Entrée de carnet
Sur la poétique du cygne dans «Bruges-la-Morte» de Georges Rodenbach
Un mythe existe depuis quelques siècles pour expliquer la présence si marquée des cygnes dans les canaux de Bruges. Après la mort de Marie de Bourgogne, duchesse de Bourgogne, en 1482, son mari, Maximilien d’Autriche, prend la régence au nom de Philippe le Beau, son fils et le futur duc de Bourgogne. Le régent, à la mort de Louis XI en 1483, se montre favorable à la reprise de la guerre franco-bourguignonne qui avait cessée l’année précédente lors de la signature du traité d’Arras. Cela est loin de plaire au peuple flamand, ce dernier voulant une paix durable entre ces deux puissances. Une rébellion populaire éclate donc à Bruges. Dans le but de la contrôler, Maximilien d’Autriche instaure une nouvelle taxe qui ne fait qu’envenimer la situation. La révolte redouble d’ardeur et le régent est fait prisonnier dans la maison Craenenburg sur la Grand Place. C’est là qu’il assiste impuissamment à la torture et à la décapitation de son conseiller Pieter Lanchals, aussi surnommé Long Cou. Selon la légende, Maximilien d’Autriche lance à ce moment une malédiction à la ville: les cygnes figurant sur le blason de Long Cou glisseront des armoiries jusqu’aux canaux de Bruges, la ville se voyant condamnée à abriter des cygnes par centaine pour que les habitants se souviennent éternellement du sort de son défunt compagnon. À mi-chemin entre les faits historiques et la légende, ce véritable mythe inscrit la cosmogonie du cygne dans le folklore –littéralement le savoir du peuple– brugeois en racontant «comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment» (Eliade, 1963, p. 16-17). Loin d’être une fable sans véritable répercussion, ce mythe cycnoïde conditionne, même inconsciemment, les coutumes et les croyances des habitants de Bruges à travers les siècles. Circulant au sein même de la culture, ces dernières teintent nécessairement les productions artistiques en interagissant avec la doxa académique, comme c’est le cas dans Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. Dans ce récit-photo, la poétique du cygne se forme en creux; jamais au premier plan, elle est pourtant absolument indispensable à l’économie narrative. Véritable motif1Geneviève Sicotte, dans un chapitre d’ouvrage publié en 1999, propose le coffret de verre comme motif de Bruges-la-Morte. Voir Sicotte, dans Bertrand, 1999, p. 125. Nous proposons ici le motif du cygne qui crée dans le roman une véritable tyrannie de la mort. qui configure jusqu’à la logique interne de l’œuvre, le cygne se révèle être une composante essentielle de la béguine qui construit son identité à travers l’animalisation. Respectant la structure du texte qui se construit par des effets de miroirs et de reflets, l’oiseau cycnoïde, à son tour grandement humanisé par le récit, nous permet de convoquer la parémiologie afin de montrer comment le dialogisme entre le savoir oral et la littératie s’imbriquent et reconduisent l’ensauvagement liminaire de la béguine à travers la textualité du récit. Par cette intrication des savoirs coutumiers dans le roman, nous pouvons comprendre dans quelle mesure le motif du cygne ensauvage autant les personnages que le texte formel et la photographie, nous permettant du même coup de décrypter l’œuvre rodenbachienne en se concentrant sur les «tensions et interactions entre traits culturels hétérogènes dans la mesure où […] l’unité, l’originalité et a fortiori la qualité de l’œuvre ne présupposent pas nécessairement l’unicité de ses référents culturels ni même leur homogénéité» (s.a., s.d., «Présentation générale de l’ethnocritique»).
La béguine: du cygne à la mauvaise fée
Bruges-la-Morte raconte l’histoire d’Hugues Viane, veuf qui, à la mort de sa femme cinq ans plus tôt, a élu domicile à Bruges pour associer sa tristesse et sa nostalgie aux paysages urbains tout en grisaille de la ville morte, figée à l’époque médiévale. Durant l’une de ses promenades, il rencontre Jane Scott, une danseuse qui est sans équivoque le sosie de sa femme défunte, de laquelle il tombe immédiatement sous le charme. Cette liaison aboutit au drame alors que le veuf étrangle Jane avec la tresse de sa femme défunte, sous prétexte que celle-ci a souillé la chevelure en la retirant du coffret de verre dans lequel elle gisait.
Au sud de cette ville foncièrement chrétienne où se déroulent les péripéties romanesques se trouve un béguinage qui, bien qu’en retrait des évènements, est loin de jouer un rôle passif dans la diégèse. Barbe, la servante de Viane, y effectue un petit voyage de foi à la moitié du roman. À travers un discours admiratif sur ces religieuses modèles qui y vivent recluses, nous pouvons voir que c’est surtout la manière dont sont décrites les béguines qui charge sémantiquement le récit. Selon le narrateur, «seules quelques béguines peuvent logiquement circuler là, à pas frôlants, dans cette atmosphère éteinte; car elles ont moins l’air de marcher que de glisser, et ce sont plutôt des cygnes, les sœurs des cygnes blancs des longs canaux» (Rodenbach, 1998, p. 161). Humaine et animale sans pour autant être complètement ni humaine ni animale, l’animalisation oiselière de la béguine investit une suspension identitaire, et la béguine se dévoile alors dans toute son ambiguïté problématique. La figure du cygne qui lui est attribuée et qui la plonge métonymiquement dans une forme de liminarité, illustre que la béguine ne passe pas rituellement, perpétuellement bloquée dans un entre-deux, soit «ce temps d’épreuve [qui] impose la rencontre de l’altérité, du contraire, du tout autre: du détour par la sauvagerie et la marge» (Vidal-Naquet, 1981, p. 15). Le rite divisé en trois phases, tel que théorisé par Arnold van Gennep (préliminaire, liminaire et postliminaire), permet de voir comment un individu, en passant par l’altérité pour être réintégré dans la société sous une nouvelle identité, fait ultimement communauté en traversant des processus de socialisation symboliques. La phase de marge du rite est bien la plus complexe en ce qu’elle est la période où l’individu peut s’ensauvager en présentant des traits contradictoires sans pour autant que ceux-ci soient en opposition, comme c’est le cas des béguines reconnaissables par leurs morphologies oiselières, par leurs «ailes de linge immobilisées, blanches avec des reflets» (Rodenbach, 1998, p. 162). Toutefois, comme le dit Marie Scarpa, le personnage liminaire, «faisant le détour par l’autre comme tout un chacun, ne parvient pas à revenir de cette altérité» (2009, p. 33) et met à mal l’agrégation attendue en créant un décalage au sein d’un ensemble culturel. Les béguines sont symboliquement prises dans un entre-deux. Sous-initiées sexuellement par une chasteté volontaire et sur-initiée dans le rapport qu’elles entretiennent avec le divin, elles vivent d’autant plus dans un entre-deux mondes symbolisé par leur accoutrement rappelant les caractéristiques physiques du cygne. Bloquées sur le seuil en raison de leur statut particulier de femme, les béguines sont fixées dans cet état de marge qui polarise les contraires (le bas, le haut; la vie, la mort) et que la figure du cygne souligne puissamment. Cette figure révèle ici un ordre social singulier tout en installant une cosmogonie, celle des morts.
