Entrée de carnet

À la rencontre de Split Tooth: Opacité, vulnérabilité et émerveillement

Noémie Dubé
couverture
Article paru dans Recherches actuelles, sous la responsabilité de Revue FéminÉtudes (2024)

Split Tooth, paru en 2018, est le premier roman de Tanya Tagaq, artiste pluridisciplinaire Inuk1Inuk est le singulier de Inuit. En phase avec la grammaire de l’Inuktitut, je n’accorderai pas le mot « Inuit » en genre et en nombre. originaire d’ᐃᕐᑲᓗᒃᑐᑦᑎᐊᕐᒃ/Iqaluktuuttiaq, au Nunavut2Bien que des négociations officielles visant le transfert des responsabilités de gestion des terres et des ressources naturelles aient été entamées en 2014, le gouvernement fédéral canadien conserve encore sa mainmise sur presque l’entièreté du territoire du Nunavut. Suivant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (1993), 83% des terres dites « de la couronne » tombent sous la juridiction du gouvernement fédéral. Si les 17% des terres restantes appartiennent « officiellement » aux Inuit, le gouvernement dispose encore des droits fonciers sur le sous-sol de 15% de cette proportion, ce qui l’autorise légalement à exploiter d’éventuels gisements qui pourraient s’y trouver. Autrement dit, seulement 2% de l’ensemble du Nunavut, soit 37 883 km2 sur un total de 2 093 190 km2 est véritablement et entièrement gouverné par les Inuit (Kikkert 2023 [2007] [En ligne]). Cet accord, le plus vaste règlement de revendications territoriales Autochtones dans l’histoire du canada, représente un énième exemple de la convoitise et du mépris des gouvernements fédéraux et provinciaux à l’égard des revendications des Premières Nations et des Inuit. À la lumière de ces observations, il m’apparait d’autant plus primordial de reconnaitre que le territoire de Tiohtià:ke – Mooniyang – Montréal, où j’habite et écris, est un territoire Autochtone non cédé. Historiquement et encore à ce jour, ces terres sont un lieu de rassemblement et de vie pour de nombreuses Premières Nations, dont la Nation Anishnaabeg et la Nation Kanien’kehà:ka, gardienne ancestrale des terres et des eaux. Au-delà de sa dimension protocolaire, je souhaite faire de cette reconnaissance territoriale un sortilège de solidarité et de guérison. Mes pensées sont avec toutes les femmes, filles, personnes bispirituelles et queer Autochtones qui, contre les violences et injustices genrées de la colonisation, continuent d’aimer, de créer, de lutter. Mes pensées sont avec toustes celleux qui, contre le pillage du territoire et la destruction écologique, continuent, déterminé·es, à « faire corps avec tout ce qui a de la misère à exister » (Gill 2019: 37), célébrant, encore et toujours, les relations qui nous unissent les un·es aux autres et à l’ensemble de la création.. À la fois fascinant et troublant, merveilleux et cruel, Split Tooth relate l’existence d’une jeune femme Inuk au sein d’une petite communauté du Nunavut, au courant des années 70. Alors que la protagoniste se révèle capable de voir et d’interagir avec les esprits, sa narration entremêle ses contacts avec ce monde invisible au récit des joies et souffrances du quotidien. Fondamentalement hybride, ce texte développe, à travers des fragments tantôt testimoniaux, tantôt oniriques, des poèmes et des illustrations, un univers résolument campé dans l’imaginaire Inuk. Peu soucieuse de prendre le public allochtone par la main, Tagaq livre ainsi un ouvrage dont les lecteurices modèles sont les membres de sa propre communauté. Participant d’un mouvement de résurgence plus vaste, l’autrice repositionne au centre de son ouvrage une langue, une culture, des connaissances dévalorisées et violemment effacées dans le cadre de nos sociétés coloniales depuis plusieurs centaines d’années. Véritable recentrement3Je travaille actuellement, dans le cadre de mes recherches doctorales, à l’élaboration d’une typologie des sortilèges littéraires inspirée des quatre éléments. Celle-ci se compose donc de quatre grandes familles : les convergences (air), les activations (feu), les conjurations (terre) et les recentrements (eau). Se déclinant en un ensemble de formes, motifs et thématiques, chaque famille s’inscrit d’ailleurs au sein de diverses relations de symbiose ou de polarité avec les autres. Ainsi, les sortilèges de conjurations et de recentrements entretiennent-ils une relation de symbiose dans la mesure où les forces de refus et d’opacité propres aux premiers trouvent leur pendant dans les mouvements de réappropriation et de réinventions mis en œuvre par les seconds., Split Tooth est une célébration, une (ré)appropriation – par et pour Tagaq et sa communauté – de la culture Inuk dans toute sa richesse et sa complexité. Du même mouvement, l’œuvre se fait aussi conjuration, ébranlant les positionnements habituels – entre sachant·es et ignorant·es, enseignant·es et apprenant·es – et les rapports de pouvoir-sur (Starhawk 1988 [1982]) qui les sous-tendent, pointant vers des modes de savoir et d’apprentissage, vers des potentiels relationnels ancrés dans la vulnérabilité, l’écoute et la responsabilité.

Ma première lecture de l’oeuvre m’a ainsi donné l’impression que Tagaq, loin de fermer la porte aux non-initié·es, disséminait plutôt différents points d’accroche, m’invitant à prendre entre mes mains la responsabilité d’apprendre, de m’éduquer, de me conscientiser en vue d’entrer en dialogue avec son œuvre en ses propres termes. Néanmoins, Split Tooth entretient indéniablement des zones d’inintelligibilité, peut-être pour nous rappeler, comme l’observe Daniel Heath Justice,

that not all things are meant for all people. There are boundaries to some forms of knowledge; to insist that all things should be available without limit to everyone is to exercise a particularly corrosive kind of universalizing colonialist privilege; claiming entitlement to all peoples’ knowledge is, after all, just one of the many expropriating features of settler colonial violence. Fortunately, even while respecting boundaries on certain knowledge, there is still an ample and growing archive available for all of us to read, experience, share, and understand together (2018: 25, je souligne).

