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Ma position traductive

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Article paru dans Traduction des littératures autochtones de l’anglais vers le français, sous la responsabilité de Mélissa Major (2024)

Une traduction éthique et décolonisée des œuvres autochtones, dont celles de Lee Maracle (stó:lōe/salishe1Il est à noter que l’accord, en français, en genre et en nombre des noms et des adjectifs désignant les peuples autochtones ne fait pas l’unanimité et n’est pas toujours explicité. Dans son document de 2002 sur la « Terminologie autochtone », la Direction générale des communications : Affaires indiennes et du Nord Canada souligne qu’il faut faire l’accord en genre et en nombre des noms et adjectifs suivants : innu (innus, innue, innues) et inuit (inuits, inuite, inuites), mais ne dit rien concernant les autres peuples autochtones, dont les Métis. De son côté, l’Office québécois de la langue française, sous l’onglet « Désignations des peuples autochtones », « privilégie la variation en genre et en nombre », mais dans un de ses exemples, écrit : « la culture mohawk ». Pour ma part, j’ai finalement décidé de faire l’accord en genre et en nombre, dans tous les cas, par souci d’uniformisation.), exige des traducteurs allochtones qu’ils soient sensibles aux rapports de force entre Autochtones et Allochtones et qu’ils ne se contentent pas des méthodes et ouvrages euro-américains pour mener à bien cette tâche. Si utiles soient-ils, les outils issus de la traductologie euro-américaines ne sont pas suffisants pour aborder la traduction des œuvres autochtones. Il faut aller du côté des théories et des critiques liées aux littératures autochtones si on veut analyser les œuvres autochtones et réfléchir de manière plus approfondie à une façon éthique et décolonisée de les traduire. On trouve des ouvrages portant sur la traduction des œuvres autochtones, mais ils concernent généralement des œuvres écrites dans une langue autochtone. De plus, ils se préoccupent surtout de l’aspect langagier plutôt que culturel de la traduction2À titre d’exemples : « Should Translation Work Take Place? Ethical Questions Concerning the Translation of First Nations Languages » de Carrie Dyck, « Reading a Dictionary: How Passamaquoddy Language Translates Concepts of Physical and Social Space » de Robert M. Leavitt, « Related-Language Translation: Naskapi and East Cree » de Bill Jancewicz.. Parce que les théories traductologiques actuelles ne se sont pas encore beaucoup intéressées à la spécificité de la traduction des littératures autochtones écrites en anglais, j’en suis venue à une approche critique hybride qui allie la traductologie telle que définie par Antoine Berman, c’est-à-dire « la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d’expérience3Antoine Berman, « La traduction et ses discours », Meta, vol. xxxiv, no 4, 1989, p. 675. », et certaines perspectives autochtones sur les littératures autochtones.

Une traduction décolonisée implique ceci : « Recogniz[e] that the literatures of Native Americans have a unique voice and that voice has not always been adequately or accurately explored in the criticism that has been written about the literature4Kimberly E. Blaeser, « Native Literature: Seeking a Critical Center », dans Jeanette Armstrong (dir.), Looking at the Words of Our People: First Nations Analysis of Literature, Penticton, Theytus Books, 1993, p. 53. ». À propos de la décolonisation, l’universitaire Linda Tuhiwai Smith (ngatie awa/ngatie poroue) écrit : « Decolonization […] does not mean and has not meant a total rejection of all theory or research or Western knowledge. Rather, it is about centring our concerns and world views and then coming to know and understand theory and research from our own perspectives and for our own purposes.5Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples, Londres et New York, Zed Books, Dunedin, Otago University Press, 2012, p. 41. » Je définirais une traduction décolonisée comme une traduction qui, sans écarter ni les théoriciens de la littérature ni les outils de la traductologie euro-américains, s’intéresse surtout aux analyses des littératures autochtones issues des critiques et théoriciens autochtones, et fait particulièrement attention aux pièges de l’ethnocentrisme (sur lesquels je reviendrai plus loin). C’est parce que la traduction est aussi liée à des cultures, à des peuples, que la traduction des littératures autochtones ne peut se satisfaire des théories euro-américaines; ce qui ne veut pas dire qu’il faille, pour autant, tout rejeter des réflexions issues de la traductologie traditionnelle et de son apport à la traduction.

