante à citer ces termes que l’œuvre de Spinoza a popularisés, leur importance argumentative dans l’économie générale de l’œuvre de Bourdieu doit être relativisée. Ces expressions peuvent résolument apparaître comme des scories du discours, sortes de fioritures qui ne disent rien de fondamental du rapport réel de Bourdieu au spinozisme, notamment parce que le sociologue en fait de même avec de nombreux autres philosophes. Jean-Michel Berthelot, qui s’intéresse aux différentes mobilisations des Règles de la méthode sociologique de Durkheim par les sociologues français entre 1945 et 1995, avait dans le même sens pris soin d’opérer des distinctions entre celles-ci: «La présence de la référence peut elle-même s’opérer selon diverses modalités. Le recensement que nous avons effectué invite à distinguer des références allusives, rituelles, signalétiques, restauratrices, structurantes, analytiques, tout en sachant que ces catégories pointent davantage des accentuations qu’elles ne définissent des univers distincts et tranchés» (1995: 379, l’auteur souligne). En ce qui concerne cette première catégorie, les références apparaissent assez superficielles dans la mesure où elles ne sont pas la marque d’une connaissance ou d’un intérêt profonds pour l’œuvre spinoziste.
Une première forme de mise au travail des concepts spinozistes
Au-delà de ce premier type de mobilisation du spinozisme assez allusif bien que très présent quantitativement, il est possible de repérer une deuxième catégorie de mentions à Spinoza chez Bourdieu, qui correspond à une utilisation plus développée et précise. En effet, dans un certain nombre de cas, le sociologue semble intégrer plus franchement certains concepts du philosophe hollandais à son travail, non pour en faire une vague référence routinière mais comme un réel instrument au service de son propos. Avant d’en analyser quelques exemples parmi les plus marquants, il faut insister sur les différences entre ce type d’usage et les mentions présentées précédemment. Les références à Spinoza qu’effectue Bourdieu dans cette deuxième catégorie nécessitent en effet non seulement une maîtrise plus grande du corpus spinoziste, mais aussi une forme de «traduction» des concepts d’une œuvre philosophique particulièrement métaphysique dans les coordonnées de la sociologie. Bourdieu ne peut en effet se contenter de simplement citer ces concepts comme il le fait avec les expressions de la catégorie précédente. D’une part, ces mentions sont cette fois plus ésotériques et pour nombre d’entre elles, Bourdieu se sent le besoin, même en quelques mots, d’en indiquer le sens voire l’origine chez Spinoza. D’autre part, le sociologue, parce qu’il utilise ces concepts de manière plus profonde dans son travail, justifie généralement avec plus de soin leur intérêt dans son développement.
Un premier exemple important concerne le terme d’obsequium. Bourdieu l’a probablement rencontré lors de ses révisions d’agrégation de philosophie lors de l’année scolaire 1953-1954 où Spinoza est l’un des auteur au programme des épreuves écrites, comme l’indique le Bulletin officiel de l’Éducation nationale (Note du 21 août 1953), mais le plus probable est qu’il ait accordé une particulière attention à ce concept en lisant l’ouvrage d’Alexandre Matheron (1969), philosophe amené à devenir le spécialiste français des études spinozistes et avec lequel Bourdieu se lie d’amitié lors de leurs années communes d’enseignement à la faculté des Lettres d’Alger. En effet, Bourdieu se réfère explicitement à cette thèse de philosophie – qu’il édite lui-même en 1969 dans la collection «Le sens commun» qu’il dirige aux éditions de Minuit – la première fois qu’il recourt à ce concept, dans son ouvrage publié en 1972, Esquisse d’une théorie de la pratique (1972: 298). Le concept d’obsequium, dont le terme «obséquieux» en français est dérivé, décrit chez Spinoza cette adhésion à l’ordre social que les institutions parviennent presque «naturellement» à obtenir des membres d’une société. À plusieurs endroits de son œuvre, ce terme est utilisé pour en faire un corolaire du respect des règles du jeu par les participants d’un même champ, Bourdieu évoquant ainsi une «solidarité de tous les initiés, liés entre eux par la même adhésion fondamentale aux jeux et aux enjeux, par le même respect (obsequium) du jeu lui-même et des lois non écrites qui le définissent, par le même investissement fondamental dans le jeu dont ils ont le monopole et qu’il leur faut perpétuer pour assurer la rentabilité de leurs investissements» (1981: 7).
