Recherches actuelles

Offrant une plateforme de diffusion en continu pour des réflexions en lien avec des travaux de recherche ainsi que des démarches artistiques et militantes dans les champs des études et luttes féministes, queer, décoloniales, anti-racistes et intersectionnelles, les Carnets de recherche sont ouverts à une diversité de formes d’expression et de savoir. Ils visent à faire rayonner des idées, démarches et créations à la rencontre des milieux académiques, militants et artistiques. En sommes, ils se veulent un lieu pour penser ensemble, tisser des solidarités et proposer des dialogues entre une pluralité de disciplines et de positionnements. Afin de baliser les pistes de réflexion, les Carnets fonctionnent par thématiques. Dédié aux contributions en lien avec l’actualité politique et académique en lien avec les études et revendications féministes, le Carnet Recherches actuelles se veut vaste et en constante évolution.

Split Tooth, paru en 2018, est le premier roman de Tanya Tagaq, artiste pluridisciplinaire Inuk originaire d’ᐃᕐᑲᓗᒃᑐᑦᑎᐊᕐᒃ/Iqaluktuuttiaq, au Nunavut. À la fois fascinant et troublant, merveilleux et cruel, Split Tooth relate l’existence d’une jeune femme Inuk au sein d’une petite communauté du Nunavut, au courant des années 70. Alors que la protagoniste se révèle capable de voir et d’interagir avec les esprits, sa narration entremêle ses contacts avec ce monde invisible au récit des joies et souffrances du quotidien. Fondamentalement hybride, ce texte développe, à travers des fragments tantôt testimoniaux, tantôt oniriques, des poèmes et des illustrations, un univers résolument campé dans l’imaginaire Inuk. Peu soucieuse de prendre le public allochtone par la main, Tagaq livre ainsi un ouvrage dont les lecteurices modèles sont les membres de sa propre communauté. Participant d’un mouvement de résurgence plus vaste, l’autrice repositionne au centre de son ouvrage une langue, une culture, des connaissances dévalorisées et violemment effacées dans le cadre de nos sociétés coloniales depuis plusieurs centaines d’années. Véritable recentrement, Split Tooth est une célébration, une (ré)appropriation – par et pour Tagaq et sa communauté – de la culture Inuk dans toute sa richesse et sa complexité. Du même mouvement, l’œuvre se fait aussi conjuration, ébranlant les positionnements habituels – entre sachant·es et ignorant·es, enseignant·es et apprenant·es – et les rapports de pouvoir-sur (Starhawk 1988 [1982]) qui les sous-tendent, pointant vers des modes de savoir et d’apprentissage, vers des potentiels relationnels ancrés dans la vulnérabilité, l’écoute et la responsabilité.

Cet article se base sur les expériences d’étudiant.e.s en géographie de l’Université Concordia à Montréal (Québec) qui ont participé à la grève générale illimitée au niveau provincial en 2012. Il explore comment les espaces physiques et symboliques de l’université ont joué un rôle clé dans la détermination des expériences émotionnelles, particulièrement déroutantes en contexte universitaire, de ces participant.e.s à la grève. La pertinence des émotions et de l’affect dans les mouvements sociaux a attiré l’attention au cours des dernières décennies dans le domaine de la géographie en mettant l’accent sur la militance autonome ou sur le contexte urbain des manifestations. En complément, cet article souligne comment l’université, le département de géographie ainsi que les structures des associations étudiantes qui y sont hébergées ont affecté les expériences et les styles émotionnels de ces participant.e.s à la grève, notamment par les matérialités et les attentes émotionnelles rattachées à cet endroit, et le sentiment d’appartenance à celui-ci. Cet article cherche donc à élargir la compréhension des dynamiques, des styles et de la réflexivité émotionnels des militant.e.s de diverses positionnalités, dans un cadre qui s’apparente à un lieu de travail traditionnel, soit l’établissement d’enseignement où cette grève a émergé.