Dans ce contexte, il me semble que les littératures présentent une double potentialité en ce que les sortilèges qu’elles tissent offrent des possibilités d’ouverture et de renfermement, de convergences et de recentrements. C’est donc à partir de ces trajectoires paradoxales et complémentaires que je souhaite dialoguer avec le texte de Tagaq en tâchant de tresser trois fils : celui de la vulnérabilité, de l’opacité et de l’émerveillement. Je commencerai par esquisser, tout d’abord, les contours de ma posture de chercheuse, pour ensuite réfléchir à la notion de vulnérabilité telle que proposée par Erinn Gilson (2011), Laurie Gagnon-Bouchard et Camille Ranger (2020). Je poursuivrai mon exploration en interrogeant les différents effets de Split Tooth en tant que cypher, cet espace créatif décolonial, enclos et dynamique dont parle Jarrett Martineau (Nêhiyaw/Denesųłiné) (2011). Je m’intéresserai, entre autres, aux manières dont les littératures, en faisant advenir des émotions où il n’y avait auparavant que de l’abstrait, peuvent participer au développement d’une éthique relationnelle de la vulnérabilité4Un merci tout spécial à Laurie Gagnon-Bouchard, qui a été la première à m’initier à cette notion ainsi qu’aux questionnements et enjeux qui l’entourent. Merci aussi à Camille Ranger qui, tout comme Laurie, a gentiment accepté de réviser le présent article. À la suite de votre texte « Reclaiming Relationality through the Logic of the Gift and Vulnerability », vos commentaires et réflexions ont été d’une grande aide et ont fortement inspiré les propositions développées ici. (Gagnon-Bouchard et Ranger 2020) autant dans leur potentiel à ouvrir des espaces de (ré)imagination à même d’accueillir des dialogues véritablement guérisseurs et égalitaires que par les processus d’apprentissages décolonisateurs qu’elles peuvent motiver. Finalement, je terminerai en examinant, en compagnie de Daniel Heath Justice (Cherokee), le rôle central que joue l’émerveillement au sein de ces processus. 

Ne prétendant pas présenter ici une analyse approfondie de Split Tooth, je cherche plutôt à (re)tracer les grands traits des réflexions et questionnements que ma première rencontre avec cette œuvre a fait germer. En ce sens, les lignes qui suivent se donnent à lire comme un carrefour de voix plurielles, comme un portrait fragmentaire des ramifications intertextuelles et réelles qui se sont intuitivement esquissées au gré de ma lecture. Si les citations prolifèrent parfois quelque peu vertigineusement, c’est pour rendre honneur à la diversité des points de vue dont elles sont porteuses, à la texture de chaque parole en elle-même et pour elle-même. Ce foisonnement référentiel était aussi une tentative de (re)centrer, sans me les approprier, les perspectives de personnes Autochtones, une manière d’exprimer ma gratitude pour ces auteurices et penseureuses qui, en partageant généreusement leurs visions du monde, m’ont permis d’apprendre, de cheminer.

   

Faire connaissance : Mise à l’écoute, positionnement et vulnérabilité

J’ai fait la rencontre de Split Tooth alors que je cherchais les textes qui composeraient mon corpus de thèse. Dans la mesure où mes recherches explorent la convergence de la magie et des littératures en vue d’interroger comment celles-ci participent à ouvrir des espaces de rencontres vraies et réciproques, de même qu’à cultiver les facultés sensibles et relationnelles que de telles rencontres requièrent, il m’importait que les ouvrages sélectionnés témoignent de la richesse, de la diversité des pratiques magiques telles qu’elles s’actualisent au sein de nombreuses spiritualités animistes. Je suis donc partie en quête de ces écritures aux vibrations uniques et saisissantes car, au-delà des écrivain·es qui les ont produites, c’est d’abord avec les œuvres elles-mêmes – matérialisations autonomes, dotées d’une voix et d’une agentivité propres – que la littéraire que je suis entre en dialogue. Sans jamais perdre de vue les corps et les vécus uniques dont ils émergent, il m’apparait ainsi primordial d’aborder chaque écrit dans son individualité en adoptant cette réceptivité spéciale, méditative, voire érotique, dont parle Joséphine Donovan, en s’appuyant sur les travaux de Steven Kepnes :

[A]pproach[ing] the text in a nondominative, nonviolent way […] requires special receptivity – one might say an erotic responsiveness […]. In short, «interpreting a form of spirit requires us to face the work as we face another being. We open our senses to it, to its particularities, to its total gestalt. We allow it to move us, to confront us, to speak to us. We try to perceive its special message and disclosure of reality». (Kepnes 1992, dans Donovan 1998: 85, je souligne)

Une des particularités des études littéraires réside conséquemment dans cette nécessité de laisser les textes guider quels angles, quelles approches sont à privilégier; aller à la rencontre d’une œuvre avec un cadre théorique prédéterminé ne résulte, la plupart du temps, qu’en un placage improductif – voire violent – d’un discours sur un autre plutôt qu’en un réel dialogue. Considérant que l’acte de lecture sous-entend nécessairement la fixité – sous forme textuelle – d’un des pôles communicationnels, le dialogue qui en émerge se révèle inévitablement influencé par la subjectivité de la personne qui lit. Il m’importe donc de toujours garder cette notion en tête en vue d’interroger mes biais et angles-morts et d’éviter de reproduire, dans ma vie comme dans mes analyses, des rapports de domination et d’exploitation. En ce sens, je tâche de ménager en moi un espace où chaque création peut se déposer, prêtant l’oreille aux résonances et dissonances qui émergent comme autant de constellations dont les lumières et zones d’ombre déterminent les pistes à suivre, les apprentissages à faire, les questions à poser.

Split Tooth a ouvert un univers mystérieux, puissant et élusif dont les sonorités, images et formes ne se présentaient à moi que pour mieux se dérober l’instant suivant, ne laissant distinguer que de vagues contours qui, par contraste, rendaient les zones de flou encore plus obscures. D’une page à l’autre, je filais les mots, intriguée et troublée par cette écriture dont les profondeurs me demeuraient résolument inaccessibles. Je lisais cette œuvre comme on marche sur une mince couche de glace, vivifiée et vulnérable, m’ouvrant à l’immensité des territoires – imaginaires, culturels, spirituels, linguistiques, politiques, théoriques – jusqu’ici inconnus qui défilaient sous mes yeux. Pour ce récit unique et vibrant – et, bien sûr, pour sa créatrice – j’éprouve une incommensurable reconnaissance dans la mesure où il s’est révélé l’impulsion, le choc, dont j’avais désespérément besoin pour dépasser le constat vertigineux et paralysant de mon ignorance quasi-complète des réalités, aspirations, enjeux et imaginaires propres à chacune des Premières Nations et aux Inuit et enfin me mettre en mouvement. Envoutée par cette écriture dont je ne déchiffrais qu’une part infime, j’ai eu envie de me laisser porter par son étrangeté, de me rendre disponible à la force vive de son opacité pour voir jusqu’où celles-ci me mèneraient. Avec les mots de Tagaq pour guides, j’ai donc fait une première incursion dans les foisonnants champs des études et résurgences Autochtones.

