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Le rapport du discours politique colonial à l’écriture

Guillaume G. Poirier

À son arrivée en Amérique, Gabriel Sagard raconte avoir gravé des croix et des Jésus sur les arbres dans un geste qui s’avoue être une prise de terre contre Satan: «Je gravais, avec la pointe d’un couteau dans l’écorce des plus grands arbres, des croix et des noms de Jésus, pour signifier à Satan et à ses suppôts que nous prenions possession de cette terre pour le royaume de Jésus-Christ et que dorénavant il n’y aurait plus de pouvoir et que le seul et vrai Dieu y serait reconnu et adoré1Sagard Gabriel, Le Grand voyage du pays des Hurons. Texte établi par Réal Ouellet. Introduction et notes par Réal Ouellet et Jack Warwick, Bibliothèque québécoise, Québec, 2007, p. 107-108..» Dans ces gravures de la marque du Christ à même le territoire, on reconnait déjà la prépondérance de l’inscription dans le processus de colonisation. On sait aussi que Sagard souligne à grands traits l’absence d’écriture chez les Hurons-Wendats et, surtout, la fascination qu’ils auraient éprouvée à en découvrir la technique: «Ils admiraient aussi grandement l’écriture, par laquelle, absent, on se fait entendre où l’on veut ; et tenant volontiers nos livres, après les avoir bien contemplés et admiré les images et les lettres, ils s’amusaient à en compter les feuillets2Ibid., p. 262.» Ce genre d’énoncé n’est pas le propre de Sagard, il est l’un des traits les plus diffus au sein du discours colonial de l’époque. Cela est vrai des récits français, tout comme ce l’est des récits anglais. Une dizaine d’années avant Sagard, William Strachey pouvait ainsi décrire le Chef des Powhatans de Virginie en soulignant lui aussi l’absence d’écriture: «He nor any of his people vnderstand howe to expresse their myndes by any kyndes of Letters, or any kind of ingrauing […]; nor haue they posetiue lawes, only the law whereby he ruleth is custome3William Strachey. The Historie of Travell into Virginia Britania, ed. Louis B. Wright and Virginia Freund for the Hakluyt society, Nendeln/Liechtenstein, Kraus Reprint Limited, 1967 (1612), p. 77.

Dans l’écriture de ces récits coloniaux, on n’a ainsi de cesse de souligner cette sorte de déficit d’écriture qui affecterait les Premiers Peuples, et ce, au point de devenir un véritable objet d’obsession pour le discours colonial. Or, cette manie discursive appelle à mon sens la nécessité d’une investigation sur le rapport qu’entretient le discours politique colonial vis-à-vis de l’écrit et de l’oralité. Comment se déploie ce rapport dans le discours politique colonial, notamment dans cette figure du «sauvage» qu’il constitue, ainsi que dans cette idée de civilité supérieure qu’il entretient face à cette notion de sauvagerie? C’est sur cette question que je voudrais ici proposer quelques hypothèses. Il faut d’abord préciser: il s’agit moins du problème de l’oralité comme tel, au sens d’un phénomène disposant de sa propre positivité, que celui de la mise en discours de cette oralité présumée par le discours colonial écrit. Ou mieux, il s’agit en réalité d’un supposé déficit d’écriture que le discours politique colonial n’a de cesse de relever. C’est que ce discours a presque systématiquement conçu cette fameuse figure du «sauvage» comme étant prisonnière d’une sorte de coutume orale, signe qu’elle serait confinée dans cette période d’enfance de l’histoire où l’humanité ignorait encore l’écriture. Face à ce stade d’enfance primitive, la soi-disant supériorité de la civilité européenne découlerait essentiellement des bienfaits et des avancées qu’aurait autorisés la technique d’écriture. C’est aussi pourquoi la figure du «sauvage» a connu un emploi stratégique majeur dans le discours politique, en particulier dans la théorie de l’État moderne où on la retrouve auprès des concepts d’état de nature, de contrat social, de souveraineté et de droit des gens.

Afin d’élucider cette question, je tenterai donc de dégager le rôle prépondérant de l’écriture tant dans la doctrine de l’État moderne que dans le procès de colonisation. Je montrerai qu’il est possible de délimiter quelque chose comme un discours politique colonial au sein des auteurs politiques modernes qui articulent ces deux phénomènes. Je tenterai ensuite de clarifier la question de la matérialité du substrat dans ce discours, ce que j’appelle en somme le substratum entendu comme rapport de valorisation du médium –l’écriture– qui donne vie et légitimité au discours. Enfin, pour illustrer ce problème du rapport du discours à l’écriture, je me pencherai sur l’exemple du missionnaire Chrestien Le Clercq qui a, au 17e siècle, systématisé une forme d’écriture logographique afin de traduire en langue micmac le récit biblique.

    

