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Regards renversants en arts contemporains. L’indiscipline anthropologique
Remarques introductives. Le travail de l’incertain. Ex-positions
L’étude des sciences humaines et sociales renvoie à la question du regard. Nous parlons de l’acte de regarder le monde dans ses processus mentaux et physiques, et aussi métaphysiques.
Dans une démarche anthropologique il s’agit d’apprécier, de signifier, des mondes qui sont exposés, prenant des formes conceptualisées, descriptives, narratives. L’écriture est inextricablement reliée au regard sur les environnements naturels et culturels.
Or les arts contemporains nous proposent un diagnostic des modalités de l’exposition devenant le motif moteur de la création. Ils en produisent la prospective, et parfois nous offrent la potentialité d’une alternative étonnante au monde déjà construit. D’après le philosophe Boris Groys notre société est devenue une vaste mise en exposition, dont l’installation serait en quelque sorte le paradigme (Groys: 65), puisque celle-ci est devenue le terrain expérimental pour explorer ce que la société occidentale se fait de l’idée de liberté.
Un tel déroulement sociétal et spatial passe par un renversement du regard qui en devient bouleversant, comme on le verra. Du reste l’étymologie de renverser («tondre à l’envers») renvoie à mettre à l’envers, comme sens dessus-dessous, retourner les choses. Mais bien sûr ce terme renvoie aussi au trouble, à l’émotion, à la stupéfaction.
On verra comment les arts contemporains nous ouvrent à toutes ces possibilités par des opérations de démultiplication, de déplacement, de déstabilisation, de mise en vertige du regard et des corps. Mais n’est-ce pas aussi le propre de la démarche anthropologique?
A partir de là je ferai trois remarques:
1/ Walter Benjamin grand visionnaire et à sa façon ethnographe de la modernité, a cette réflexion à Weimar (1928) à propos de l’écrit «Parmi ces feuilles, n’y-en-a-t-il pas beaucoup dont le texte méconnaissable ne nait des traits muets et bouleversés qu’à la façon d’un regard ou d’un souffle?» (Benjamin: 91). Ainsi l’écriture est liée aux façons du regard et du souffle, aux images de pensée donc, et le texte dans son effectuation immédiate est méconnaissable, inclassable
2/ Précisons de suite que on ne saurait réduire le regard au voir, cela va bien au-delà, car avec cet acte projectif il en va de tout le corps, de tous les sens, du ressenti, du toucher, des humeurs, de l’épiderme, de l’entendre, de l’odorat, et qui plus est d’une pensée ébauchée ou pensivité. Le regard se donne du fond de la subjectivité bien qu’il soit en articulation fondamentale avec le monde donné. François Laplantine écrit «La connaissance ethnographique est une connaissance par l’écoute, mais peut-être plus encore par le regard» (Laplantine: 151), dans l’expérience d’un partage du sensible. Le hors champ qui nous intéresse est de l’ordre de ce qui parait insensé, infondé, illisible, du moins par rapport à des catégories conceptuelles par trop intégrées de façon scolaire, trop académique.
L’anthropologie a été confrontée à l’étrangeté du monde, à l’altérité parfois radicale des cultures (l’essai de Victor Segalen sur l’exotisme), qui nous obligent à transformer nos structures et nos modèles de pensée… Bref bien que voulant s’ériger comme une «science» dans un premier temps, dans un second moment une démarche anthropologique élargie traite de l’incertain, et elle passe par des prismes successifs qui sont des régimes de l’interprétation et d’images mentales expérimentales face à un réel toujours fuyant et infini.
3/ L’apport des créations plasticiennes ou contemporaines pour les sciences dites humaines, consiste à attirer notre attention vers la question du Reste… Qu’est-ce qui reste une fois que tout a été rationalisé, conceptualisé, classé, signifié, démontré, déconstruit, écrit, ou bien exposé, visualisé, ou entendu? Différents vocables que l’on verra peuvent être utilisés pour signaler ce «Reste», voulant designer un hors champ tout aussi constitutif des sociétés et des cultures, travaillant de l’intérieur nos approches, langagières et visuelles.