Compte tenu de la génération à laquelle appartient Maracle (elle fait partie des premiers écrivains autochtones associés à la Renaissance littéraire autochtone), de l’aspect politique de son œuvre et de sa tendance à avoir recours à des récits ancestraux et à une vision du monde quelquefois traditionaliste dans ses récits, l’American Indian literary nationalism et l’indigenism ou traditionalisme (ou encore tribal culture) me semblent les approches les plus appropriées pour aborder cette auteure. Je suis donc au diapason de l’universitaire Michèle Lacombe (acadienne/québécoise/wolastoqiyike) lorsqu’elle avance que Lee Maracle est une écrivaine se situant entre le nationalisme et le traditionalisme6Voir le schéma de Lacombe dans Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord : approches anglophones en contexte », dans Maurizio Gatti et Louis-Jacques Dorais (dir.), Littératures autochtones, Montréal, Mémoire d’encrier, 2010, p. 167..

L’American Indian Literary Nationalism
L’universitaire Arnold Krupat considérait qu’aux États-Unis, en 2013, une des quatre perspectives pour étudier les littératures autochtones étaient le nationalism7Arnold Krupat, « Nationalism, Transnationalism, Trans-Indigenism, Cosmopolitanism: Four Perspectives on Native American Literatures », Journal of Ethnic American Literature, no 3, 2013, p. 42., approche que Michèle Lacombe reconnaissait, en 2010, être employée au Canada depuis un peu plus de quarante ans8Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord », art.cit., p. 166.. De mon côté, je privilégie l’American Indian Literary Nationalism, une perspective qui appartient à cette plus vaste catégorie du nationalism et qui revendique, par l’entremise de la critique littéraire autochtone, une volonté d’autodétermination politique et de souveraineté9Arnold Krupat dit ceci quant à la notion de souveraineté chez les peuples autochtones : « Native people typically think in terms of the nation-people rather than the nation-state. » (Arnold Krupat, Red Matters: Native American Studies, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002, p. 3) . Elle est prônée, entre autres, par les universitaires Jace Weaver (cherokee), Craig S. Womack (creek/cherokee) et Robert Warrior (osage), qui ont coécrit un ouvrage intitulé American Indian Literary Nationalism publié en 2006. Dans la préface, les auteurs rappellent ce à quoi est lié le terme « nationalisme » : « Nationalism is a term on a short list, one that also includes sovereignty, culture, self-determination and history, that is central to understanding the relation between the creative expression of Native American literature and the social and historical realities that such expression embodies10Jace Weaver, Craig S. Womack et Robert Warrior, American Indian Literary Nationalism, Albuquerque, University of New Mexico Press, 2006, p. xv.. » Plus loin, Weaver explique ce que ses coauteurs et lui entendent par le type de nationalisme qu’ils préconisent dans leur approche des littératures autochtones : « For me, the goals of American Indian Literary Nationalism are consonant with those of Native American Studies more broadly, the studying and teaching about Native peoples from an Indigenous perspective and supporting Native Americans in their struggles11Ibid., p. 43.. » Weaver, Womack et Warrior soulignent aussi l’importance du point de vue de leur communauté dans la compréhension et l’accomplissement de ce nationalisme12Ibid., p. 38.. Alors qu’on pourrait penser que cette conception se refuse à tout dialogue avec des intellectuels non autochtones, il n’en est rien : « As we show, both Natives and non-Native allies who support tribal national sovereignty and nationalist readings of Native literature are welcome at our table13Ibid., p. xxi.. » La définition de Weaver, Womack et Warrior est étoffée tout au long de l’ouvrage, qui explique qu’il n’existe pas une littérature autochtone, mais des littératures autochtones (crie, cherokee, creeke, etc.) qui devraient être étudiées dans leur spécificité. Ces littératures ne forment pas une sous-catégorie de la littérature américaine, mais des catégories à part entière. Pour les étudier adéquatement, il faut privilégier les outils provenant des nations autochtones concernées.
Puisque je préconise une approche éthique et décolonisée de la traduction des œuvres autochtones, il m’apparaît important de reconnaître et de respecter la volonté d’autodétermination et de souveraineté intellectuelle et politique de nombre d’écrivains autochtones, et de garder en tête leurs revendications en ce sens quand vient le temps d’étudier les œuvres autochtones et de faire des choix traductifs. En ce qui a trait à Lee Maracle, elle souligne elle-même l’aspect politique inhérent à ses œuvres : « Much of my writing has a political bent; even my poetry and novels come from my considerably long and deep past here on this continent – even when I don’t intend to be political, the direction I come from makes my work sound political. […] I am much too political to just tell stories14Lee Maracle, My Conversations with Canadians, Toronto, BookThug, coll. « Essais », 2017, p. 21, 41.. » Même si l’American Indian Literary Nationalism est lié à la notion d’américanité, il ne me semble pas problématique, compte tenu du fait que les frontières américaines et canadiennes issues du colonialisme ne sont généralement pas reconnues par les peuples autochtones, de me servir de cette conception pour aborder les littératures autochtones au Canada. Il s’agit d’une approche qui se rapporte aux théories et aux critiques de membres des Premiers Peuples eux-mêmes, qui privilégie une connaissance approfondie des nations autochtones dont ces littératures sont issues et qui revendique des changements sociaux, politiques à l’égard des Premiers Peuples. Les universitaires Kristina Fagan (métisse du Labrador) et Sam McKegney le soulignent : « For Weaver, Womack, and Warrior, the relationship between Native literature and Native community is not tangential to progressive literary study, but instead must become its core15Kristina Fagan et Sam McKegney, « Circling the Question of Nationalism in Native Canadian Literature and its Study », Review: Literature and Arts of the Americas, vol. xxxxi, no 1, 2008, p. 37.. » Dans le cas de Maracle, et bien que cela n’exclue pas qu’il puisse y avoir des similarités entre les littératures des différentes nations, il est donc important de prendre en compte le savoir issu des nations salishes et stó:lōe et l’aspect politique de son œuvre.