Pouvoir de l’écriture, État moderne et colonisation

L’histoire critique de la colonisation a réussi, au cours des dernières décennies, à dévoiler le mode par lequel le discours colonial a constitué la figure du «sauvage4E.C. Porter, The Inconstant Savage: England and the North American Indian 1500-1660, London, 1979; Donald Boyd Smith, Le «sauvage»: pendant la période héroïque de la Nouvelle-France (1534-1663), d’après les historiens canadiens-français des 19. et 20. siècles, Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1979; Bernard W. Sheehan, Savagism and Civility: Indians and Englishmen in Colonial Virginia, Cambridge, Cambridge University Press, 1980; Olive P. Dickason, Le Mythe du Sauvage, Sillery, Septentrion, 1993; Jean-Louis Chevalier, Mariella Colin, et Ann Thomson, éd., Barbares & sauvages: images et reflets dans la culture occidentale, Caen, Presses universitaires de Caen, 1994; Gilles Thérien, Figures de l’Indien, Montréal, Typo, 1995 (1988); Terry Jay Ellingson, The Myth of the Noble Savage, Berkeley, University of California Press, 2001; Michael Gaudio, Engraving The Savage: the New World and Techniques of Civilization, Minneapolis: University of Minnesota Press, 2008; John A. Gallucci, «Décrire les «Sauvages»: réflexion sur les manières de désigner les autochtones dans le latin des Relations», Tangence, no 99 (12 avril 2013): 1934.». La question des rapports entre écriture et oralité y est toutefois restée silencieuse. Et pourtant, l’histoire du discours colonial en Amérique est bel et bien traversée d’une dépréciation continuelle de l’oralité autochtone à laquelle s’opposerait la toute-puissance de l’écriture. Peu importe les traits relevés, le discours colonial a constamment dépeint les Premiers Peuples comme étant en déficit d’écriture, et en particulier de cette écriture alphabétique qui est au fondement de ce que Michel de Certeau a appelé «l’économie scripturaire» occidentale5Michel De Certeau, L’invention du quotidien, 1. arts de faire, Paris: Gallimard, 1990.. Sous cet angle, la notion de discours colonial apparait intrinsèquement liée au rôle politique de l’écriture dont on sait qu’elle a été décisive dans la concentration des pouvoirs au Moyen Âge, peu avant les explorations en Amérique6Collectif. Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales, espace français, espace anglais. Louvain-la-neuve, K. Fianu & D. J. Guth, 1997.. Le discours colonial devient en ce sens un véritable support politique et épistémologique à la conquête du territoire parce qu’il est doublé d’une technologie scripturaire qui tend à invisibiliser et neutraliser les cultures politiques locales sur la base qu’elles seraient limitées au seul exercice de la parole. Si l’écriture est bien le transfert de la parole, extérieure ou intérieure, vers une fixité graphique qui structure les champs économiques, scientifiques et politiques des cultures occidentales7Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures, langue, nombre, code. Paris, Gallimard, 2007., alors le discours colonial opère un transfert similaire en décrivant, voire en construisant, l’oralité autochtone afin de la ramener vers la fixité de son économie scripturaire. L’ensemble des opérations clés du projet colonial apparaissent ainsi dans leur dépendance à la technologie de l’écriture, que ce soit sur le plan de sa domination politique (par les traités, le nomos et la souveraineté qu’il établit), géographique (par les cartographies et l’établissement des frontières territoriales), religieuse (par la propagation du récit biblique), culturelle (par l’idée d’une supériorité civilisationnelle), économique (par l’instauration progressive d’une monnaie papier, l’instauration de contrats et la comptabilisation des dettes), scientifique (par l’accumulation du savoir) et militaire (par la transmission et l’accès rapide à une information codifiée).

Puisque pour le discours colonial, c’est l’invention de l’écriture qui signe le début de l’histoire, au sens humain et culturel du terme, ce même discours conçoit le Nouveau Monde comme une terra nullius8L. C. Green & Olive P. Dickason. The Law of Nations and the New World. Edmonton, University of Alberta Press, 1989., c’est-à-dire une terre vierge dépourvue d’historicité du fait que, selon lui toujours, on n’y trouve aucune écriture fondatrice9Cela est notable en particulier dans les récits portant sur les Premiers Peuples situés au nord du Mexique contemporain. Mais on peut aussi remarquer le même phénomène chez les colons espagnols, notamment autour du débat sur le type d’écriture qu’employaient les Mayas et Mexicas, et que les récits coloniaux considèrent toujours comme étant inférieur au système alphabétique.. Cependant, cette première esquisse du rapport du discours colonial à l’écriture ne semble opérer que des distinctions de formes entre «oralité» et «écriture» en ceci qu’elle présuppose leurs caractères mutuellement exclusifs. Or, on ne peut prétendre a priori que le seul rapport de l’écriture à l’oralité a été de l’ordre de l’assimilation ou de la capture: on peut tout aussi bien imaginer des formes de parasitage, d’embranchement, de coexistence, voire des effets de retour qui auraient affecté la culture scripturaire européenne elle-même. On peut penser par exemple au fait que les pratiques politiques coloniales ont été traversées par une forme d’oralité occidentale, ne serait-ce que par l’envoi des premiers colons qui étaient majoritairement analphabètes. Au début de la colonisation, l’écriture est encore l’apanage d’une élite lettrée en Europe. Et si les quelques dirigeants coloniaux savent lire et écrire, il faut bien admettre que les premiers colons ont porté avec eux les formes variées d’une culture orale. Ce n’est donc pas le seul pouvoir de l’écriture qui se cache derrière le colonialisme, il y a aussi toute une culture européenne coextensive à un certain exercice du pouvoir de la parole.

De même, il faut aussi envisager que la conception du pouvoir propre au discours politique colonial a été influencée, troublée, modifiée par l’oralité qu’il a perçue chez les Premiers Peuples10Jean-Marie Therrien, Parole et pouvoir. Figure du chef amérindien en Nouvelle-France. Montréal, L’Hexagone, 1986.. Il faut donc éviter toute analyse dichotomique d’une oralité pure et sauvage investie par une écriture coloniale toute-puissante. Ainsi savons-nous aujourd’hui que les cultures autochtones qui ont subi l’invasion européenne étaient inséparables de certains «objets-écritures», soit des objets contenant différentes inscriptions et dont le support physique était nécessaire à la transmission de la mémoire collective. L’écriture ne se limite pas uniquement au médium bidimensionnel de l’alphabet. Elle peut au contraire prendre du volume dans le réel et devenir coextensive à toute une série d’objets, tels que le montrent les wampums, les bâtons à message, les pétroglyphes, les quipus, les rouleaux d’écorce et les pictographies sur arbre. En réalité, lorsque le discours colonial occidental réfère à la notion d’écriture, il a pour réflexe presque immanquable de renvoyer à son propre alphabet, ce qui a pour conséquence d’invisibiliser toute forme scripturaire alternative. Contre l’idée d’une assimilation pure, il faut donc plutôt deviner un lien intime entre le pouvoir de l’écrit et celui de la parole, dont le rapport d’incidence reste encore à esquisser.

