Entrée de carnet

Métaphysique du papillon

Bertrand Gervais
couverture
Article paru dans Réflexions sur le contemporain, sous la responsabilité de Bertrand Gervais (2011)

Je retrouve avec un certain plaisir cette citation de Henri Bergson, extraite de La pensée et le mouvant, qui, réfléchissant sur la métaphysique et ses définitions, en arrive à se servir de la figure d’un insecte, notamment celle du papillon, pour compléter son argument. C’est un exemple de métaphorologie, au sens de Hans Blumenburg, notion développée notamment dans Naufrage avec spectateur.

« La métaphysique date du jour où Zénon d’Élée signala les contradictions inhérentes au mouvement et au changement, tels que se les représente notre intelligence. À surmonter, à tourner par un travail intellectuel de plus en plus subtil ces difficultés soulevées par la représentation intellectuelle du mouvement et du changement s’employa le principal effort des philosophes anciens et modernes. C’est ainsi que la métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui change, en dehors, par conséquent, de ce que nos sens et notre conscience perçoivent. Dès lors elle ne pouvait plus être qu’un arrangement plus ou moins artificiel de concepts, une construction hypothétique. Elle prétendait dépasser l’expérience; elle ne faisait en réalité que substituer à l’expérience mouvante et pleine, susceptible d’un approfondissement croissant, grosse par là de révélations, un extrait fixé, desséché, vidé, un système d’idées générales abstraites, tirées de cette même expérience ou plutôt de ses couches les plus superficielles. Autant vaudrait disserter sur l’enveloppe d’où se dégagera le papillon, et prétendre que le papillon volant, changeant, vivant, trouve sa raison d’être et son achèvement dans l’immutabilité de la pellicule. Détachons, au contraire, l’enveloppe. Réveillons la chrysalide. Restituons au mouvement sa mobilité, au changement sa fluidité, au temps sa durée. Qui sait si les grands problèmes insolubles ne resteront pas sur la pellicule ? Ils ne concernaient ni le mouvement ni le changement ni le temps, mais seulement 1’enveloppe conceptuelle que nous prenions faussement pour eux ou pour leur équivalent. La métaphysique deviendra alors l’expérience même. La durée se révèlera telle qu’elle est, création continuelle, jaillissement ininterrompu de nouveauté. » (1985, p. 8-9)

BibliographieBergson, Henri. 1938. La pensée et le mouvant. Paris: PUF, «Quadrige».Blumenberg, Hans. 1979. Naufrage avec spectateur. Paris: L’Arche.

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