L’indigenism
Je préconise également l’indigenism, que Krupat, en 2002, considérait comme une des approches privilégiées pour analyser les œuvres autochtones. L’indigenism, tel que le présente Krupat, « look[s] to a particular relation to the earth as underlying a worldview and providing a knowledge that can be called traditional or tribal16Arnold Krupat, «Native American Literary Criticism in Global Context », dans Scott Richard Lyons (dir.), The World, the Text, and the Indian: Global Dimensions of Native American Literature, Albany, Suny Press, 2017, p. 53. ». Ainsi, comme le précise Krupat :

From an indigenist perspective, it is not the nation, but the “earth” that is the source of the values on which a critical perspective must be based. […] It is this worldview that determines one’s perspective on literature as on all else, often regardless of national allegiances or statuses (e.g., whether one is or is not a “citizen” of a particular Native nation or one of the people; whether one’s community has greater or lesser amounts of sovereignty)17Arnold Krupat, Red Matters, op. cit., p. 10..

À lire Krupat, on pourrait penser qu’il y a contradiction à allier l’indigenism et l’American Indian Literary Nationalism. Néanmoins, dans sa définition de l’American Indian Literary Nationalism, Weaver souligne l’importance de respecter les visions du monde autochtones. Or, le rapport particulier qu’ont les peuples autochtones à la terre est un élément fondamental de leurs visions du monde, raison pour laquelle ces deux perspectives n’entrent pas en contradiction. L’American Indian Literary Nationalism, tout en étant plus politique, reconnaît le rôle essentiel de l’indigenism, comme on peut le constater avec Warrior : « the key to an American Indian future […] [is] the return to Native ceremonies and traditions within a framework of asserting sovereignty18Robert Allen Warrior, Tribal Secrets: Recovering American Indian Intellectual Traditions, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995, p. 88. ». Pour les tenants de l’indigenism, le rapport à la terre est prédominant, est une valeur intrinsèque, parce qu’il a toujours été de première importance pour les peuples autochtones, alors que le rapport à la nation d’un point de vue politique s’est transformé et s’est davantage manifesté après la venue des Européens. L’historien Georges E. Sioui (wendat) explique certaines caractéristiques, sur le plan politique, propres aux nations autochtones avant l’arrivée des colonisateurs :

le monde amérindien d’origine […] [était] sans frontière ni pays […]. Il est sûr que la grande société amérindienne de l’époque précédant le contact ne connaissait pas une paix parfaite et constante. Néanmoins, l’archéologie nous informe que ces Amérindiens ne connaissaient pas de conflits importants et qu’ils avaient donc les moyens, idéologiques et sociaux, de maintenir entre eux une paix relative19Georges E. Sioui, Pour une autohistoire amérindienne, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2018 [1989], p. 59, 61..

