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Putain, c’est la guerre!

Gabriel Tremblay-Gaudette
couverture
Article paru dans Bandes dessinées et romans graphiques, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Rees, David (2003), Putain, c’est la guerre! Denoël, Paris, 124p. (version française de Get Your War On)

Version française et version originale (anglais) disponibles sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Poétique est un mot insuffisant pour caractériser la force corrosive et pétillante de Putain, c’est la guerre. Ce petit livre renouvelle le plaisir subversif et la richesse allusive de l’ironie dans un milieu social et idéologique américain qui en avait bien besoin à partir de 2001.

Écrites et dessinées dans le contexte du choc qui a suivi les attentats contre les tours du World Trade Center de Manhattan, ces bandes commentent « in vivo » la prolifération et les pièges des discours définitifs de l’équipe politique au pouvoir aux États-Unis, que ce soient les lois sécuritaires, les retombées de la lutte contre le terrorisme, les absurdités et les énigmes des nouvelles lois répressives, ainsi que l’ensemble des « lessivages » de cerveau. Le refus de la « lobotomisation », lorsqu’il se tourne, comme ici, vers ces ennemis que sont les discours politiques et le matraquage idéologique, se préoccupe de ce qui, dans leur puissante efficacité, dupe leurs victimes. Les réflexions acerbes des personnages naviguent entre illusion et vérité et cette pratique périlleuse et obstinée de l’ironie produit, pour le lecteur, la révélation d’un nouveau système de références et des compréhensions insolites sur qui est trompé et comment. Un système de décodage se met en place avec la simulation merveilleuse de l’ironie et induit le lecteur à accompagner le mouvement, à ne pas se cantonner à moduler sur un mode complice la pieuse tromperie guerrière en cours. David Rees constate les éléments empilés du décor schizophrénique qui emprisonne une population blessée, il en révèle la facticité et l’hypocrisie afin que les protagonistes puissent se réconcilier avec eux-mêmes. Peut-être plus qu’à toute autre perspective narratrice, c’est d’abord à une forme de réconciliation personnelle, à une pacification interne, à la naissance d’une réflexion critique refondatrice et non anesthésiée, que nous assistons dans ces bandes.

Site de la parution initiale sur le web: https://web.archive.org/web/20060104005453/http://www.mnftiu.cc/mnftiu.cc/war.html [Page consultée le 14 août 2023]
Les bandeaux y ont été publiés du 10/09/2001 au 10 février 2006, une adaptation livre a suivi :
Get your war on, Skull Press, Brooklyn, N.Y., 2002.

Consulter aussi :

http://www.pastis.org/jade/cgi-bin/reframe2.pl? [Cette page n’est pas accessible]

http://www.pastis.org/Jad… [Cette page n’est pas disponible]
Et https://web.archive.org/web/20070529023418/http://www.largeur.com/expArt.asp?artID=1300 [Page consultée le 14 août 2023]

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre Bande dessinée sous forme de bandeaux initialement publiés dans un blog puis édités. Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

L’originalité du travail graphique consiste à reprendre dans presque toute l’oeuvre les mêmes dessins, les mêmes personnages figés dans des poses de bureaux avec très peu de variations graphiques si ce n’est que les cadrages des personnages fluctuent.

Le dessin par lui-même a peu d’intérêt, il pourrait être repris de dessins factuels illustrant des méthodes de maintien, par ex. Il n’y a donc aucun intérêt graphique ou stylistique. L’intérêt vient de la répétition et de son martèlement, du travail sur le langage et de la qualité des dialogues.