Comment se dessine donc ce rapport politique de l’écriture à la parole dans sa forme antérieure à sa transcription coloniale dans les Amériques? Certes, il est toujours possible de remonter l’histoire humaine à ce temps éloigné où, à l’aube de l’écriture, ordonner, commander, promettre et prêter serment dépendait du seul pouvoir de la parole11Jack Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Minuit, 1979 (1977); Giorgio Agamben, Le sacrement du langage, dans Homo Sacer, L’Intégrale, Paris, Seuil, 2016 (2009), p. 322-385; H.-J. Martin et B. Delmas, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, A. Michel, 1996.. Cependant, l’histoire du politique, telle qu’elle nous a été transmise par l’écriture, semble relever d’un enchevêtrement complexe entre le pouvoir de l’écrit et de la parole, allongeant ainsi la liste de ces premières opérations. Introniser, constituer, décréter, édicter, enregistrer, légiférer, ou encore mettre en acte –pour rappeler un exemple fameux de performativité12On pourra se référer aux analyses de Austin sur l’expression «to enact», ou encore à celle de Derrida sur l’expression «to enforce». John L. Austin, How to Do Things with Words, Oxford, Clarendon Press, 1962 (1955); Jacques Derrida, Force de loi, Paris, Galilée, 2005 (1994).– sont toutes des opérations qui transforment l’exercice du pouvoir par un nouveau partage de l’écrit et de la parole. C’est là le problème politique de la loi et de la liste, de la rédaction du droit et de sa mise en œuvre. Mais c’est aussi celui de la loi vivante, terme par lequel les Grecs décrivaient les figures du Roi ou du magistrat dans leur faculté d’incarner la loi elle-même. C’est cette notion qui est devenue avec Aristote le problème d’une justice vivante, puis avec Cicéron, du magistrat comme loi parlante. En un sens, la parole est toujours présente dans ces rituels qui donnent du crédit au pouvoir, qui le légitiment, l’activent, le réalisent et surtout maintiennent l’autorité de l’auteur. Cependant il semble que l’écriture en soit venue à dicter au rituel politique son comportement, sa manière d’être, son style d’énonciation, style qui est devenu peu à peu la condition même de sa réussite. L’autorité de l’écriture s’ajoute au tranchant du glaive, comme le montre l’exemple du roi Clovis qui, au 5e siècle, portait avec lui ce bout de parchemin authentifiant son règne par la reconnaissance présumée d’un César éloigné13Michel Foucault, «Cours du 28 janvier 1976», dans Il faut défendre la société, 1976. Paris, Seuil, 1997..

L’intrication et la diffusion croissante de l’écriture dans les rituels du pouvoir ne représentent donc pas un phénomène dont la naissance coïnciderait avec la seule colonisation de l’Amérique. La période antérieure à la «découverte» le montre d’ailleurs assez bien. C’est, au 11e siècle, la naissance des universités européennes. C’est ensuite, au 13e siècle, la formation de juristes professionnels au sein de ces mêmes universités, qui s’approprient peu à peu la pratique du droit canon et en retirent par là le monopole au clergé14J. A. Brundage, The Profession and Practice of Medieval Canon Law, Aldershot, Ashgate, 2004.. Il s’agit d’un phénomène de professionnalisation majeure puisqu’il restreint peu à peu le droit d’audience et édicte ainsi des formes de conduites, des codes d’éthique et, surtout, des rituels d’admission. La pratique du droit ecclésiastique appelle désormais la nécessité de réaliser un serment suivant une codification écrite précise, ainsi que de produire, devant la cour, une lettre d’autorisation attestant et de la formation universitaire et du serment15C’est ce que la constitution du Cardinal Ottobono de 1268 promulgue: «No advocate shall be allowed to appear in any case unless he first produces letters from the diocesan [bishop] before whom he took the oath [of admission] or unless he takes this oath once again.» J. A. Brundage, The Profession and Practice of Medieval Canon Law, V, p. 536.. À la même époque, les cours commencent à tenir le registre des praticiens légaux admis. On écrit de plus en plus, en France et en Angleterre, en langues courantes, brisant ainsi le joug du latin et annonçant du même coup les premiers textes politiques vernaculaires16Jean-Philippe Genet. «Le médiéviste, la naissance du discours politique et la statistique lexicale: quelques problèmes» dans Bourlet, C. & A. Dufour (dir.) L’écrit dans la société médiévale. Paris, CNRS Éditions, 1993, p. 295.. C’est aussi le développement de certaines fonctions sociales de régulation qui, par l’écriture, vont encadrer de plus en plus tant le politique, que le droit et le commerce. En Angleterre, au 13e siècle, se développe une bureaucratie, annonçant ainsi les premiers traits de l’État moderne17Michael Clanchy. From Memory to Written Word, Oxford, John Wiley & Sons, 2013 (1979); Jean-Philippe Genet, La genèse de l’État moderne: culture et société politique en Angleterre, Paris, Presses universitaires de France, 2003..

La période antérieure à la «découverte de l’Amérique» est aussi un important moment d’alphabétisation en France, qui chutera aux 16e et 17e siècles, durant cette vaste paupérisation des masses qui côtoie les premières épopées coloniales18Alain Derville. «L’alphabétisation du peuple à la fin du Moyen Age » dans Revue du Nord, tome 66, n°261-262, avril-septembre 1984. Liber Amoricum, Mélanges offerts à Louis Trenard, pp. 761-776.. Le 15e siècle annonce par ailleurs la naissance de l’imprimerie moderne: toute capitale européenne se dote d’ateliers d’impression autorisant ainsi la dissémination des édits, des œuvres et des pamphlets19H.-J. Martin et B. Delmas, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, A. Michel, 1996, p. 216.. Par exemple, la montée du protestantisme nourrit le besoin croissant d’un accès direct aux textes bibliques. Aux 16e et 17e siècles, les États modernes manifestent une demande de plus en plus accrue pour une main-d’œuvre lettrée professionnelle. Et puisque savoir lire et écrire rapproche du pouvoir, l’élite commence aussi à s’inquiéter de la propagation de la littératie au point d’y voir un facteur révolutionnaire dangereux20L’élite anglaise attribua en partie l’élan révolutionnaire des années 1640-50 à l’alphabétisation des masses. Stone aperçoit ainsi un lien entre l’alphabétisation et les révolutions européennes: «If our figures for literacy are even approximately correct, they suggest that the three great modernizing revolutions of the West, English, French and Russian, have taken place at a time when the rate of male literacy has been between one third and two thirds». Lawrence Stone, «Literacy and education in England 1640-1900», Past & Present, no 42 (fév., 1969), p. 138..