C’est sur ce «terrain» précisément que les artistes contemporains dans leur meilleur aspect, sont captivants, et font œuvre anthropologique à leur façon. Puisqu’ils révèlent l’inattendu (en principe), ils travaillent sur l’incertain, ils captent l’indéterminé, le mouvant, l’inquiétant, ils revendiquent une subjectivité. Et ils prônent, bien sûr, l’imagination des formes, ils captent des forces et atmosphères et, surtout, ils proposent une étrangeté et une énigme qui attisent ou déstabilisent notre sensibilité et la compréhension d’un réel.
N’est-ce-pas tous ces paramètres qui caractérisent aussi bien une anthropologie ouverte à contrario d’une forme instituée de langage et d’une pensée conforme, que Georges Bataille nommait «la redingote académique»? Certains artistes contemporains sont remarquables lorsqu’ils bousculent, notre regard et tout ce qui s’ensuit: on ne peut pas tous les citer bien sûr. Cependant, dans ce texte, je parlerai essentiellement de Ryoji Ikeda, William Forsythe, Catherine Gfeller, et Bill Viola, quand cela sera possible.
Affectologie du regard et corps sensibles. Intermezzo
L’installation du japonais Ryoji Ikeda, à La Villette en décembre 2017, est une œuvre entièrement numérique qui nous fait basculer dans des «polyvers». En tant que compositeur numérique et plasticien, Ikeda investit des espaces par des séries ou test pattern, sons et lumières s’enchainant dans un programme, mais provenant néanmoins de dysfonctionnements des dispositifs électroniques. Univers striés dans lesquels nous sommes immergés puisque nous traversons des spatialités post contemporaines (post humaines?) en marchant dans un océan de sonorités et d’images qui affectent notre corps. Nous ne savons pas exactement où nous situer dans un tel espace. Sommes-nous dans une réalité corporelle à retrouver ou dans le virtuel total? On fait l’expérience du mouvant dont je parlais, d’une indétermination quant à savoir de quoi il s’agit, ce que je vis, dans un corps sensible et subjectif qui inquiète les catégories habituelles, bien que je tente toujours de me replacer dans ce contexte imprévisible, de restituer mon corps et tout mon être.
La formule exacte pour toutes ces installations contemporaines serait:
Se perdre pour se retrouver
Avec ces arts s’appropriant de multiples supports, on serait plutôt dans ce que Georges Balandier a appelé Le dépaysement contemporain (Balandier: 2009), puisqu’il s’agit de se situer hors de chez soi, dans une terra incognita, parfois très bizarre (installations baroques et punk de l’américain Matthew Barney), avec le fameux «détour» anthropologique afin d’apprendre à reconnaitre l’étrangeté de ce qui apparait comme parfaitement banal, évident.
Les arts contemporains nous révèlent que toute structure est instable, puisqu’il existe des logiques floues, des logiques de bifurcation, qui les parcourent en tous sens, comme avec l’installation d’Ikeda… Notons que ces moments et ces mouvements traversent tous les rituels qui sont autant du côté d’un chaos vécu que d’une pure restauration de l’ordre symbolique après coup.
D’un autre côté, il est vrai que cela pourrait être la définition du système ultra-libéral lui-même, l’engendrement d’un ordre par instabilités successives. Cependant ce dernier suppose une standardisation des esprits par la technostructure et la culture commerciale mondialisée, à travers l’individualisme compétitif de masse. Une partie des arts contemporains défie ce formatage de l’idéologie pragmatique (largement anglo-saxonne) par des créations singulières, nonobstant un marché capitaliste de l’art ayant une potentialité de recyclage extraordinaire.
Ainsi, le regard est affecté par des situations mais en retour il affecte celles-ci, dans un jeu quasi inextricable. Notre regard est entrainé par de multiples écrans ou miroirs comme on en fait l’expérience dans la ville contemporaine ou bien dans nos espaces domestiques médiatisés. La subjectivité en tant qu’ensemble des caractères psychiques appartenant au sujet, prend une forme lovée; l’intériorité affleure sur les étendues externes et les surfaces sont profondes (Paul Valéry): opacité de l’épiderme, transparence des entrailles. Cela concerne toutes les surfaces spéculaires qui dé-multiplient les points de vue dans la contagion des reflets, mettant le réel en abîme, la question d’un paysage occasionné par les miroitements illimités. Perspectives à l’infini, réalités zigzagantes, effets de réverbération, qui déjouent un regard stable et nous invitent à une instabilité du regard et du corps. Selon une plongée profonde: c’est l’expérience que nous pouvons faire avec les superbes créations vidéo de Bill Viola qui nous immergent dans des images liquides où des corps s’enfoncent dans un abime puis rejaillissent à la surface, comme dans le film intitulé Ascension (2000).
