Colloque, 10 et 11 mai 2017
Femmes ingouvernables: corps et communauté en culture populaire
Le colloque Femmes ingouvernables: corps et communauté en culture populaire, organisé par Joyce Baker et Fanie Demeule, s’est déroulé les 10 et 11 mai 2017 à l’Université du Québec à Montréal.
S’inscrivant dans le prolongement de l’un des axes de réflexions amorcés lors du colloque précédent, Femmes Ingouvernables: entre corps et communauté en culture populaire s’intéresse aux articulations possibles entre les corporéités et les collectivités.
Michel Foucault définit le pouvoir disciplinaire comme un système tentaculaire dont la fonction principale est d’entraîner et de formater les corps dans le but de les contrôler. Le rapport de domination-répression qui en résulte produit une discipline corporelle assujettissante. Comme l’ont démontré plusieurs travaux (Bordo, Butler, Despentes, MacDonald), le corps des femmes fait l’objet d’une éternelle et universelle histoire de contrôle et de restriction. Que ce soit sous le regard artistique, scientifique, médiatique, érotique ou pornographique, le corps féminin se fait couramment ausculter, règlementer, peser, augmenter ou réduire, dévoiler ou couvrir; bref, discipliner.
Cependant, dans la culture populaire contemporaine, les artistes et producteurs démontrent une tentative de renouvèlement de l’imagerie du corps féminin. On semble assister à une subversion dans les représentations des femmes, à travers laquelle celles-ci reprennent possession de leur corps et réinvestissent un pouvoir subjectif. À la différence de l’irrévérence qui désobéit à la gouvernementalité, l’ingouvernable échappe à la discipline. Ce colloque désire réfléchir aux façons dont cette ingouvernabilité, cette capacité à échapper aux rapports de pouvoirs, tire sa force dans la formation d’une communauté rassemblée et non assemblée, unie dans sa discontinuité. Il s’agira de considérer les représentations du corps populaire comme le lieu d’une revisitation qui n’est plus de l’ordre de l’objectification, mais d’un plaisir ressenti par le sujet, dont la sensibilité et l’intimité vont à l’encontre de la dépersonnalisation. La réalité incarnée et postulée de manière décomplexée apparaît comme le renversement d’une image policée. Suivant cette idée, nous invitons à penser la contamination de l’intime dans l’espace et la parole collective tout à la fois comme acte de résistance et appel à l’empathie. Plus les corps se démultiplient, plus les sources de pouvoir se diversifient au détriment d’une production unifiée et sérialisée.
Des figures et artistes telles que Miley Cyrus, Yolandi, Lena Dunham, Ilana Glazer et Abbi Jacobson, Safia Nolin ou Mariana Mazza rompent avec le concept de corps docile pour embrasser la diversité et l’atypie, tandis que des productions culturelles comme Girls, Charmed, Mad Max: Fury Road, Broad City, Ghostbusters, Scream Queen, Sucker Punch, Jessica Jones, Strange Empire thématisent la force du groupe féminin et son irrévérence.
Dans l’imaginaire comme dans le réel, s’il existe une tendance pernicieuse à séparer les femmes (pensons au test de la bédéiste Alison Bechdel), l’ingouvernable postule qu’il s’agirait en fait d’une stratégie de contrôle institutionnel à renverser. L’une contre l’autre ou l’une sans l’autre, le vieil adage «diviser pour mieux régner» fait en sorte que seulement quelques rares élues ressortent du lot fragmenté. À travers, entre autres, une réhabilitation des corps, nous suggérons que la Femme Ingouvernable permet une redistribution des pouvoirs. Pensons au groupe, à la famille, à l’équipe, à l’armée, au partenariat, au duo, à la troupe, au band, au cercle d’amies, au fandom, à la sororité, à la communauté virtuelle ou au couvent wicca afin d’observer ces corps qui les constituent. L’objectif premier est d’étudier les femmes entre elles et à la place qu’occupe leur corporéité dans cette relation, comme pierre de touche d’une expérience à la fois intime et collective.
© Crédit de l’image en bandeau: The Dancer par Fn Vegas
Communications de l’événement
La communauté de cosplayeuses au Québec
Dans cette communication, le photographe de cosplay Steven Peng-Seng s’affaire à «présenter de façon générale la communauté des cosplayeuses au Québec tout en présentant des aspects particuliers de cette communauté.»