Animalisée, s’insérant même au sein d’une relation sororale avec le cygne, la béguine ornithomorphe rejoint une figure religieuse qui n’est certainement pas étrangère à cette «Ville [qui] a surtout un visage de Croyante» (Rodenbach, 1998, p. 197). À l’époque médiévale, quelques légendes chrétiennes et textes hagiographiques reproduisent d’une manière évidente ou déformée un conte populaire, La fille du diable, qui narre les métamorphoses de fées «[venants] de l’au-delà, de la montagne de verre, du pays de la mort et des immortels» (Grange, 1983, p. 139) en femmes-cygnes pour se baigner dans un lac. La figure d’abord strictement orale de la femme-cygne se retrouve ainsi, dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, sous la forme de Vies de saintes protectrices d’oies ou de cygnes pour justifier les miracles dont elles sont capables. Le rapprochement entre le conte et le texte hagiographique au sein de la figure romanesque de la béguine éclaire pour ainsi dire la fonction première et foncièrement ambivalente de la sainte au cygne tout en folklorisant le texte de Rodenbach. Comme le dit Isabelle Grange, la femme-cygne demeure dans un entre-deux symbolique, car «[l]eur appartenance à l’au-delà s’accorde avec leur apparence ornithomorphe qui fut toujours celle des âmes des morts. Accompagnatrices des âmes suivant les migrations des oiseaux de passage, elles détiennent les secrets de la vie et de la mort» (1983, p. 148).
Cette migration rituelle et la mobilité qu’elle engendre se retrouvent ici au premier plan. Dans La fille du diable, la femme-cygne a un savoir qui se calque sur le temps calendaire en le liant à la naissance des individus au printemps et à la mort de ceux-ci à l’automne. C’est donc sa capacité à circuler entre l’au-delà et l’ici-bas qui lui permet d’accéder aux connaissances relatives à la vie, à la mort et aux saisons. Or, comme l’affirment Fabre-Vassas et Fabre, «le conte est […] toujours […] un récit exemplaire, ses péripéties désignent la bonne voie, semée d’épreuves nécessaires […]. Avec le roman, tout change: la coutume et ses rites sont toujours là, mais il nous raconte “ce qui se passe quand on s’en écarte”» (1995, p. 30). Dans Bruges-la-Morte, les béguines ne circulent pas hors du béguinage, ou très peu, et c’est principalement cette immobilité tout autant physique que statuaire qui fait dévier les évènements du roman en dévoyant la signification double inhérente au cygne du conte, instaurant ainsi une poétique cycnoïde strictement sépulcrale dans le récit ainsi qu’une surinitiation monastique relative aux connaissances de la mort au détriment des savoirs sexuels et de la procréation. Les béguines sont dans cette enceinte que l’on appelle béguinage où elles sont rassemblées pour mieux se protéger, s’entraider et surtout pratiquer leurs dévotions chrétiennes. De ce fait, contrairement à la femme-cygne des contes, la béguine ne voyage pas entre la vie et la mort. Au contraire, elle ne semble connaître que les secrets de la mort, prise dans cette «petite ville à part dans [Bruges], plus morte encore» (Rodenbach, 1998, p. 161), qui s’apparente à la montagne de verre du conte. N’accomplissant pas ce rituel migratoire des femmes-cygne qui rythme jusqu’aux saisons et aux conditions humaines, l’immobilité des béguines atemporalise Bruges en réfractant cet échec rituel au cœur même des paysages qui accentuent la «mélancolie de ce gris des rues de Bruges où tous les jours ont l’air de la Toussaint!» (p. 129) Célébration liturgique des saints chrétiens, la Toussaint est aussi un culte des morts faisant son entrée dans la liturgie romaine au XIIIe afin de commémorer tous les fidèles défunts (Féry, 2009, p. 108-109). Cette fête religieuse est d’ailleurs célébrée le 1er novembre, faisant de l’automne la saison unique et perpétuelle de Bruges, détournant le rite de la femme-cygne de sa dualité mort/naissance pour l’ancrer dans une univocité mort/mort visible dans la ville entière : «partout, sur les parois, sur le sol, des dalles tumulaires avec des têtes de mort, des noms ébréchés, des inscriptions rongées aussi comme des lèvres de pierre… La mort elle-même ici effacée par la mort.» (Rodenbach, 1998, p. 72) Par l’immobilité des béguines, le temps romanesque devient répétitif et surtout exclusivement mortifère, Thanatos ayant toujours le dessus sur Éros.
