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Présentation des écrivains de la table ronde

Marie-Ève Thérenty
Florence Thérond
couverture
Article paru dans Les formes brèves dans la littérature web, sous la responsabilité de Marie-Ève Thérenty et Florence Thérond (2017)

    

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Présentation des écrivains de la table ronde

     

Jean-Louis Bailly

Jean-Louis Bailly, né en 1953, professeur de lycée aujourd’hui à la retraite, est à la tête d’une œuvre déjà dense. Pataphysicien actif, il apprécie les exercices d’écriture à contraintes. Il est ainsi l’auteur en 2014 avec la Chanson du mal aimant du plus long lipogramme versifié de la langue française (il s’agit d’une reprise sans la lettre e de «La Chanson du mal aimé» d’Apollinaire) et d’un roman par holorimes en 1986 intitulé Des gars jurent des gageures. Il a aussi publié de nombreux romans chez Laffont et Belfond. Depuis quelques années, il est édité à l’Arbre vengeur: Mathusalem sur le fil (2013), Vers la Poussière (2010), Nouvelles impassibles, chronique parcimonieuse des événements survenus entre avril et décembre 2008 (2009).

Entre mai et novembre 2008, il réécrit sur le modèle de Félix Fénéon et de ses nouvelles en trois lignes pas moins de 1209 dépêches internationales sur un blog qu’il a ouvert «à cette seule intention». Chaque jour, Bailly publiait une dizaine de nouvelles sur son site. Une seule règle: chaque nouvelle devait comporter moins de cent cinquante caractères sur le format des tweets. On y trouve beaucoup d’anonymes héros d’un jour mais aussi les faits qui ont échappé à la colonne des faits divers et ont accédé à la une: Ingrid Betancourt, la campagne présidentielle aux États-Unis, les caricatures du prophète, le séisme en Sichuan. Comme on le voit Bailly ne s’est pas restreint au territoire français, ni aux faits divers, mais il propose une sorte de Fénéon global, post-moderne.

À Harrold (Texas), les profs pourront dès cet automne faire classe avec des armes, dont ils sont invités à user avec modération et discernement. (Bailly, 2009: 170)
Dans un parc de Hong-Kong, le Xing copulait avec un banc public et s’y trouva retenu. Il fallut conduire le couple à l’hôpital (Bailly, 2009: 171)
Jeune suédoise au pouce agile, Ly Svensson fut à Stockholm couronnée reine du SMS. Légitime fierté de la famille.  (Bailly, 2009: 171)

Jean-Louis Bailly s’est ensuite lancé un nouveau défi: écrire une micro-nouvelle par jour.  Il  a recueilli ces récits à l’Arbre Vengeur en 2015 sous le titre Une grosse suivie d’un petit geste commercial.

Depuis, Jean-Louis Bailly continue à tenir son blog. Il constitue pour lui un «exercice quotidien (ou presque) où assouplir (s)a plume1Propos recueillis lors d’un entretien accordé en 2015.». Actuellement il publie des petits quatrains versifiés de satire de l’actualité politique qu’il édite sur son blog et expédie à ses amis facebook.

Pénélope, collaboratrice exemplaire,
Avait deux non-métiers, et donc s’organisa,
Se reposant par un travail imaginaire
De celui qu’autre part elle ne faisait pas.2Quatrain publié sur le blog de Jean-Louis Bailly le 25 janvier 2017

     

Thierry Crouzet

Thierry Crouzet est né à Sète en 1953, il est ingénieur en robotique de formation et joueur de jeux de rôle, développeur, puis journaliste (au mensuel Soft and Micro et rédacteur en chef de PC direct). À partir de 1997 il écrit plusieurs best-sellers de vulgarisation sur la bureautique et Internet qui ont fait de lui un «rentier» du Net. Il s’initie à la philosophie, écrit des romans, des essais et des carnets de voyage et devient, selon sa propre expression «auteur expert de rien». Touche à tout, volontiers frondeur, «électron libre», selon François Bon, «poussé à aller sans cesse dans ces positions où une boule de billard éclate tout dispositif stable», il est devenu l’un des acteurs les plus influents du Web francophone. Connecté en permanence, il finit, en 2011, par débrancher pendant six mois: il tirera de cette expérience l’ouvrage intitulé J’ai débranché, réflexion sur les liens complexes que l’individu entretient avec le Web.