Une incursion qui s’est révélée beaucoup plus difficile et confrontante que je ne l’avais envisagé au départ, alors que chaque nouvelle lecture exposait davantage les fondements coloniaux, racistes, cishétéropatriarcaux et capitalistes sur lesquels repose la société canadienne. En tant que femme cisgenre, pansexuelle, neurodivergente et blanche socialisée et évoluant dans les structures du colonialisme d’occupation, mon positionnement privilégié m’a souvent permis de camoufler certains aspects de mon identité – de « passer » comme hétérosexuelle ou neurotypique. Ce faisant, j’ai pu continuer à vivre dans cette ignorance passive et confortable face aux oppressions, exploitations, violences et invisibilisations qui touchent chaque jour les personnes Autochtones, Noires et de Couleur, des Suds, LGBTQIA2S+, différemment capables, autres qu’humaines, économiquement désavantagées, tout en bénéficiant – et ce, encore à ce jour – d’opportunités, d’avantages et de reconnaissances symptomatiques de ces inégalités. Puisque plusieurs d’entre eux ne me touchaient pas directement, j’ai pu conserver une posture distante, désinvestie, par rapport à ces enjeux, en me convainquant qu’ils ne me concernaient pas, qu’ils étaient les problèmes des autres, que, vraiment, je n’avais rien à voir là-dedans et que ce n’était toujours pas de ma faute si le monde était en si piteux état… Tous des raisonnements qui participent de ce que plusieurs, dont Julietta Singh, nomment la logique de maitrise5C’est à partir de cette notion qu’Erinn Gilson (2011) et Gagnon-Bouchard et Ranger (2020) développent leurs réflexions autour de la vulnérabilité. Voir aussi Val Plumwood (1994) Feminism and the Mastery of Nature. (logic of mastery), fondée sur une organisation dichotomique et hiérarchisante du monde : « The splitting that is inherent to mastery, the fracturing that confirms and inaugurates it, and the ongoing practices of subordination that drive it forward are inescapable in the foundational thinking of the subject of modern political thought. » (2018: 13) Logique de maitrise qui repose, plus encore, sur le déni, l’effacement de toute forme de « [relationality or] dependency on whom and what has been devalued (nature, the sphere of reproduction, women, the work of colonized and racialized people, and so forth). » (Gagnon-Bouchard et Ranger 2020: 46) Ce faisant, c’est aussi leur propre vulnérabilité – comprise comme une condition indésirable, comme une faiblesse qui, de ce fait, ne peut appartenir qu’aux autres infériorisé·es – que les sujets dominant·es désavouent. À cet égard, Erinn Gilson remarque :

One of the effects of the presumed understanding of vulnerability as susceptibility to harm is that vulnerability is often disavowed and […] projected onto others with whom one disidentifies. […] [T]his disavowal is a form of cultivated ignorance rather than a conscious and deliberate rejection. In particular, ignorance of vulnerability is generated through the achievement of invulnerability as a desirable character trait and form of subjectivity. […] The denial of vulnerability can be understood to be motivated by the desire – conscious or not – to maintain a certain kind of subjectivity privileged in capitalist socioeconomic systems, namely, that of the prototypical, arrogantly self-sufficient, independent, invulnerable master subject. (2011: 312, je souligne)

C’est précisément à travers cette ignorance cultivée, que les privilégié·es peuvent entretenir le mythe de leur invulnérabilité, une illusion qui les autorise à « ignore those aspects of existence that are inconvenient, disadvantageous, or uncomfortable for us » (2011: 313) et qui m’a permis – et me permet sans doute encore parfois – de détourner les yeux, de demeurer dans la sécurité illusoire de l’invulnérabilité.

Devant cette réalisation, comment, alors, sortir de l’ignorance? Comment dépasser la culpabilité, la honte, l’impuissance paralysantes qui m’habitent pour participer au développement de solidarités, de dialogues véritables? En ce sens, comment éviter de reproduire les violences de ces féministes blanc·hes passé·es et présent·es qui, quand iels ne priorisent par leurs propres intérêts aux dépens des luttes et revendications portées par des personnes différemment situées, cooptent, dénaturalisent et effacent leurs voix, expériences et réflexions au nom d’une prétendue « sororité » ou « solidarité »? Si ces actions sont bien souvent involontaires, elles sont néanmoins problématiques et lourdes de conséquences. Ainsi Leanne Betasamosake Simpson (Michi Saagiig Nishnaabeg) rétorque-t-elle justement, à cette rhétorique « solidaire » que tiennent, sans examen critique ni action concrète, nombre de femmes blanches :

Genocide sets up a clear dichotomy in which, unless white women are willing to divest themselves of the power of being white, there is no marginal space with Michi Saagiig Nishnaabeg women. Describing interactions between white women and Mississauga women as “experimental and not oppositional” is a fiction that exists in white women’s theorizing themselves out of responsibility for benefiting from and replication of the gendered violence of colonialism through assumed allied spaces of women-to-women contact zones. (2017: 100)

Par où commencer pour suivre ces conseils et me défaire du pouvoir de ma blanchité? Selon Laurie Gagnon-Bouchard et Camille Ranger, réfléchissant, entre autres, avec Gilson, cette démarche débute par un retour à une compréhension non strictement négative de la vulnérabilité, en repositionnant cette dernière comme condition primordiale et partagée par l’ensemble du vivant, celle-là même qui détermine l’expérience de toute forme de relationnalité :

[V]ulnerability underlies a promising relational ethics in order to deconstruct masterful subjectivity and reconstruct ourselves as beings who fully recognize their relational constitution. […] « On this account, vulnerability is a basic kind of openness to being affected and affecting in both positive and negative ways », putting forward the fundamentally relational nature of our being-in-the-world. […] [A]s Gilson shows, the conditions of vulnerability and relationality of human existence are not simply a gauge of « negative » experiences such as the possibility of being injured, but are also the necessary condition of positive experiences such as love, friendship, and solidarity. Vulnerability thus appears to be the very condition through which we experience relationality. (Gilson 2011, dans Gagnon-Bouchard et Ranger 2020: 52)

Si la vulnérabilité est effectivement commune à chacun·e d’entre nous, offrant de ce fait de nombreuses potentialités de (re)connexions et d’alliances, les autrices insistent aussi sur la multiplicité des manières dont elle est expérimentée. Sur cette question, Gilson note :

[V]ulnerability is part of the shared human condition insofar as we are all social and embodied beings, insofar as we are receptive and impressionable in myriad ways. The different ways in which vulnerability will be lived and experienced, the ways in which we will be affected, and thus the meaning that vulnerability will have, however, can be understood only in light of the particularity of embodied, social experience. (2011: 311)

En ce sens, je reconnais que le refus de la logique de maitrise et du mythe de l’invulnérabilité pour me réclamer d’une posture vulnérable et solidaire n’est que le début d’un – très certainement – confrontant processus de décolonisation, d’émancipation de mon regard, de ma pensée, de ma pratique qui m’accompagnera toute ma vie. Débutante, je m’engage dans cette entreprise avec ouverture et humilité, déterminée à prêter oreille et à prendre responsabilité. Puisque que tout apprentissage part de l’acceptation de ne pas savoir, j’en appelle donc – pour ce premier dialogue et pour tous ceux qui suivront – à cette posture de vulnérabilité épistémique formulée par Gilson : 