Il faut bien le rappeler, le 16e siècle est l’époque où le langage a pour fonction de retranscrire, d’interpréter et de commenter l’ordre du monde inscrit à même le réel. Comme nous l’indique Foucault, c’est le règne de la représentation: «Le langage a désormais pour nature première d’être écrit. Les sons de la voix n’en forment que la traduction transitoire et précaire. Ce que Dieu a déposé dans le monde, ce sont des mots écrits […] et la vraie Parole, c’est dans un livre qu’il faut la retrouver21Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 53..» Dans tout ce vaste processus –la diffusion de l’écriture, les guerres de Religion, la fracturation de la plenitudo potestatis, la consolidation et la laïcisation des pouvoirs souverains nationaux ainsi que la colonisation des Amériques– semble se nouer un nouveau rapport de l’écrit à l’oral. C’est là un rapport, voilà mon hypothèse, que l’on peut d’abord retrouver dans le discours politique entourant le développement de l’État moderne. Mais c’est aussi un rapport qui travaille simultanément le discours colonial, notamment lorsqu’il produit cette figure du «sauvage», qui habite les récits de voyage et que l’on retrouvera bientôt dans les théories du contrat, de l’état de nature ou encore du droit des gens. L’articulation de ces deux discours nous porte donc à une nouvelle question: selon quelle forme et suivant quelles mutations le rapport de l’écrit à l’oral, tel que réfracté par la figure du «sauvage», a travaillé, dans le discours politique colonial, les notions de pouvoir, d’État, de souveraineté, de contrat et de ius gentium? L’hypothèse que j’entrevois est celle d’un discours politique colonial qui se serait non seulement appuyé sur le pouvoir de l’écriture, mais qui aurait aussi contribué au renforcement de ce même pouvoir en Europe, et ce, par le prisme de la figure du «sauvage» entendue comme métaphore politique. Autrement dit, dans la matrice du discours politique colonial, la figure du «sauvage» aurait été mobilisée afin de consolider et légitimer une structure de pouvoir fondée sur l’écriture, en plein développement à l’époque, et que l’on appellera bientôt État. Sous cet angle, l’État apparait comme une vaste architecture de pratiques scripturaires du fait que son pouvoir est coextensif à celui de l’écriture ainsi qu’à l’attribution d’un certain crédit à l’endroit du texte et de l’inscription (signature, loi, compte, etc.). Bien sûr, l’État ne se réduit pas au seul pouvoir de l’écriture. Mais il semble qu’au fil des 16e, 17e et 18e siècles, il en devienne de plus en plus dépendant, et ce, alors même qu’il colonise des peuples entiers que le discours colonial décrit comme sauvages et, surtout, en déficit d’écriture. C’est ce croisement qui annonce dans la forme de l’État cette recodification des pouvoirs de l’écriture et de la parole, au point de produire un nouveau mode d’énonciation du politique.

    

Substratum et discours

Il est donc possible de relever un certain substrat scripturaire au sein du discours politique colonial. Pour le rendre dans un langage foucaldien, j’entends par discours politique colonial un discours qui (1) a pour concepts la souveraineté, le contrat et l’État et (2) prend pour objet discursif la figure du «sauvage» ainsi que l’Amérique qu’il conçoit comme terra nullius. C’est aussi un discours qui (3) adopte comme mode énonciatif une position de surplomb où la prétendue «supériorité civilisationnelle» de l’Europe est comparée à la soi-disant «ignorance» des Premiers Peuples. Enfin, c’est un discours qui (4) met en branle une certaine stratégie discursive nécessaire aux entreprises coloniales et capitalistes du temps. Cette stratégie est simple: elle cherche à fonder et à maintenir la souveraineté des pays coloniaux audessus de ces colonies, ainsi qu’à justifier les dispositifs de prédation, d’extraction et de capture que l’histoire coloniale a déployés. On pensera par exemple à Hobbes, qui a été actionnaire de la Virginia Company ainsi que de la Somer Isles Company (Bermudes), ou encore à la participation de Locke à la rédaction de la constitution de la Caroline et de son implication dans la traite négrière auprès de la Royal African Company22Sur Hobbes, voir Richard Ashcraft, «Hobbes’s Natural Man: A Study in Ideology Formation», The Journal of Politics, vol. 33, no 4, 1971; Noel Malcolm, «Hobbes, Sandys, and the Virginia Company», The Historical Journal, vol. 24, no 2, Cambridge University Press, 1981. Sur Locke, voir Barbara Arneil, John Locke and America: the Defence of English Colonialism, Oxford, Clarendon Press, 1996; Nagamitsu Miura, John Locke and the Native Americans: Early English Liberalism and its Colonial Reality, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2013; Matthieu Renault, L’Amérique de John Locke: l’expansion coloniale de la philosophie européenne, Paris, Éditions Amsterdam, 2014. . Bref, c’est cet ensemble d’énoncés que l’on trouve chez une série d’auteurs des 16e, 17e et 18e siècles que j’appelle discours politique colonial, discours qui, en articulant sa conception de l’État à cette figure du «sauvage» qu’il constitue, se positionne indirectement face au pouvoir de la parole et de l’écrit. Autrement dit, on se trouve face à un discours qui, au moment même où il fonde l’État, sa souveraineté et son droit colonial, produit cette étrange figure du «sauvage» conçue toujours comme inférieure à la civilité européenne. Dans ce rapport de dépréciation, cette figure du «sauvage» est constamment dépeinte comme étant ignorante, sans loi, sans structure politique et surtout sans écriture, alors qu’à la même époque émerge une forme de rationalisation du pouvoir de l’écriture en Europe. Or, ce pouvoir scripturaire est non seulement coextensif à l’État moderne, mais il est aussi un élément central dans l’autoglorification de l’Europe. Alors même qu’il infantilise des peuples entiers qu’il souhaite coloniser, le discours politique colonial chante la gloire de ses lettres qui, à ses yeux, fondent la supériorité épistémologique et politique de l’Europe. Et dans cet orgueil colonial, ce discours en vient à se mettre en rapport avec son propre support, à savoir l’écriture. C’est cette interrelation du discours avec son substrat qu’il faudrait investiguer afin de mieux saisir le rôle de l’écriture et de son économie dans l’instauration du rapport colonial. En ce sens, plutôt que de traiter de façon indifférenciée l’oral et l’écrit dans l’analyse du discours23Michel Foucault, LArchéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 275., il faudrait prendre en compte la différence substratique du discours, qui peut tantôt être écrit, et donc entretenir un certain lien avec l’économie scripturaire, tantôt être oral, et donc valoriser un certain mode de la parole. Il s’agirait, en somme, de problématiser la matérialité du support du discours que j’appelle substratum, c’est-à-dire le système de valorisation qui, à partir de son médium, donne sa force au discours. Si le support d’un discours donné est cette écriture et à ce papier qui donnent forme à ce livre ou à ce traité, le substratum renvoie, quant à lui, au système de crédit qui est attribué à l’écriture elle-même, c’est-à-dire à la force ou l’importance qui, dans une société donnée, est conférée l’écrit.