Contrairement aux expressions de la première catégorie, Bourdieu en fait non seulement un usage plus précis mais il peut même parfois commenter son propre usage du concept, comme il le fait dans une leçon de son Cours au Collège de France, Sur l’État:
Pour cette idée-là, il y a un concept que les philosophes ont très peu commenté chez Spinoza, qui m’a toujours beaucoup frappé parce qu’il touchait des choses personnelles, Spinoza parle de ce qu’il appelle l’obsequium, qui n’est pas le respect des personnes, des formes, des gens; c’est quelque chose de très fondamental: c’est un respect qui, à travers tout cela, s’adresse à l’État ou à l’ordre social. Ce sont des actes obséquieux qui enferment un respect pur de l’ordre symbolique, que les agents sociaux d’une société, même les plus critiques, les plus anarchistes, les plus subversifs, à l’ordre établi. Comme exemple de cet obsequium, je propose toujours les formules de politesse ou les règles de maintien qui sont apparemment insignifiantes, qui portent sur ces riens et qui sont d’autant plus strictement exigées que précisément elles ont un côté pur et kantien (2012: 66-67).
Signe de l’importance qu’il accorde à ce concept, il écrit même à son ami, le philosophe et philologue Jean Bollack, dans une lettre au moment de la publication de l’Esquisse d’une théorie de la pratique: «Avez-vous, dans le livre, vu le passage sur l’obsequium? Il vous est tout spécialement dédié…» (Fonds Jean Bollack).
Pour donner une autre idée de ces utilisations plus approfondies de concepts spinozistes, le sociologue mobilise également, à sa manière, les différents «genres de connaissance», que le philosophe hollandais élabore dès le Traité de la réforme de l’entendement puis dans l’Éthique. Ils s’inscrivent dans une théorie de la connaissance, qui distingue la perception la plus inadéquate (1er genre) jusqu’à la plus parfaite (3ème genre de connaissance). Ces genres de connaissance sont particulièrement ésotériques et certaines des mentions que fait Bourdieu de ce concept sont employées de manière assez métaphorique. Cependant, d’autres usages sont plus développés et témoignent d’une réelle traduction de ce concept dans son travail. Le sociologue mobilise par exemple les «genres de connaissance» de Spinoza pour montrer les différents niveaux auxquels il est possible de se situer pour appréhender le monde social. Bourdieu évoque ainsi, pour la critiquer, cette «”connaissance du troisième genre” du monde social, en tout opposée aux vues partielles, donc erronées, des individus ordinaires» (1975: 90) que risquerait de s’arroger le sociologue qui se penserait en surplomb par rapport aux individus qu’il étudie. Dans une perspective semblable, le troisième genre de connaissance peut ainsi désigner ce qu’il qualifie également de vision «épistémocratique» du sociologue, qui pense accéder à un point de vue ultime qui réunirait illusoirement tous les points de vue.
C’est également avec le concept de conatus que peut s’appréhender la mobilisation du lexique philosophique spinoziste dans son travail de sociologue. Ce terme est d’autant plus important qu’il apparaît dès la première phrase de l’ouvrage d’Alexandre Matheron, qui en fait la base de toute la théorie politique du philosophe hollandais (1969: 9). Pourtant, il est cité relativement tardivement par Bourdieu puisque son premier usage date d’un cours au Collège de France en 1982, soit quinze ans après la parution de l’ouvrage de Matheron. Alors que le sociologue connait ce terme depuis de ses études de philosophie, le caractère tardif de son utilisation illustre ainsi que la mobilisation des idées spinozistes ne se fait pas mécaniquement mais en fonction des problèmes qu’il rencontre dans son travail.
C’est dans le cadre de l’analyse des stratégies de reproduction, notamment à un niveau individuel, que ce concept paraît intéresser particulièrement Bourdieu. Ceci explique que ce terme lui paraisse particulièrement adéquat pour penser cette propension du collectif qu’est la famille à augmenter sa puissance sociale par la mise en place de différentes stratégies: «Les familles sont des corps (corporate bodies) animés d’une sorte de conatus, au sens de Spinoza, c’est-à-dire d’une tendance à perpétuer leur être social, avec tous ses pouvoirs et ses privilèges, qui est au principe des stratégies de reproduction, stratégies de fécondation, stratégies matrimoniales, stratégies successorales, stratégies économiques et enfin et surtout stratégie éducatives» (1994: 39).
