Entrée de carnet

À qui appartient la neige?

Marie-Hélène Roch
couverture
Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)
Photographie noir et blanc d'un enfant habillé d'habits d'hiver est étendu dans un bac de neige. Derrière, une clôture enneigée et une église.
Denis Plain, Montréal. Qc. 1978-80, dans Carrière, B. (2003) Hivers, les éditions les 400 coups

    

Face au fleuve, la teinte légèrement dorée sous les rayons rasants du soleil d’été comme une neige crème de mon enfance.

   

«Les saisons présentent une affinité très marquée avec la mémoire et avec l’enfance qu’elles appellent en même temps qu’elles rappellent» (Martin de La Soudière, 2016)

    

L’espace d’un moment;
les saisons s’entremêlent,
l’été est ainsi pensé par l’hiver,
les temporalités se libèrent,
avec ni commencement ni fin,
les rythmes de la vie humaine et les cycles naturels,
prennent des élans circulaires et de transitions nécessaires,
une démarche de renouvellement de la réflexion entre l’humain et le vivant
«L’absence de froideur»
comme opportunités
à (re)penser et (ré)ensauvager l’hiver
comme
saison,
espace,
émotion,
raison
et symbole.

    

Je souhaite arpenter une remémoration et régénération de traces hivernales pour Montréal. Je veux que l’hiver soit pensé à l’année, qu’on porte attention à notre relation au froid, à la neige, à nos perceptions, nos ressentis et nos affects qui nous traversent. Je veux traduire et étudier l’humanité de l’hiver urbain pour créer des récits et imaginaires de l’hiver inexploré. Je me questionne: Vivre l’hivernité pourrait-il influencer la manière de percevoir et ressentir la crise climatique et d’agir pour soutenir un avenir meilleur et plus durable pour tous?

     

Je marche une ville qui se cherche en hiver.
Je pars moi-même à la recherche de signes;
«Risque de chute de neige»
«Ne pas déposer la neige»
Ils traduisent soit les dangers,
soit les contours de nos ambivalences.

    

J’habite cette ville et l’hiver m’habite.
Dans le passé, le présent et l’avenir.
J’invente des microcosmes dans la neige.
«[…] la maison comme représentation symbolique se présente comme un morceau d’univers qui fait partie de nuna, la terre habitée par les Inuit et témoigne de l’appartenance collective au territoire.» (Bayle, 2020)

    

Je perçois la neige, le froid, la pluie, la glace, le vent, en ville, de la même manière que Skår Lisa comme un territoire. Cette idée que le paysage est pédagogie. (Simpson, 2017) est en forte résonance avec ma vision que le paysage est «vivant», «sensible» et «porteur des savoirs». La neige sait et est son professeur: «Cette vision du paysage, de l’apprentissage et de la création est fondée sur une ontologie autochtone relationnelle qui met en avant des relations sociales de réciprocité et de confiance non circonscrites par la sphère humaine» (Country, Wright et coll, 2015) Je réfléchis donc de plus en plus au droit à la neige en ville.

     

«14 millions de mètres cubes de neige ramassés l’hiver dernier à Montréal n’ont pas encore fini de fondre même si des ouvriers la concassent avec des excavatrices et des bulldozers pour accélérer la liquéfaction, a pu constater notre chroniqueur.» c’est ce que j’ai pu lire dans un article paru au mois d’août dernier.

    

Neige usée
Neige souillée
Neige brûlée
Neige perçue, imaginée, vécue et transformée comme un déchet

    

Soudain j’accueille une vague, celle de la Solastalgie.
Cette tristesse environnementale «la souffrance de perdre ce qui nous entoure et où on se sent bien, un peu comme quand on quitte une maison pleine de souvenirs». Je ressens un malaise grandissant devant la gestion et les pratiques du déneigement, qui s’amplifie avec la crise environnementale.

     

Dans le texte de Citton, De l’écologie de l’attention à la politique de la distraction: quelle attention réflexive? l’extrait portant sur le sable a fait vif écho en moi: «On n’imagine pas qu’il y puisse y avoir une pénurie [de neige]?» Je m’interroge si les communautés humaines du Nord se distinguent beaucoup moins de «la nature» et en font partie intégrante?

    

L’hiver avec sa neige, son froid, sa glace, ses espaces, ses émotions fait partie intégrante de notre biodiversité. Je m’intéresse aux effets thérapeuthiques de la neige et sa préservation.
Sa présence est enveloppante, apaisante, multisensorielle et vivante.
Sa valeur sociale et esthétique: essentiels et au cœur de nos expériences et imaginaires de l’hiver. Elle mérite qu’on lui porte attention, qu’on prenne soin d’elle.
Et que jour de tempête, on la fête.

   

Mais à qui donc appartient la neige?
À NOUS?

    

Références

Bayle, M. (2020). Réflexions pour une architecture significative: Univers symbolique et matériel de la maison chez les Inuit du Nunavik (Note de recherche). Études Inuit Studies, 44(1-2), 161–182

Citton, Yves. (2018). «De l’écologie de l’attention à la politique de la distraction», dans M. Dugnat (dir.), Bébé attentif cherche adulte(s) attentionné(s), Toulouse: Érès, p. 11-27.

Country, Bawaka, Sarah Wright et coll.,(2015) «Working with and Learning from Country: Decentring Human Authority», Cultural Geographies, vol. 22, no 2, p. 269-283.

De la Soudière, Martin (2016). Quartiers d’hiver – Ethnologie d’une saison. Paris: Creaphis Editions.

Naoufal, Nayla. (2020). «Le paysage comme pédagogie: Danser Sápmi / Landscape as Pedagogy: Dancing Sápmi». Esse, 98, p. 60–67.

Simpson, Leanne Betasamosake (2017) As We Have Always Done: Indigenous Freedom through Radical Resistance, Minneapolis, University of Minnesota Press.

   
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