Alors le regard peut se faire contemplation, et advient ce qu’on pourrait appeler une vision métaphysique, ou une mystique de l’immanence avec certaines formes contemporaines d’art: la perception bascule, on voit les choses tout autrement. Ainsi cette vision déborde le physique, le donné, tout en étant dedans, elle rend visible l’invisible, nous faisant presque percevoir l’inaperçu.
Notre regard se déplace dans les interstices du visible et de l’invisible, du dehors et du dedans. Des interfaces opèrent entre les rues, les variations lumineuses, les visages, les corps, les routes et paysages, entre l’intime et le public. Comme dans une vidéo de l’artiste Catherine Gfeller qui filme la rue dans Versions d’elle/Versions of her (2006). Au milieu de la foule sur les Champs- Elysées, une passante contemple les visages anonymes des femmes comme des images subliminales, elle projette ses pensées sur les surfaces de la ville, et deux voix off masculine/féminine se superposent aux images fragmentées comme une narration décalée.
On a la curieuse impression que cette captation de l’espace public est faite de l’intérieur d’un corps, à partir d’une subjectivité qui se dévoile de façon ténue dans une relation entremêlée avec la rue. C’est la vie intérieure d’un personnage qui se déploie dans l’agencement avec la ville en sa mouvance opaque quotidienne. Cette sensation est amplifiée et marquée par la trame filmique, puisqu’on passe continuellement d’images mobiles à des images fixes dans un jeu de battement et de suspension très fort visuellement, alternant les temporalités internes et externes presque musicalement, de manière quasi chorégraphique.
Le modèle de ce regard serait plutôt tourbillonnaire ou nomade. Le trajet nomade distribue les hommes (ou les animaux) dans un espace ouvert, indéfini, remarquent Gilles Deleuze et Félix Guattari: «la vie de nomade est intermezzo», et «le nomade ne va d’un point à un autre que par conséquence et nécessité de fait: en principe, les points sont pour lui des relais dans un trajet» (Deleuze et Guattari: 471). Le nouveau mode visuel est flottant, fugace, glissant, relayant, sur des surfaces et entre des gouffres.
Chaosmose. Vertige, déstabilisation, vision
Une affectologie comme étude des pouvoirs d’affecter et d’être affecté (Sauvagnargues: 40) serait à la fois contingente et décalée par rapport aux «modèles systémiques» dans lesquels nous évoluons, selon le double mouvement d’une contagion où j’affecte le monde, et où le monde m’affecte incessamment, comme nous l’avons vu. Notre culture occidentale a tendance à nourrir un rapport frontal et stratégique aux environnements dans et à travers lesquels nous nous mouvons. Cependant, un certain nombre d’espaces nous poussent à considérer le monde d’une façon beaucoup plus oblique, disparate.
L’écrivain D.H. Lawrence, dans son journal mexicain, raconte qu’arrivant chez les indiens pueblos, il remarque les maisons de boue séchée dans un village, et note: «que ces petits tas de boue vaguement carrés perdurent siècle après siècle, alors que le marbre grec part en morceaux et que vacillent les cathédrales, voilà la merveille» (Lawrence: 85) … En effet, c’est un mystère, celui d’une puissance du fragile, de la faculté faible dirions-nous. Pour l’écrivain anglais il en va de l’appartenance phénoménale au monde, qui serait en-deçà de lui, ou bien à travers lui, non pas dans un au-delà construit humainement.
Une installation du chorégraphe William Forsythe , Now where and everywhere at the same time n°2, choreographic objets, à la Halle de la Villette à Paris en 2017, s’élabore dans une dimension d’une puissance de la fragilité. En effet, avec ce lieu, les spectateurs zigzaguent à travers les fils multiples auxquels sont accrochés des centaines de pendules ou cônes, ils inventent leur propre cheminement dansant, dans les évitements, les réflexes inattendus, les accidents de parcours, les déstabilisations, et les gestes corporels, marches, courses parfois.