Ce concept, de plus en plus fréquemment cité à partir des années 1980 est également de moins en moins attribué explicitement à Spinoza en raison d’une forme de routinisation qui s’illustre par le fait que lui est substituée de plus en plus souvent sa définition canonique, qui conçoit le conatus comme vecteur de la «persévérance dans l’être». Parmi les multiples usages que Bourdieu lui donne, l’un est particulièrement significatif puisque le sociologue situe ce concept à la base de sa théorie de l’action, au point même d’en faire un postulat nécessaire de toute sa sociologie:
Évidemment, le présupposé de tout ce que j’avance à propos des modes de reproduction est que le pouvoir est animé d’une sorte de conatus, pour parler comme Spinoza, d’une tendance à se perpétuer lui-même, d’une tendance à persévérer dans l’être. (Quand on fait de la sociologie, c’est un postulat qu’on est obligé d’admettre explicitement pour comprendre comment marche le monde social; ce n’est pas du tout comme si c’était un principe métaphysique: on est obligé de supposer que les gens qui détiennent un pouvoir, un capital, agissent, qu’ils le sachent ou non, de manière à perpétuer ou augmenter leur pouvoir et leur capital) (2012: 443).
Bourdieu est bien évidemment conscient de ce que ce terme charrie d’un point de vue métaphysique. C’est pourquoi, comme le fait remarquer Frédéric Lordon, il introduit souvent celui-ci par des syntagmes destinés à le rendre plus acceptable dans un discours sociologique: «comme si», «par une sorte de», etc (Lordon, 2020: 188). Comme il le reconnaît, et bien qu’il l’utilise pourtant dans La Misère du monde, ouvrage parmi les plus accessibles auxquels il ait contribué, ce terme lui semble utile malgré son caractère érudit et peu parlant pour le grand public: «Pour éviter la logique de l’intention consciente qu’évoque le mot de projet, on parlera de conatus, au risque de paraître sacrifier au jargon» (1993: 712). Il ne s’agit donc pas pour lui de simplement citer ce terme mais comme il l’indique lui-même: «ce qui importe du point de vue sociologique, ce sont les différentes formes que prend cette tendance à persévérer dans l’être». Plutôt que de gloser sur ce concept, Bourdieu en tant que sociologue s’attache ainsi davantage à analyser les formes que prend le conatus des individus au contact du monde social. Il évoque en ce sens «[c]ette sorte de conatus social, pour employer le langage spinoziste, qui est au principe de la plupart des conduites économiques au sens très large du terme (le choix d’un bon établissement pour ses enfants, d’un bon placement financier, le choix d’acheter un appartement au lieu de le louer, etc.) […]» (2015: 981-982).
Les références à Spinoza comme retour au texte d’origine
Bien que leur utilisation soit plus précise et plus véritablement intégrée à son travail sociologique que dans la première catégorie, le type de référence dont nous venons de rendre compte ne nécessite néanmoins ni une connaissance très approfondie de l’œuvre spinoziste, ni surtout de réelle relecture de l’œuvre spinoziste au moment où Bourdieu décide d’employer tel de ces concepts. À l’inverse, la mobilisation des idées spinozistes que nous allons analyser maintenant pour finir, oblige par définition à un rapport plus attentif à ce corpus. En effet, de façon peu fréquente, Bourdieu mobilise de manière référencée des passages plus développés et précis de l’œuvre de Spinoza, ce qui a nécessité des relectures au moins partielles pour prélever certains de ces passages qu’il ne connaît certainement pas par cœur. Comme nous allons le voir, certaines mentions demeurent assez courtes, de l’ordre de quelques lignes, quand d’autres ont une certaine ampleur.
D’autres chercheurs en sciences sociales ont pu mobiliser certains concepts de Spinoza (Durkheim, 2007: 59). Cependant, s’autoriser des citations in extenso est beaucoup plus rare et cette pratique distingue sans doute Bourdieu des autres sociologues qui ne le font jamais dans leurs écrits sociologiques. Dans l’œuvre elle-même de Bourdieu, cette pratique de la citation longue et référencée de philosophes est également assez peu fréquente. Lorsqu’elle se produit, ces citations dans le texte sont le plus souvent localisées à des endroits de discussion de l’œuvre elle-même. C’est le cas par exemple quand Bourdieu cite des extraits de la Critique de la faculté de juger dans sa discussion de l’esthétique de Kant dans le post-scriptum de La distinction (1979). Il en fait de même avec Heidegger dans L’Ontologie politique de Martin Heidegger (1988) ou Pascal dans Méditations pascaliennes (1997). En revanche, alors qu’aucun travail d’ampleur n’est jamais consacré à l’œuvre de Spinoza, le sociologue mentionne à quelques reprises en appui de son argumentation des passages empruntés à divers ouvrages du philosophe hollandais.
Dès lors, le rapport à l’œuvre du point de vue de ses usages est ici tout autre puisqu’il s’agit non plus de souvenirs lointains cités métaphoriquement et parfois par routine, mais bien d’un retour au texte pour prélever les fragments qui l’intéressent. Ce mode de citation est en un sens très classique: tout chercheur en philosophie est susceptible de mobiliser des extraits de l’œuvre de Spinoza. Cependant, ce type d’usage est évidemment rendu très original du fait qu’il se donne à voir dans un travail de sciences sociales.
