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Allah superstar

Jean-François Legault
couverture
Article paru dans Romans internationaux, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Y.B. 2003. Allah superstar, Paris: Grasset, 263p.

     

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

L’une des répercussions des attentats du 11 septembre 2001 fut la montée en Occident du racisme envers les musulmans. Déjà sources de bien des tensions, les relations entre le monde arabe et le monde occidental se sont compliquées encore davantage. Pour un pays comme la France, qui possède un lourd passé colonialiste au Maghreb musulman, les attentats terroristes ont trouvé un écho dans la montée de la violence sur son territoire. Le terrorisme musulman n’est pas affaire nouvelle en France, où la guerre d’Algérie (1954-1962) a créé de nombreux ressentiments. Les jeunes immigrants maghrébins ne demandant qu’à s’intégrer font alors face à un nœud gordien : le racisme crée une barrière infranchissable empêchant toute intégration et favorisant la violence qui à son tour alimente le racisme. C’est dans ce contexte que se place le narrateur du roman Allah superstar, Kamel Hassani, un jeune de 19 ans d’origine algérienne habitant la France depuis sa naissance. L’ambition de Kamel est de devenir un comique à succès, de réussir dans le show-business et de cesser d’être un «anonyme jeune d’origine difficile» n’ayant aucun espoir de s’intégrer à la société française. Pour ce faire, il doit se battre sur deux fronts : avec la bourgeoisie française réfractaire au jeune beur qui cherche à réussir et avec sa propre communauté qui ne supporte pas de voir l’un des leurs se soumettre de son propre gré à l’assimilation. Le roman prend la forme d’un one man show autobiographique dans lequel le narrateur raconte, dans un style tout droit sorti de la cité (la banlieue ethnique française), les tribulations qui ont précédé son succès. Son périple est un prétexte pour traiter, avec un humour corrosif, des problèmes de société qu’affronte actuellement la France à l’ère de l’après-11 septembre. Tout y passe: les célébrités françaises, les États-Unis, les terroristes, l’islam, Paris et la banlieue, etc. Le roman se termine d’ailleurs sur une liste des sujets et personnalités abordés qui fait huit pages. En tant que jeune adulte cherchant à se débarrasser de ses racines (il ne s’intéresse qu’aux branches), Kamel se fait donc un plaisir de critiquer également sa propre culture. Sa position à mi-chemin entre deux cultures lui permet de jeter un regard sans parti pris sur les causes d’un événement tel que le 11 septembre 2001. Le roman se termine pourtant sur un revirement de situation étonnant lorsque le lecteur, maintenu dans l’incertitude quant à la source du récit, comprend qu’il assiste véritablement au spectacle d’ouverture de Kamel «Léon» Hassani à l’Olympia de Paris, le 11 septembre 2003, en présence du gratin parisien. Les deux tracés narratifs (le one man show et le récit autobiographique) se rejoignent en un point final lorsque Kamel mène à terme son propre attentat-suicide en se faisant exploser sur scène, détruisant la prestigieuse salle de spectacle, tuant cinquante célébrités et en blessant deux cents autres.

    

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

 

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narration intradiégétique (monologue autobiographique).

     

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

     

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) Le narrateur évoque de façon rétrospective les événements du 11 septembre, sans jamais les représenter de façon explicite.

ii) Moyens de transport représentés: Pas de moyen de transport représenté.

iii) Moyens de communication représentés: Les médias français sont constamment attaqués par la satire de l’auteur, en particulier le «star-système». Ils sont abordés en tant que symptômes d’une société inégale envers les «jeunes d’origine difficile», sans qu’un lien direct soit établi avec le 11 septembre.