[E]pistemic vulnerability begins with being open to not knowing, which is the precondition of learning. Second, it is an openness to being wrong and venturing one’s ideas, beliefs, and feelings nonetheless. To refrain from interaction, to abstain from dialogue because one fears that one does not know is simply another way of closing oneself off. Third, epistemic vulnerability entails the ability to put oneself in and learn from situations in which one is the unknowing, foreign, and perhaps uncomfortable party. […] Without an acceptance of the genuine value of discomfort and the real necessity of immersing oneself in situations in which one does not normally find oneself, learning does not happen. Fourth and relatedly, the concept of epistemic vulnerability calls attention to the affective and bodily dimensions of knowledge. […] To be epistemically vulnerable, therefore, is not just to be open to new ideas, but to be open to the ambivalence of our emotional and bodily responses and to reflecting on those responses in nuanced ways. […] Last, one must be open to altering not just one’s ideas and beliefs, but one’s self and sense of one’s self. (325-326: l’autrice souligne)

Déstabilisée que j’ai été par ce contact initial avec Split Tooth, il m’apparaissait important d’interroger les ramifications et potentialités – de décolonisation, de conjurations, d’apprentissages, de dialogues – en germe dans cet inconfort. Ce faisant, je souhaite prendre les rênes de ma propre éducation, dans le respect et la compréhension que certaines connaissances demeureront, pour moi, inaccessibles, opaques. Puisque c’est sous l’égide de cette opacité – comprise simultanément comme pratique artistique, droit inaliénable, tactique et effet de lecture – que ma rencontre avec ce texte s’est déployée, j’ai choisi de centrer mon analyse autour de cette question en proposant, plus spécifiquement, d’appréhender le poème en Innuinaqtun – retrouvé en page 53 – en tant que manifestation de ce que Jarrett Martineau nomme, dans Creative Combat (2011), le cypher.

  

À la jonction du visible et de l’inintelligible : le cypher

Simultanément opaque et hautement visible6Ce livre, rapidement devenu un best-seller, est aussi récipiendaire de nombreux prix (Indigenous Voices Award for Published Prose in English 2019) et nominations (Scotiabank Giller Prize 2018, Kobo Emerging Writer Prize 2019, etc.). Voir Penguin Random House Canada, [En ligne], https://www.penguinrandomhouse.ca/books/534654/split-tooth-by-tanya-tagaq/9780143198055, Page consultée le 17 février 2022., Split Tooth correspond effectivement bien à la notion de cypher qui, à la fois œuvre et pratique artistique,

is animated in a contradictory mode of communicativity that, at once, seeks an audience to engage its spectacular practices and commodity forms while it develops, simultaneously, a language for enciphered articulations of experience that limits its intelligibility and coherence to an internal community of practitioners and listeners, or those « in the know. » (Martineau 2011: 157-158)

Martineau en appelle ici au droit à l’opacité cher à Édouard Glissant, positionnant le cypher comme une manière, pour les artistes appartenant à des groupes marginalisés, de rejeter la tendance sémiocapitaliste « [that] produces the desire to know, to see, to make visible, to objectify and commodify » (158) en lui préférant cet espace de création alternatif dont peuvent émerger des oeuvres héritières des systèmes de valeurs et de sens propres à leurs communautés. C’est dire que ces productions aussi facilement accessibles que difficilement décodables font fi des exigences de la société de la transparence (transparency society7Martineau emprunte cette notion au philosophe Byung-Chul Han. Voir Byung-Chul Han (2015) The Transparency Society.) qui demande « the absolute knowability, legibility, and visibility of the Other. » (Loock 2012, dans Martineau: 46) Alors que chaque jour marque la disponibilité grandissante d’une quantité virtuellement infinie d’informations et de productions culturelles dont la consommation nourrit l’impression qu’il est effectivement possible, et même désirable de tout connaitre, de tout comprendre, l’opacité des œuvres-cyphers met un frein à ce privilège colonial universalisant (Heath Justice 2018: 25, je traduis) réclamant l’accès illimité à l’ensemble des savoirs. En refusant de se livrer entièrement du premier coup – voire jamais –, ces dernières font retour et honneur au caractère fondamentalement partiel, limité, situé de nos perceptions et connaissances, en en faisant la source de leur richesse. Ce faisant, cette opacité décoloniale et résistante entre en tension avec celle qui, aux côtés de l’invulnérabilité, participe de la subjectivité dominante (masterful subjectivity) et de son « regard conquérant qui ne dépend d’aucun point de vue particulier. Le regard mythique qui inscrit tous les corps marqués permet à la catégorie non marquée de prétendre voir sans être vue, de représenter alors même qu’elle échappe à la représentation. » (Haraway 2009 [1991]: 332) Dans ce contexte, la (ré)appropriation de l’inintelligibilité qu’opèrent les artistes à travers le cypher se révèle une stratégie efficace pour riposter aux « attempts of hegemonic centres to remain opaque, while at the same time maintaining the surveillance of marginal elements in society. » (Stoetzler et Yuval-Davis 2002: 319)

  

Une clé: travail de convergence, puissance de conjuration

S’appuyant sur la pensée d’Imani K. Johnson, Martineau remarque par ailleurs, que « at its most technical level, the cypher also refers to forms of encoded writing “for which one needs a key to understand”. » (Johnson 2009, dans Martineau 2011: 161) Un aspect qui est, justement, exploré par Split Tooth au moment où le récit d’un cours d’Inuinnaqtun se trouve supplémenté d’un syllabaire – cette charte permettant de passer des symboles aux sonorités d’une langue donnée. Lorsque, quelques pages plus loin, ce fragment se clôt sur un poème en ᐃᓄᒃᑎᑐᑦ/qaniujaaqpait (système d’écriture syllabique Inuktitut8Pour en savoir plus sur ce système, voir le site web Tusaalanga : [En ligne], https://tusaalanga.ca/node/2506, Page consultée le 17 février 2022.), il m’a semblé que le texte me mettait au défi d’user de l’outil préalablement mis à ma disposition pour opérer une translittération approximative.

Premier essai de translittération du poème retrouvé dans Split Tooth

Premier essai de translittération du poème retrouvé en page 53 de Split Tooth (archives personnelles)

Ce faisant, j’ai senti que l’oeuvre m’encourageait à l’expérimenter plus activement dans la mesure où cette translittération, réclamant un travail de déchiffrement et de retranscription, m’invitait à sortir de ma réceptivité méditative ou spéciale (Donovan 1998: 85, je traduis) en la mettant en acte, me demandait de manifester cette disponibilité volontaire et bienveillante dont je me réclame dans la concrétude du faire. Or, si la « clé » de ce cypher m’était fournie, elle ne permettait en aucun cas de dissiper entièrement son opacité. À ce premier niveau d’inintelligibilité, d’ordre alphabétique, succédait rapidement un second, beaucoup plus complexe: celui de l’Inuinnaqtun en tant que langue à part entière. Ainsi le sens demeurait-il, pour moi, insaisissable, confortablement camouflé dans ses sonorités. La translittération est alors apparue comme la première étape d’une démarche beaucoup plus longue de recherche, d’implication, d’acquisition des compétences et connaissances nécessaires pour accéder à ces autres niveaux de sens. Le message était clair: n’entre pas qui veut au sein du cypher; il faut travailler, se déconstruire, donner de soi pour y mériter sa place. Devant ce constat, les réflexions de Sandra Harding – figure phare des standpoint theories – me sont revenues en mémoire:

[T]his approach challenges members of dominant groups to make themselves « fit » to engage in collaborative, democratic, community enterprises with marginal peoples. Such a project requires learning to listen attentively to marginalized people; it requires educating oneself about their histories, achievements, preferred social relations, hopes for the future; it requires putting one’s body on the line for « their » cause until they feel like « our » causes; it requires critical examination of the dominant institutional belief and practices that systematically disadvantage them; it requires critical self-examination to discover how one unwittingly participates in generating disadvantage to them… and more. […] We can choose which historical lineage to claim as our own. (1992: 458, je souligne)

S’il vise d’abord à mettre en place un cercle sécuritaire où les personnes en son centre peuvent s’exprimer et créer librement, le cypher peut aussi agir comme un miroir brandi aux personnes qui se retrouvent à l’extérieur. Prise comme une invitation à l’introspection et à l’examen critique, l’opacité peut ensuite devenir l’étincelle qui motive des efforts de convergence sincères: par les limites qu’elles tracent, les conjurations éclairent par contraste les régions où des transformations doivent prendre place. En refusant de fournir des instructions claires, ces sortilèges sont aussi des appels à la responsabilité. Ils demandent de nous une réponse intégrale, c’est-à-dire, dans un premier temps, un travail réel et incessamment renouvelé de convergence entre nos valeurs, nos paroles et nos gestes et, dans un second temps, une détermination à travailler pour que notre trajectoire individuelle s’aligne constructivement avec les luttes des communautés et les aspirations des personnes dont nous souhaitons être les allié·es. Ce sont dans ces trajectoires candides vers l’Autre, vers l’extérieur, vers l’inconnu·e que se retissent les liens, que cicatrisent les blessures qui, une fois nommées et reconnues, peuvent devenir le terreau de nouvelles relationnalités.


Doublement effective, l’opacité du cypher agit aussi comme moteur de dévoilement. En repositionnant la périphérie comme centre, elle déplace effectivement le faisceau du visible, faisant éclater au grand jour précisément ce que les centres hégémoniques (Stoetzler et Yuval-Davis 2002: 319, je traduis) cherchent à camoufler: les oppressions, les violences, les injustices sur lesquelles reposent nos (infra)structures sociales. Cette dynamique d’in/visibilisation est, selon moi, typique des sortilèges de conjurations qui, dans le cadre de la sorcellerie, sont performés en deux temps: la purification/bannissement et la consécration d’un cercle de protection. Le pouvoir des conjurations se fonde donc sur un des principes fondamentaux de la magie, à savoir que « knowing something’s name gives us power – not over it, but with it. What we name must answer to us; we can shape it if not control it. Naming the stories, we can see how they shape us, and awareness is the first step toward change. » (Starhawk 1988 [1982]: 23) Dans le cas qui nous intéresse ici, le poème de Tagaq, surtout quand il est abordé dans ses relations avec les autres dispositifs narratifs retrouvés dans ce chapitre, braque une lumière crue sur les impacts de la dépossession coloniale. Alors que les chiffres de Statistique Canada indiquent que seulement 1310 personnes sont, à ce jour, capables de converser en Inuinnaqtun (2017), l’inclusion d’un poème dans cette langue rend d’autant plus poignantes les souffrances et la déconnexion liées à sa perte. À ce sujet, la narratrice de Split Tooth confie :

I feel deficient in this [Innuinaktun] class. My mother never speaks to me in Inuktitut anymore. Residential schools have beaten the Inuktitut out of this town in the name of progress, in the name of decency. Everyone wanted to move forward. Move forward with God, with money, with white skin and without the shaman’s way. It made me wonder what was not being taught. It made me wonder why the teachings I was receiving felt like sandpaper against my skin. It made me sad to have Inuktitut slip away. (Tagaq 2018: 50, je souligne)

En l’espace de quelque pages, Tagaq parvient ainsi à mettre en place – en agençant narration, syllabaire et poème – un puissant sortilège littéraire capable de susciter, de faire expérimenter – bien qu’évidemment de manière partielle – ce sentiment de déficit décrit par la narratrice. Dans la concrétude de ce poème qui s’offrait à ma vue tout en se refusant à ma compréhension, les conséquences et ramifications de la dépossession violente opérée par le système colonial m’ont frappée avec une force inédite. Là où ne se trouvait, jusqu’alors, qu’une compréhension abstraite, distante, de ces enjeux, Split Tooth – tout comme les poésies de Natasha Kanapé Fontaine (Innue), Beth Cuthand (Paskwāwiyiniwak), Marie-Andrée Gill (Ilnue), Joy Harjo (Mvskoke) ou Gwen Benaway (Anishnaabeg/Métis) – leur a donné une consistance, une charge émotive bien réelles. Par leur capacité indéniable à toucher, à nous affecter – pour faire écho à la conception de la vulnérabilité formulée par Gilson – ces œuvres exemplifient bien le potentiel relationnel et transformateur des sortilèges littéraires. Car, loin de conditionner une appropriation des affects et voix d’autrui, les œuvres stimulent les facultés – imagination, responsabilité, sensibilité, émerveillement, pouvoir-avec et pouvoir-du-dedans – centrales à toute relation vraie et réciproque. Autrement dit,  « literature does not help us to “identify” with others; it helps us to experience nonpreexisting relations and to form new habits of relating that alter the possible configurations of self and community that inform social practice. » (Gaskill 2008: 174) Cette capacité dynamique à faire surgir des émotions – expériences intimes de la relationnalité – des profondeurs de chacun·es d’entre nous fait des littératures des alliées précieuses pour «reconstruct worlds in which relationality between all elements of Creation […] guides our actions, our discourses, and our experiences» (Gagnon-Bouchard et Ranger 2020: 43), pour faire retour aux éthiques relationnelles ou animistes.

  

Symbiose : conjurations et recentrements

La magie des littératures émane aussi, sans doute, de la relation étroite qu’elles entretiennent avec la faculté d’imagination. Dans leurs dimensions contingentes, les sortilèges littéraires ouvrent effectivement des espaces alternatifs, potentiellement libérés des limitations et problématiques du réel. Si ces dernières sont dépeintes, c’est souvent pour être mieux confrontées, déconstruites ou réinventées par ces créations qui s’offrent comme autant d’excursions hors des structures de domination qui organisent tant nos pensées que nos sociétés. Revenant, encore une fois, à la conjuration opérée à travers l’agencement du poème, de la narration et du syllabaire, il semble que Tagaq emploie aussi ces tactiques pour exposer, en vue de le remettre en question, ce narratif toxique de déficit qu’identifie Daniel Heath Justice dans Why Indigenous Literatures Matter :