Le recours à ce type de citations est sans grande surprise le plus tardif par rapport aux autres catégories que nous avons étudiées précédemment. La première mention référencée au texte spinoziste est effectuée par Bourdieu lors d’une leçon au Collège de France du 9 novembre 1982. Le sociologue cite en effet une proposition majeure, la numéro XXVIII de la première partie de l’Éthique: «La formulation classique se trouve dans le texte bien connu de Spinoza: “Toute chose qui est finie et [qui] a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à agir, si elle n’est pas déterminée à exister et à agir par une autre cause qui est elle-même finie et a une existence déterminée”» (2015: 347). En plus de mentionner cette proposition dans le cadre oral d’un cours, Bourdieu la commente à sa façon:
On retrouve là l’utilité de la philosophie de l’Éthique pour dégonfler certaines problématiques faussement modernistes. Il y a ensuite le déterminisme de type intellectuel. Contre Descartes qui posait la liberté de constituer des vérités et des valeurs, Spinoza affirmait l’impossibilité pour un sujet raisonnable ou un calculateur rationnel, de s’opposer en quelque sorte à la nécessité logique: l’action apparemment libre consistant à dire que 2 et 2 font 5 est en fait une action aliénée. Spinoza récuse la liberté comme faculté d’assentir ou de refuser d’assentir; nous n’avons pas le pouvoir de suspendre notre jugement devant la nécessité logique (Ibid.).
Une autre illustration en est également donnée dans la conclusion d’une leçon de son cours au Collège de France sur l’État, le 14 mars 1991. Bourdieu y cite en effet longuement un passage cette fois du chapitre 1, § 6 du Traité politique, qu’il introduit de manière particulièrement élogieuse:
Je vous offre, pour la fin, un très beau texte de Spinoza, en remerciement, comme disait Lacan, de votre assistance aux deux sens du terme: «Par conséquent, un État qui, pour assurer son salut, s’en remettrait à la bonne foi de quelque individu que ce soit, et dont les affaires ne pourraient être convenablement gérées que par des administrateurs de bonne foi, reposerait sur une base bien précaire. Veut-on qu’il soit stable? Les rouages publics devront être alors agencés de la façon que voici: à supposer indifféremment que les hommes chargés de les faire fonctionner se laissent guider par la raison ou par les sentiments, la tentation de manquer de conscience ou d’agir mal ne doit pas pouvoir s’offrir à eux. Car, pour réaliser la sécurité de l’État, le motif dont sont inspirés les administrateurs n’importe pas, pourvu qu’ils administrent bien. Tandis que la liberté, une force intérieure, constitue la valeur (virtus) d’un particulier, un État ne connaît d’autre valeur que sa sécurité (2012: 390)».
Si la fin de la séance ne lui offre pas le temps de commenter cette citation, celle-ci lui paraît en tout cas offrir une ouverture intéressante par rapport aux éléments évoqués dans sa leçon. Elle ne relève naturellement pas de l’improvisation: pour citer un extrait d’un tel développement, Bourdieu a dû retourner au texte d’origine pour prélever cet extrait qu’il avait donc prévu de citer.
Enfin un dernier exemple peut être donné. Il apparaît cette fois non pas dans un cours au Collège de France mais dans l’un des ouvrages majeurs de Bourdieu, Méditations pascaliennes. Le sociologue cite certains extraits prélevés dans la troisième œuvre majeure de Spinoza, le Traité théologico-politique, souvent désigné comme le «Tractatus»:
Si bien que pour combattre cet oubli de l’histoire (digne de l’«oubli de l’Être» heideggérien) qui, trouvant son principe dans la croyance, n’est guère accessible aux arguments de la raison, je suis tenté d’opposer l’autorité à la superstition et de renvoyer les adeptes de l’herméneutique philosophique, lecture strictement «philosophique» des textes consacrés par la tradition comme philosophiques, aux différents passages du Tractatus où Spinoza définit le programme d’une véritable science des œuvres culturelles. Il demande en effet aux interprètes des Livres des prophètes de rompre avec la routine des exégèses herméneutiques pour soumettre ces œuvres à une «enquête historique» visant à déterminer non seulement «la vie et les mœurs de l’auteur de chaque livre, le but qu’il se proposait, quel il a été, à quelle occasion, en quel temps, pour qui, en quelle langue enfin il a écrit», mais aussi «en quelles mains il [le livre] est tombé […], quels hommes ont décidé de l’admettre dans le canon, comment les livres reconnus comme canoniques ont été réunis en un corps». Ce programme magnifiquement sacrilège, qui commence à peine à trouver quelques commencements d’exécution dans le domaine de l’analyse des textes philosophiques, contredit point par point tous les présupposés de la lecture liturgique qui, en un sens, n’est pas aussi absurde qu’elle pourrait paraître du point de vue d’une raison un peu étroite, puisqu’elle permet d’assurer aux textes canoniques la fausse éternisation d’un embaument rituel (1997: 71-72).