     

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Le discours du narrateur sur les événements du 11 septembre est métissé, tout comme ses origines. Né d’un père algérien et d’une mère française, élevé en territoire français, il est bien positionné pour évoquer les deux côtés de la médaille. Du côté de ses racines, il y a bien sûr l’Algérie, l’islam, le respect des traditions, le respect de son père, mais aussi la banlieue, l’aliénation et l’impossible intégration. Du côté français, il y a la consommation, le «star-système», la sexualité, la bourgeoisie. En appartenant en partie aux deux cultures, le point de vue qu’il adopte n’est pas la ligne médiane, mais un syncrétisme des deux extrêmes, comme dans l’extrait suivant: «Moi je considère on est tous des frères et je vois pas pourquoi on peut pas se vanner pareil. Par exemple Salman Rushdie il se moque du Prophète moi je le comprends, d’un autre côté il faut comprendre aussi les jeunes musulmans qui s’expriment en faisant des rodéos avec des avions volés, même si après ils pourraient éviter de les garer à l’étage, c’est vrai, en même temps va trouver une place de Boeing à Manhattan en plein mois de septembre.» (p. 26-27)En rajoutant une bonne dose d’humour noir, il finit par complètement (et volontairement) brouiller les pistes quand à la véritable opinion du personnage. En ce sens, malgré la forme très personnelle de son discours, il exprime plutôt un contexte politique dans son entier, avec ses contradictions, ses paradoxes, ses luttes d’influence, ses problèmes sociaux, son métissage, etc.

    

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de son.

    

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Pas de travail iconique.

    

Autres aspects à intégrer

N/A

     

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

«Une fatwa, voilà ce qu’il me faut pour devenir à la mode. C’est plus rapide que Star Academy, ça dure plus longtemps, tu voyages dans le monde entier, tu donnes des conférences, tu descends dans des palaces, tu montes sur scène avec U2, tu prends le thé avec le pape, une bière ou deux voire trois avec Chirac, une vodka givrée avec Poutine, un cigare humide avec Clinton, une grosse ligne avec Bush Junior, un masque à gaz avec Saddam Hussein, à chaque fois que tu dis une connerie tout le monde entier il t’écoute vu que tu as une fatwa au cul le pauvre, alors que le monde entier il est autant dans la merde que toi vu que c’est bientôt la fin du monde pour tout le monde.»

— Y.B. Un roman extrême contre les extrémismes.

   

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

«Bonjour ou bonsoir. Je m’appelle Y.B. et j’ai le plaisir de te présenter mon nouveau roman. Je l’ai écrit spécialement pour toi alors n’hésite pas, lis-le et fais-le lire, tu peux même en débattre avec tes amis autour d’une bonne table, tu verras, c’est un texte de fin de banquet très rigolo et facile à comprendre. Sans blague. C’est le roman de la maturité. Et si tu penses que c’est normal qu’un auteur dise du bien de son propre texte, je te réponds que c’est faux. La preuve, avant j’écrivais de la merde. Et je la revendique. Après tout c’était ma merde et elle était à l’image de ce que j’avais bouffé pendant trente ans. Trente ans en Algérie, tu vois le tableau? Une vie de merde, c’est le caviar de l’auteur comique. C’est pour ça que je me suis spécialisé dans la littérature rigolote. Aujourd’hui, je fête ma cinquième année à Paris, d’où un changement de régime alimentaire, d’inspiration, de thèmes, ainsi qu’une nouvelle carte des vins. Entre-temps, tu as les attentats du 11 septembre 2001 et les élections du 21 avril 2002, deux dates clés, certes, mais où est la serrure ? C’est justement cette serrure que j’ai essayé de trouver. En vain. Alors j’ai fait sauter la porte avec un pain de plastic. D’où ce roman piégé qui explose à la fin. Je t’en dis pas plus. Lis et fais lire.» https://web.archive.org/web/20080313095415/http://www.grasset.fr/auteurs/2003-yb.htm [Consultée le 9 août 2023]

     

Citer la dédicace, s’il y a lieu

À Sylvie Léone Benmiloud

     

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

  • https://web.archive.org/web/20080725130917/http://www.acontresens.com/livres/16.html [Consultée le 9 août 2023]
  • http://www.kokoarroselaculture.eu/koko/spip.php?article5 [Cette page n’existe plus.]
  • http://www.avoir-alire.com/article.php3?id_article=3324 [Cette page n’existe plus.]
  • http://livre.fnac.com/a1439856/Y-B-Allah-superstar [Cette page n’existe plus.]
  • http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=18690 [Cette page n’existe plus.]

