Colloque, 23 septembre 2016
Écrire la possession, entre la chair et le signe
«Je vais proposer d’aborder avec vous une histoire assez connue. C’est celle des possédés de la ville de Loudun.
Nous sommes en 1632 dans le Poitou français. Alors que les guerres de religion, opposants catholiques et protestants, commencent tout juste à s’apaiser et que la peste se tarit enfin, plusieurs nonnes sont la proie du démon (notamment la mère supérieure, Jeanne des Anges) qui semblent les plus concernées par les assauts du diable. Cris, blasphèmes, contorsions incroyables et émois érotiques rythment désormais le quotidien du couvent. Des exorcistes sont dépêchés sur place et questionnent les nonnes sur l’auteur de ce maléfice. Très vite, un nom s’échappe des lèvres de la mère Jeanne des Anges bientôt suivie par plusieurs de ses soeurs: celui d’Urbain Grandier, un prêtre de la ville.
Urbain Grandier jouit à l’époque d’une réputation sulfureuse. Séducteur invétéré, libertin, il est l’objet de nombreuses cabales en raison de ses conquêtes amoureuses et de ses positions politiques. Il a notamment publié un traité contre le célibat des prêtres, un pamphlet acerbe contre le cardinal Richelieu et il a en outre refusé d’accéder à la demande de la mère Jeanne des Anges de devenir le confesseur des Ursulines de Loudun. Au bout d’une longue procédure judiciaire, le prêtre est reconnu coupable de sorcellerie et est brûlé vif le 8 août 1634.
Sauf que la mort du prétendu sorcier, contre toute attente, ne met pas fin à la crise diabolique… Les démons continuent des années durant d’agiter les corps suppliciés des nonnes pour le plus grand plaisir des badauds, car c’est tout un spectacle qui s’est mis en place à cette époque à Loudun. Les soeurs sont exposées régulièrement dans les églises de la ville. Une foule de curieux et de dévots assistent aux exorcismes, à leurs convulsions et à leurs cris, dans une mise en scène réglée où chacun joue son rôle.
Du spectacle de Loudun, nombreuses sont les interprétations et réinterprétations. Alfred de Vigny et Aldous Huxley sont parmi ceux qui ont écrit sur ce cas. Sans oublier les cinéastes Ken Russell et Jerzy Kawalerowicz. Il y a aussi l’historien et philosophe jésuite, Michel de Certeau, qui offre à l’affaire ses vues pénétrantes dans un livre, sobrement intitulé La possession de Loudun. Il présente cet évènement comme un théâtre de la parole et du voir où se joue une comédie tant politique que spirituelle.»
Martin Hervé est stagiaire postdoctoral à l’Université de Montréal, où il conduit un projet de recherche sur le surnaturel dans les littératures contemporaines de la France et du Québec. Dans ce cadre, il s’intéresse en particulier aux figures de la sorcière et du chaman. Sa thèse de doctorat, intitulée L’esprit de l’abîme: écriture de l’intériorité et pensées diaboliques chez Georges Bernanos et Marcel Jouhandeau, propose une investigation historique et critique sur les rapports entre le sujet pensant et la littérature, à travers le prisme du diabolique.
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