Quelle est donc cette force performative du substratum? La force de l’écriture dépend bien sûr du contexte sociopolitique où elle émerge, c’est-à-dire du réseau de cette économie scripturaire qui fonde une certaine autorité du discours écrit. Mais la force de l’écrit apparait également en ceci que le discours lui-même parle de son propre support et, c’est là le point crucial, en souligne la valeur supérieure. Autrement dit, la force de l’écriture dépend aussi bien de la manière suivant laquelle elle est mobilisée par le discours écrit au sein de ses catégories, que cela soit explicite ou implicite. On peut ainsi prendre l’exemple de Hobbes qui, au début du long processus définitionnel du Léviathan, non seulement tourne en dérision la connaissance orale banale, mais fait du savoir en général un processus de lecture, c’est-à-dire de dévoilement et d’interprétation de vérités inscrites24«Concerning the first, there is a saying much usurped of late, that wisdom is acquired, not by reading of books, but of men. Consequently whereunto, those persons, that for the most part can give no other proof of being wise, take great delight to show what they think they have read in men. But there is another saying not of late understood, by which they might learn truly to read one another, if they would take the pains; and that is, nosce te ipsum, read thyself.» Thomas Hobbes. Leviathan. Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 7-8, c’est Hobbes qui souligne..

On l’entrevoit, une telle valorisation de l’écriture peut être, par exemple, économique (le prix d’un livre ou le temps de sa retranscription –on sait par exemple qu’un moine copiste mettait près de trois ans à produire un exemplaire de la Bible) ou encore symbolique (la vénération de l’objet, sa sacralisation dans la culture ecclésiastique, féodale, laïque, etc.) Ces valorisations peuvent également s’influencer l’une l’autre et transparaitre dans le discours qu’elles supportent. Le concept de littératie comme état de grâce tel que proposé par Sylvia Scribner rend bien cette tension, puisqu’il illustre une valorisation politique, mystique, voire salvatrice, que l’écriture confère à celui ou à celle qui la maitrise25Sylvia Scribner, «Literacy in Three Methaphors», American Journal of Education, vol. 93, no 1, (Nov. 1984), p. 13.. En outre, c’est ce jeu de valorisation, qui hante les théories politiques, qu’il faudrait dégager dans la production coloniale de la figure du «sauvage».

Le substratum, dans le cas du discours politique écrit, équivaut à la valorisation de l’écriture, qui est nécessairement mise en rapport avec la parole dont elle se distingue par la forme de son geste d’archive. Le substratum du discours est donc un système de valorisation qui traite d’un rapport précis, soit celui de l’écriture et de la parole. Que fait donc mon discours en ceci qu’il s’écrit? Avec quelle force tranche-t-il lorsque, ne pouvant être purement oral, il intègre la fibre d’un texte? Si, en un sens, écrire c’est implicitement se positionner par rapport à la parole, on ne peut dire l’inverse pour l’oralité, à tout le moins à l’époque de la modernité où l’écrit représente une technologie encore très peu diffuse. L’oralité est le fond sur lequel s’inscrit l’écriture. Et sur ce fond, le propre du discours écrit est de tirer des effets d’immortalisation: il valorise l’écriture tout en la mettant en acte afin de renforcer le dire vrai et le faire vrai qui traverse le pouvoir politique26On peut ainsi considérer l’écriture comme un outil coextensif à certaines techniques de soi, inscription d’un discours vrai sur soi, sur son propre corps et son âme propre, comme nous le verrons en finale..