Dans ce puissant moment culturel et symbolique qu’est la phase de marge, le corps de l’individu subissant le rituel se doit d’être mis à contribution pour mener à l’agrégation communautaire, car le corps, comme le fait remarquer la géographie humaniste, «marque sa présence dans les occasions rituelles qui sortent de l’ordinaire et qui le forcent ainsi à être conscient des valeurs de la vie» (Tuan, 2006, p. 40). L’univers fictionnel dans lequel s’inscrit Bruges-la-Morte met en scène un monde qui, «réverbéré, doublé, calqué, médiatisé, [rend acceptable le] sensible […] parce qu’il échappe à la causalité et au temps. La structure de réitération du monde ainsi mise en place permet […] sa déréalisation —puisqu’elle accentue la représentation d’un univers voué à la représentation» (Berg, 1982, p. 123). Établies dans cette Bruges qui n’admet le sensible que s’il est réfracté par un écran (l’eau, le verre, le rêve…) qui le transsubstantifie, la béguine est soumise à un impératif de discrétion qui s’étend jusqu’aux pratiques corporelles et orales, puisque, dans le béguinage, «si par hasard quelque passant approche, et fait du bruit, on a l’impression d’une chose anormale et sacrilège» (Rodenbach, 1998, p. 161) Munie d’un voile cachant sa chevelure et d’une longue robe noire, la béguine subit la réification de son propre corps pour correspondre à cet ordre clérical. Même si la béguine est soumise à un ordre religieux qui n’appartient qu’en partie au social dont parle David Le Breton, l’anthropologue décrit bien cette abolition rituelle du corps en affirmant que «toute conduite échappant à sa définition sociale est guettée par l’inconvenance. Elle suscite la honte de celui qui prend conscience d’avoir rompu un cadre établi […], portant brutalement l’attention sur un corps qui doit demeurer discret, toujours présent mais dans le sentiment de son absence.» (1990, p. 183) Cette mise en scène désincarnée du béguinage garde la béguine prisonnière dans un hors-monde que symbolise son lien avec le cygne, liminarité ici représentée par l’imprécision entre l’humain et l’animal. Ce détournement par rapport à la logique rituelle migratoire de la femme-cygne permet néanmoins de dramatiser symboliquement l’accès à une connaissance particulièrement prisée par le monde religieux, celle de l’idéal, ce qui est intéressant quand on sait que Rodenbach s’inspire fortement de la philosophie de Schopenhauer, qui elle s’appuie sur la philosophie platonicienne des Idées. Cette surinitiation spirituelle semble effectivement être portée par la figure du cygne qui, en s’envolant, élève aussi les esprits et les âmes des béguines à leur sortie de l’église suite à la messe dominicale: «Toutes ensemble, dans un frissonnement de leurs cornettes, les béguines sortirent [de l’église] —essaim qui prit son vol, sema un moment le jardin vert de blanches envergures» (Rodenbach, 1998, p. 163). C’est que la béguine est prise dans cette Bruges coincée à l’époque médiévale –l’époque de la chute de son prestige maritime et commercial– où elle a été «elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froidies de ses canaux, quand avait cessé d’y battre la grande pulsation de la mer» (p. 69-70). La béguine, culturellement influencée par l’ordre social de Bruges, est condamnée à reproduire les codes traditionnels de la cosmogonie médiévale. Cette Bruges romanesque reconduit toujours l’idée selon laquelle l’humain, portant sur ses épaules la faute originelle, peut néanmoins s’en libérer grâce à la chair qui se dévoile être, comme l’affirment Le Goff et Schmitt, un «moyen de salut […] par l’ascèse et la chasteté» (Le Goff et Schmitt, 2014, p. 232, je souligne). Si leurs corps sont brimés dans leur mouvement, ce n’est toutefois pas le cas pour leur esprit. Sous-initiée du corps qu’elles veulent effacer par un mode de vie acétique et l’abstinence sexuelle, c’est surtout l’esprit et l’âme qui prennent leur envol pour se retrouver aux côtés de Dieu et des concepts d’éternité, de pureté et de l’idéal que promeut l’ensemble culturel romanesque brugeois. Paradoxalement, le corps est ici fortement mis à contribution pour mieux le dissimuler et ainsi accentuer davantage leur spiritualité et leur relation avec le divin.
Dans ce monde fictionnel où la chevelure érotise et caractérise la femme selon la dualité femme fatale/femme idéale (Wittmann, 1996, p. 83), la béguine au corps quasi absent et recouverte de sa coiffe éponyme qui dissimule ses cheveux ne peut que se retrouver symboliquement du côté de la femme manquée, voire de la masculinité. De plus, bien qu’elles ne formulent aucun vœu perpétuel, la plupart des femmes des béguinages sont célibataires ou parfois, plus rarement, veuves. La béguine dont la mise en scène est accentuée par le récit rodenbachien, sœur Rosalie, est fort probablement vierge et célibataire, reconduisant ainsi la promotion médiévale de la chasteté comme moyen salutaire. Tirant de son nom un signifié relatif à la dévotion religieuse que partage également Sainte Rosalie de Palerme, l’univers culturel chrétien servant de référent dans le monde fictionnel montre à voir que la béguine sœur Rosalie, par sa vocation, «se met à l’écart de l’économie des échanges matrimoniaux» (Bem, 2002, p. 185, l’autrice souligne).
C’est bien à l’imaginaire des vieilles filles que nous avons à faire. Cette déviation de la norme matrimoniale culturellement définie par les sociétés du XIXe siècle occidental est soulignée textuellement par le stéréotype qui est assigné à sœur Rosalie, soit que la mise à l’écart dans le béguinage, «[le] manque de féminité […] et [l’] animalisation apparaissent comme autant de signes qui, intégrés dans le portait romanesque, en font un lieu de sens socialisé, le référent à un préconstruit et programment la lecture» (Sicotte, 2000, p. 17). Laissée pour compte, la vieille fille déroge du normatif en ne mettant pas son corps au service du mariage et de l’enfantement. Jeanne Bem décrit bien que ce phénomène socioculturel dérange effectivement l’ordre patriarcal du monde, puisqu’«en termes d’économie symbolique, la fille demeurée célibataire figure plutôt un reste, un élément de trop, qui n’a pas de fonction dans le système. La collectivité, bien sûr, s’efforce de gérer ce reste» (Bem, 2002, p. 185, l’autrice souligne). Dans Bruges-la-Morte, les béguines habitent la marge géographique, un «religieux enclos» (Rodenbach, 1998, p. 154) qui rappelle leurs apparences cycnoïdes et leur permettent de ne pas troubler l’ordre social établit par leurs corps qui, non seulement n’ont pas servis, se veulent absents, effacés. Malgré leur mise à l’écart, elles sont loin d’être coupées de la vie sociale. Au contraire, elles la contrôlent en ayant la mainmise sur des renseignements influençant la suite du récit. Fouineuse, détenant une «curiosité de béguines» (p. 118), sœur Rosalie, bien que ne retirant aucun gain de ses actions autre que de sentir qu’elle guide «une servante honnête et chrétienne» (p. 169), intègre un certain déterminisme au sein du récit en dévoilant la relation entre Jane et Viane à Barbe.
