Colloque, 28 mai 2015
Elles le livre
Elles, le livre.
Le titre, à dessein, est sibyllin. Il annonce. Il prédit à la lettre et à plus d’un titre le mystère de la création à plus d’une. Tel sera mon propos. Non pas percer quelques secrets, lequel des lors n’en serait pas un, mais tenter de faire toucher l’impénétrable mystère du livre à plus d’une. Ce titre semble faire une phrase mais il forme un syntagme. C’est à dire un agencement de mots, plutôt qu’une logique. Le pronom, féminin pluriel, porte en court-circuit au singulier objet livre, marquant ainsi le geste pluriel de la création. Plus exactement, un geste plusieurs, car il faut y entendre les patronymes (Lucie Renée Mathilde Schwobb, Suzanne Malherbre), les pseudonymes (Claude Courlit, Claude Cahun, Marcel Moore), mais aussi le jeu lettré sur le pronom René, dont Claude Cahun note que, lycéenne, elle escamotait le e muet. Cette coupure n’allait pas sans un signe vers René de Chateaubriand et les Mémoires d’outre-tombe, considéré comme, et je la cite, «un antidote à l’historicité».
Le geste plusieurs de la création n’est pas un collectif, c’est la foule du corps, la circulation inachevable de la foule organique dans le corps. Ce sont les potentiel de la scène des corps communiquant, de leurs épiphanie. À ce titre, pas de verbes, pas «elles font» ou «elles sont» le livre, mais une immédiateté. La foudre, la survenue de la poésie, de la «pensée simultanée» comme elle le dit, qui «effleure» (c’est son mot) et que l’écriture doit capter.
Mireille Calle-Gruber est écrivaine est professeurs en littérature française et esthétique à la Sorbonne Nouvelle. Elle y dirige le centre de recherche en études féminines et de genre. Elle travaille à la croisée de la littérature, des arts et de la philosophie. Elle a publié plusieurs romans, ouvrages collectifs et autres.