Même si, du point de vue de Krupat, l’indigenism n’est plus privilégié (c’est du moins sa position en 2013), il conserve l’avantage de mettre de l’avant une vision qu’ont en commun les nations autochtones : l’importance et le respect de la nature et non sa sujétion aux êtres humains. C’est d’ailleurs le point de vue de l’universitaire Winona Stevenson (crie) :

Our [les Premières Nations] historical ties and relationships to the land are another distinguishing characteristic.
Our unique relationship to the land goes beyond geopolitics. We are spiritually attached to this place. Many First Nations can walk to the location where the first human being set foot and can trace the footsteps of their entire nations across the landscape. Unlike immigrant North Americans, we never left the bones of our ancestors behind. Every hill, mountain, river, coulee, and forest has ancient stories that tell us how we are related to it and each other. We never abandoned our obligations to the land in search of greener pastures20Winona Stevenson, « “Ethnic” Assimilates “Indigenous”: A Study in Intellectual Neocolonialism », Wicazo Sa Review, vol. xiii, no 1, 1998, p. 41-42..

Ce rapport particulier au territoire, on le sent bien dans les œuvres de Maracle :

Puget Sound, home of the giant octopus and resting place for the killer whale on its migration to California, is the garden of generations of Salish people. We are witnesses who have journeyed from the sky world to this place of continuous transformations, this place of physical engagement of the sea21Lee Maracle, « Blessing Song », dans Lee Maracle, First Wives Club: Coast Salish Style, Penticton, Theytus Books, 2010, p. 29..

De son côté, l’universitaire et poète Paula Gunn Allen (laguna pueblo) souligne la conception autochtone selon laquelle tout, dans la nature, est un être vivant : « As any American Indian knows, all of life is living – that is dynamic and aware22Paula Gunn Allen, Studies in American Indian Literature: Critical Essays and Course Designs, New York, Modern Language Association of America, 1983, p. 5.. »
De plus, l’expérience similaire de la colonisation qu’ont connue les différentes nations autochtones, au Canada, cette épreuve commune, les a rapprochées d’une manière particulière et fait en sorte que malgré leurs nombreuses différences, elles sont intimement liées. C’est d’ailleurs ce que croit la critique métisse Kim Anderson : « All people of Native ancestry have “Native experience”, because, unfortunately, part of our experience as Native peoples includes being relocated, dispossessed of our ways of life, adopted into white families, and so on23Kim Anderson, A Recognition of Being: Reconstructing Native Womanhood, Toronto, Second Story Press, 2000, p. 27. C’est l’auteure qui souligne.. »
Lacombe parle, quant à elle, de traditionalisme, qu’elle associe à Paula Gunn Allen24Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord », op. cit., p. 167. (sans en offrir de définition). Cette dernière est dans une perspective pan-autochtone, qui fait en sorte qu’elle a un rapport tendu avec les nationalistes comme Womack. Le traditionalisme de Allen est similaire à l’indigenism de Krupat. En effet, dans The Sacred Hoop, Allen explique ceci concernant les littératures autochtones traditionnelles : « American Indian literature is not similar to western [sic] literature because the basic assumptions about the universe and, therefore, the basic reality experienced by tribal people and by Western peoples are not the same, even at the level of folklore25Paula Gunn Allen, The Sacred Hoop: Recovering the Feminine in American Indian Traditions, Boston, Beacon Press, 1992, p. 55.. » Allen, néanmoins, ne prétend pas que toutes les littératures autochtones sont traditionnelles. Selon elle, il y deux grandes catégories de littératures autochtones (qui sont à leur tour divisées en sous-catégories) : « traditional literature26Ibid., p. 4. » et « genre literature27Idem. ». Ainsi, toutes les littératures autochtones ne peuvent être analysées d’un point de vue traditionnel. Pour celles dont c’est le cas, Allen explique qu’elles sont inspirées de la vision du monde traditionnelle, qu’elle définit ainsi :

[Les Premiers Peuples] acknowledge the essential harmony of all things and see all things as being of equal value in the scheme of things, denying the opposition, dualism, and isolation (separateness) that characterize non-Indian thought. Christians believe that God is separate from humanity and does as he wishes without the creative assistance of any of his creatures, while the non-Christian tribal person assumes a place in creation that is dynamic, creative, and responsive. Further, tribal people allow all animals, vegetables, and minerals (the entire biota, in short) the same or even greater privileges than humans28Ibid., p. 56-57..