Un détour par l’onomastique fait voir que l’identité même de sœur Rosalie est associée à une morale négative traduite par la curiosité malsaine de cette dernière qui «sai[t] tout. [Elle] connai[t] même la maison où habite [Jane]. Elle est située sur [s]on chemin pour aller en ville et [elle] y [a] vu entrer ou sortir plus d’une fois M. Viane» (p. 169-170). Le nom «Rosalie» est extrêmement rapproché phonétiquement de «Rose salit». Cet investissement sémantique du nom rappelle comment, lors du voyage de Barbe au béguinage, sœur Rosalie salit métaphoriquement le veuf et sa compagne en révélant à Barbe la relation irréligieuse qu’il entretient avec Jane, faisant de la religieuse une commère qui encombre les amoureux d’un résidu de socialité (Bertrand, 1993, p. 48):
Sœur Rosalie lui raconta alors l’histoire qui avait couru la ville et s’était divulguée jusque dans cette placide enceinte du Béguinage: l’inconduite de celui dont tout le monde admirait autrefois la douleur de veuf si poignante et si inconsolable. Eh bien! il s’était consolé d’une abominable façon! Il allait maintenant chez une mauvaise femme, une ancienne danseuse du théâtre… (Rodenbach, 1998, p. 168)
Entre la valorisation de l’esprit religieux et la sous initiation du corps, les béguines ne peuvent que considérer la relation de Hugues et Jane comme impure, surtout parce que la danseuse est investie par une isotopie de la sensualité dès son entrée dans le récit qui ne concorde pas avec la cosmogonie mortuaire et spirituelle de Bruges, mais qui renvoie davantage à l’imaginaire amoureux reconduit par le cygne dans la pensée collective, ici évacué par l’ordre social brugeois. Comme le dit Jean-Michel Wittman, «à l’amour désincarné de la Morte s’oppose la passion sensuelle pour Jane» (1996, p. 83).
Outre le souillage métaphorique visant Viane et Jane, ce jeu onomastique sur le sale dans «Rose salit» rappelle une croyance populaire qui concerne le cygne. Elle met en jeu les homologies symboliques entre le sale et l’immaculé, le noir et le blanc, en assurant que plusieurs,
à la suite d’Aristote et de Pline, sont intrigués par la blancheur immaculée de son plumage, rare chez les animaux sauvages. Que cache cette blancheur, cette pureté, cette lumière? Le cygne n’est pas trop beau? Pour certains, assurément, il l’est: […] il abrite une chaire noire; c’est un dissimulateur, un hypocrite […]. À la beauté extérieure correspond la laideur intérieure, et à la symbolique positive fait place un discours plus nuancé, voire franchement hostile. (Pastoureau, 2011, p. 193)
Les béguines, sous des airs de dévotion, cachent une malveillance qui révèle une exhibition de fausse piété. Sœur Rosalie se préoccupe davantage de la vie d’autrui plutôt que de se consacrer «à ses idéaux de pauvreté volontaire, d’ascèse matérielle, de simplicité et de religiosité plus profonde et introspective» (Simons, 2001, p. 61, je traduis). Le cygne intégré dans l’identité béguinale se retrouve à être une prémonition de mort incarnée par ces religieuses qui contrôlent véritablement le destin du roman en se détournant de leurs aspirations religieuses. En révélant à Barbe la nature de la relation entre Viane et Jane, la béguine influence la servante à quitter son service, ce qu’elle fait quelques heures avant le meurtre de Jane. Si Barbe était la seule à pouvoir éviter ce drame, elle n’était plus sur place lors de ce terrible évènement.
Puisque la béguine est limitée dans ses mouvements en raison de son établissement au béguinage, elle contrôle les évènements en faisant passer les autres plutôt qu’en passant elle-même, comme c’est le cas avec Barbe que sœur Rosalie sauve de la damnation en lui communicant le scandale dont est victime Viane. Cela lui permettant ainsi de quitter son service à temps, mais favorise du même fait l’instant meurtrier. Revêtant les rôles d’«amies» (Rodenbach, 1998, p. 154) pour Barbe, les béguines, «à défaut de “passer” elles-mêmes dans [leurs] destins […], fini[ssent] par faire office de passeuse[s] et de médiatrice[s] pour les autres» (Scarpa, 2009, p. 29). Cependant, c’est une médiation négative qui est à l’œuvre, car c’est la révélation de sœur Rosalie qui permet à Viane de mettre si facilement fin à la vie de Jane. Animalisée tout en étant humaine, mise à l’écart en influençant toutefois les actions des autres dans la société, masculinisée par le manque ontologique qui la caractérise –le corps, les cheveux– , la béguine est marquée par «une altérité et une ambivalence constitutives qui autorisent parfois une véritable compétence» (p. 34), celle de décider de la destinée du roman. L’imaginaire de la béguine peut ainsi être lié à celui des mauvaises fées qui offrent des dons empoisonnés.
Les fées, présentes dans un grand nombre de contes dont La fille au diable, sont des actants plus qu’essentiels pour la suite de la narration en ce qu’elles tirent traditionnellement du «fuseau le fil de la destinée humaine» (Chevalier et Gheerbrant, 1982, p. 497). La béguine, en étant investie d’une poétique cycnoïde qui survalorise l’état mortuaire, détourne la portée sémantique de la bonne fée et prend plutôt l’allure de la fée Carabosse, de la mauvaise fée qui condamne en offrant des dons mortifères. En effet, la béguine devient alors une passeuse négative reconduisant la figure de la mauvaise fée qui se venge de ne pas avoir été invitée au baptême; «les vieilles filles ne sont pas conviées à la grande fête de la sociabilité heureuse» (Sicotte, 2000, p. 29) et sœur Rosalie en fait payer le prix à Viane et Jane.
Sœur Rosalie s’inscrit bien dans ce système féérique régissant le destin, puisqu’elle entre dans une logique donatrice lors de sa conversation avec Barbe: «Un petit conseil que je devais vous donner.» (Rodenbach, 1998, p. 167, je souligne) Nous retrouvons bien le mot-thème surutilisé quand vient le temps d’entrer dans l’imaginaire du don. Ce petit conseil est surtout déguisé en accusation: Viane n’est pas honnête, car il s’éprend d’une autre femme que la Morte. Puisque le monde des fées est ici convoqué, le monde de l’oralité l’est également, ce qui est perceptible lorsque le narrateur affirme que, après avoir donné le conseil, «ces révélations si offensantes, si incroyables pour [Barbe], prenaient une autorité dans [l]a bouche [de sœur Rosalie]» (p. 169). L’accent mis sur la bouche de la béguine nous permet de constater l’insertion de la coutume orale caractéristique des contes de fées dans le texte, ce qui aura une importance capitale lors de l’excipit en chosifiant la parole de la femme impliquée par la rumeur, Jane, révélant ainsi la damnation de cette dernière par le don infecté de la béguine.
