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L’enchantement des formes chez George Sand

Étienne Beaulieu
couverture
Article paru dans Du convenable et de l’inconvenant. Littérature française du XIXe siècle, sous la responsabilité de Véronique Cnockaert et Sophie Pelletier (2015)

Il existe dans l’histoire culturelle du premier XIXe siècle une tendance lourde poussant les comportements vers une certaine uniformisation, comme l’avait constaté en son temps Norbert Élias dans La société des individus où il décrivait l’avènement d’une société favorisant l’apparition du modèle social individuel. Sous cet angle inédit, l’opposition traditionnelle entre individu et société s’est vue neutralisée et du même coup les rapports entre la conformité aux codes sociaux et leur transgression. C’est dans le même mouvement historique que sont contestées par une certaine frange du romantisme la société capitaliste naissante et ses aspirations matérialistes. Dans ce contexte, la puissance hégélienne de «la poésie du coeur» se voit contrainte de négocier avec «la prose des circonstances». La démarcation entre ces deux forces contraires du coeur et des circonstances trace une ligne qui départage à son tour les convenances et l’inconvenance dans un univers social en pleine mutation et qui tend à faire des convenances non plus une conformité juste avec l’ordre des choses, mais une lourdeur prosaïque de laquelle les esprits supérieurs doivent se déprendre afin de s’épanouir en toute inconvenance. Le programme du romantisme se trace suivant cette ligne directrice capricieuse, tantôt monarchiste, tantôt républicaine ou révolutionnaire.

C’est le cas des héros de George Sand, notamment dans les romans du cycle de 1830, dans Indiana, Valentine ou encore Le Secrétaire intime, où les personnages cherchent à s’émanciper des convenances tout en reconnaissant la nécessité de s’appuyer sur elles pour parvenir à leurs fins. Dans ce processus historique de «prosification du monde», un déplacement s’opère qui fait passer la convenance sociale aux normes aristocratiques d’Ancien Régime du côté d’une supériorité anthropologique de l’inconvenance individuelle. Mais sur un autre versant de l’oeuvre sandienne, les rapports entre convenance et inconvenance s’inversent, principalement dans le cycle des romans champêtres qui, se tournant vers les traditions paysannes du Berry, contribuent plutôt pour leur part à un réenchantement des convenances et montrent de cette façon comment, à l’inverse maintenant, l’ère des individus constitue la véritable prosification du monde.

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