Selon l’universitaire Gail Guthrie Valaskakis (chippewa/allemande/américaine), « [t]raditionalism is experienced collectively and individually as heritage, a multivocal past, reenacted daily in the ambiguous play of identity and power29Gail Guthrie Valaskakis, Indian Country: Essays on Contemporary Native Culture, Waterloo, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2005, p. 10. ». Elle explique que cette approche n’est pas exclusive aux études littéraires :

Current literary, artistic, and ethnographic writing moves toward what Native North Americans have long incorporated as lived experience: culture in the present woven with a kaleidoscopic past of intertwined experiences, representations, signifiers, and boundaries; history as heritage, living traditionalism30Idem..

Le critique Joshua B. Nelson (creek) utilise, quant à lui, la locution « tribal culture » pour parler d’une perspective que je crois similaire au traditionalisme, même s’il est vrai qu’il n’aime pas ce terme souvent opposé, selon lui, à « assimilation31Joshua B. Nelson, Progressive Traditions: Identity in Cherokee Literature and Culture, Norman, University of Oklahoma Press, 2014, p. xiii. ». Il prône plutôt des « traditional adaptive strategies32Idem. » :

Jace Weaver, Daniel Heath Justice, and others, including myself, have taken Creek scholar Craig Womack’s33Il est à noter que ces trois théoriciens sont aussi associés au nationalism, comme je l’ai précisé plus haut. cue in approaching literature from theoretical perspectives grounded in some aspect of relevant tribal culture. Major emphases in the field have included incorporation of traditional orature, ties to and relationships with the land, representation of tribal history or political problems, and connections with communities of various shapes34Joshua B. Nelson, op. cit., p. xii..

Pour d’autres œuvres autochtones, des approches différentes pourraient être préférables. Par exemple, certains auteurs veulent se distancier d’une écriture spécifiquement autochtone, comme l’expliquent Fagan et McKegney :

Eden Robinson is part of a new generation of Native writers in Canada, including Dogrib writer Richard Van Camp and Métis writer Cherie Dimaline, increasingly willing to diverge from nationalist expectations. Robinson’s Blood Sports insists on expressing its author’s autonomy, thus constituting a symbolic victory for the creative freedom of Native writers. […] Blood Sports – triumphantly, we would suggest – refuses to be so situated35Kristina Fagan et Sam McKegney, art. cit., p. 36..

Dans Blood Sports (2006), Eden Robinson (haisla/heiltsuke) a opté pour deux personnages principaux qui ne sont pas autochtones, alors que son roman précédent, Monkey Beach (2000), se déroule en territoire kitamaat. Comme le font remarquer Fagan et McKegney, alors que le roman de 2000 avait connu un grand succès, cela n’a pas été le cas de Blood Sports, peut-être en raison de l’absence de références au monde autochtone36Idem.. Dans tous les cas, pour un roman comme celui-ci, on ne pourrait pas avoir la même approche que pour un roman solidement ancré dans l’univers autochtone.

Le postcolonialisme
Une autre de mes inspirations vient des études postcoloniales, qui peuvent être pertinentes dans l’analyse et la traduction des œuvres autochtones, même si elles ne s’appliquent pas entièrement aux écrits des membres des Premiers Peuples. Comme l’explique la chercheuse Sabine Savornin, elles ont mis « à jour les rapports de domination entre les peuples et les combats idéologiques qui les sous-tendent37Sabine Savornin, « Traduire l’intraduisible après les postcolonial studies », Les chantiers de la création. Revue pluridisciplinaire en Lettres, Langues, Arts et Civilisations, no 1, 2008, p. 4. », elles ont « soulign[é] l’importance de la prise en compte des langues mêmes de traduction38Idem. » et ont mis en évidence « le rôle du traducteur, dont l’éthique est interrogée39Idem. ». Tout au long de la présente thèse comme dans plusieurs ouvrages de traductologie, le terme « traducteur » inclut l’éditeur et tous les autres acteurs de l’édition40À ce sujet voir : Mieke Desmet, « The Secret Diary of the Translator », dans Jeroen Vandaele (dir.), Translation and the (Re)Location of Meaning. Selected Papers of the CETRA Research Seminars in Translation Studies 1994-1996, Leuven, CETRA, 1999..
Je ressens un malaise certain à utiliser le terme « postcolonialisme » pour parler des œuvres autochtones d’Amérique du Nord puisque les peuples autochtones de ce continent sont toujours en lutte pour leur autodétermination et n’ont toujours pas retrouvé leur souveraineté politique. D’ailleurs, plusieurs intellectuels autochtones ressentent un pareil malaise, comme le souligne Linda Tuhiwai Smith : « post-colonial discussions have […] stirred some indigenous resistance, not so much to the literary reimagining of culture as being centred in what were once conceived of as the colonial margins, but to the idea that colonialism is over, finished business41Linda Tuhiwai Smith, op.cit., p. 25. ». L’universitaire Judith Leggatt, quant à elle, rappelle le point de vue des écrivains Thomas King (cherokee/grec) et Lee Maracle : « King argues that post-colonialism is not applicable to Native literature, and that the label itself reinscribes many of the ideas of colonialism. Maracle sees post-colonialism as a luxury which her people cannot afford, since they continue to live under colonial conditions42Judith Leggatt, « Native Writing, Academic Theory: Post-Colonialism across the Cultural Divide », dans Laura Moss (dir.), Is Canada Postcolonial? Unsettling Canadian Literature, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2003, p. 112-113. C’est l’auteure qui souligne.. » De leur côté, les universitaires Helen Gilbert et Joanne Tompkins précisent que le terme « postcolonialisme » est souvent compris dans un sens trop restreint :