Quelques personnages à leur bureau, toujours les mêmes, discutent par téléphone du contenu des informations politiques et militaires du moment pendant que leurs masques d’employés formatés par le système tombent. Trois cases par bandes et tradition « des doppel-gängers du clip-art », («le Doppelgänger n’a pas d’ombre et son image n’est pas reflétée par un miroir ou de l’eau. Il est supposé donner des conseils à la personne qu’il imite, mais ces conseils peuvent induire en erreur et être malicieux. Ils peuvent aussi en de rares occasions semer la confusion en apparaissant devant les amis et proches de leur victime ou en induisant des idées dans l’esprit de leur victime. » (https://web.archive.org/web/20071002105916/http://fr.wikipedia.org/wiki/Doppelg%C3%A4nger [Page consultée le 14 août 2023])

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés de façon implicite. Le point de vue est contemporain.
L’attitude critique est cynique, ironique, comme si les événements (guerre, attentats) faisaient partie d’un jeu lointain. L’ironie du narrateur consiste à insérer via les détournements du langage ou, via le statut de Voltron, des éléments de proximités insolites.

Moyens de transport représentés: Aucun.

Moyens de communication représentés: La critique des médias est implicite et dévastatrice. Les discussions portent sur les flashes d’information des chaînes de télévision.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Il s’agit de collègues de bureaux, hommes et femmes, qui commentent les attentats et la suite des attentats.

Le point de vue est celui des adultes.

Les événements sont abordés d’un point de vue collectif contemporain. Le contexte politique est nommé, il forme la trame de la narration mais les points de vue individuels qui permettent de l’exprimer cernent aussi bien le cynisme qu’une certaine impuissance devant les événements. Le scandale Enron par exemple, aussi cruel soit-il pour la classe politique américaine, demeure dans les bandes au niveau du commentaire sans le déborder. Mais cet aspect est parfaitement contrôlé et développe une réelle charge subversive.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

9 octobre 2001. Un mois après la chute des tours, David Rees, new yorkais de 28 ans, met en ligne sur le Web les premiers strips de Putain, c’est la Guerre !

Dans des décors vides, des Américains lambda parlent au téléphone. De quoi ? De la crise politique, militaire, morale sans précédent où s’enfonce leur pays depuis le 11 septembre. Justice Immuable, scandale Enron, restrictions des libertés, obsession de la guerre en Irak, l’Axe du Bien en prend pour son grade — avec, en fond d’écran, le mal-être ricanant du peuple américain et, en ligne de mire, la rhétorique creuse de l’équipe Bush. Contre l’abjection politique, un seul remède : le mauvais esprit.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Lire une interview de David Rees sur le site : https://web.archive.org/web/20070708064040/http://contemporarylit.about.com/cs/authorinterviews/a/davidRees.htm [Page consultée le 14 août 2023]

Extrait de la présentation de l’interview : « In the fall of 2001, with the advent of the war on terror, Rees’s office workers really had something to talk about. David Rees imbued his clipart drones with acute insights and sarcastic voices with which to discuss U.S. policy in Afghanistan. In the first strip, posted on October 9, 2001, a mild-looking cubicle dweller sets the tone the strip: “”Yes! Operation: Enduring Our Freedom To Bomb The Living F–k Out Of You is in the house!!!””

Since then, Rees’s profanely acerbic figures have addressed the search for Weapons of Mass Destruction, the liberation of Iraq, and George Bush’s plans to send astronauts to Mars. And their sarcastic insights have struck a chord with a large part of the population that grows increasingly concerned with the administration’s actions. David Rees’s following has gone beyond cult status and has netted GYWO a weekly slot in Rolling Stone Magazine, while he continues to post the comic on his website: https://web.archive.org/web/20100113103329/http://www.mnftiu.cc/ [Page consultée le 14 août 2023] »

Citer la dédicace, s’il y a lieu Pour Chris Browning Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Impact de l’œuvre

Selon les commentaires, l’impact de ce petit livre est significatif, au moins à New York et parmi certaines franges éclairées nord-américaines. Il a permis, sans doute, un regard différent sur la signification des attentats du 11 septembre. Les impacts médiatiques, politiques, quotidiens y sont clairement envisagés et le discours sécuritaire de la guerre démasqué. L’engouement pour le site suivi du succès de librairie est clairement un signe de son impact. Quant à connaître en 2006 tous les aspects de celui-ci, c’est encore un peu tôt.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

On peut au moins penser que le travail de David Rees met en évidence les manipulations de l’opinion qui ont suivi le 11 septembre. C’est un exercice de désaliénation au présent, qui permet sans doute d’avoir un regard plus objectif sur l’événement lui-même.