Lorsque Jane ouvre le coffret de verre pour saisir la tresse sacrée, la chevelure se souille instantanément en s’animalisant. En s’esclaffant d’un Viane stupéfait, Jane «amène [la tresse] vers son visage et sa bouche comme un serpent charmé, l’enroulant à son cou, boa d’un oiseau d’or…» (p. 268, je souligne). Cette animalisation de la tresse au contact du rire sortant de la bouche de Jane ne semble qu’être la mise en miroir du don de la béguine «qui se fait corps animal ou minéral du monde» (Privat, 2021). Vieille fille et mauvaise fée, la béguine reculture le roman en effectuant un transfert symbolique de la figure du serpent par la liaison dialogique que la matérialité langagière instaure entre elle et Jane. En rapportant les ragots à Barbe, le discours négatif de la béguine rabaissant Jane au rang de maîtresse lui octroie symboliquement une «langue de vipère». «Cet échange verbal en acte où se synergisent et se dialogisent précisément la coalescence des choses, des femmes, des mots» (Privat, 2021) en vient à faire du serpent l’animal totem de Jane, personnage franchement diabolisé et chtonien qui n’a, au final, que la malchance d’avoir abouti dans une ville comme Bruges. Dans ce climax narratif qu’est le meurtre de Jane peut se voir en creux le vrai visage de la béguine: en dévoyant la symbolique du cygne associée à celle de la femme-cygne du conte, elle se rapproche dangereusement de celle du serpent. D’ailleurs, la longueur du cou du cygne est peut-être un indice homologique de cette permutation.
«Le chant du cygne»: la propagation de l’ensauvagement
La béguine ornithomorphe témoigne de l’intérêt heuristique des dérèglements rituels au sein du roman, mettant en lumière l’ensauvagement des religieuses par leur liminarité identitaire. Le cygne des canaux de Bruges, diamétralement opposé à ces religieuses, se voit humanisé et permet quant à lui de montrer les dérèglements formels qui assaillent le récit en reconduisant le narrème de la mort, attestant du jeu inévitable qui s’effectue entre ces deux figures qui s’échangent leurs caractéristiques propres en les inversant. Nous pouvons constater ce postulat lors de l’une des promenades de Viane dans Bruges où le veuf tombe sur un cygne au chant pour le moins troublant: «L’oiseau semblait souffrir: il criait par intervalles; puis, s’enlevant d’un essor, son cri, par la distance, s’adoucit; ce fut une voix blessée, presque humaine, un vrai chant qui se module… Hugues regardait, écoutait, troublé devant cette scène mystérieuse.» (Rodenbach, 1998, p. 234) Poursuivant la poétique de l’analogie de Rodenbach dans laquelle «l’écrivain […] se voi[t] comme un double réceptacle –de ses visions et de ses émotions» (Paigneau, 2020, p. 12), une bilatéralité s’instaure entre l’homme et l’espace environnant. Chacun semble avoir une influence particulière sur l’autre. Les éléments du décor urbain dynamisent et polarisent, au sein de la sémiose romanesque, l’opposition d’une construction à la fois interne et externe grâce à la sensibilité de Viane qui modélise la ville, ainsi que les éléments de Bruges influençant le veuf par les impressions qu’ils laissent en lui et qui lui font ressentir plus violemment certaines émotions. D’ailleurs, le narrateur illustre bien cette symbiose entre l’homme et la ville en affirmant qu’«il se retrouvait le frère en silence et en mélancolie de cette Bruges douloureuse, soror dolorosa. Ah! comme il avait bien fait d’y venir au temps de son grand deuil! Muettes analogies! Pénétration réciproque de l’âme et des choses! Nous entrons en elles, tandis qu’elles pénètrent en nous» (Rodenbach, 1998, p. 193, l’auteur souligne). Ce rapport de réciprocité impose toutefois une hégémonie diégétique qui survalorise le déterminisme engendré par la «Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d’âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir» (p. 49) au détriment de la volonté du veuf à rester agent de ses actions. C’est notamment le cas avec le cygne que croise Viane et qui se révèle être, à l’image de la béguine pouvant jouer avec la destinée des personnages, absolument déterminant pour la suite du récit.
Le chant plaintif de ce cygne ne fait qu’amplifier un sentiment funèbre déjà présent chez le veuf par l’évocation d’un savoir populaire, celui du proverbe. Effectivement, lors de cette rencontre avec le cygne, Viane se «rappela une croyance populaire. Oui, le cygne chantait! Il allait donc mourir, ou du moins sentait la mort dans l’air!» (p. 224) La mort est l’axe paradigmatique qui structure le roman, puisqu’elle «apparait comme une force fatale, trop puissante pour être entre les mains des hommes: ils auront beau faire, ils ne pourront jamais ni l’arrêter, ni la faire venir à eux» (Bodson-Thomas, 1942, p. 131). Le proverbe, lieu de sens social, insiste sur son «message [qui] aussi finit par être perçu comme un acquis, comme une pensée stéréotypée, et qui, en tant que telle, s’intègre à la doxa, le fonds d’opinions communes que partagent les membres d’une communauté linguistique à un moment donné de son histoire» (Chapira, 2000, p. 86). C’est pourquoi le proverbe se révèle être le savoir par excellence pour exprimer simplement une fatalité mortuaire qui n’échappe à personne au sein du roman.
Un coup d’œil dans le Dictionnaire des proverbes français de 1823 révèle que la formule linguistique parémiologique «le chant du cygne» renvoie à une expression «proverbial[e] et figuré[e] d’un bel ouvrage, qu’un auteur fait peu de temps avant sa mort, que c’est le chant du cygne, par allusion aux passages de plusieurs anciens poètes, qui prétendent que cet oiseau prélude par des sons harmonieux à son dernier soupir» (de la Mésangère, 1823, p. 157, l’autrice souligne). Alors que la proverbialisation –la formation anonyme et collective d’un proverbe– s’effectue en figeant un vocabulaire dans une séquence linguistique précise qui se maintient à travers les âges, la déproverbialisation, loin d’être un processus par lequel un proverbe cesserait d’être comme tel, survient plutôt lorsque la notoriété populaire de ce dernier est assez établie pour que le proverbe puisse sortir de son figement linguistique sans pour autant perdre son unité signifiante profonde, soit ici celle d’un dernier acte de beauté annonçant une mort imminente. Ainsi, en restituant le proverbe au discours indirect libre comme le fait Rodenbach, ce «jeu […] subvertit la leçon proverbiale en traitant le stéréotype comme s’il n’en était pas un, en le déproverbialisant. [Il] attaqu[e] le proverbe en ce qu’il a de plus précieux –l’autorité que lui confère sa réputation de vérité sans cesse reconfirmée par l’usage» (Chapira, 2000, p. 86).
