Colloque, 7 juin 2010

Théâtres d’à côté, théâtre d’avant-garde? L’impossible révolution théâtrale des symbolistes

Anne Pellois
couverture
Imaginer l’avant-garde aujourd’hui. Enquête sur l’avenir de son histoire, événement organisé par Bertrand Gervais et Sylvano Santini

Le symbolisme ne semble pas faire partie des avant-gardes retenues par l’histoire du théâtre en France1Dictionnaire encyclopédique du théâtre. Michel Corvin (éd.). Paris: Larousse, 1998. 2 volumes, [1991], article «avant-garde (le théâtre d’)», pp. 81-83. Article de K. Hupperetz et A. Rombout., qui n’estampille sous cette appellation stricte que le futurisme et le surréalisme, alors que la critique nord américaine n’hésite pas à classer ce courant théâtral dans la catégorie des avant-gardes2DEAK, FRANTISEK. Symbolist Theater. The Formation of an Avant-Garde. Baltimore and London: The John Hopkins University Press, 1993.. À raison semble-t-il, puisque cette période de l’histoire du théâtre français, et plus largement européen, réunit un certain nombre de caractéristiques de l’avant-garde: mouvement transitoire, fait d’anticipation et d’expérimentation, destiné à disparaître lorsque ces innovations sont intégrées par l’évolution de leur art; mouvement provocateur au regard du théâtre de son époque, par ses propositions dramaturgiques (théâtre de l’âme), scéniques (jeu, décors) et idéologiques (place du théâtre dans la Cité); mouvement touchant un public restreint réuni en cénacles dans les «théâtres d’à-côté».

Même si les réalisations scéniques ne furent pas toujours à la hauteur des ambitions de ses auteurs, impossible de reléguer le théâtre symboliste au rang des «bizarreries» de l’histoire artistique. D’abord parce que ces réalisations méritent toute la considération due à l’expérimentation, en un temps où les moyens du plateau n’étaient pas à la hauteur du rêve; ensuite parce qu’un nombre non négligeable de textes théoriques prennent en charge ce que la scène et l’état du théâtre à cette époque ne pouvaient concevoir, sous forme de projections à la fois esthétiques et politiques construisant un rêve de théâtre qui a nourri, beaucoup plus qu’on ne le pense, tout le théâtre du 20e siècle, alors même que ses possibilités de réalisations se sont perdues dans ses contradictions. Car le paradoxe passionnant de ce «théâtre de demain» ou «théâtre de l’avenir» tel que rêvé par le mouvement symboliste est double: d’une part, la révolution artistique attendue, sur fond d’anarchisme fin de siècle, s’appuie sur un mouvement réactionnaire, à la fois d’un point de vue artistique et d’un point de vue idéologique; d’autre part, cette envie d’un autre théâtre conduit bien souvent à l’abolition du théâtre, à l’impossibilité du théâtre. Ajoutons à cela un questionnement plus large sur la possibilité même d’un mouvement d’avant-garde au théâtre, rendue difficile par la nécessité d’un public, et donc d’une forme de reconnaissance au présent, pour aboutir peut-être à une tentative de spécification de la notion d’avant-garde au théâtre.

Anne Pellois est Maître de conférence à l’École Normale Supérieure de Lyon en Etudes Théâtrales, ancienne élève de l’ENS de Fontenay Saint Cloud et agrégée de Lettres Modernes. Auteure d’une thèse («Utopies symbolistes: fictions théâtrales de l’homme et de la cité»), soutenue en octobre 2006 sous la direction de Mme Bernadette Bost et d’articles sur le théâtre symboliste, elle poursuit ce travail par une réflexion sur les relations entre théâtre et utopie.

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    Dictionnaire encyclopédique du théâtre. Michel Corvin (éd.). Paris: Larousse, 1998. 2 volumes, [1991], article «avant-garde (le théâtre d’)», pp. 81-83. Article de K. Hupperetz et A. Rombout.
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    DEAK, FRANTISEK. Symbolist Theater. The Formation of an Avant-Garde. Baltimore and London: The John Hopkins University Press, 1993.
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