Cette troisième grande catégorie de références explicites à Spinoza dans l’œuvre de Bourdieu est la moins fréquente mais son existence même indique l’usage original que Bourdieu fait des ressources de la philosophie. Philippe Raynaud ne peut de ce point de vue certainement pas amalgamer l’ensemble des références au corpus philosophique dans l’œuvre de Bourdieu à des «coquetteries philosophiques» (Raynaud, 1980: 93). Toutes ces mobilisations révèlent dans quelle mesure il faut faire appel à l’ensemble de ses réceptions diverses des idées spinozistes pour comprendre ensuite le type de mobilisation que le sociologue leur fait jouer dans son travail. Tous ces éléments jouent un rôle, d’une certaine façon, au moment où Bourdieu considère que citer ici ou là une phrase du Traité théologico-politique, de l’Éthique ou du Traité politique présente un intérêt pour son argumentation. Comme le souligne lui-même le sociologue, c’est en effet l’ensemble de sa trajectoire qui a forgé chez lui comme chez les autres chercheurs un sens pratique lui permettant de déterminer les œuvres dans lesquelles puiser des ressources en fonction des problèmes traités: «C’est le rôle de la culture de désigner les auteurs chez qui on a des chances de trouver de l’aide. Il y a un sens philosophique qui est un peu comme un sens politique» (1987: 41).
Ces références très différentes illustrent de manière claire le caractère réducteur des usages à quoi l’on résume le plus souvent la mobilisation que fait Bourdieu des idées spinozistes.
Un spinozisme original imprécis: l’usage faible des œuvres comme instrument paradoxal de connaissance
Une mobilisation peu diversifiée
Au-delà de ce que Bourdieu mobilise concrètement de l’œuvre spinoziste, il est également intéressant de se demander dans quelle mesure les usages qu’il fait des idées du philosophe hollandais peuvent s’analyser sous l’angle de leur plus ou moins grande précision. Nous pouvons constater d’abord que l’éventail des sources à partir desquelles le sociologue mentionne ses références spinozistes est très réduit: les citations un peu développées du texte spinoziste que nous venons d’évoquer dans la section précédente sont aussi les seules où Spinoza est explicitement référencé avec le numéro de page de l’œuvre source. D’autres ouvrages de Spinoza comme Le Court traité, le Traité de la réforme de l’entendement ou les Principes de la philosophie de Descartes ne sont en revanche jamais mobilisés. À l’exception de l’ouvrage d’Alexandre Matheron qu’il édite lui-même et, comme nous le verrons infra, de la critique adressée à l’un des spécialistes français de Spinoza, Pierre Macherey (Bourdieu, 1995: 10), Bourdieu ne se réfère en outre à aucune littérature secondaire (francophone ou non) sur Spinoza. Il ne fait pas non plus usage des éditions et des traductions des ouvrages de Spinoza pourtant considérées comme les plus pertinentes sur le plan scientifique à son époque: les rares citations de Spinoza qu’il retranscrit sont issues de la traduction des Œuvres complètes du philosophe hollandais publiées en 1955. Or celle-ci est considérée par la plupart des spécialistes comme la moins aboutie scientifiquement (Moreau, 2014: 222). Ce genre de détail, pour quelqu’un qui a traduit et qui a fait traduire de nombreux ouvrages dans sa collection «Le sens commun», n’est pas anodin et montre un investissement très relatif vis-vis de cette œuvre.
Sans rentrer nous-mêmes dans les complexes conflits d’exégèse du spinozisme, il paraît utile d’indiquer également quelques exemples factuels où les références de Bourdieu semblent imprécises. Il ne s’agit pas de s’interroger ici, comme pourrait le faire un spécialiste de la pensée spinoziste, sur l’adéquation entre l’utilisation que fait par exemple Bourdieu de tel ou tel concept et le supposé «sens originel» que lui prêtait le philosophe hollandais, mais d’étudier simplement la précision de ces références afin de mieux caractériser le type de rapport qu’il entretient à celles-ci.