Persuadé malgré tout qu’Internet est une révolution qui a irrémédiablement changé nos vies, il continue de défendre les réseaux numériques et s’enthousiasme pour l’individu augmenté. Depuis janvier 2012 il a repris son blog, mais explore aussi d’autres plates-formes, comme Twitter pour l’écriture d’un Twiller, La Quatrième Théorie (2013), qu’il a mis 463 jours à écrire en envoyant 5200 tweets (soit 11,2 tweets par jour) ou Wattpad, plateforme créée en 2006 pour les feuilletonistes, parfaitement adaptée à One Minute qui raconte 365 fois la même minute vécue par 365 personnes différentes à travers le monde, à raison d’un épisode par jour publié aussi sur son blog et en livre électronique.

Car Thierry Crouzet souhaite diversifier l’offre des modes de lecture pour, dit-il «tenter de traduire son temps avec tous les sismographes possibles». Il est aussi très attaché à une conception de la littérature comme art de la performance dans lequel l’intervention des lecteurs, à l’échelle du fragment, permet une ouverture maximale du processus créatif, une «littérature qui s’arrête à l’annotation» (Crouzet, 2016: 76): «Par effet de la technologie toute annotation devient publiable et toute chose publiée n’est plus qu’une longue note».

En 2004 Thierry Crouzet a eu l’idée d’écrire J’ai eu l’idée, 490 idées dans la lignée des I remembrer de Joe Brainard, sans projet, au fil des années, mais au bout du compte il dit avoir pris conscience d’avoir composé une sorte de roman, «un voyage à travers les pensées d’un homme, à travers son temps».

      

Jean-Yves Fréchette

Jean-Yves Fréchette est né en 1948 au Nouveau-Brunswick. Toute sa vie il a partagé avec enthousiasme sa passion pour la littérature: comme professeur au Collège François-Xavier-Garneau de Québec ou dans le cadre de la Centrale textuelle de Saint-Ubalde, dont il est le fondateur. Dans  la tradition de l’art performance, il y a expérimenté des représentations textuelles originales dans lesquelles production collective et numérique tenaient une grande place, bien avant l’existence des médias sociaux («agrotexte», sculpture agricole et textuelle longue de 1,6km labourée par des charrues, physitexte, performance d’édition).

Il s’intéresse à partir de 2009 à Twitter, conçoit Twittexte, inspiré du réseau social de microblogging, et destiné aux élèves du secondaire et à leurs enseignants. L’outil, qui permet de décortiquer l’acte d’écriture en sous-unités, permet aux élèves de travailler la concision, la précision, de jongler avec la langue. Jean-Yves Fréchette s’est créé un avatar sur Twitter, Pierre-Paul Pleau («Je fais de la twittérature: je tweete à l’envers, recto verso, vice versa et tweeti quanti…»), qui écrit chacun de ses gazouillis en exactement 140 caractères. Parfois, il peut passer plus d’une heure à rédiger son message: «Moi j’aime bien gazouiller lentement. C’est ma façon d’accélérer le passage du temps qui me mine.» (Fréchette, 2011: 22).

Jean-Yves Fréchette entre en contact avec une communauté de twittérateurs. Comme la ville de Québec est jumelée avec la ville de Bordeaux depuis cinquante ans, Jean-Yves Fréchette a l’idée en 2010 de fonder un Institut de twittérature comparée (ITC) en collaboration avec un twittérateur français, le journaliste Jean-Michel Leblanc. Concours, colloques, participations à des festivals, cette association originale et francophone a beaucoup de projets et d’enthousiasme.