Bien sûr, dans le discours politique colonial, l’écriture au cœur de ce jeu de codification est dépendante de sa conceptualisation moderne, notamment chez les philosophes politiques du 16e au 18e siècle. En ce sens, l’écriture représente essentiellement l’alphabet gréco-latin pris d’abord dans son concept, c’est-à-dire comme technologie de phonétisation, et ensuite suivant ses incarnations sur divers supports. La force de l’écriture, en effet, est dépendante de la surface où elle se matérialise (livre, monnaie, registre gravé sur pierre, texte de loi, traité de paix, etc.). L’origine grecque du terme graphie rappelle précisément cette incarnation matérielle au sens d’un geste incisif de matière à matière27Graphein signifie en effet peinturer, graver, égratigner, tracer des signes, inciser ou encore rayer avec un objet pointu.. Et la forme latine scribere, sous laquelle le mot écriture nous est parvenu, souligne aussi son lien inséparable avec certains pouvoirs et certaines positions politiques ; à Rome, par exemple, on appelait les Sénateurs conscripti. L’étymologie de scriptura nous donne ainsi l’indice de la force politique, issue du droit romain, dont hérite l’écriture de tradition occidentalo-chrétienne28«[scriptura] a désigné une taxe sur les pâturages de l’État fixée par écrit […] praescribere “écrire en tête d’une loi” a pris le sens de “prescrire” […]; de même praescriptio, praescriptiuus; proscribo “publier par écrit, afficher” s’est entendu dans le sens de “afficher le nom et les biens d’un condamné, proscrire, confisquer”, […] prescribo […] a pris le sens de “rendre un arrêt”, d’où rescriptum; subscribo “soussigner une accusation” (se dit du censeur qui blâme un citoyen, ou d’un particulier qui accuse un citoyen) […]. On voit par là l’importance du document écrit dans le droit romain.» Albert Ernout & Alfred Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001.. On peut donc légitimement soutenir que, en Occident, l’écriture a été pensée selon un horizon double. D’une part, celui d’une incision symbolique dans la matière, d’autre part, celui de l’exercice du droit et de l’autorité. L’écriture du discours politique moderne est donc tributaire de ce double horizon puisqu’elle n’a ni rompu avec son caractère symbolico-matériel (elle en a plutôt modifié la forme par l’imprimerie) ni rejeté son rapport étroit avec l’auctoritas (au contraire, le Moyen Âge a bien porté ce rapport en le surinvestissant de la relation tendue entre auctor et auctoritas)29C’est ce que soutient Alastair Minnis, pour qui la littérature savante latine gravite autour de ces deux concepts. A. J. Minnis. Medieval Theory of Authorship, London, Scolar Press, 1984.. Rendre compte de cet héritage politique, symbolique et matériel de l’écriture est précisément le rôle de la notion de substratum comme jeu de valorisation du support du discours.

    

L’écriture logographique de Chrestien Le Clercq

Ces fonctions scripturaires, on peut déjà les pressentir dans l’épopée évangélisatrice de Chrestien Le Clercq qui, en 1691, publie sa Nouvelle Relation de Gaspésie. Cette épopée, parce qu’elle illustre pleinement la matérialité du support en traduction coloniale, dévoile la présence et la conscience d’un certain partage de l’écrit et de l’oral au sein du pouvoir colonial, dans ce cas-ci, sous la forme de la mission. Ce partage traverse toujours les premières tentatives d’écrire les langues autochtones (les premières grammaires et premiers dictionnaires des missionnaires), tout comme, inversement, il affecte les tentatives de transmettre un récit écrit en langue autochtone, en l’occurrence le récit biblique. C’est surtout dans cette seconde forme de traduction que s’inscrivent les travaux du missionnaire Chrestien Le Clercq, lui qui, en 1677, invente une écriture logographique à vocation évangélisatrice. En plus de l’élaboration d’un dictionnaire français-micmac, Leclerc traduit une série de prières, de chants et de passages bibliques qui serviront à la christianisation des Micmacs. Si l’on attribue en général l’originalité de cette écriture logographique à ce récollet, il s’agit en réalité de la systématisation d’une pratique pictographique sur écorce de bouleau dont les Micmacs avaient déjà un certain usage. Malgré sa grande complexité, l’usage de cette écriture s’est maintenu jusqu’au début du 20e siècle avant de disparaitre peu à peu.

Le but de ce système logographique était simple, il s’agissait d’enseigner certains textes religieux en vue d’accomplir les rituels clés de la christianisation, principalement le baptême et la messe. À même son invention, cette écriture était donc pensée comme l’une des conditions de l’évangélisation, puisqu’elle permettait de répéter les formules précises de ces rituels. Cette vocation était pourtant minée par la structure même de cette écriture, dont la complexité rendait impossible une pleine mémorisation de ses symboles. C’est qu’à chaque mot ou idée correspondait un symbole, élevant ainsi le nombre de logogrammes à près de sept mille pour un corpus traduit d’environ quatre cent cinquante pages30Pierre Déléage, Le geste et l’écriture. Langues des signes, Amérindiens, logographies, Paris, Armand Colin, 2013, p. 109.. Pourquoi une telle complexité lorsque l’on disposait à l’époque d’un système phonétique à vingt-six lettres –l’alphabet– capable de transcrire l’ensemble du corpus littéraire ouest-européen? En effet, on peut facilement imaginer qu’une telle efficacité aurait grandement servi le projet colonial. La réponse, telle que Déléage l’a relevée, nous la retrouvons dans les écrits de Pierre Maillard, qui a poursuivi le développement de ce système à la suite de Le Clercq: «À cela nous répondons que s’ils [les Micmacs] étoient une fois en état de se servir comme nous de notre alphabet soit pour lire, soit pour écrire, ils abuseroient infailliblement de cette science par cet esprit de curiosité, que nous leur connaissons, qui les domine pour chercher avec empressement à sçavoir plutôt les choses mauvaises que bonnes31Pierre Maillard, «Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions de l’Acadie et particulièrement sur les missions micmaques, à Madame de Drucourt», (1759) dans Les soirée canadiennes, Québec, Brousseau Frères Éditeurs, 1863, p. 358, cité dans Déléage, op. cit., p. 94..» Autrement dit, en se réservant la technologie alphabétique, ces missionnaires pouvaient contrôler l’accès scripturaire des Micmacs, et ainsi les restreindre au corpus limité et bien défini des textes religieux susceptibles de les «sauver». Bien sûr, on pourrait invoquer, comme le fait Déléage, le préjugé occidental des missionnaires qui faisait de l’écriture alphabétique une technologie trop complexe pour les facultés intellectuelles autochtones qu’ils jugeaient, selon une téléologie de l’écriture, encore trop arriérées. Cependant, ce qui semble primordial ici relève plutôt de la valeur politique de l’alphabet, «ce symbole de la civilisation32Déléage, ibid., p. 94.», véritable puissance scripturaire dont certaines élites coloniales ont voulu préserver le monopole.

