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L’art performance: une aura vivante

Gloria Isabel Gomez Ceballos
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Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)

     

En 1935, Walter Benjamin écrit L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, un essai dans laquelle il utilise le mot «aura» pour exprimer ce qui est singulier d’une œuvre d’art et comment, le cinéma et la photographie utilisent des formats qui transforment notre relation avec l’originalité, parce que la distribution et reproduction des produits visuels et audiovisuels sont massives presque par définition.

Après l’atelier avec Lucy Fandel, je voudrais utiliser le concept de l’aura proposée par Benjamin pour parler de la singularité de la performance…Contrairement à la peinture, l’installation et la sculpture, l’art performance n’utilise pas les matériaux comme centre de création sinon le corps comme une moyenne d’expression et signification.

Pour Benjamin, l’aura est:

L’apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. L’homme qui, un après- midi d’été, s’abandonne à suivre du regard le profil d’un horizon de montagnes ou la ligne d’une branche qui jette sur lui son ombre – cet homme respire l’aura de ces montagnes, de cette branche. (Benjamin, 1936, page 46)

Donc, si on utilise le même concept pour décrire l’art performance, on doit considérer que la performance est une expérience esthétique plutôt qu’un objet matériel, parce que, en premier lieu, la performance est une manifestation d’art incarnée par une personne dans un contexte particulier de sa vie (le contexte artistique) et en deuxième lieu parce que la performance n’a pas une preuve de propriété transférable qui on peut multiplier.

Pendant une performance, l’artiste est indissoluble de l’œuvre d’art. L’action guide la relation avec le temps, l’espace et le corps. Le performer n’est pas une personne passive sinon un créateur(trice) actif et vivant: sans l’artiste il n’y a pas aucun œuvre, donc la condition d’être vivant est impérative. Je voudrais m’attarder sur ce sujet parce que si on regarde la Mona Lisa ou la Vénus de Milo, on comprendra facilement la notion d’aura proposée par Benjamin parce que dans ces cas, l’œuvre existe après la mort de l’artiste, et son aura est liée à la présence matérielle et originale qu’on peut apprécier. En échange, dans la performance, une personne délibérément propose une action éphémère qui devient une expérience d’art au fur et à mesure de son développement.

Donc, si la conscience de soi et la subjectivité sont inséparables d’un(e) performer, son art n’est pas reproductible. Imaginons-nous qu’une artiste contemporaine comme Lucy Fandel, par exemple, présent la même performance chaque jour à la même heure, dans le même parc. Bien qu’ici la performance soit plutôt une chorographie répétée, le corps de l’artiste, mais aussi l’espace et les spectateurs seraient différents chaque fois qu’elle performe: le premier jour il neige, le deuxième jour elle est fatiguée et il pleut, le troisième jour il y a beaucoup de vent et ainsi de suite.

Strictement dit, l’aura des performances est vivante, changeante et non reproductible. Mais, si dans ce même exemple on filme tous les jours la performance de Lucy Fandel, on change la relation entre l’espace- temps et le corps et les spectateurs, parce que la médiation d’une machine (la caméra) peut documenter et après copier la performance pour sa distribution. Donc, si on transforme le format original de l’œuvre d’art, son aura se transforme aussi.

J’ai proposé cet exemple dans un parc, parce que dans sa pratique artistique, Lucy Fandel connecte la danse, la nature et son corps pour «inviter les autres à trouver résonance dans ces espaces éphémères», en remplaçant le musée et la scène de théâtre par les parcs et les paysages. Á travers des actions éphémères toujours à l’extérieur, elle propose une revendication de l’intimité entre la nature et les humains.

Possiblement, quand on parle des pratiques éco-somatiques comme celle-ci, on doit mélanger l’esprit des artistes et l’aura de son œuvre d’art pour essayer de mieux comprendre quelle est la place de la nature dans l’expérience des performeurs et aussi des spectateurs. Ce que je veux dire c’est que si on parle des artistes comme Lucy Fandel ou Laura Burns pour discuter l’aura des performances, peut être le corps n’est pas suffisant pour expliquer ce qui est essentiel…Pour elles, la nature est la fin et le moyens, le début et la terminaison.

Pour finir, on doit continuer à réfléchir sur l’aura des pratiques artistiques contemporaines, parce qu’aujourd’hui la technification et la reproduction massive des images ont changé notre expérience esthétique et sensible avec le monde: la technologie a conquis les espaces quotidiens, académiques et artistiques á travers des outils numériques qui menacent l’indépendence et l’originalité des artistes. Dans ce contexte, la performance et les pratiques attentionnelles en arts sont une alternative qui résiste contre l’intelligence artificielle, les deepfakes, les NFTS et le métavers.

    

Références

Benjamin, W. (1936). L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Zeitschrift für Sozialforschung, 5(1), 40-68.

Fandel, L. (s.d). APPROCHE ARTISTIQUE. WordPress. https://lucyfandel.com/

    

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