En recyclant cette expression proverbiale figée, il se dévoile alors un ensauvagement textuel par l’intermédiaire de la figure du cygne. Convoquant à la fois l’oralité de l’expression et de la croyance populaire ainsi que la littératie par sa narrativisation textuelle, cette polylogie permet de voir que le récit est motivé par des pratiques relevant de l’oralitude. En rendant possible la cohabitation entre la littératie académique du proverbe et son démantèlement par son glissement dans le discours, Rodenbach accorde au proverbe une portée polyphonique qui restaure une voix funèbre dans le texte. Comme le dit De Certeau: «autant l’objet vu est scriptible, homogène aux linéarités du sens énoncé et de l’espace construit, autant la voix crée un écart, ouvre une brèche dans le texte, restaure un corps à corps» (1975, p. 246). La belligérance orale et scripturale se conjugue ainsi dans un ensauvagement langagier par cette réappropriation culturelle du récit grâce à l’insertion du proverbe dans ce dernier, folklorisant le texte tout en confrontant »la conception aristocratique (ou descendante) de la culture; cette conception “dégénérative” considère en effet volontiers que la culture est, presque par définition, élaborée dans les classes supérieures et qu’ensuite elle se diffuse éventuellement, mais toujours en se dégradant et se déformant, parmi les classes subalternes» (Privat, 1994, p. 12-13).
Alors que «l’opinion généralement admise dans notre société est que la mort s’accomplit en un instant» (Hertz, 1970, p. 15), l’univers fictionnel rodenbachien emploie une rhétorique sémiologique qui permet de construire peu à peu une logique romanesque motivée par la fatalité. Le meurtre final est annoncé par tout l’univers coutumiers prenant pour socle la figure du cygne, si bien que l’intégration d’un ensemble culturel hétérogène qui mobilise des coutumes au paradigme funèbre montre le cygne comme un véritable signe; signe et cygne deviennent ainsi une homologie qui guide le roman. Le cygne est avant tout un signe de mort. Il détermine le devenir du veuf en établissant d’emblée sa destinée par la convocation parémiologique. En remotivant sémantiquement et en reculturant le proverbe «le chant du cygne», le récit réactualise de manière prémonitoire l’état de veuvage du protagoniste: «Hugues frissonna. Était-ce pour lui ce mauvais présage? La cruelle scène avec Jane, sa menace de partir, ne l’avaient que trop préparé à ces noirs pressentiments. Qu’est-ce qui doit de nouveau finir en lui? Pour quel deuil ces crêpes de la nuit superstitieuse? De quoi va-t-il encore une fois être veuf!» (Rodenbach, 1998, p. 234)
L’ensauvagement du cygne provoqué par le proverbe restitué au discours indirect libre rappelle un ensauvagement supplémentaire –cette fois générique– qui relève sensiblement du même processus, le favorise grandement et, du moins, les font se supporter mutuellement; c’est celui du poème en prose, «genre» par lequel s’écrit Bruges-la-Morte. Ce phénomène n’est pas vraiment étonnant, car, comme l’affirme Véronique Cnockaert, l’ensauvagement des personnages, comme c’est le cas ici avec le cygne humanisé et la béguine accentuant l’ambivalence de cet oiseau qui restitue l’oralité au texte, «fonctionn[e] très souvent comme un principe dynamique — quoique perturbateur —au sein de l’écriture qui, par effet de mimétisme, s’ensauvage parfois elle aussi en s’arcboutant sur une poétique de l’entre-deux et/ou de la marge» (2017). Si la déproverbialisation ne nie en aucun cas le proverbe en lui-même et le situe à mi-chemin entre expression figée et discours, le poème en prose effectue une transformation similaire. Ni poésie ni roman et pourtant poésie et roman, le poème en prose met en place des potentialités poïétiques en jouant sur le caractère liminoïde2Victor Turner théorise le liminoïde en faisant de ce concept une composante récurrente des productions artistiques et culturelles. Le rite serait évacué dans ces productions et il ne subsisterait que le sentiment de l’altérité lié à cette phase de marge. Voir Turner, 1990. qui le définit, comme c’est le cas pour l’insertion d’un proverbe dans le style indirect libre. Tel que l’affirme Michel Sandras, «plutôt qu’un genre, le poème en prose gagnerait à être considéré comme un ensemble de formes littéraires brèves appartenant à un espace de transition dans lequel se redéfinissent les rapports de la prose et du vers et se forgent d’autres conceptions du poème» (1995, p. 19, je souligne). Cet ensauvagement provoqué par l’hybridité générique s’effectue bien par rapport à l’idéologie culturelle politico-esthétique dominante qui définit le mouvement symboliste dans lequel le récit s’inscrit, et qui rejette le roman comme modèle dominant. En effet, à la fin du 19e siècle, « la génération montante est […] massivement contre le naturalisme », elle s’affiche plutôt partisane de «l’idée, […] [de] l’abstraction, […] [du] mysticisme», et c’est le caractère «purement oppositionnel de ces attitudes qui explique en partie l’avortement d’un roman de nature à damner le pion aux modèles gagnants» (Bertrand et Grojnowski, 1998, p. 33). C’est donc le poème qui est valorisé par les symbolistes. Celui-ci, par l’étendue de ses possibilités évocatrices, peut dire beaucoup en ne disant presque rien, donnant au symbole une valeur globalisante. Rodenbach, en jouant sur la conjecture polyphonique qu’occasionne le poème en prose, parvient pourtant, comme l’a souligné Mallarmé, à «faire aboutir le poème au roman et le roman au poème» (p. 292), notamment en y insérant une composante qui refuse la mimèsis au profil de l’évocation: la photographie. Effectivement, poème en prose et photographie militent, selon Michel Sandras, pour le même combat, soit «l’exploration de la dualité du “visible” et de “l’invisible”, et plus généralement celle des rapports entre la littérature et la représentation» (Sandras, 1995, p. 125). Véritable objet ensauvagé dans sa forme et dans son genre, ce récit-photo en prose poétique parvient à faire de l’altérité son principe fondateur en dédoublant le sens qui circule dans la diégèse pour que le signifié mortuaire du cygne se retrouve à la fois dans son fond et sa forme. À cet effet, la figure du cygne se rapportant au paradigme de la mort établit bel et bien une cohérence globale de l’objet livresque en prenant morphologiquement l’allure de la ville photographiée.