Forsythe défie une conception figée de la chorégraphie qui ne saurait être réduite au milieu spécialisé de la danse contemporaine. Il vise les fulgurances des corps mis en situation, où le spectateur devient un acteur de l’œuvre. Les dizaines de pendules disposés dans l’espace et qui se balancent dans l’air, obligent le «traverseur» à repenser le rapport à son corps, à s’engager dans une «partition» pour en devenir l’interprète et le chorégraphe. Cela intéresse normalement la démarche de l’anthropologue qui a un corps hypersensible aux environnements dans lesquels il évolue.
A travers des systèmes rigoureux, Forsythe ou Ikeda donnent cependant toute sa place à l’aléatoire, pour que chaque visiteur soit incité à quitter une posture de regardant et mettre en branle sa perception, dans une immersion souvent décalée afin d’activer l’œuvre.
C’est d’ailleurs le propre de toutes ces installations de déstabiliser le regard et le corps, façon d’être au plus près d’un réel contemporain paradoxal, tout en le subvertissant peut-être. Tous éléments qui renvoient à l’expérience d’un vertige de soi. Des tactiques de l’instabilité sont expérimentées à travers la multiplication des images comme en échos multiples Depuis les années 1980 les scénographies ont été débordées, basculées: on peut penser au théâtre de Richard Foreman et aux performances de Meredith Monk. Aujourd’hui Romeo Castellucci, les chorégraphies de Alain Platel, de Meg Stuart, de Sacha Waltz, les créations variées de Yann Fabre, qui «déglinguent» les codes et les genres, selon des glissements esthétiques surprenants, violents, en abime. Dans une pièce de théâtre de Romeo Castellucci The Four Seasons Restaurant, (Théâtre de la ville, avril 2013), toute la dernière partie se transforme en une véritable installation contemporaine lumineuse, les acteurs disparaissant totalement de la scène.
Sans nul doute l’artiste se confronte toujours au chaos dans toutes ses manifestations, il doit le laisser s’infiltrer dans ses œuvres, l’introduire sur la scène et devenir son confident et ami, tout en s’en protégeant absolument. Il semble inutile cependant de vouloir le maitriser, ce qui semble être la posture psychotique et hystérique par excellence, celle de la volonté de contrôle aboutissant justement au désastre des existences qui demandent l’improvisation et l’inattendu. N’est-ce pas précisément la propension dangereuse des organisations à vouloir tout verrouiller? Contre cela, Felix Guattari propose de «partir du chaosmose», remarquant que: «le mouvement chaosmique, qui consiste à faire un aller et retour permanent entre le chaos et la complexité, ne s’arrête pas forcément au degré zéro. Il rencontre des strates, des plis, que j’appelle des plis autopoïétiques» (Guattari: 89).
Or, ce mouvement chaosmique est aussi celui des cultures mondialisées dans lesquelles nous évoluons qui sont entremêlées ou entrechoquées, où circulent les images médiatiques du monde, et les flux migratoires (AppaduraÏ: 1996), dans l’exposition des sociétés à travers un design généralisé. Cependant les plis autopoïétiques de création se produisent à partir de situations plutôt cataclysmiques, temps d’une mutation incertaine, difficile, dans laquelle nous sommes plongés assurément. Certaines créations vidéo de Bill Viola, stupéfiantes de beauté inquiétante, nous le donnent à voir, telles The Deluge (2002) ou bien Fire woman (2005).
Un artiste allemand Gregor Schneider avec son aménagement spatial à la Maison Rouge à Paris en 2009, a présenté un habitat bizarre ou «dispositionnisme» déstabilisant: à nous de trouver les issues et une nouvelle façon de disposer son corps. Pour favoriser une relation de réciprocité réelle laissant toute sa place à l’improvisation, à une expérience de perte permettant de se retrouver vraiment.