Les enjeux du corps culte dans la pratique du cosplay
«L’intersection entre ces réflexions sur ma pratique de cosplayeuse du dimanche et mes intérêts de recherche m’ont amené à réfléchir à la relation au corps, mon corps costumé qui relaie d’une certaine manière les mondes de la fiction au sein d’un espace physique dans lequel évolue une communauté spécifique.
M’inscrivant dans la tradition de l’auto-ethnologie, ma position double me pousse à utiliser mon témoignage personnel comme objet d’étude de sorte que mes impressions ne peuvent évidemment pas avoir une portée universelle. Je tenterai tout de même de voir comment mes intuitions peuvent éclairer la manière dont on théorise la pratique du cosplay depuis plusieurs années. J’aimerais aussi me pencher davantage sur les questions entourant le corps féminin plus particulièrement puisque je m’identifie au genre féminin.»
Une communauté sans corps: décodage de la réception médiatique de la trilogie «L’amie prodigieuse» d’Elena Ferrante
«Pourquoi, si la trilogie d’Elena Ferrante, dont L’amie prodigieuse est le premier tome, a pour moi une résonance très particulière, est-elle pourtant si populaire auprès de tout le monde? Tout le monde, au sens d’à l’échelle internationale, mais aussi tout le monde au sens qu’il est reçu autant comme un best-seller, vendu dans les aéroports, que comme un chef-d’œuvre littéraire qui ne pourrait dès lors être accessible qu’à un champ très restreint d’individus.
Ainsi, je me suis demandée d’emblée, quelle est la fameuse recette de Ferrante qui fait que j’aie voulu offrir ce roman à mes amis, à mon copain, à mes parents, à mes beaux-parents et à ma grand-mère?»
Absence de frontières et atteinte de la liberté dans «La vie sexuelle de Catherine M.»
«Dans La vie sexuelle de Catherine M., le personnage n’aura aucun scrupule à dépasser l’espace et le nombre pour trouver sa liberté dans l’exercice de sa sexualité.
La permissivité, plutôt que la transgression, dans ses relations et ses fantasmes, est un passage par lequel Catherine atteint le plaisir d’être libre et dans lequel elle fait preuve, dans sa grande passivité, d’agentivité.
Par le récit, elle a la possibilité de se voir aller très loin dans ses diverses pratiques sexuelles. Ce retour lui donne l’occasion de tenir un discours et d’apporter une subjectivité particulière sur son vécu. Dans son explication, “comment et pourquoi”, l’utopie proposée par Catherine Millet est celle d’un monde dans lequel on ferait preuve d’une très grande ouverture face aux diverses pratiques sexuelles et où on pourrait “baiser dans le hall d’une gare” sans qu’aucun passant ne s’en offusque.»
Du balai au godemichet. Femmes, sorcières et sexualité: déviance ou ingouvernabilité?
«La communication que je m’apprête à vous présenter aujourd’hui commence avec un breaking news: les femmes se masturbent.
Pour la majorité des personnes présentes à ce colloque, j’ose croire que ce n’est pas une grande nouvelle. Mais la question semble encore en perturber plusieurs lorsqu’on s’éloigne ne serait-ce qu’un peu des milieux féminins ou féministes. La sexualité féminine, malgré quelques avancements, est un sujet qui demeure encore assez méconnu, voire tabou. […]
Cette stigmatisation de la sexualité, et spécifiquement de la masturbation, féminine ne date pas d’hier. À l’époque des chasses aux sorcières, plusieurs femmes ont péri au bûcher parce qu’on les accusait d’entretenir des relations intimes avec le diable. […]
Ma communication se divise en deux parties. La première abordera la représentation des sorcières dans les films. […] La seconde partie de cette présentation se penchera sur les différentes représentations des sorcières dans les médias sociaux.»
«We’re Slayers, girlfriend. The Chosen Two»: Buffy et Faith comme dispositif(s) de sérialité discontinue et de pouvoir dans Buffy the Vampire Slayer
«Malgré le fait que la télésérie projette un discours sériel, tant au niveau de sa forme épisodique que de sa prémisse narrative de base, l’évolution de certains personnages au fil des sept saisons de Buffy déconstruit cette dite sérialité féminine.
Les personnages de Buffy et de Faith, toutes deux slayers, de manière individuelle ou collective, amènent l’identité d’une slayer sur un terrain non normatif en ce qui a trait à leur sérialité ainsi qu’aux dispositifs de pouvoir qu’elles possèdent.
En d’autres mots, Buffy et Faith sont des représentations d’une sérialité discontinue faisant d’elles de véritables femmes ingouvernables.»