Bruges-la-Morte est composé de trente-cinq photographies en noir et blanc issues initialement du studio photographique français Lévy et Neurdein. Celles-ci n’ont été ajoutées qu’à la publication en roman de Bruges-la-Morte en mai 1892; la première publication en roman-feuilleton ne contenait que le récit textuel. Ces clichés, volontairement ajoutés au texte, ont donc été choisis avec soin et modifiés techniquement pour correspondre à l’esthétique du récit rodenbachien. De ce fait, «leur sens se trouve donc infléchi par leur insertion dans un dispositif qui leur confère une nouvelle fonction dans un contexte littéraire» (Henninger, 2015, p. 112) Allant de pair avec l’aspect duochrome des photographies, nous retrouvons à nouveau cette vieille croyance selon laquelle le cygne, sous son plumage blanc, cache une peau noire, témoignant ici de la puissante portée polysémique de cette croyance au sein du texte et de sa reculturation multiple, que ce soit à travers le texte, les personnages ou l’image. Un déplacement métonymique s’installe alors et prend d’assaut l’objet livresque, faisant coïncider l’imaginaire du cygne du poème en prose à une Bruges toute en photographies. À travers la forme des tours qui prennent l’apparence de cous cycnoïdes voguant sur les canaux brugeois (voir Annexe), une analogie s’établit entre le cygne et cette Bruges représentée photographiquement comme une ville toujours encore déjà atemporellement endeuillée, assaillie par la mort, dont les seules couleurs sont le noir, le blanc, et la synthèse de celles-ci, le gris: «Il y a là, par un miracle du climat, une pénétration réciproque, on ne sait quelle chimie de l’atmosphère qui neutralise les couleurs trop vives, les ramène à une unité de songe, à un amalgame de somnolence plutôt grise.» (Rodenbach, 1998, p. 130) En effet, à l’image des cygnes qui parsèment les canaux et qui illustrent le désaccord des béguines quant à l’union entre Jane et Viane, il est dit que la «Ville a surtout un visage de Croyante» (p. 197) et que «les tours prenaient en dérision son misérable amour. Elles semblaient dire: “Regardez-nous! Nous ne sommes que de la Foi! Inégayées, sans sourires de sculpture, avec des allures de citadelles de l’air, nous montons vers Dieu”» (p. 189), rappelant du même fait les béguines qui prennent elles aussi leur envol vers Dieu comme des cygnes suite aux cérémonies pascales. Le lien entre les béguines, l’animal cycnoïde et la ville s’incruste définitivement dans la diégèse lorsque le narrateur indique que «ce gris [est] comme fait avec le blanc des coiffes de religieuses et le noir des soutanes de prêtres.» (p. 129) Les paysages urbains cycnoïdes traversés par Viane et gouvernés par le noir et le blanc semblent d’autant plus rejoindre la symbolique mortifère du cygne en établissant eux aussi une fatalité romanesque. À plusieurs reprises, «il [lui] semblait qu’une ombre s’allongeait des tours sur son âme; qu’un conseil venait des vieux murs jusqu’à lui […]. Il avait entendu la lente persuasion des pierres; il avait vraiment surpris l’ordre des choses de ne pas survivre à la mort d’alentour» (p. 71, l’auteur souligne). Les tours de la ville brugeoise participent au destin de Viane en se métamorphosant en signes symboliques qui accentuent l’ambiance mortifère de cet espace tout en grisaille, rappelant le cygne qui, grâce à son long cou produisant des sons mélodieux, peut annoncer l’approche de la mort en chantant. Les paysages urbains cycnoïdes deviennent donc «[des] symbole[s] des puissances spirituelles qui nous entourent et qui décident de notre destinée» (Bodson-Thomas, 1942, p. 119), tout comme le cygne au chant plaintif et la béguine condamnent Viane à redevenir veuf. Plus qu’une répétition sémiotique créant des analogies, la figure du cygne, qu’elle soit littérale ou métaphorique, révèle une véritable isotopie qui place le classème de la mort au centre du texte, mais aussi au sein de l’image, instaurant à cet effet un paradigme de la mort qui inonde les clichés. Les photographies font nécessairement partie de la logique narrative à l’œuvre, puisqu’elles reconduisent cette poétique du cygne. Cela dénote d’une véritable opération métonymique qui crée des liens complexes de correspondances entre l’animal et l’urbanité grâce à une dualité chromatique entre le noir et le blanc, mais aussi grâce à leur morphologie similaire et à la cosmogonie mortuaire convoquée. Le corps urbain ne fait qu’Un avec le corps animal.
Il est évidant que cette approche ethnologique de la ville photographique ensauvagée par son homologie avec le corps du cygne ne peut avoir lieu que si «l’anthropologie […] repens[e] son domaine d’activité et ses outils de manière à inclure dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité des existants liée à lui et longtemps reléguée dans une fonction d’entourage» (Descolas, 2015, p. 15). En dépassant la division entre la nature et la culture, nous parvenons à faire du naturel une somme d’héritages qui découlent également de ce que l’on appelle culture et qui participent tout autant à sa richesse et sa diversité. Ainsi, cette abolition de l’antinomie nature-culture permet de faire coïncider l’oiseau avec l’architecture culturelle des tours brugeoises. L’animal peut alors s’intégrer à l’ensemble culturel du roman et favoriser ce monde mystique d’analogies.
