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À l’ombre des tours mortes (In the Shadow of No Towers)

Joël Mak dit Mack
couverture
Article paru dans Bandes dessinées et romans graphiques, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Spiegelman, Art. 2004. In the Shadow of No Towers. New York/Toronto: Pantheon Books/Random House of Canada, 7 planches, 10p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

  

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Art Spiegelman habite New York et plus précisément Manhattan. Il était présent lors des attentats du mardi 11 septembre 2001. Dans la rue, avec sa femme en train de faire des achats, ils ont entendu le premier avion traverser le ciel new-yorkais au dessus de leurs têtes. Vivant alors comme des millions d’habitants de la “big apple” l’angoisse d’une journée “incompréhensible”, ils vont chercher leur fille qui se trouve dans une école proche de l’endroit où se déroule la catastrophe.

  

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman graphique, bande dessinée, comics américain indépendant ou “underground”… Autant de termes pour caractériser une œuvre multiforme insérant à l’intérieur d’un récit à la première personne (par intermittence), des photographies et des extraits de planches de BD anciennes.

  

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Récit à la première personne intradiégétique où Spiegelman se met en scène.

   

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Le 11 septembre est “le personnage” emblématique de ce récit. Plus exactement, les tours jumelles que Spiegelman dessine tout à la fois de manière réaliste mais également grossière. Il les intègre dans plusieurs cases par des photographies de ces deux grattes ciels ( case 16, planche I; case 8, planche 2) mais il transforme ces objets-symboles. La structure “métallique incandescente” apparaît comme un insert leitmotiv qui accompagne les différentes phases narratives, se tord et se déforme pour « muter » également en visage “gribouillé” d’un des deux jumeaux des “Katzenjammers Kids” ( Pl. 5, cases 3 à 6). Le découpage des planches et des cases suggère la présence du World Trade Center (pl. 2), voire l’intègre dans la répartition des vignettes (pl. 10). Parfois les cases s’animent, se déplacent et glissent jusqu’à devenir des tours  proprement dites (cases 1-4, pl. 2), elles se font ombres (pl. 2)  ou chapeau (cases 9 et 11, pl. 2, case 2, pl. 4) ou tableau (case 15, pl. 4),  jusqu’au cauchemar (case 7, pl. 6). Elles habitent l’album, elles l’habillent jusqu’à la couverture de l’ouvrage, jusqu’à son format inhabituel et rectangulaire…

  

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les tours en feu et un avion s’encastrant dans l’un des buildings sont autant d’images récurrentes déclinées de différentes manières que ce soit par la simple incrustation d’une image de journal télévisé (Planches 1 et 2) ou le dessin à l’humour agressif (l’avion percutant le poste de télévision, case 20, pl. 1).

  

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Art Spiegelman habite New York et plus particulièrement le quartier de Manhattan. Il fut  donc un acteur passif de l’événement, devant évacuer la zone envahie par les fumées toxiques lors de l’effondrement des tours ou bien allant chercher en plein moment de panique générale sa fille dont l’école est très proche des lieux de l’attentat.

   

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Les onomatopées traditionnelles de la bande dessinée sont pratiquement absentes des 10 planches. Citons le bruit d’une chaussure qui tombe au sol (pl. I) et celui, assourdissant, d’un avion survolant Manhattan à la case 2 pl. 2. Il semble répondre en  fin d’album au “boum” caricatural installé au cœur de cinq cases, inséré dans cette structure narrative. Entre ces deux extrémités, quelques jurons très graphiques situés à la planche 6 viennent compléter une «bande son» particulièrement sobre. La «musicalité» semble provenir de la mise en page nerveuse, quasi-hystérique qui impose un rythme vif et un «tempo»  très particulier à l’album.

   

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Dans cette volonté d’allier à un événement aussi marquant de l’histoire contemporaine, dite immédiate, une sorte de réflexion esthétique sur la bande dessinée américaine du début du XXe siècle, l’auteur a élaboré un “objet-livre” particulièrement soigné: format double pages, hommage appuyé aux comics strip de la fin du XIXe siècle qu’il intègre comme des éléments à part entière de son histoire, autant pour le bon déroulement du récit que pour une dimension esthétique, un habillage graphique parfaitement assumé. À la fin de la partie proprement comics de son ouvrage, Spiegelman a reproduit une série de six planches de comics strip accompagnée par une double page nommée “supplément illustré”.