Au sein de notre corpus, on peut trouver par exemple un peu moins d’une quarantaine d’occurrences plus ou moins exactes de la mention la plus fréquente des formules spinozistes chez Bourdieu, à savoir «il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie». Cette mention est cependant imprécise dans la mesure où elle est utilisée dans des sens qui paraissent contradictoires. En effet, Bourdieu la cite parfois en l’attribuant explicitement à Spinoza: «Je cite souvent Spinoza: “Il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie”. C’est une des phrases les plus tristes de toute l’histoire de la pensée. Cela signifie que la vérité est très faible, sans force.» (1995: 325) À d’autres occasions, Bourdieu écrit à l’inverse que le philosophe hollandais attribue une force intrinsèque aux idées: «[L]a logique du champ scientifique qui, dans ses états les plus avancés, ne connaît et ne reconnaît que “la force intrinsèque de l’idée vraie” qu’évoquait Spinoza […].» (Bourdieu, 1991: 376). Or, comme le montre de manière précise Denis Kambouchner (2004), Bourdieu amalgame sans le vouloir deux propositions différentes de Spinoza. La première distingue idée vraie et idée fausse (§ 69 du Traité de la réforme de l’entendement) et va dans le sens d’une «force intrinsèque des idées vraies», tandis que la seconde, soit la proposition d’E, IV, 14 selon laquelle «la connaissance vraie du bien et du mal ne saurait réprimer aucun affect en tant qu’elle est une connaissance vraie, mais seulement en tant qu’elle est un affect», accrédite au contraire le fait que les idées vraies ne tirent pas de force en soi du seul fait d’être vraies.
Le caractère imprécis de ses références à Spinoza se remarque également dans son attachement à certaines métaphores qui n’existent pourtant pas telles quelles chez le philosophe hollandais. Bourdieu évoque par exemple de plusieurs manières le syntagme «deux traductions de la même phrase» attribuée au philosophe hollandais, par exemple dans un passage d’un cours au Collège de France: «Il faudrait prendre au sérieux la phrase de Spinoza: presque toujours, nous avons “deux traductions de la même phrase”, l’une, du côté de l’institution, l’autre du côté du discours.» (Bourdieu, 2016: 566-567) Les éditeurs du cours notent que cela pourrait procéder d’un souvenir de lecture de Bergson dans l’Évolution créatrice, qui écrit: «Chez Spinoza, les deux termes Pensée et étendue sont placés, en principe au moins, au même rang. Ce sont donc deux traductions d’un même original ou, comme dit Spinoza, deux attributs d’un même original ou, comme dit Spinoza, deux attributs d’une même substance, qu’il faut appeler Dieu» (Bourdieu, 2016: 566-567). Cette «phrase de Spinoza» viendrait donc de la médiation de Bergson. Néanmoins, la référence la plus précise semble plutôt se trouver chez Sartre, qui évoque dans une note de «Questions de méthode» qui ouvre la Critique de la Raison dialectique: «les rapports de production, les structures socio-politiques et les idéologies semblent tout simplement (comme dans la philosophie spinoziste) “les différentes traductions d’une même phrase” (Sartre, 1960: 54)».
C’est également le cas de certaines expressions comme «Toute détermination est une négation», que Bourdieu cite en français ou bien en latin, et dont les spécialistes ont montré que ce syntagme n’était pas formulé tel quel dans le texte de Spinoza (Macherey, 1979: 141-260).
Ces exemples montrent que Bourdieu n’a pas l’habitude de revenir systématiquement au texte original lorsqu’il recourt à ces références, un constat déjà relevé par Pascale Casanova à propos de la citation de Franz Kafka chez Bourdieu: «Par une de ces citations inventées, tronquées ou déformées dont il avait le secret —mais qui auraient pu appartenir à l’auteur qu’il citait—, Pierre Bourdieu aimait faire référence à Franz Kafka.» (2020: 484) On pourrait ainsi caractériser son rapport à Spinoza de manière homologue à ce que décrivait Roland Barthes de son rapport à Marcel Proust: «Proust c’est ce qui me vient, ce n’est pas ce que j’appelle: ce n’est pas une “autorité”; simplement un souvenir circulaire» (Barthes, 1973: 59, l’auteur souligne).
Cette mobilisation des références à Spinoza dans son travail n’est donc pas comparable aux usages que feraient plus classiquement des chercheurs en philosophie spécialistes de la pensée du philosophe hollandais. Il nous faut donc comprendre plus précisément quel rôle Bourdieu fait jouer à ces mentions à Spinoza dans son travail et quel type de rapport à ce philosophe cette mobilisation met-elle en lumière.