Cette Bruges cycnoïde photographique se voit coordonnée principalement par la ligne droite architecturale. Alors que cette dernière certifie l’appartenance des clichés au monde gouverné par la raison graphique, l’oralité qui sous-tend les croyances cycnoïdes et l’imaginaire auquel il donne forme dans le récit montre à voir une hybridation culturelle qui passe justement par l’intrication de l’oral et de l’écrit, et qui renforce l’axiologie de la mort à travers une homologie et une belligérance entre le photographique, le scriptural et le coutumier. Plusieurs fois au cœur de la lecture, des similigravures interrompent la linéarité du texte et font voir une Bruges toute en grisaille et des monuments dont émane une certaine humanité, comme c’est le cas du beffroi qui revient à plusieurs reprises au sein de la série photographique et prend l’allure d’un cou de cygne. Cette tour détient deux yeux noirs qui semblent pleurer le malheur de Viane (voir Annexe). Comme le dit Paul Edwards, «[S]es “yeux” sont noirs en dépit de la lumière du soleil, comme s’ils venaient d’un autre monde, du royaume des morts.» (Edwards, 1997, p. 129) Dans «beffroi», nous retrouvons surtout «effroi», soit le même sentiment qui assaille Viane lorsque le cygne se met à chanter, témoignant d’une phonétique linguistique récurrente qui sert la poétique du cygne. Cette tour, par une remédiation sonore de l’émotion associée au cygne, reculture le roman en faisant entrer en dialogue la ville et l’oiseau, mais aussi le texte et le son, témoignant de l’omniprésence de sa symbolique. Nous pouvons sans doute voir dans la récurrence photographique du beffroi un écho, voire même une représentation figurée du proverbe «le chant du cygne» qui rebondit dans plusieurs photographies de l’objet livresque et étend sa sémantique jusque dans les représentations imagées. La représentation à la fois ornithomorphe et anthropomorphe de la mort dans l’iconographie semble une manière de rendre l’annonce de la mort présente physiquement et matériellement. Les photographies du beffroi assument les valeurs culturelles et régissent la ville de Bruges. Rappelant son statut de «ville morte», la photographie ainsi représentée constitue
un outil de perpétuation, et même de potentialisation, de quelques-uns de ses caractères métaphysiques et magiques. Les photographies […] ne sont nullement des objets inertes. Elles possèdent une présence particulière, un degré de réalité qui surgit de leur statut intermédiaire entre la vie et la mort, la lumière et l’ombre, la vue et la cécité. (Faeta, 1993, p. 74)
Objet fondamentalement ensauvagé, la photographie ne fait qu’alimenter une poétique du cygne qui se veut véritablement omniprésente et qui en vient définitivement à déterminer l’identité culturelle et rituelle du roman. Cette malléabilité des éléments diégétiques caractérisés par le dépassement de leur fermeté est bien le témoignage «d’une volonté quasi névrotique de gommer les aspérités d’un monde disparate, désir d’unification qualifié par Patrick Laude de “quête d’une ataraxie universelle”» (Boraczek, 1999, p. 61). À travers l’analogie et de la réciprocité du symbole du cygne où tout s’équivaut, la figure cycnoïde inonde bien, subtilement, presque insidieusement, l’intégralité du récit-photo.
En bref: le cygne dans Bruges-la-Morte
Récit-photo ensauvagé tout autant dans son fond que dans sa forme, Bruges-la-Morte met en scène un cygne qui polarise les extrêmes, puis les fait dialoguer afin de déployer une poétique qui se construit à travers plusieurs figures et médiums. Alors que les béguines, visage de foi et de respects, sont animalisées par leur démarche, une ouverture herméneutique s’effectue pour creuser ce personnage religieux. Rituellement bloquée à la phase de marge en raison de leur immobilité et de leur effacement corporel, elle est surtout fondamentalement liminaire et ensauvagée. Leur mise à l’écart, leur animalisation et la masculinisation qui les caractérise ne peuvent que révéler l’imaginaire de la vieille fille et de la mauvaise fée qui lui est associée. Entre l’instauration d’une axiologie mortuaire et la mainmise sur la destinée des personnages, la béguine dissimule son animosité sous la symbolique associée au cygne.
Si les béguines «ont moins l’air de marcher que de glisser» (Rodenbach, 1998, p. 161), leur démarche particulière engendre également un glissement sémantique, la poétique du cygne ensauvageant ultimement le livre dans sa forme. À travers le proverbe «le chant du cygne», le texte se pare d’une oralitude qui met en évidence l’oralité de la croyance populaire au sein de sa narrativisation textuelle. Toutefois, l’ensauvagement formel ne s’en tient pas qu’au texte. Les photographies ont également leur rôle à jouer dans cette reculturation du cygne dans la logique romanesque. Les clichés partagent non seulement les couleurs du cygne, mais aussi sa morphologie, si bien que les tours, et particulièrement le beffroi, semblent reconduire l’anatomie cycnoïde en reproduisant métonymiquement son long cou. Les photographies se voient ainsi investies par l’imaginaire du cygne mortuaire et mortifère. Ces imbrications textuelles et formelles des coutumes liées au cygne mettent finalement en lumière la convergence des différents éléments diégétiques pour les faire culminer vers une isotopie funèbre qui accentue une véritable poétique du cygne.
Premier récit-photo, ce récit qui se veut symboliste a choqué le milieu littéraire de la fin du XIXe siècle par son originalité, comme en témoigne ce compte rendu de Charles Merki dans le Mercure de France en 1892:
ce qui me choque décidément dans ce livre, vient de l’illustration; les similigravures de Bruges, qui doivent “collaborer aux péripéties” dans le roman de Hugues Viane, me semblent plutôt se développer à part; elles donnent bien une impression de ville morte, mais qui se dresse à côté de notre esprit, chemine parallèlement au texte, n’y ajoute rien, demeure indifférente. (Bertrand et Grojnowski, 1998, p. 297)
L’ensauvagement identitaire de ce livre en fait bien un objet culturel difficile à recevoir; sa réception est divisée, et quand les avis sont positifs, les photographies sont systématiquement passées sous silence, alors qu’elles participent entièrement à la complexité culturelle à l’œuvre qui définit une poétique entière, comme nous espérons l’avoir démontré. Défiant un horizon d’attente social, générique, esthétique, voire idéologique, l’objet livresque ensauvagé semble mettre d’emblée à mal sa propre réception en confrontant la doxa académique. Le sentiment de confusion, ou tout simplement de dédain, rendu visible au cœur de la critique entourant Bruges-la-Morte est peut-être bien le signe reflétant un moment artistique important, celui d’un objet culturel qui confronte l’opinion littéraire majoritairement homogène, qui fait réagir par nulle autre chose que son originalité et son audace.
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- 1Geneviève Sicotte, dans un chapitre d’ouvrage publié en 1999, propose le coffret de verre comme motif de Bruges-la-Morte. Voir Sicotte, dans Bertrand, 1999, p. 125. Nous proposons ici le motif du cygne qui crée dans le roman une véritable tyrannie de la mort.
- 2Victor Turner théorise le liminoïde en faisant de ce concept une composante récurrente des productions artistiques et culturelles. Le rite serait évacué dans ces productions et il ne subsisterait que le sentiment de l’altérité lié à cette phase de marge. Voir Turner, 1990.