Many of the stories about Indigenous peoples are toxic, and to my mind the most corrosive of all is the story of Indigenous deficiency. […] According to this story, Indigenous peoples are in a state of constant lack: in morals, laws, culture, restraint, language, ambition, hygiene, desire, love. […] Perhaps the most wounding way in which this story of Indigenous deficiency works is in how it displaces our other stories, the stories of complexity, hope, and possibility. […] So how do we find the strength and the trust to tell different kinds of stories? Stories that are truthful about who we are, stories that connect us to the world, one another, and even ourselves? (2018, 2-4: l’auteur souligne)

La narratrice mentionne les causes et conséquences de ce sentiment de déficit pour mieux rendre aux colonisateurices ce qui leur appartient, à savoir la responsabilité de ces violences ainsi que toute la souffrance et la honte que leurs actes ont engendrées. Or, comme le remarque Betasamosake Simpson, l’acte même de nommer9Les résonances avec le principe magique du pouvoir de nommer mentionné plus tôt sont innombrables. Bien que l’exploration de ces résonances soit des plus passionnantes, elle nécessiterait une mise en contexte un peu trop extensive pour être incluse dans le présent article. Évidemment, j’examinerai ces questions en profondeur dans le cadre de ma thèse et, très certainement, dans de prochaines publications. – conjurant les stéréotypes, les traumas, les blessures – permet non seulement la compréhension et les déconstructions, mais ouvre aussi la voie à une multiplicité de points de vue et récits alternatifs qui célèbrent, guérissent et recentrent les voix, réalités et vécus Autochtones (2017: 83-94). Les questions posées par Heath Justice semblent ainsi trouver dans le cypher une piste de solution prometteuse alors que l’actualisation qu’en fait Split Tooth participe indéniablement à la création – ou au recentrement – de récits célébrant et priorisant les vies et visions dont l’Innuiaqtun – un des multiples lieux où les identités Inuit se (ré)actualisent constamment – est porteur.

Dans cette optique, la déconstruction des tropes coloniaux semble plutôt un objectif secondaire du cypher qui, nous dit Martineau, tient surtout d’un refus créatif (creative negation) du système colonial en son entier10« The cypher is, thus, a space of decolonial potentiality, resistance, and resurgence that instantiates an Indigenous politics of affirmative refusal, or what I term elsewhere, creative negation, in which the circle is formed by the cypher’s participants as a turning away from the colonial gaze and recognition, and toward the self-generating space of the emergent community within the circle, inside the cypher. » (Martineau 2011: 166, l’auteur souligne). Participant d’un mouvement de résurgence plus vaste, ce dernier se veut d’abord et avant tout un espace sécuritaire de créativité et de (ré)invention centré sur la communauté qui l’entretient :

The cypher […] is a practice of worlding and re-worlding […] that admits the need to defend its perimeter from external encroachment […] while recentering the collective power of its interior communalism. Cyphers are resurgent circles, decolonizing spaces of artistry and agency. (Martineau 2011: 164, je souligne)

Dans le cypher, je vois donc une représentation admirable de la relation de symbiose unissant les conjurations et les recentrements. Car il semble que ce soit de la récalcitrance fondatrice de la conjuration – ce refus de continuer à définir, ni par opposition, ni par tentative de transformation, son identité et ses aspirations dans les termes du pouvoir-sur – que naissent les recentrements. Recentrements qui, en nous (re)mettant en contact avec le pouvoir-du-dedans (Starhawk 1988 [1982]), avec la valeur sacrée, intrinsèque et inaliénable de nos vies, avec la force de vie et de joie qu’Audre Lorde nomme l’érotique11La notion d’érotique développée par Lorde dans son essai fondamental, « Uses of the Erotic » (2007 [1984]) dépasse largement la description qu’en fournit Donovan lorsqu’elle conceptualise la posture de réceptivité de lecture mentionnée plus tôt. Chez Lorde, l’érotique est une ontologie à part entière, un mode de conscience qui entre en résonance, à de nombreux égards, avec le concept d’immanence tel que formulé par Starhawk (1988 [1982]; 1989). Bien qu’elle s’inspire entre autres des réflexions de Carol Bigwood, elles-mêmes inspirées de celles de Lorde, Donovan retient surtout de l’érotique les dimensions sensibles et intuitives. L’érotique devient alors synonyme d’une disponibilité encorporée aux oeuvres et au monde vivant, une qualité d’attention participant d’une éthique écoféministe plus vaste: « The task, therefore, as I see it, for ecofeminist critics, writers, scholars, and teachers is to encourage the development of forms of attention that enhance awareness of the living environment, that foster respect for its reality as a separate, different, but knowable entity. » (Donovan 1998: 92), deviennent à leur tour moteurs d’autres conjurations, mais aussi de relations durables et solidaires avec soi-même comme avec autrui:

That self-connection shared is a measure of the joy which I know myself to be capable of feeling, a reminder of my capacity for feeling. […] For once we begin to feel deeply all the aspects of our lives, we begin to demand from ourselves and from our life-pursuits that they feel in accordance with that joy we know ourselves to be capable of. […W]hen we begin to live from within outward, in touch with the power of the erotic within ourselves, and allowing that power to inform and illuminate our actions upon the world around us, then we begin to be responsible to ourselves in the deepest sense. For as we begin to recognize our deepest feelings, we begin to give up, of necessity, being satisfied with suffering and self-negation, and with the numbness which so often seems like their only alternative in our society. Our acts against oppression become integral with self, motivated and empowered from within. (Lorde 2007 [1984]: 57-58)

Quand ils émanent de cette source, de cette vision érotique, les sortilèges littéraires – dans leur capacité à générer des mondes alternatifs, à imaginer de nouveaux possibles – rejoignent le cypher, faisant advenir un territoire au potentiel d’innovation et de (ré)appropriation immense, et ce, surtout quand les frontières entre les genres, entre le réel et la fiction s’en trouvent brouillées. Constatant l’investissement grandissant du champ de la fiction spéculative par les auteurices Autochtones, Daniel Heath Justice propose ainsi le concept de wonderworks pour rendre compte du caractère fondamentalement révolutionnaire et inclassable de ces productions littéraires, mais aussi de la spécificité des systèmes de sens dans lesquels elles s’inscrivent :

« [W]onderworks » is a concept that offers Indigenous writers and storytellers something different and more in keeping with our own epistemologies, politics, and relationships. It’s a term that gestures, imperfectly, toward other ways of being in the world, and it reminds us that the way things are is not how they have always been, nor is it how they must be. […] [W]onderworks […] allow us to imagine a future beyond settler colonial vanishings, a future where we belong. (2018: 152-153) 

S’inscrivant parfaitement dans cette catégorie, Split Tooth réussit, par son hybridité formelle, sa narration oscillant entre les mondes visibles et invisibles, son (ré)investissement de la langue et du folklore Inuk dans tout leur mystère et leur magie et plus encore, à susciter ce sentiment d’émerveillement (wonder) dont parle Heath Justice :