      

Impact de l’œuvre

L’œuvre a été adaptée au théâtre: mise en scène de Roland Mahauden, avec Sam Touzani dans le rôle principal, jouée du 22 février au 19 mars 2005, au Théâtre de Poche à Bruxelles.

    

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Le roman Allah superstar de Y. B. (Yassir Benmiloud) aborde de façon ambiguë plusieurs sujets, mais le thème du racisme est celui qui se rapporte le plus particulièrement au processus de fictionnalisation du 11 septembre. Loin d’adopter une approche moraliste, il récupère à son compte un stéréotype, le portrait de la société française bourgeoise raciste que bien d’autres ont fait avant lui, pour le projeter dans le kaléidoscope de son humour noir. Il force ainsi le lecteur à revisiter les lieux communs du débat sur le racisme. Par exemple, dans l’extrait suivant, il pousse le lecteur à réfléchir à la signification du vocabulaire utilisé chaque jour pour parler des «musulmans»:

Alors je te jure on va mettre les choses au clair tout de suite: déjà il faut pas confondre musulman et islamiste parce que les intégristes c’est pas tous des terroristes vu que eux ils ont rien à voir avec l’islam vu qu’Allah Lui Il est contre les fondamentalistes. Je résume: l’islam c’est l’exploitation de l’homme par Dieu, l’islamisme c’est le contraire. Moi par exemple je suis musulman mais c’est pas grave, je vais rien te faire. Et mon père quand il fait cinq prières par jour c’est vers La Mecque, pas contre toi. Tu vois ce que je veux dire? Par exemple la fois où Ben Laden il a niqué les tours jumelles mon père il a dit mot pour mot je me souviens: «Je sais pas qui c’est le fils de pute il a fait ça mais il vient manger le couscous chez moi quand il veut!» C’est pour dire que l’islam de mes ancêtres c’est la fraternité et le partage. (p.15-16)

Dans ce paragraphe, deux visions «figées» (pour ne pas dire clichées) sont mises en scène: l’occidental moyen utilisant des mots comme musulman ou fondamentalisme sans savoir exactement ce dont il parle, et le musulman moyen affirmant la bénignité de la religion islamique en réaction aux attentats terroristes. Y. B. parvient par l’humour noir à faire s’entrechoquer ces clichés pour en tirer 1) un effet comique, 2) la mise en relief de ces «nouveaux» clichés, 3) la mise en échec de ces clichés par l’absurde. L’humour présent dans le roman Allah superstar pourrait s’avérer un outil précieux pour mieux comprendre et disséquer le vocabulaire, les lieux communs, les expressions figées, les idéologies, en un mot le processus de mythification, traversant la somme gigantesque du discours sur le 11 septembre.

     

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«Je veux dire que leur vrai problème c’est l’Algérie en vérité, et l’Algérie française c’est ici et maintenant, vu qu’on a fait de la culture biologique avec des cellules souches d’immigrés dans des couveuses de banlieues où le thermostat tellement il est niqué à la base que c’est plus des couveuses c’est des cocottes-minutes, et quand tu t’amuses à cloner la déculturation je te dis pas comment après tu en bouffes du mutant en bas âge prêt à l’usage, comme Zacarias Moussaoui le pauvre, le seul pirate du 11 septembre qui a raté son avion, résultat c’est devenu une star mondiale aux z’ta zunis où c’est la peine de mort, mais vu qu’on dirait pas trop un Céfran avec sa tronche d’origine difficile, tout le monde s’en branle dans la République abolitionniste racialiste». (p. 226-227)

     

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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