Perdre son corps et prendre le contrôle: la trajectoire de Jan Compton dans The Brain That Wouldn’t Die
«Dans ce qui suit, j’aimerais suggérer que le personnage principal du film, The Brain That Wouldn’t Die, est celle qui est soumise au projet scientifique délirant: Jan Compton, incarnée par Virginia Leith, qui est affectueusement surnommée “Jan in the Pan” parce que sa tête passe presque tout le film dans un casseau.
J’aimerais montrer pourquoi le personnage a été l’objet de quelques analyses de nature féministes. Je vais insister sur la trajectoire de Jan qui, de stéréotype total dans la première partie du film, devient un sujet, une agente, à part entière. Elle en vient à prendre le contrôle du film et du projet scientifique, elle qui a pourtant perdu tout son corps sauf sa tête.»
La famille explosée: mères et soeurs ingouvernables chez Martyne Rondeau et Ying Chen
«Je vais vous parler de quelques mères et sœurs qui sont ingouvernables. Des femmes ingouvernables improbables, en quelque sorte.
De prime abord, les mères et les sœurs, du moins les sœurs qui ont des frères, seraient des figures au contraire bien rangées, très sages, piliers de la famille et donc du statu quo, corps au service des autres, au service de la communauté qui profite ainsi d’un travail non payé et non reconnu.
Pourtant, les romans dont je vais vous parler aujourd’hui présentent deux mères et une sœur ingouvernables et absolument déchaînées. Il sera question notamment d’infanticide, de matricide, de fratricide, d’inceste et de cannibalisme.»
«We found love in a hopeless place»: la présomption d’hétérosexualité dans la littérature dystopique pour young adults
«L’exemple de Beauty Queens permet de constater en quoi les représentations queer du corpus sont une piste pour explorer et réfléchir différemment les corps féminins et la communauté qu’ils composent.
J’en viens plus généralement à m’interroger sur le contexte et les conditions nécessaires pour qu’adviennent la subversion, les représentations queer, mais aussi la solidarité entre femmes. Bref, je considère que l’entreprise de représentation investie par Libba Bray dans Beauty Queens gagne en importance dans la littérature dystopique young adult, car elle permet de contrer l’homogénéité vers laquelle tendent les fictions utopiques et dystopiques.»
«When the Skin Goes Wild»: le tatouage, marqueur d’ingouvernabilité dans le girl gang
«Romantique, mythique, Foxfire prend place dans l’État de New York dans les années 1950, un paysage urbain sombre et pluvieux dans lequel évoluent Maddy, Legs, Goldie, Lana et Rita.
Ces guerrières se jurent fidélité l’une à l’autre et sont de véritables criminelles. Elles forment une girl gang menaçant de jeunes délinquantes dont la bien-aimée commandante est Margaret AKA “Legs” Sadovsky, une rebelle visionnaire aux jambes effilées et au cœur d’or. C’est elle qui mettra la main sur le foulard de soie rouge-orange qui sera leur signe distinctif. Elle est également l’auteure de leur leitmotiv: “Foxfire never looks back, Foxfire never says sorry, Foxfire burns and burns“.»
Le corps éprouvé et résistant dans les fictions dystopiques pour adolescents: le cas de Katniss de «The Hunger Games» et Tris de «Divergent»
«Les personnages de Katniss et de Tris, des séries littéraires et cinématographiques The Hunger Games de Suzanne Collins et Divergent de Veronica Roth, sont deux exemples de ces héroïnes guerrières et populaires qui incarnent des corps rebelles. Autant comme personnages que dans les représentations, la dystopie incarnerait donc cette rébellion face à l’ordre établi, comme le mentionne Amanda Craig: “All good dystopian novel are driven by the will to resist conformity”.
Nous nous intéresserons plus précisément à cette résistance au modèle féminin dit traditionnel que présentent ces personnages. Car il est vrai que les deux héroïnes féminines, qui incarnent de plusieurs façons la tough girl, possèdent en effet tout des filles au tempérament rebelle. Elles sont endurantes au niveau physique, elles sont coriaces et endurcies, mais elles sont surtout audacieuses, spontanées et drôlement naturelles, au point où elles se font souvent rappeler à l’ordre d’être prudentes face à cette repartie qui les pousse souvent à agir sans réfléchir sous le coup de l’émotion. Bref, elles bousculent les conventions et provoquent la révolte au coeur d’un système social particulièrement rigide.»