« Wonder » […] is a word rooted in meaningful uncertainty, curiosity and humility; it places unsolvable mystery, not fixed insistence, at the heart of engagement. […] Etymologically, « wonder » is of uncertain origin, but always keeps astonishment, admiration, and even a bit of mindful fear at its core. Wondrous things are other, and otherwise; they’re outside the bounds of the everyday and mundane, perhaps unpredictable, but not necessarily alien, not necessarily foreign or dangerous – but not necessarily comforting and safe either. (153, l’auteur souligne, les caractères gras sont de moi)

Nourri par cette curiosité candide et fondamentalement réceptive à l’inconnu, l’émerveillement, me semble-t-il, fait partie de ces facultés guérisseuses et empowering qui renouvellent nos regards, éclairent le connu d’une lumière neuve, élargissant ses horizons, tout en permettant d’y conserver des zones d’opacité. À la suite de Heath Justice, je suis convaincue que l’émerveillement participe à ouvrir cet espace imaginaire et imaginatif au sein duquel d’autres présents, d’autres futurs peuvent être envisagés. Dans cet univers où les frontières se brouillent, de nouvelles rencontres peuvent advenir, de nouvelles alliances peuvent être formées, donnant lieu à des formes inédites de relationnalité prêtes à trouver leur place dans le réel. Puisqu’il apparait au contact de ce qui est autre ou autrement (Ibid., je traduis), l’émerveillement recentre nécessairement les relations toujours déjà présentes et opératoires qui nous lient à l’altérité sous toutes ses formes, sans toutefois nourrir l’illusion que la compréhension absolue de l’autre est possible, voire souhaitable. Son ambivalence – à la fois refuge pour le sublime et l’inquiétant, l’admirable et l’inconfortable – entre bien en résonance avec celle de la vulnérabilité. À cet égard, la lecture de ces wonderworks peut sans doute être une manière de s’immerger dans ces situations inhabituelles et inconfortables propices aux apprentissages qu’Erinn Gilson positionne aux fondements de la vulnérabilité épistémique. En m’offrant l’opportunité de plonger dans cet imaginaire qui m’était totalement inconnu tout en refusant de se livrer entièrement à ma compréhension, le récit de Tagaq est indéniablement parvenu à activer ma faculté d’émerveillement. Émerveillement qui a, à son tour, éveillé ma curiosité, ma volonté de comprendre, tout en replaçant à l’avant-plan l’humilité et le respect du mystère qui doivent guider mes recherches. C’est dire qu’il a ouvert, pour moi, cette porte menant vers le processus d’apprentissage et de déconstruction responsable et autonome qu’il appartient à chaque personne allochtone d’entreprendre en vue de reprendre contact avec cette dimension relationnelle de la vulnérabilité, condition préalable à toute solidarité ou dialogue avec les Premières Nations et les Inuit.

  

En guise de conclusion: la responsabilité d’apprendre

Il est effectivement grand temps que les privilégié·es (re)prennent la responsabilité de s’éduquer puisque, comme Audre Lorde l’observe dans « Age, Race, Class, and Sex », celle-ci est encore très souvent imposée aux personnes opprimées:

Whenever the need for some pretense of communication arises, those who profit from our oppression call upon us to share our knowledge with them. In other words, it is the responsibility of the oppressed to teach the oppressors their mistakes. […] The oppressors maintain their position and evade responsibility for their own actions. There is a constant drain of energy which might be better used in redefining ourselves and devising realistic scenarios for altering the present and constructing the future. (2007 [1984]: 114)

C’est précisément pour ce refus créatif du système colonial afin de mieux incarner et pratiquer, dans le présent, des alternatives résurgentes et décoloniales que Leanne Betasamosake Simpson milite. Elle soutient, dans As We Have Always Done: « [W]e need to join together in a rebellion of love, persistence, commitment, and profound caring and create constellations of coresistance, working together toward a radical alternative present based on deep reciprocity and the gorgeous generative refusal of colonial recognition. » (2017: 9) Le choix de produire une œuvre-cypher peut donc être compris comme un rejet, de la part de Tagaq, de cette fonction drainante d’éducation afin de mieux réinvestir cette énergie dans la résurgence de sa propre communauté. Or, loin de signer l’impossibilité d’un dialogue, cet acte est plutôt une ouverture vers de nouveaux modes de rencontres et de relations centrés sur la vulnérabilité et nous guidant vers des apprentissages et échanges véritablement égalitaires et réciproques. Usant de l’opacité pour susciter à la fois émerveillement, inconfort, curiosité et humilité, Split Tooth invite ainsi chaque lecteurice allochtone à prendre la responsabilité de s’éduquer, de se rendre apte – pour reprendre les termes de Harding – à participer à ces constellations de co-résistance. Appréhendée de l’intérieur, la conjuration opérée par le cypher s’inscrit donc dans une dynamique de symbiose avec les recentrements qui s’actualisent en son centre; vue de l’extérieur, elle se fait à la fois limite et invitation aux convergences. Une invitation qui, si elle est entendue et surtout acceptée, peut marquer le commencement de ce processus de décolonisation de soi qui devient aussi une façon d’aller à la rencontre de l’Autre tout en respectant son inaliénable droit à l’opacité.

Dans le climat social actuel – où la surdité des privilégié·es et l’inertie des institutions limitent bien souvent les occasions de réels dialogues et la prise d’actions visant l’élimination des oppressions, je demeure persuadée que les littératures – en activant nos imaginaires pour renouveler nos perceptions du monde et nous replacer dans la relationnalité des expériences et des émotions qu’elles suscitent – peuvent contribuer à ouvrir ces espaces d’écoute, de guérison, de réflexion dont nous avons tant besoin. Alors que les artistes issu·es de groupes marginalisés (ré)investissent, (ré)inventent dynamiquement leurs formes pour recentrer leurs propres voix et systèmes de sens au bénéfice de leurs communautés, leurs créations opaques et résurgentes – graines de responsabilité et d’apprentissage – trouveront certainement, dans les cœurs disponibles et les consciences non-initiées, un terreau rendu fertile par la curiosité et l’émerveillement.

   

Références

Betasamosake Simpson, Leanne (2017) As We Have Always Done. Indigenous Freedom through Radical Resistance, Minneapolis: University of Minnesota Press, coll. Indigenous Americas.

Donovan, Josephine (1998) « Ecofeminist Literary Criticism: Reading the Orange », dans Gaard, Greta et Patrick D. Murphy (dir.) Ecofeminist Literary Criticism. Theory, Interpretation, Pedagogy, Urbana/Chicago: University of Illinois Press, coll. The Environment and the Human Condition, pp. 74-96.

Gagnon-Bouchard, Laurie et Camille Ranger. (2020) « Reclaiming Relationality through the Logic of the Gift and Vulnerability », Hypatia, vol. 35, pp. 41-57.

Gaskill, Nicholas M. (2008) « Experience and Signs: Towards a Pragmatist Literary Criticism », New Literary History, vol. 39, no 1, pp. 165-183.

Gill, Marie-Andrée (2019) Chauffer le dehors, Chicoutimi: La Peuplade, coll. Poésie.

Gilson, Erinn (2011) « Vulnerability, Ignorance, and Oppression », Hypatia, vol. 26, no 2, pp. 308-332.