Un spinozisme créatif: la mobilisation de Spinoza comme passage dans un autre plan
On ferait erreur en présentant de manière exclusivement négative cette mobilisation particulière de l’œuvre spinoziste chez Bourdieu. D’une part, les travaux portant sur la circulation des idées ont fréquemment insisté sur l’importance des processus de réception d’une œuvre qui est d’une certaine façon co-construite avec le lecteur (Jauss, 1978). Alors que le concept d’«usage faible des œuvres» (Passeron, 2006: 427-429) est généralement utilisé en sociologie de la culture pour décrire la réception des œuvres d’art par les catégories les moins dotées en capitaux culturels, notre cas montre néanmoins que ce terme pourrait paradoxalement permettre également de décrire les usages, par un professeur au Collège de France, d’un auteur comme Spinoza, dont les interprétations pourraient ne pas être jugées conformes par les spécialistes. Bourdieu était certes tout à fait conscient du caractère désacralisant de ce type de pratique, notamment quand elle s’appliquait à des œuvres majeures.
Alors que le caractère «systématique» et more geometrico de l’Éthique paraît imposer une reprise non pas seulement ponctuelle d’un concept mais de l’ensemble de la logique générale de la pensée du philosophe hollandais, Bourdieu ne semble aucunement se sentir obligé de situer ses références par rapport à l’ensemble de l’œuvre mais s’autorise à y puiser des éléments de manière éclectique et à loisir. Ce type d’imprécisions serait coupable si le travail de Bourdieu avait pour but un commentaire de l’œuvre de Spinoza. Cependant, sa mobilisation du spinozisme s’inscrit dans une perspective tout autre, dans laquelle ces usages sont avant tout conçus par lui comme un moteur paradoxal de productivité scientifique. Cette pratique était mise en avant par le sociologue y compris pour un auteur aussi important pour lui que Max Weber. En plus de l’attachement affectif qu’il lui porte, Bourdieu a témoigné de la précision du travail qu’il a consacré au chercheur allemand: «J’ai lu Weber jusque dans les interstices de ses textes […] J’ai lu Weber jusque dans les parenthèses» (2012: 314). Or c’est justement ce penseur que Bourdieu prend en exemple, dans le cadre d’un entretien qu’il consacre à leurs rapports, pour caractériser sa pratique relâchée des références aux auteurs: «Je ne suis pas un exégète. Si je me trompe, tant pis. Mon but n’est pas de dire la vérité sur Weber. Ce n’est pas mon travail. Je suis un chercheur. Je cherche des incitations à réfléchir et des instruments pour réfléchir […] Quand je lis les textes, je ne sais jamais si je lis ce qu’ils ont dit ou ce que j’y mets» (Lenoir, 2012: 43).
En ce sens, ses références aux idées spinozistes, dans la mesure où elles ne relèvent pas d’une ambition herméneutique, ne le contraignent ni à la précision des références, ni à la justesse exégétique. Le vocabulaire usuel de la «dette» contractée envers tel ou tel auteur paraît ainsi inapproprié pour comprendre en quoi la traduction d’un concept dans d’autres coordonnées participe d’une œuvre nouvelle et ne peut s’appréhender comme une simple greffe: il s’agit sans conteste dans notre cas, pour reprendre les termes de François Azouvi caractérisant le Descartes de Tocqueville, d’un «Spinoza ad hoc» (2002: 168).
Si le sociologue fait un usage utile de la référence à Spinoza dans son propre travail, réciproquement il fait apercevoir quelque chose de neuf de cette œuvre. L’originalité de ces usages et leur intérêt potentiel, y compris pour les spécialistes du philosophe hollandais, est illustré par exemple dans le rapprochement que Bourdieu opère à plusieurs reprises entre la logique générale du spinozisme et celle de la sociologie. Dans des textes très différents, qu’il s’agisse de propos oraux dans le cadre de cours au Collège de France, de brefs articles ou d’ouvrages politiques, le sociologue met en avant une formule fameuse de Spinoza qui se trouve notamment dans le Traité politique (I, § 4) ainsi que dans sa correspondance (Lettre XXX), laquelle invite, selon les traductions, à «ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas juger, mais comprendre». Aux yeux de Bourdieu, cette formule constitue une prise de position proche de celle qu’il souhaite voir adoptée en sociologie et qui prône l’abstention de jugement envers le comportement des individus, qui doit plutôt être compris en fonction d’une trajectoire sociale reconstruite (Bourdieu, 1993: 925).