«Rachel Rising»: la montée de la sororité dans un récit d’horreur
«Aujourd’hui je vais vous parler de Rachel Rising, une série de bandes dessinées d’horreur écrite par Terry Moore qui est assez original dans sa façon de mettre en valeur des personnages féminins marginaux. Ce qui est aussi intéressant est de s’intéresser aux liens qui se tissent entre ces femmes.
Nous verrons que leurs caractéristiques, ces personnages étant très particuliers, ne se plient pas au diktat patriarcal traditionnel souvent associé aux codes de l’horreur.»
«Kari» et «Lost Girls». Disparaître pour mieux se raconter ensemble
«Devant cet indéniable manque de diversité de larges pans de la culture, je vais m’intéresser à des personnages qui, plutôt que de subir l’effacement, choisissent d’en faire leur stratégie afin de mieux réapparaître aux yeux du lecteur en se mettant en scène par l’intermédiaire de la fiction dans de véritables tableaux transfictionnels.
Je vais analyser en ce sens la bande dessinée indienne Kari d’Amruta Patil et le comic Lost Girls d’Alan Moore et Melinda Gebbie. Les différentes problématiques sont particulièrement intéressantes dans la mesure où les protagonistes se manifestent dans des sociétés elles-mêmes problématiques.
Dans Lost Girls, il s’agit de la société victorienne avec sa façade de respectabilité malgré ses violences sociales et sexuelles qui vont cumuler en la Première Guerre mondiale. Dans Kari, il s’agit de l’uniformité et du machisme de la société indienne contemporaine.»
Corps-femmes, corps-résistance: les corps féminins entre contrôle et réappropriation dans «The Liveship Traders» de Robin Hobb
«Dans le cadre de cette communication, nous allons tâcher de dégager la façon dont les corps féminins, en tant qu’espaces de contestation et de réappropriation, sont représentés [dans la série The Liveship Traders de Robin Hobb].
Pour ce faire, nous étudions les cas de deux jeunes filles de la famille Vestrit, Althea et Malta.
Nous postulerons que celles-ci ont recours à des stratégies de la performance de genre afin de reprendre le contrôle de leurs corps sexués et que cette contestation corporelle commune, ainsi que le vécu de l’agression sexuelle, deviennent un vecteur de solidarité.»
“I write about fat girls because I was one” ou comment briser l’hilarité générale que provoquent les grosses
«Cette phrase qui se retrouve dans mon titre et que j’emprunte à l’autrice canadienne Mariko Tamaki, “I write about fat girls because I was one”, pose la question de la légitimité de la représentation des femmes marginalisées à cause de leur corps gros.
C’est donc à partir de quelques exemples, développés en continuum, que je veux aborder la question de la représentation de la grosseur au féminin.»
Les Marilyn d’hier sont-elles les Norma Jeane d’aujourd’hui? Le traitement du corps dans les autobiographies contemporaines de stars
«J’aimerais, le temps de cette communication, explorer comment quelques-unes de ces stars actuelles s’amusent à déconstruire leurs corps dans l’écriture.
Car ces femmes, on le sait, se partagent plusieurs privilèges: elles sont riches, elles sont blanches (ou incarnent une certaine blancheur), mais un autre élément en rassemble quelques-unes, elles s’écrivent et se disent dans une industrie culturelle dominée par les hommes.»
Explorer le négativisme dans l’art de performance du cyberespace
«Dans cette présentation, je vais offrir une présentation du sujet de mon mémoire: Shadow Feminism in New Media Art, Jennifer Chan and Sandra Perry.
Je vais d’abord vous présenter mes deux études de cas pour mon mémoire, Grey Matter de 2013 de Jennifer Chan et Nether 102 de 2016 de Sandra Perry.
Je considère ces oeuvres comme des performances médiatiques et non pas comme des vidéos de performances puisque le second implique que la vidéo n’est que la trace d’un évènement éphémère, souvent présenté devenant public. […] Je vais ensuite poursuivre l’analyse de ces oeuvres à travers deux angles: la négativité ou le shadow feminism tel que présenté par Jack Halberstam dans The Queer Art of Failure, et la racialisation de l’interface explorée par Lisa Nakamura dans Digitizing Race.»
La chambre à coucher virtuelle
«L’hypothèse de départ de ma communication est que la culture de la chambre à coucher, que je vais définir plus tard, existe toujours et se vit maintenant dans la sphère numérique.
Je vais m’intéresser à la manière dont cette culture peut être rattachée au vécu des personnes LGBTQ+.»