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Compter jusqu’à cent

Neli Dobreva
couverture
Article paru dans Romans québécois et canadiens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Gélinas, Mélanie. 2008. Compter jusqu’à cent. Montréal: Québec Amérique, Montréal, 344 pages.

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

New York : une cafétéria comme les autres. Deux filles : un papillon s’envole du sac de l’une d’entre elles et elle se rencontrent. Une rencontre ? Non ! Une rencontre imaginaire… Anaïs marche, elle parcourt la distance entre la station centrale de Montréal et une cafétéria à New York. Elle y est, depuis dix ans, depuis toujours, depuis que c’est arrivé. Elle a 19 ans.La protagoniste, une jeune femme qui passe du « je » de la narratrice au personnage incarné du récit, Anaïs, erre dans un espace atemporel. C’est un va-et-vient entre le « je » et les autres, et entre Montréal et New York. Ou plutôt Nous York, comme dans son souvenir d’enfance, quand elle avait sa maman et son papa. Le récit se poursuit ainsi, fusion de la réalité et du monde imaginaire de la narratrice. Les attentats du 11 septembre 2001 interviennent, comme pour interrompre, terminer et modifier l’histoire du personnage. Le 11 septembre 2001 surgit comme une nouvelle naissance, une blessure, un cri, hors champs et sans langue. Aucune langue maternelle, ni le français ni l’anglais, ne peut exprimer cette douleur. C’est un cri primaire, dans une autre langue, que la souffrance seule connaît. Comment écrire le viol ? Telle est la question que pose l’auteure. Comment évoquer cette intimité devant le Monde pour que sa perception soit universelle, que tout le monde comprenne ? Anaïs écrit son journal, elle brouille les pistes, elle ment, elle donne tout à voir. À son père ! À ses élèves ! À elle-même ! Le roman est écrit selon le modèle de l’autofiction, faisant partager au Lecteur une douleur, celle des autres, mais aussi celle du 11 septembre 2001, en démontrant que, bien que partagée, la douleur reste une affaire de solitude, de subjectivité radicale, de nature humaine. Comme le pardon, la douleur peut-elle être partagée ?

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman, autofiction

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narration fragmentaire, entre le « je » de la narratrice et son personnage Anaïs. Jeux sur la temporalité

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre 2001 est particularisée et les tours jumelles du Wolrd Trade Center à New York sont mises en parallèle avec les tours de Montréal.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont découverts sur l’écran de l’ordinateur de l’école où le personnage principal, Anaïs, travaille, et en temps réel. Ils sont explicités du point de vue de la presse. Anaïs se place comme spectatrice, dans une attitude mélancolique : les événements évoquent en elle des souvenirs flous. Les moyens de transport présents dans le roman sont le Métro de New York et le car entre Montréal et New York. Le roman fait preuve d’une bonne connaissance des discours de la presse et met en scène l’information par l’intermédiaire de l’Internet.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Les événements sont présentés selon des points de vue partagés entre un âge adolescent de la protagoniste, antérieur aux événements, comme le point de départ du récit, et à travers le regard de la femme adulte et occidentale, contemporaine aux faits.Le personnage principal n’est pas impliqué dans l’événement.Les événements sont abordés d’un point de vue individuel, comme déclencheurs d’une « réminiscence épouvantable ».

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Il n’y a pas de sons présents.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Il n’y a pas de travail iconique fait sur le texte.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Le matin du 11 septembre 2001, Anaïs ressent l’onde de choc des tours qui s’effondrent jusque dans sa chair. L’ampleur de la catastrophe se fait l’écho d’un crime oublié, survenu dix ans auparavant. Resurgit alors une décennie passée sous le signe de la survivance. Que vaut la reconstruction d’une vie sans envisager le pardon ? Dans l’ébranlement sans mesure dans lequel les attentats la plongent, elle se rappelle les vieux écueils de son enfance, et aussi la cicatrice d’un terrible secret. Il n’y avait que le pire pour faire renaître son corps de ses cendres…

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

https://web.archive.org/web/20080929001501/http://www.larecrue.net/2008/07/entrevue-avec-m.html [Page consultée le 11 août 2023]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

