Entrée de carnet

VOIR LES YEUX FERMÉS

Annie Tétreault
couverture
Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)

     

Qu’est-ce que l’attention? C’est ce lieu même.

Qu’est-ce que faire attention? C’est l’habiter.

— Jérémy Damian

    

Les yeux fermés, avec fébrilité il nous annonce que la présentation du texte qu’il a choisi –Cosmodélie. Scènes de l’attention de Jérémy Damian- se fera à partir de cette posture. Dès lors, j’ai l’impression de me déposer. Je respire mieux. Cette curiosité dans le comportement éveille mon attention et me garde alerte à ses paroles, ses affects et ses moindres gestes. À ce moment, je comprends que notre camarade André Fortino nous convie à une expérience performative sur l’attention. Presque deux semaines se sont écoulées, depuis. À mon tour, je suis intéressée à me prêter au jeu de l’attention sous une autre forme. Celle de l’écrit qui tente d’enregistrer l’éphémérité d’un geste performatif passé.

Tout au long de cette expérience performative, nous sommes conviés à visiter quatre cosmos pour reprendre le terme de Jérémy Damian, par le biais d’une conscience -celle d’André Fortino- qui se partage à nous dans sa façon d’habiter et d’avoir habité différents lieux qui nous sont communs. Dans un premier temps, nous traversons l’univers du web pour ensuite circuler dans l’espace du texte et atterrir dans la salle de cours où se passe l’intervention performative. Puis ce voyage virtuel se clôt par un survol rapide de notre séjour d’immersion agissant comme une micro-résidence collective à La Serre. Ce sont là, tous des lieux que nous partageons dans le cadre de notre séminaire.

D’emblée pour nous présenter l’auteur, notre collègue nous fait part du nombre d’informations mises à sa disposition dans le moteur de recherche lors de son investigation. Surprise qu’il ait retenu ce chiffre, je me demande si j’assiste à une réelle improvisation ou bien à une mise en scène donnant l’illusion de la spontanéité. Peut-être aussi, est-ce un mélange de ces deux hypothèses.

Son intervention se poursuit par une soigneuse description personnalisée, plutôt rigolote et respectueuse des images trouvées sur les web associés à la personne de Jérémy Damian. Puis minutieusement, il nous raconte les détails qui ont retenu son attention lors de sa lecture concernant chacune des photos accompagnant ledit texte à l’étude. Inutile de nous parler du contenu de cet article. Ce serait là une forme de pléonasme. Effectivement, la nature même du geste performatif ici, peut être qualifiée de cosmodélique pour reprendre les termes de l’auteur. C’est-à-dire «un geste attentionnel qui convoque, instaure ou compose, temporairement, fragilement, des cosmos habitables» (Damian, 2021, p.1). Par le geste simple, mais très peu anodin de fermer les yeux lors de sa présentation, nous plongeons dans l’univers attentionnel d’André Fortino conscient de l’écologie «des milieux qui conditionnent son attention» (Citton, 2018, p. 2). Un geste forcément politique puisque le monde dans lequel nous évoluons est un monde où le consumérisme exige que nous surperformions nos vies et nos savoirs dans tous les aspects de notre existence. Subtilement, l’art et la vie s’entrelacent. C’est là, selon Ève Lamoureux, professeur au département de l’histoire de l’art de l’UQAM, une forme d’art engagé où l’inclusion des gens est partie prenante de l’œuvre (Lamoureux, 2009, p. 223).

«Dans le local, je remarque à gauche un mur gris et à droite un mur coloré. Curieusement les gens portant des chandails colorés sont assis du côté du mur coloré.

Valentine porte un foulard autour du cou, le même qu’au premier cours.

Andréanne a les cheveux attachés avec un élastique de couleur beige.

Elle est assise à côté de Marie-Hélène qui porte une veste blanche. On dirait une veste de mouton.

Catherine a quatre petits boutons aux extrémités des manches de son chandail.

André et Hamed portent tous deux des pulls par-dessus des chemises blanches et sont assis l’un en face de l’autre.

André, je me souviens du temps que tu avais pris à nous présenter ton objet lors de l’installation performative à La serre. J’en ai été touché. J’ai senti un malaise à la suite de l’action que j’ai posée et qui a tout bousculé. Mais c’était tout de même nécessaire».

Ce sont là quelques phrases éparses qui me reviennent de la performance. Entre chacune d’elles s’est construit un jeu. Un lien. Une complicité à la fois entre le performeur et nous, puis entre nous.

«L’attention» nous dit Jérémy Damian «n’est pas donnée, elle engage des désirs, des épreuves, des dispositifs. Son écologie nous demande d’apprendre à redistribuer nos attentions collectivement de telle sorte à réapprendre à faire attention.» (Damian, 2021, p.) La fébrilité du début semble s’être estompée chez notre collègue.

En choisissant de se présenter à nous dans une position à la fois humble et vulnérable, alors qu’il est invité à prendre parole devant le groupe, il a su éveiller en chacun.e  de nous le désir de prendre soin de l’autre. Cette attitude invite à la collaboration. C’est délaisser l’idée de performance sournoise dans laquelle le système capitaliste s’instaure et formate nos propres consciences pour nous inviter à vivre autrement la répartition de notre attention. Cette journée-là, je suis sorti de ce séminaire plus riche qu’à mon arrivée. Une conscience nouvelle m’habite ou plutôt devrais-je dire une attention affinée m’accompagne à la suite de cette expérience alternative que nous offre l’art.

      

Bibliographie

CITTON, Y. 2018. De l’écologie de l’attention à la politique de la distraction. dans M. Dugnat (dir.), Bébé attentif cherche adulte(s) attentionné(s),Toulouse: Érès, p. 11-27.

DAMIAN, J. 2021. Cosmodélies: scènes de l’attention dans un Corps-Objet-Image, no.4, Théâtre de l’attention. En ligne.

LAMOUREUX, E. 2009. Art et politique. Nouvelles formes d’engagement artistique au Québec. Éditions Écosociété: Montréal, p.268.

    

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