The term – according to a too-rigid etymology – is frequently misunderstood as a temporal concept meaning the time after colonisation has ceased, or the time following the politically determined Independence Day […] post-colonialism is, rather, an engagement with and contestation of colonialism’s discourses, power structures, and social hierarchies43Helen Gilbert et Joanne Tompkins, Post-Colonial Drama: Theory, Practice, Politics, Londres et New York, Routledge, 1996, p. 2..

On peut ainsi constater que même si le « postcolonialisme » a aussi fait une critique du colonialisme, ce terme est loin de faire l’unanimité, ce qui explique ma réticence à son égard, malgré la définition qu’en font Gilbert et Tompkins.
Pour parvenir à une traduction éthique et décolonisée de l’œuvre de Lee Maracle, l’American Indian Literary Nationalism et l’indigenism seront les deux approches privilégiées.

  • 1
    Il est à noter que l’accord, en français, en genre et en nombre des noms et des adjectifs désignant les peuples autochtones ne fait pas l’unanimité et n’est pas toujours explicité. Dans son document de 2002 sur la « Terminologie autochtone », la Direction générale des communications : Affaires indiennes et du Nord Canada souligne qu’il faut faire l’accord en genre et en nombre des noms et adjectifs suivants : innu (innus, innue, innues) et inuit (inuits, inuite, inuites), mais ne dit rien concernant les autres peuples autochtones, dont les Métis. De son côté, l’Office québécois de la langue française, sous l’onglet « Désignations des peuples autochtones », « privilégie la variation en genre et en nombre », mais dans un de ses exemples, écrit : « la culture mohawk ». Pour ma part, j’ai finalement décidé de faire l’accord en genre et en nombre, dans tous les cas, par souci d’uniformisation.
  • 2
    À titre d’exemples : « Should Translation Work Take Place? Ethical Questions Concerning the Translation of First Nations Languages » de Carrie Dyck, « Reading a Dictionary: How Passamaquoddy Language Translates Concepts of Physical and Social Space » de Robert M. Leavitt, « Related-Language Translation: Naskapi and East Cree » de Bill Jancewicz.
  • 3
    Antoine Berman, « La traduction et ses discours », Meta, vol. xxxiv, no 4, 1989, p. 675.
  • 4
    Kimberly E. Blaeser, « Native Literature: Seeking a Critical Center », dans Jeanette Armstrong (dir.), Looking at the Words of Our People: First Nations Analysis of Literature, Penticton, Theytus Books, 1993, p. 53.
  • 5
    Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples, Londres et New York, Zed Books, Dunedin, Otago University Press, 2012, p. 41.
  • 6
    Voir le schéma de Lacombe dans Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord : approches anglophones en contexte », dans Maurizio Gatti et Louis-Jacques Dorais (dir.), Littératures autochtones, Montréal, Mémoire d’encrier, 2010, p. 167.
  • 7
    Arnold Krupat, « Nationalism, Transnationalism, Trans-Indigenism, Cosmopolitanism: Four Perspectives on Native American Literatures », Journal of Ethnic American Literature, no 3, 2013, p. 42.
  • 8
    Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord », art.cit., p. 166.
  • 9
    Arnold Krupat dit ceci quant à la notion de souveraineté chez les peuples autochtones : « Native people typically think in terms of the nation-people rather than the nation-state. » (Arnold Krupat, Red Matters: Native American Studies, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002, p. 3)
  • 10
    Jace Weaver, Craig S. Womack et Robert Warrior, American Indian Literary Nationalism, Albuquerque, University of New Mexico Press, 2006, p. xv.