Le mode d’usage de l’écriture logographique ainsi créée semble lié à des fonctions bien définies et fixées par avance. Il s’agissait en somme d’une écriture attachée, suivant le concept forgé par Déléage, c’est-à-dire «attachée à des discours, à des textes et à des institutions en dehors desquels elles n’ont aucun usage pertinent33Ibid., p. 98.». Il s’agissait d’une écriture de mémorisation et de récitation, donc limitée strictement à la reproduction de discours déjà formés, c’est-à-dire de textes contrôlés et bornés à un corpus religieux bien défini. «Apprendre ces écritures, c’était apprendre des textes34Ibid.», nous dit Déléage, pointant par-là que la fonction de rédaction ou de production du discours était occultée par la complexité des caractères. En ce sens, il ne s’agissait pas que de limiter la curiosité littéraire des Micmacs aux canons chrétiens, mais également d’empêcher qu’ils puissent se servir de cette écriture pour produire du discours, tant dans leur langue que dans celle des colons. «C’est qu’on ne sçait pas que plusieurs d’entr’eux entendent et parlent assez bien notre langue», ajoute l’Abbé Maillard avant de narrer l’anecdote de ces Micmacs qui interrompirent leurs interprètes face au Gouverneur français, jugeant que ce dernier traduisait mal leurs harangues: «à moy-même qui, au défaut d’interprête, voulus bien une fois leur en servir, ces mêmes me dirent: T’apperçois-tu, mon Père, que ce que tu rends en françois, n’est pas ce que nous disons?35Pierre Maillard, ibid., pp. 358-359.» En un sens, par la neutralisation de la prolifération du sens, la complexité de cette écriture empêchait du même coup que les foyers de traduction échappent aux mains des missionnaires. L’écriture logographique de ces missionnaires avait donc pour fonction centrale d’oblitérer son rapport à la parole vivante, cette puissance originaire d’expression, en n’autorisant la circulation que d’une seule parole, soit celle transcrite dans la Bible. Autrement dit, cette écriture traçait par avance l’itinéraire par lequel le sens devait circuler.

On a pu certes penser que la survie de cette écriture attachée, comme la nomme Déléage, dépendait essentiellement de l’appui d’institutions diverses, dans ce cas-ci, de l’Église. Or, plutôt que de la faire dépendre d’institutions extérieures, peut-être est-il plus judicieux de concevoir cette écriture comme étant en elle-même une institution, et une institution subrepticement contractuelle. En effet, peut-être est-ce dans la forme du pacte qu’il faut trouver la fonction de ce dispositif colonial scripturaire. Écrire suivant ce mode, c’est aussitôt se lier avec la forme d’un pouvoir bien défini et codifié, c’est s’insérer dans un certain régime scripturaire en deçà des lois et des coutumes, régime qui n’est pas tant lié au système d’écriture lui-même, mais plutôt à certains styles d’énonciation qu’il codifie et encourage, tel que transcrit par exemple dans les pratiques du baptême, de la confession ou encore du mariage. Si la complexité de l’écriture logographique de Le Clercq empêchait toute production d’un sens originaire, si elle bloquait la libre circulation entre le langage et les usages, c’est qu’elle n’autorisait qu’un seul mode d’énonciation où le texte avait pour seule fonction de guider la parole des christianisés dans la récitation de la parole biblique originaire. L’écriture y sert un langage qui ne peut se lier qu’au seul monde de la chrétienté où elle est soumise entièrement aux usages de la faute et de la rédemption. Elle institue, par la récitation de la lecture, une économie scripturaire dont le mouvement unidirectionnel gouverne le jeu entre parole et écriture.

Bien sûr, ce ne sont pas toutes les formes de traduction ni toutes les formes d’écriture qui reflètent un tel régime. D’autres transmissions de l’écriture par les missionnaires ont produit d’autres résultats. L’alphabétisation de la Basse-Côte-Nord, par exemple, initiée par le jésuite Pierre-Michel Laure et son abécédaire innu (1767) ou encore l’impression par le père La Brosse de quelque trois mille abécédaires et deux mille livres de prières en innu-aimun, a permis une circulation considérable de l’écriture alphabétique dans cette région, au point où l’on découvre à la fin du 18e siècle des correspondances écrites entre Innus36Denys Delâge et Jean-Philippe Warren, Le piège de la liberté, Montréal, Boréal, 2017, p. 128. Pour un exemple de correspondance innue, voir José Mailhot, «Deux lettres montagnaises du XVIIIe siècle», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 22, n1, printemps 1992, p. 9-11.. Toutefois, l’exemple de l’écriture logographique de Le Clercq et Maillard, comme bien d’autres écrits coloniaux, reflète un certain contrôle scripturaire. La propagation de l’écriture n’y est autorisée qu’en vue d’établir une certaine structure de pouvoir et non en vue de la circulation réciproque du sens, c’est-à-dire d’une langue à l’autre et, de façon plus large, d’un système de pensée à l’autre. Écrire et surtout lire sous ce régime scripturaire, c’est astreindre le sujet récitant à un ordre de croyance et d’usage prédéfini.

C’est peut-être cette hypothèse d’une écriture comme pacte qui permet le mieux de rendre compte de l’institution du scripturaire. C’est ce système ou style d’inscription qui encourage l’accomplissement de certains rituels au détriment d’autres, de certains énoncés performatifs, qui en viennent à instaurer dans le sujet qui en lie les symboles un certain rapport à soi. Cette inscription performative, elle se trouve déjà dans la signification même du baptême chez les Pères de l’Église, sacrement qui, par la marque qu’il laisse sur le chrétien, est un véritable sceau qui «grave aussi le nom du Christ –son nom, c’est-à-dire son image désormais présente dans l’âme37Michel Foucault, Les Aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018, p. 53.». Si cette marque divine qu’accomplit la deuxième naissance du baptême est en effet le signe d’appartenance que porte le chrétien sur son front «comme un cachet au bas d’un acte, l’estampille sur les bêtes du troupeau ou le tatouage au bras des soldats38Ibid., p. 52.,» alors peut-être peut-on pressentir un lien originaire, à la racine du christianisme, entre écriture et salvation, introduction dans le royaume de Dieu et économie scripturaire qui en grave l’adhésion à même la chair. Par ce rapport, on comprend mieux l’importance initiatique des gravures que Sagard inscrivait sur les arbres, signes à ses yeux d’une véritable prise territoriale théologique de l’Amérique. C’est ce rapport, en tout cas, qui semble pouvoir expliquer la prédominance de l’écriture dans l’obstination évangélisatrice au Nouveau Monde. Ce serait là, en somme, l’une des configurations que pourrait prendre le pouvoir de l’écriture, dans son chiasme fondamental entre parole et écrit.