A l’étranger dont j’ai oublié le visage

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Le Devoir, LIVRES, samedi, 29 mars 2008, p. f3, Roman québécois, « Déconstruire, dit-elle. Un premier roman singulier de Mélanie Gélinas » par Christian Desmeules http://www.youtube.com/watch?v=EsD_cdh_WJU [Page consultée le 11 août 2023]

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

« Compter jusqu’à cent » est une recherche du plaisir perdu, durant laquelle les attentats du 11 septembre 2001 à New York surgissent, comme un souvenir retrouvé. Le récit de cette auto-fiction esquisse l’histoire impossible de l’événement. Comment parler de l’impossible, de l’expérience qui n’appartient qu’à nous-même ? Mais, encore : l’expérience est-elle possible ? À travers sa subjectivité radicale, impossible à partager avec l’autre, la narratrice tente de définir son « je », dans le chaos insaisissable du 11 septembre 2001. Le chemin d’accès serait celui du ravissement — nous pouvons penser au « Ravissement de Lol V. Stein » (Marguerite Duras,1964)—, ainsi que de la perte de la réalité. Les deux histoires mises en parallèle, les attentats et le viol d’Anaïs, se rencontrent dans l’abîme de la blessure : le viol. La plaie de Manhattan, le Ground Zero, pour l’une, et la cicatrice entre le nombril et la poitrine, pour l’autre. L’auteure insiste sur le fait qu’il n’y a pas de langue pour crier cette douleur. Elle arrache toute subjectivité au « je ». C’est une langue primaire, hors du monde et sans racine. Pourtant, « Compter jusqu’à cent » existe : l’auteure nous y propose une écriture, un ravissement, un pardon. (Pour une analyse approfondie du sujet, « Écrire le viol », Rennie Yotova, Paris, Editions Non Lieu, 2007). De fait, y aurait-il des correspondances entre l’impossible chaos des attentats du 11 septembre 2001, à New York, et l’impossible à supporter, à l’intérieur de soi-même ? Nous sommes invités à y réfléchir, dans la postface écrite par l’auteure, où celle-ci nous fait part de la généalogie de son texte, expliquant notamment comment elle est parvenue, au travers l’analyse de Jacques Derrida de l’impossibilité de dire l’événement, à tenter, finalement, de dire l’indicible. (c.f. Jacques Derrida, «Une certaine possibilité impossible » dans Dire l’événement, est-ce possible ?, Gad G. Soussana et A. Nouss (dir), Montréal, L’Harmattan, coll. « Esthétiques », 2001.)

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« Le viol de l’espace aérien, la perforation du sol américain, les explosion du kérosène et les boyaux des sapeurs faisaient, dans leur gradation descendante des ruines et de débris blancs, perdre pied à celle qui avait été le témoin inutile de tout ça. Celle qui avait trouvé l’équilibre entre Anaïs et moi. », p. 91« Il me faut trouver le motif du papillon. Sa poudre. Y mettre le feu et tout faire sauter. Est-ce le souvenir de cette aventure à New York ? L’amant ? L’arbre sexué ? Les taxis impétueux ? Les enfants ingrats des collèges de la métropole ? Les avions qui tuent des innocents ? Les corps des vivants qui se défenestrent ? Les imbéciles à la télévision qui feignent de tout savoir, de tout comprendre de ce que les autres qui font la manchette ont vécu ? Vera? Le Lecteur ? Le père ? La mère ? La ville ? Une vieille page de dictionnaire ? Le nom… », p. 96« La dernière image du film de ma vie avait été celle de l’érection de cette tour. Puis de son effondrement. », p. 153« Quand j’ai vu l’effondrement d’une des tours jumelles à la télévision, le souvenir a surgi. J’ai retrouvé le visage de la peur. », p. 157« Ce qui la fascinait dans ce spectacle télévisuel des attentats contre les tours jumelles, c’était le film impossible de la destruction et la répétition. Elle était fascinée par la séquence entière du film des tours qui tombaient, chacune dans son effondrement de poussière. », p. 191« Dans l’attentat, il n’y a qu’une pénétration profonde, sans le va-et-vient des pas de danse échangés en cadence mutuelle et réciproque. », p. 253« Après tout, on n’avait jamais retrouvé le coupable. J’ai tout redonné à l’hiver. J’ai même vomi à New York quand j’ai retrouvé le plaisir, tellement cette histoire est une affaire entre lui et moi. Une histoire des restes, comme un vieux « nous » en ruine. », p. 285

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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