   

Autres aspects à intégrer

N/A

   

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Il n’y a pas de texte proprement dit sur la quatrième de couverture, uniquement un ensemble de figures “jeux-d’ombre” sur fond sombre, qui représentent les sllhouettes des personnages de ces fameux comics strip de la fin du XIXe siècle. En bas de page, à l’extrême droite, une chèvre dessinée bien présente remue ses pattes arrière d’où jaillissent plusieurs étoiles qui viennent “botter les fesses” à l’ensemble des créatures de ce théâtre d’ombre…

   

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Très rapidement après les événements du 11 septembre 2001, Art Spiegelman a éprouvé le besoin de prendre des notes dessinées en vrac afin de répertorier des souvenirs fugaces et très personnels mais également de témoigner, de critiquer, d’expliquer. Ayant eu la possibilité d’élaborer un récit hebdomadaire sans contrainte, dans un journal allemand «Die Zeit»,1Le texte est incomplet dans le compte rendu original.

   

Citer la dédicace, s’il y a lieu

“à F, N & D, comme toujours”

   

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

En France, l’un des grands spécialistes de l’histoire culturelle, Pascal Ory, rédigea un texte très argumenté sur cet ouvrage2Voir https://web.archive.org/web/20101123075225/http://www.lexpress.fr/culture/livre/a-l-ombre-des-tours-mortes_809522.html [Page consultée le 4 août 2023].. Voir également les très nombreuses critiques sur les sites spécialisés, entre autres,

  

Impact de l’œuvre

Depuis Maus, la notoriété de Spiegelman n’a cessé de croître et de prendre une dimension internationale et planétaire peu commune pour un auteur “underground”. Un tel succès laissait supposer que l’auteur n’éprouverait guère de difficultés à faire publier ces quelques planches. Si ce fut bien le cas en Europe où le journal Die Zeit lui donna carte blanche, il n’en fut rien aux États-Unis, où son ton irrévérencieux à l’égard du président G. Bush le mit rapidement en  difficulté. Ces éléments  prouvent en tous les cas l’importance que revêtit sa représentation du 11 septembre dans le milieu professionnel de la bande dessinée mais davantage encore.

  

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Depuis le succès de Maus et son prix Pulitzer (unique pour une bande dessinée), Art Spiegelman semblait ne plus vouloir rédiger un récit complet en BD. Il fut désormais accaparé par un travail d’illustration pour la presse américaine et internationale. Jusqu’au 11 septembre 2001… C’est dans une veine proche de sa bande dessinée “autobiographique” et introspective autour  de l’extermination des juifs d’Europe (les allusions à ce travail fourmillent  pl. 3, 9, 10) qu’il semble retrouver le chemin des comics. L’œuvre est forte, onirique. Elle utilise tous les “artifices”, les registres de langage que peut dégager une bande dessinée. Spiegelman transcende l’événement, l’intègre à une réflexion historique à la fois universelle et “intimiste”. Il fait appel à des images presque “archétypales” de  la culture occidentale postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Il brasse les références de la culture populaire (comics strip, science fiction des années 50, angoisse de la guerre nucléaire ou chimique. Cases 13 et 14, planche 3) et livre ainsi une vision très personnelle mais particulièrement aboutie, maîtrisée.

  

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

“Un rien me déstabilise. Une petite anicroche — tuyau bouché ou retard à un rendez-vous—, et je panique comme si le ciel me tombait sur la tête. Trait de caractère qui peut laisser assez mal équipé quand il vous tombe vraiment dessus… Avant le 11 septembre, je m’infligeais plus ou moins tous mes traumatismes. Mais fuir le nuage toxique, qui, quelques instants plus tôt, était encore la tour nord du World Trade Center m’a laissé chancelant sur cette ligne de faille où l’histoire du monde et l’histoire personnelle se télescopent — cette intersection dont me parlaient mes parents rescapés d’Auschwitz, quand ils me répétaient que je devais toujours tenir ma valise prête.” Avant-Propos de Art Spiegelman.

  

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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Couverture du livre

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