  • 11
    Ibid., p. 43.
  • 12
    Ibid., p. 38.
  • 13
    Ibid., p. xxi.
  • 14
    Lee Maracle, My Conversations with Canadians, Toronto, BookThug, coll. « Essais », 2017, p. 21, 41.
  • 15
    Kristina Fagan et Sam McKegney, « Circling the Question of Nationalism in Native Canadian Literature and its Study », Review: Literature and Arts of the Americas, vol. xxxxi, no 1, 2008, p. 37.
  • 16
    Arnold Krupat, «Native American Literary Criticism in Global Context », dans Scott Richard Lyons (dir.), The World, the Text, and the Indian: Global Dimensions of Native American Literature, Albany, Suny Press, 2017, p. 53.
  • 17
    Arnold Krupat, Red Matters, op. cit., p. 10.
  • 18
    Robert Allen Warrior, Tribal Secrets: Recovering American Indian Intellectual Traditions, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995, p. 88.
  • 19
    Georges E. Sioui, Pour une autohistoire amérindienne, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2018 [1989], p. 59, 61.
  • 20
    Winona Stevenson, « “Ethnic” Assimilates “Indigenous”: A Study in Intellectual Neocolonialism », Wicazo Sa Review, vol. xiii, no 1, 1998, p. 41-42.
  • 21
    Lee Maracle, « Blessing Song », dans Lee Maracle, First Wives Club: Coast Salish Style, Penticton, Theytus Books, 2010, p. 29.
  • 22
    Paula Gunn Allen, Studies in American Indian Literature: Critical Essays and Course Designs, New York, Modern Language Association of America, 1983, p. 5.
  • 23
    Kim Anderson, A Recognition of Being: Reconstructing Native Womanhood, Toronto, Second Story Press, 2000, p. 27. C’est l’auteure qui souligne.
  • 24
    Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord », op. cit., p. 167.
  • 25
    Paula Gunn Allen, The Sacred Hoop: Recovering the Feminine in American Indian Traditions, Boston, Beacon Press, 1992, p. 55.
  • 26
    Ibid., p. 4.
  • 27
    Idem.
  • 28
    Ibid., p. 56-57.
  • 29
    Gail Guthrie Valaskakis, Indian Country: Essays on Contemporary Native Culture, Waterloo, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2005, p. 10.
  • 30
    Idem.
  • 31
    Joshua B. Nelson, Progressive Traditions: Identity in Cherokee Literature and Culture, Norman, University of Oklahoma Press, 2014, p. xiii.
  • 32
    Idem.
  • 33
    Il est à noter que ces trois théoriciens sont aussi associés au nationalism, comme je l’ai précisé plus haut.
  • 34
    Joshua B. Nelson, op. cit., p. xii.
  • 35
    Kristina Fagan et Sam McKegney, art. cit., p. 36.
  • 36
    Idem.
  • 37
    Sabine Savornin, « Traduire l’intraduisible après les postcolonial studies », Les chantiers de la création. Revue pluridisciplinaire en Lettres, Langues, Arts et Civilisations, no 1, 2008, p. 4.
  • 38
    Idem.
  • 39
    Idem.
  • 40
    À ce sujet voir : Mieke Desmet, « The Secret Diary of the Translator », dans Jeroen Vandaele (dir.), Translation and the (Re)Location of Meaning. Selected Papers of the CETRA Research Seminars in Translation Studies 1994-1996, Leuven, CETRA, 1999.
  • 41
    Linda Tuhiwai Smith, op.cit., p. 25.
  • 42
    Judith Leggatt, « Native Writing, Academic Theory: Post-Colonialism across the Cultural Divide », dans Laura Moss (dir.), Is Canada Postcolonial? Unsettling Canadian Literature, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2003, p. 112-113. C’est l’auteure qui souligne.
  • 43
    Helen Gilbert et Joanne Tompkins, Post-Colonial Drama: Theory, Practice, Politics, Londres et New York, Routledge, 1996, p. 2.
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