Dévoilement des sens cachés, destinations orientées, chemins balisés du conditionnement, mensonges, désagrégation de tout sens moral sont les sentiers que les personnages de David Rees, figés dans leur bureau, parcourent et renversent en temps réel grâce au Web. Le sarcasme et une certaine densité de cynisme délivrent ainsi de la panique entretenue par les politiques et le lobby militaire. Le rappel à des réalités directes tout aussi urgentes et proches comme le scandale Enron réinstalle le spectre de la faillite sociale dans un quotidien miné par les discours sécuritaires et les théories du complot. La coexistence d’une guerre exotique et imagée et d’une autre guerre, sociale, larvée et fugitive, est démontrée par les liens signifiants articulés entre les différents lobbys qui instrumentalisent selon leurs implications le discours de la guerre. Constatation : la vertu inspirée de la lutte contre le terrorisme est exactement semblable à la corruption constatée sur le front intérieur avec l’affaire Enron.

L’apparition de Voltron, robot d’une série culte des années 80, sa rhétorique militaire fanatique quasi identique à celle de l’équipe de Bush, permet de démystifier férocement la nature effrayante de ce robot à l’esprit minuscule. Parodie grotesque, paroles qui se dévorent fermées sur elles-mêmes en prétentions insensées, moquerie dévastatrice, la nature inspirée et navrante du mensonge politique en cours se dévoile dans le grotesque. Voltron, symbole d’un état de guerre en soi, devient aussi menaçant pour les personnages des bandes que dans une guerre lointaine vécue à travers la télévision ; du bilan de sa terrible et ridicule capacité de nuisance jaillit soudain une vigilance nouvelle qui éclaire l’obstruction de l’illusion idéologique et révèle les limites d’un état de fausse conscience entretenu et substantiel. Dans un bureau de travail habituellement neutralisé par le statu quo, ces cadres moyens voient leurs comportements codés autour de la réalisation de tâches administratives, envahis par une rhétorique de guerre et de menace, de soupçon et de racisme, qui ne leur appartient pas en propre; le langage de cette rhétorique d’exclusion et de destruction guerrière sera détourné par eux à travers des jeux sur le langage. Ce processus de réappropriation ouvre au rétablissement de la vérité, il permet de déjouer les autres ruses langagières qui conditionnent l’état de guerre. La pratique essentielle du jeu de mot et la maîtrise de l’ironie annulent ou renversent la signification idéologique d’un état de siège visant à masquer la réalité de ce qui se trame. L’ordre brutal, qui conditionne la dévalorisation et l’appauvrissement de la lucidité et qui prenait possession de ces hommes et femmes est brisé ; il est démasqué par la fécondité du travail sur la langue et le rétablissement d’une lecture dialectique du monde, et des discours interprétant ce monde ; cette lecture encourage le lecteur à décoder lui aussi les faits réels et non les discours réifiants dont on les affuble.
Cette fécondité produit comme un cercle de lumière autour des situations contradictoires et aveuglantes des mensonges idéologiques confrontés aux réalités des guerres en cours ; l’ironie alterne entre tragique et comique. De cette ambivalence naît une situation narrative en trompe-l’œil : juxtaposition des attitudes figées des cols blancs, expressions d’un langage maniable comme une arme vertigineuse. De ce contraste naît ce « mauvais esprit » qui fait entrer un air libre et plus pur dans des bureaux à l’atmosphère confinée et qui exprime un bon sens populaire et le mouvement émancipateur de la conscience.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« Pourquoi se farcir deux boulots à la fois et bouffer ces putains de beignets gratuits tous les matins alors que je pourrais être en train de vérifier l’orthographe des pays à bombarder avec Donald Rumsfeld. » (7août 2002)

« Quand j’ai lu que le Département d’État refusait de s’opposer à une orgie de massacres-tortures-viols sponsorisés par les putains de militaires indonésiens afin de ne pas mettre Exxon Mobil en difficulté, j’ai su que cette Guerre au Terrorisme n’était pas un vain mot. » (7août 2002)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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