Entrée de carnet

Penser comme et devenir une météorite

Valentine Auphan
couverture
Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)

Mardi 31 octobre 2023, le jour d’Halloween. La première neige est tombée hier, ce cadeau de la nature a recouvert le paysage montréalais d’un léger manteau blanc et m’a rendue heureuse. Cette délicatesse du vivant a ravivé mes souvenirs d’enfance avec mon petit frère, Aristide, lors d’un hiver en Bretagne. En 2010, les flocons ont traversé l’Atlantique pour se poser délicatement sur la pointe Finistère à notre plus grand émerveillement.

«La neige crisse, la banquise craque, des blocs de glace dérivent sur l’océan». Aujourd’hui et demain les icebergs ne cessent et cesseront de fondre. Notre vie s’écoule pendant qu’ils gouttent inlassablement et leur grande forme blanche ne sera bientôt plus qu’un mirage glacial de notre planète hôte. Ce qui affecte ces géants blancs nous affecte également, nous vivons et partageons le même monde. Ce dernier a besoin de toute notre attention. Nous avons des «respons(h)abilités» urgentes envers lui et nous devons le chérir, en prendre soin comme d’un être aimé.

Les portes du métro de la ligne orange s’ouvrent brusquement et m’arrachent à ma lecture captivante de l’ouvrage d’Olivier Remaud, Penser comme un iceberg.

Lentement, je marche vers notre point de rencontre tout en me laissant distraire par les petits blocs de glace éparpillés sur le sol, seuls survivants de la magie d’hier. Ce midi, nous allons partager un banquet philosophique avec le groupe, à La Serre, où nous effectuons une «micro-résidence» de deux jours. Je prends plaisir à sortir des sentiers battus, découvrir de nouveaux lieux et me sentir «être nomade», en mouvement. L’espace où nous travaillons est très lumineux; le royaume du soleil se glisse et s’invite sur nos corps engourdis par le froid extérieur. A l’heure du repas, la table est dressée solennellement par Katia avec une nappe brodée. Tout le monde s’assoit sur une chaise en bois vernis et reçoit comme présent une petite serviette assortie à la grande nappe artisanale. J’aperçois mon banana bread vegan au centre de la table, au milieu d’une multitude de mets préparés avec soin par mes camarades. Mon regard, le temps d’un instant d’évasion, s’attarde dans le coin de la salle où se trouve un magnifique plateau de thé. Celui-ci a été mis de côté pour la fin du festin et est accompagné de délicieux petits muffins marbrés maisons. Partager de la nourriture est une façon d’accueillir l’autre. C’est pourquoi, ce rassemblement est sous le signe de l’hospitalité. Cependant, il ne s’agit pas d’un repas comme les autres car chacun se voit attribuer un temps de parole de 7 minutes pour présenter sa réflexion sur la notion d’hôte. Lorsque l’on mange, nous avons l’habitude d’échanger, de se laisser emporter dans des discussions du quotidien or la contrainte d’aujourd’hui implique le contraire. Nous allons assister discrètement à une chorégraphie des récits respectifs de nos «partenaires d’existences». En apprenant à s’écouter mutuellement, à pratiquer le silence, on écoute vraiment les éloges palpitants des vies inattendues de chacuns et chacunes.

Sommes-nous forcément les hôtes de notre pratique artistique? A moins qu’il ne s’agisse d’«autres qu’humains»?

Quand vient mon tour de parole, je confie les secrets des gardiens de ma thèse de recherche-création: les météores. De fait, mon travail de recherche porte sur l’apport de l’immersion collective dans la perception des données astronomiques des météoroïdes. J’ai pour objectif de créer une œuvre immersive 360 degrés pour dôme dans le cadre de ma résidence artistique au Planétarium de Montréal afin de revisiter l’utilisation traditionnelle de ce nouveau média. Sous la lumière du désert de mes rêves, je vois les météorites briller sans cesse. Je suis envoûtée par leur éclat sans partage, à peine terni par les longues années passées dans l’espace. Elles sont les témoins d’un temps passé: celui de la création, de nos origines et de la vie sur Terre. Ces messagers galactiques renferment notre mémoire commune entre entités humaines et non humaines. Elles nous enseignent aussi la discrétion comme art de cohabiter ensemble. En effet, les comètes dissimulent des temporalités plurielles et enjambent les mondes pour s’immiscer dans notre ciel nocturne. Ces faisceaux de lumière cosmiques laissent derrière eux une longue traînée blanche éclatante et déposent «les pierres tombées du ciel». Ces derniers se fondent comme par magie dans le décor nocturne et font leur cratère dans leur nouvel habitat. J’ai récemment commencé la lecture d’un ouvrage sur le sujet de Matthieu Gounelle intitulé Un ciel de pierres – Voyage en Atacama. En parcourant ce récit, je me demande ce qu’un chasseur de météorites ressent lorsqu’il trouve un de ces précieux trésors. Est-il un géolinguiste et comprend-t-il le langage des êtres inertes? Comment grâce à une forme d’attention particulière peut-il lire dans ces traces, terraformer et devenir avec le monde qui nous entoure? Les interconnexions et les agentivités entre humains et «autres qu’humains», matières vivantes et inertes sont les clés pour tendre vers un avenir vivable. Les météorites ont effectivement beaucoup de choses à nous apprendre sur qui nous sommes et d’où nous venons. Mais il faut savoir être patient et attentif dans cette quête de réponses aux grandes questions philosophiques. Prendre le temps d’entendre et d’écouter les voix enfouies des météorites. Ainsi, par une pratique curieuse j’aspire à déceler une autre forme poétique, moins communicative et plus passive, une poésie intemporelle, froide et céleste: la poésie des pierres. Chacune d’entre elles est un mot prononcé, il y a très longtemps par l’univers. A l’image de la naturaliste québécoise Gisèle Benoit qui devient orignal pour mieux comprendre son sujet d’étude, je pourrais devenir pierre et me fondre dans le silence. Ainsi, peut-être, me serait-il possible de retrouver la plénitude du vivant et de cohabiter en harmonie avec notre écosystème unique et fragile?

Version tapée de la recette du banana bread pour un partage plus lisible:

Banana Bread

• Ingrédients:

3 bananes bien mûres

100 g de sucre roux (ou coco pour les amateurs)

15g de poudre d’amande

1 belle pincée de sel

2g de cannelle

1g de vanille (moi je mets un sachet de sucre vanillé bio que je déduis des 100g)

60g huile neutre (pépin de raisin ou colza ou huile de coco si tu préfères)

165g de farine

5g de poudre à lever (1⁄2 sachet)

2càs d’eau

1càc de vinaigre de cidre (ou une petite de bicarbonate de sodium)

Ecraser les bananes à la fourchette, puis les fouetter (fouet) avec le sucre, ajouter les épices, la poudre d’amande et le sel. Bien fouetter en rajoutant l’huile.

Bien mélanger la farine la levure et la càc de vinaigre de cidre ou de bicarbonate de sodium.

Incorporer au reste à la cuillère en bois.

Mettre dans un moule à cake (20 cm) beurré et fariné au préalable.

Cuire au four à 160° pendant 40 à 50 mn : vérifier avec un couteau la cuisson.

Démouler le Banana bread tiède.

L’envelopper avec un film alimentaire et attendre 24h avant la dégustation : nous nous n’avons jamais atteint cette étape, nous l’avons toujours commencé avant !

Bon appétit!

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