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Stoetzler, Marcel et Nira Yuval-Davis (2002) « Standpoint Theory, Situated Knowledge and the Situated Imagination », Feminist Theory, vol. 3, no 3, pp. 315-333.

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Tusaalanga (s.d.) « Syllabics (qaniujaaqpait) », [En ligne], https://tusaalanga.ca/node/2506, Page consultée le 17 février 2022.

   

Révision scientifique et linguistique: Flora Roussel

  • 1
    Inuk est le singulier de Inuit. En phase avec la grammaire de l’Inuktitut, je n’accorderai pas le mot « Inuit » en genre et en nombre.
  • 2
    Bien que des négociations officielles visant le transfert des responsabilités de gestion des terres et des ressources naturelles aient été entamées en 2014, le gouvernement fédéral canadien conserve encore sa mainmise sur presque l’entièreté du territoire du Nunavut. Suivant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (1993), 83% des terres dites « de la couronne » tombent sous la juridiction du gouvernement fédéral. Si les 17% des terres restantes appartiennent « officiellement » aux Inuit, le gouvernement dispose encore des droits fonciers sur le sous-sol de 15% de cette proportion, ce qui l’autorise légalement à exploiter d’éventuels gisements qui pourraient s’y trouver. Autrement dit, seulement 2% de l’ensemble du Nunavut, soit 37 883 km2 sur un total de 2 093 190 km2 est véritablement et entièrement gouverné par les Inuit (Kikkert 2023 [2007] [En ligne]). Cet accord, le plus vaste règlement de revendications territoriales Autochtones dans l’histoire du canada, représente un énième exemple de la convoitise et du mépris des gouvernements fédéraux et provinciaux à l’égard des revendications des Premières Nations et des Inuit. À la lumière de ces observations, il m’apparait d’autant plus primordial de reconnaitre que le territoire de Tiohtià:ke – Mooniyang – Montréal, où j’habite et écris, est un territoire Autochtone non cédé. Historiquement et encore à ce jour, ces terres sont un lieu de rassemblement et de vie pour de nombreuses Premières Nations, dont la Nation Anishnaabeg et la Nation Kanien’kehà:ka, gardienne ancestrale des terres et des eaux. Au-delà de sa dimension protocolaire, je souhaite faire de cette reconnaissance territoriale un sortilège de solidarité et de guérison. Mes pensées sont avec toutes les femmes, filles, personnes bispirituelles et queer Autochtones qui, contre les violences et injustices genrées de la colonisation, continuent d’aimer, de créer, de lutter. Mes pensées sont avec toustes celleux qui, contre le pillage du territoire et la destruction écologique, continuent, déterminé·es, à « faire corps avec tout ce qui a de la misère à exister » (Gill 2019: 37), célébrant, encore et toujours, les relations qui nous unissent les un·es aux autres et à l’ensemble de la création.
  • 3
    Je travaille actuellement, dans le cadre de mes recherches doctorales, à l’élaboration d’une typologie des sortilèges littéraires inspirée des quatre éléments. Celle-ci se compose donc de quatre grandes familles : les convergences (air), les activations (feu), les conjurations (terre) et les recentrements (eau). Se déclinant en un ensemble de formes, motifs et thématiques, chaque famille s’inscrit d’ailleurs au sein de diverses relations de symbiose ou de polarité avec les autres. Ainsi, les sortilèges de conjurations et de recentrements entretiennent-ils une relation de symbiose dans la mesure où les forces de refus et d’opacité propres aux premiers trouvent leur pendant dans les mouvements de réappropriation et de réinventions mis en œuvre par les seconds.
  • 4
    Un merci tout spécial à Laurie Gagnon-Bouchard, qui a été la première à m’initier à cette notion ainsi qu’aux questionnements et enjeux qui l’entourent. Merci aussi à Camille Ranger qui, tout comme Laurie, a gentiment accepté de réviser le présent article. À la suite de votre texte « Reclaiming Relationality through the Logic of the Gift and Vulnerability », vos commentaires et réflexions ont été d’une grande aide et ont fortement inspiré les propositions développées ici.
  • 5
    C’est à partir de cette notion qu’Erinn Gilson (2011) et Gagnon-Bouchard et Ranger (2020) développent leurs réflexions autour de la vulnérabilité. Voir aussi Val Plumwood (1994) Feminism and the Mastery of Nature.
  • 6
    Ce livre, rapidement devenu un best-seller, est aussi récipiendaire de nombreux prix (Indigenous Voices Award for Published Prose in English 2019) et nominations (Scotiabank Giller Prize 2018, Kobo Emerging Writer Prize 2019, etc.). Voir Penguin Random House Canada, [En ligne], https://www.penguinrandomhouse.ca/books/534654/split-tooth-by-tanya-tagaq/9780143198055, Page consultée le 17 février 2022.
  • 7
    Martineau emprunte cette notion au philosophe Byung-Chul Han. Voir Byung-Chul Han (2015) The Transparency Society.
  • 8
    Pour en savoir plus sur ce système, voir le site web Tusaalanga : [En ligne], https://tusaalanga.ca/node/2506, Page consultée le 17 février 2022.
  • 9
    Les résonances avec le principe magique du pouvoir de nommer mentionné plus tôt sont innombrables. Bien que l’exploration de ces résonances soit des plus passionnantes, elle nécessiterait une mise en contexte un peu trop extensive pour être incluse dans le présent article. Évidemment, j’examinerai ces questions en profondeur dans le cadre de ma thèse et, très certainement, dans de prochaines publications.
  • 10
    « The cypher is, thus, a space of decolonial potentiality, resistance, and resurgence that instantiates an Indigenous politics of affirmative refusal, or what I term elsewhere, creative negation, in which the circle is formed by the cypher’s participants as a turning away from the colonial gaze and recognition, and toward the self-generating space of the emergent community within the circle, inside the cypher. » (Martineau 2011: 166, l’auteur souligne)
  • 11
    La notion d’érotique développée par Lorde dans son essai fondamental, « Uses of the Erotic » (2007 [1984]) dépasse largement la description qu’en fournit Donovan lorsqu’elle conceptualise la posture de réceptivité de lecture mentionnée plus tôt. Chez Lorde, l’érotique est une ontologie à part entière, un mode de conscience qui entre en résonance, à de nombreux égards, avec le concept d’immanence tel que formulé par Starhawk (1988 [1982]; 1989). Bien qu’elle s’inspire entre autres des réflexions de Carol Bigwood, elles-mêmes inspirées de celles de Lorde, Donovan retient surtout de l’érotique les dimensions sensibles et intuitives. L’érotique devient alors synonyme d’une disponibilité encorporée aux oeuvres et au monde vivant, une qualité d’attention participant d’une éthique écoféministe plus vaste: « The task, therefore, as I see it, for ecofeminist critics, writers, scholars, and teachers is to encourage the development of forms of attention that enhance awareness of the living environment, that foster respect for its reality as a separate, different, but knowable entity. » (Donovan 1998: 92)
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