En lien avec ses recherches, Bourdieu fait aussi de Spinoza une sorte de précurseur de la «science des œuvres» (1997: 71), un programme de recherche mis en place par le sociologue qui consiste à réinsérer chaque production culturelle dans le contexte social qui l’a vu naître. En effet, le sociologue estime que le philosophe hollandais a été le premier à remettre en question de manière particulièrement critique dans son Traité théologico-politique la question de la véritable identité des auteurs de la Bible (Bourdieu, 2013: 111-112). Spinoza, figure majeure de la philosophie, devient ainsi un allié de Bourdieu dans le cadre de sa lutte contre les interprétations internalistes des textes qui ne veulent considérer que le texte en lui-même sans s’intéresser notamment aux caractéristiques sociales de son auteur:
Je suis tenté d’opposer l’autorité à la superstition et de renvoyer les adeptes de l’herméneutique philosophique, lecture strictement «philosophique» des textes consacrés par la tradition comme philosophiques, aux différents passages du Tractatus où Spinoza définit le programme d’une véritable science des œuvres culturelles. Il demande en effet aux interprètes des Livres des Prophètes de rompre avec la routine des exégèses herméneutiques pour soumettre ces œuvres à une «enquête historique» visant à déterminer non seulement «la vie et les mœurs de l’auteur de chaque livre, le but qu’il se proposait, quel il a été, à quelle occasion, en quel temps, pour qui, en quelle langue enfin il a écrit», mais aussi «en quelles mains il [le livre] est tombé […], quels hommes ont décidé de l’admettre dans le canon, comment les livres reconnus comme canoniques ont été réunis en un corps.» (Bourdieu, 2003: 71-72, l’auteur souligne).
Or, cette présentation qu’il produit du spinozisme le fait s’opposer à l’un des plus éminents spécialistes français de Spinoza, Pierre Macherey. Bourdieu reproche à ce chercheur d’insister sur la vision internaliste que défendrait Spinoza, c’est-à-dire de laisser penser que celui-ci ne réclamerait qu’une lecture du texte indépendamment du contexte et de l’identité réelle des auteurs, alors que Bourdieu prétend précisément l’inverse (1995: 10). Or il est surprenant que Bourdieu se sente assez de légitimité pour contester vertement l’analyse de Spinoza par un auteur qui lui a consacré plusieurs travaux faisant autorité (Macherey, 1979; 1992). On voit ainsi que ses usages de Spinoza au prisme de son propre travail peuvent prétendre avoir des effets sur l’interprétation générale de l’œuvre. Cet épisode illustre ainsi ce que le sociologue écrit sur l’affrontement dans le champ, qui n’a pas que des motivations purement scientifiques, mais aussi de pouvoir: «[L]orsque les différents producteurs s’affrontent, c’est encore au nom de leur prétention à l’orthodoxie ou, si l’on veut parler comme Max Weber, au monopole de manipulation légitime d’une classe déterminée de biens symboliques.» (Bourdieu, 1971: 58).
L’analyse des différentes formes que prend la citation du spinozisme chez Bourdieu nous a permis d’étudier précisément la manière dont un corpus philosophique est concrètement utilisé dans une œuvre de sociologie, alors que celle-ci n’a pas pour but premier de commenter les écrits du philosophe hollandais. C’est peut-être par ce biais que peuvent être soumises à la discussion critique ces «généalogies fictives» entre auteurs que dénonçait Bourdieu (2015: 204), qui en disent plus long sur l’imagination du commentateur qu’elles n’étayent empiriquement ce qu’un auteur a réellement puisé dans l’œuvre d’un autre.
Contrairement aux travaux plus conceptuels, qui discutent davantage les usages «potentiels» plus qu’«effectifs» entre deux œuvres, l’analyse plus précise de la mobilisation de l’œuvre spinoziste qui est faite par Bourdieu permet en effet de documenter les multiples façons par lesquelles une œuvre a été évocatrice pour lui, jusque dans ses usages métaphoriques. Nous avons ainsi tenté de montrer que le registre de l’erreur n’était pas pertinent pour aborder ce type singulier de mobilisation. D’une part, Bourdieu ne se situe pas dans un rapport de conformité au canon exégétique, et d’autre part ces imprécisions herméneutiques qu’il peut assumer en tant que non-spécialiste ont peut-être pour effet bénéfique, sans que cela ne soit le but premier du sociologue, de produire indirectement un effet de connaissance sur l’œuvre mobilisée, à même d’étendre le champ d’application de cette dernière.
C’est en analysant comment sont utilisées et traduites les idées d’un auteur dans le travail d’un second que l’on se donne la possibilité de comprendre comment celles-ci se transforment au point de n’être plus tout à fait les mêmes que dans l’œuvre originale. Il devient ainsi possible de considérer, contre les visions à sens unique en termes d’«influences», que la réception bourdieusienne des idées de Spinoza a servi l’œuvre du sociologue mais a aussi opéré un effet de connaissance sur celle du philosophe hollandais, que seule son importation dans un champ et une époque différents pouvait mettre au jour.
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