Deux de ses livres récents, parus aux éditions L’Instant Même, témoignent de la richesse créative des nouveaux médias de l’instantané : Tweet rebelle en 2011 et, en 2014, Ne sois pas effrayé par le pollen dans l’œil des filles, né d’une rencontre avec le photographe Patrick Saint-Hilaire.

Ce dernier recueil comporte 140 photos, 140 tweets de 140 caractères, regroupés en 10 chapitres de 14 photos chacun et dont le titre fait exactement 14 syllabes. Jean-Yves Fréchette retranscrit dans ses tweets l’émotion que suscite en lui l’œuvre photographique de BlacksmithPat consacrée à ses quatre filles: «La bêtise du jour. Ne nous regardez pas ainsi. Nous prenons nos aises. Et nous épuisons la bêtise du jour dans la dissidence de nos regards» (Fréchette, 2015: 130). Dans Tweet rebelle, Jean-Yves Fréchette défend une conception militante et libertaire de Twitter et de la twittérature, comme lieu d’insurrection:

«J’aime l’effet des mots sur les faits : je m’enfonce dans les couches d’ombre du numérique et je m’applique à casser le cours des conneries» (Fréchette, 2012: 74)

«Les mots sont de petits radeaux qui flottent sur la langue. Ne les avalez jamais ! Mais crachez-les avec force pour que le sens éclabousse» (Fréchette, 2012: 75)

     

Olivier Hervy

Né en 1968, Olivier Hervy exerce la profession de documentaliste dans un lycée et publie parallèlement depuis des années dans des petites revues et chez des éditeurs confidentiels des séries d’aphorismes qui sont préalablement en partie confiées à l’édition numérique essentiellement sous deux formes.  D’abord Olivier Hervy tient depuis 2011 un compte twitter où il délivre des épigrammes. Il se sert aussi de Facebook pour donner à ses 178 amis des aphorismes comme ceux-ci:

À côté du canoé ce n’est pas un héron, c’est une aigrette ! », me dit avec mépris ce promeneur inconnu alors que j’identifiais à voix haute l’oiseau. Peut-être, mais c’est un kayak.
La philosophie, ça ne sert à rien », me dit le jeune T., passionné de jeux vidéos
Il se teint les cheveux pour faire jeune comme si les jeunes se teignaient les cheveux.

À l’origine de cette passion pour l’aphorisme, il voit sa rencontre avec Perros et ses Papiers collés, avec Michaux et ses Tranches de savoir, avec Cioran, mais aussi avec la poésie courte de Guillevic par exemple ou de Ponge. En 2012, Olivier Hervy publie sous le titre d’Agacement mécanique un recueil d’aphorismes à L’Arbre Vengeur. Il a publié un autre recueil, En bataille, en 2016 chez le même éditeur.

Il publie aussi volontiers en revue, car la «revue est collective. Elle permet des rencontres3Propos recueillis lors d’un entretien accordé en 2015.». Le Web pour lui est moins un atelier de production qu’une plate-forme de diffusion.

      

Bibliographie

Bailly, Jean-Louis. 2009. Nouvelle impassibles.
Bailly, Jean-Louis. 2015. Une grosse suivie d’un petit geste commercial.
Crouzet, Thierry. 2012. J’ai eu l’idée.
Crouzet, Thierry. 2013. La quatrième théorie.
Crouzet, Thierry. 2014. La mécanique du texte.
Fréchette, Jean-Yves. 2012. Tweet rebelle.
Fréchette, Jean-Yves et Patrick Saint-Hilaire. 2015. Ne sois pas effrayé par le pollen dans l’œil des filles, tweets de @pierrepaulpleau et photographies de @blacksmithpat.
Hervy, Olivier. 2007. Expertise.
Hervy, Olivier. 2012. Agacement mécanique.
Hervy, Olivier. 2014. Formulaire.
Hervy, Olivier. 2016. En bataille.

  • 1
    Propos recueillis lors d’un entretien accordé en 2015.
  • 2
    Quatrain publié sur le blog de Jean-Louis Bailly le 25 janvier 2017
  • 3
    Propos recueillis lors d’un entretien accordé en 2015.
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