Notons un paradoxe important, car un certain nombre d’installations et de performances indiquent un autre cheminement vital, où il ne s’agit pas uniquement de perturber les percepts et de troubler les corps, conditions nécessaires néanmoins pour un passage, mais de faire voir autrement, de déplacer ou décaler les enjeux dans la vision et les impressions corporelles, ceci dans les espaces mêmes. Bref il s’agit de réintroduire de la présence, et ainsi nous faire glisser subrepticement vers des zones de contemplation nouvelles dans un contexte de saturation et d’intensification des images partout.
N’est-ce pas ce qui se passe de façon patente dans l’expérience anthropologique du voyage vers un ailleurs ou altérité lointaine ou proche? La désorientation, la perturbation, la fragilisation, le malaise, font parties dans le meilleur des cas de l’exploration des terrains culturels autres. C’est à partir de ce trouble essentiel de nos repères institués qu’on peut commencer à avoir une autre vision, une compréhension quasi inattendue, en renversant les idées préconçues, ainsi tout le travail de Pierre Clastres sur l’archéologie de la violence (Clastres: 1977) dans les sociétés premières en Amazonie.
C’est à travers les questions vivantes de la perturbation et d’une compréhension déplacée, que les pratiques cérébrales et sensibles de l’anthropologie et des arts modernes et contemporains se rejoignent dans une transversale qui fait dévier les parallèles.
Décloisonner ou vers l’Indiscipline? Anthropoïétique
Deux auteurs posent bien les problèmes nous concernant, l’un anthropologue, l’autre philosophe de l’art.
Tim Ingold dans un récent ouvrage intitulé Faire, écrit qu’art, architecture et anthropologie partagent un même désir: «d’explorer les processus créatifs qui engendrent les environnements au sein desquels nous évoluons et la façon dont nous les percevons» (Ingold: 40).
Il s’agit bien du caractère expérimental, spéculatif, ouvert, propre à l’art, qui inspirerait la recherche scientifique dans une option prospective et non pas rétrospective. En ce sens, les frontières entre les disciplines se sont amplement évanouies, du moins altérées, et l’anthropologue anglais note le caractère anti-disciplinaire (Ingold: 44), pas seulement transdisciplinaire, d’une démarche remettant en cause les normes de la discipline académique en tant que domaine délimité. Il s’agit donc de mettre en discussion la compréhension normative de la discipline.
L’autre référence est Georges Didi-Huberman à partir d’un petit essai excellent intitulé Essayer voir, paraphrasant le «essayer dire» de Samuel Beckett, puisque son étude porte sur ce que peut dire la littérature sur la Shoah, (Appelfelt, Kertesz, Srebnik), et ce que peuvent montrer les images de l’inimaginable, à travers les installations vidéo de James Coleman.
Pour notre auteur, il s’agit de trouver «un langage expérimentant sur lui-même le trouble inhérent aux expériences du regard» (Didi-Huberman: 70). Il s’agit d’une remarque fondamentale pour moi, concernant la recherche esthétique ou anthropologique. Didi-Huberman ayant toujours eu le souci d’articuler les arts et l’anthropologie dans une perspective philosophique et généalogique.
Des strates anthropoéïtiques se forment dans les turbulences de l’époque, au sens où on l’entendait pour les plis. Ainsi pour en rendre compte une méthode de la réverbération traverse notre propos: Reverberare, veut dire renvoyer, comme avec les effets des miroirs entre eux. Les reflets successifs se mirent et se mélangent entre eux, ils créent des profondeurs de champ, des anfractuosités au cœur des transformations visibles ou invisibles. Cette méthode «anti-méthodologique» si l’on peut dire, à contrario des systèmes forclos, induit des formes de connaissance non-disciplinaires, débordant les prisons épistémologiques. Trois modalités d’un «faire recherche» caractérisent une telle démarche:
Le fonctionnement des correspondances, le compagnonnage spéculatif ou poétique, la nécessité de l’effraction.
Il me semble que la démarche anthropologique rejoint sur ces trois points les pratiques artistiques. Surtout avec une anthropologie du contemporain qui recherche les résonances ou les écarts entre les cultures et les domaines du savoir, intégrant bon gré mal gré les subjectivités, abordant de fait les télescopages de toutes sortes, et la violence du réel remettant en cause nos modes de pensée pourtant planifiés par les académismes.
Bibliographie
Appadurai, Arjun. 1996. Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation. Paris : Payot poche.