    

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Therrien, Jean-Marie, Parole et pouvoir. Figure du chef amérindien en Nouvelle-France, Montréal, L’Hexagone, 1986.

  • 1
    Sagard Gabriel, Le Grand voyage du pays des Hurons. Texte établi par Réal Ouellet. Introduction et notes par Réal Ouellet et Jack Warwick, Bibliothèque québécoise, Québec, 2007, p. 107-108.
  • 2
    Ibid., p. 262
  • 3
    William Strachey. The Historie of Travell into Virginia Britania, ed. Louis B. Wright and Virginia Freund for the Hakluyt society, Nendeln/Liechtenstein, Kraus Reprint Limited, 1967 (1612), p. 77.
  • 4
    E.C. Porter, The Inconstant Savage: England and the North American Indian 1500-1660, London, 1979; Donald Boyd Smith, Le «sauvage»: pendant la période héroïque de la Nouvelle-France (1534-1663), d’après les historiens canadiens-français des 19. et 20. siècles, Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1979; Bernard W. Sheehan, Savagism and Civility: Indians and Englishmen in Colonial Virginia, Cambridge, Cambridge University Press, 1980; Olive P. Dickason, Le Mythe du Sauvage, Sillery, Septentrion, 1993; Jean-Louis Chevalier, Mariella Colin, et Ann Thomson, éd., Barbares & sauvages: images et reflets dans la culture occidentale, Caen, Presses universitaires de Caen, 1994; Gilles Thérien, Figures de l’Indien, Montréal, Typo, 1995 (1988); Terry Jay Ellingson, The Myth of the Noble Savage, Berkeley, University of California Press, 2001; Michael Gaudio, Engraving The Savage: the New World and Techniques of Civilization, Minneapolis: University of Minnesota Press, 2008; John A. Gallucci, «Décrire les «Sauvages»: réflexion sur les manières de désigner les autochtones dans le latin des Relations», Tangence, no 99 (12 avril 2013): 1934.
  • 5
    Michel De Certeau, L’invention du quotidien, 1. arts de faire, Paris: Gallimard, 1990.
  • 6
    Collectif. Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales, espace français, espace anglais. Louvain-la-neuve, K. Fianu & D. J. Guth, 1997.
  • 7
    Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures, langue, nombre, code. Paris, Gallimard, 2007.
  • 8
    L. C. Green & Olive P. Dickason. The Law of Nations and the New World. Edmonton, University of Alberta Press, 1989.
  • 9
    Cela est notable en particulier dans les récits portant sur les Premiers Peuples situés au nord du Mexique contemporain. Mais on peut aussi remarquer le même phénomène chez les colons espagnols, notamment autour du débat sur le type d’écriture qu’employaient les Mayas et Mexicas, et que les récits coloniaux considèrent toujours comme étant inférieur au système alphabétique.
  • 10
    Jean-Marie Therrien, Parole et pouvoir. Figure du chef amérindien en Nouvelle-France. Montréal, L’Hexagone, 1986.
  • 11
    Jack Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Minuit, 1979 (1977); Giorgio Agamben, Le sacrement du langage, dans Homo Sacer, L’Intégrale, Paris, Seuil, 2016 (2009), p. 322-385; H.-J. Martin et B. Delmas, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, A. Michel, 1996.
  • 12
    On pourra se référer aux analyses de Austin sur l’expression «to enact», ou encore à celle de Derrida sur l’expression «to enforce». John L. Austin, How to Do Things with Words, Oxford, Clarendon Press, 1962 (1955); Jacques Derrida, Force de loi, Paris, Galilée, 2005 (1994).
  • 13
    Michel Foucault, «Cours du 28 janvier 1976», dans Il faut défendre la société, 1976. Paris, Seuil, 1997.
  • 14
    J. A. Brundage, The Profession and Practice of Medieval Canon Law, Aldershot, Ashgate, 2004.
  • 15
    C’est ce que la constitution du Cardinal Ottobono de 1268 promulgue: «No advocate shall be allowed to appear in any case unless he first produces letters from the diocesan [bishop] before whom he took the oath [of admission] or unless he takes this oath once again.» J. A. Brundage, The Profession and Practice of Medieval Canon Law, V, p. 536.
  • 16
    Jean-Philippe Genet. «Le médiéviste, la naissance du discours politique et la statistique lexicale: quelques problèmes» dans Bourlet, C. & A. Dufour (dir.) L’écrit dans la société médiévale. Paris, CNRS Éditions, 1993, p. 295.
  • 17
    Michael Clanchy. From Memory to Written Word, Oxford, John Wiley & Sons, 2013 (1979); Jean-Philippe Genet, La genèse de l’État moderne: culture et société politique en Angleterre, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
  • 18
    Alain Derville. «L’alphabétisation du peuple à la fin du Moyen Age » dans Revue du Nord, tome 66, n°261-262, avril-septembre 1984. Liber Amoricum, Mélanges offerts à Louis Trenard, pp. 761-776.
  • 19
    H.-J. Martin et B. Delmas, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, A. Michel, 1996, p. 216.
  • 20
    L’élite anglaise attribua en partie l’élan révolutionnaire des années 1640-50 à l’alphabétisation des masses. Stone aperçoit ainsi un lien entre l’alphabétisation et les révolutions européennes: «If our figures for literacy are even approximately correct, they suggest that the three great modernizing revolutions of the West, English, French and Russian, have taken place at a time when the rate of male literacy has been between one third and two thirds». Lawrence Stone, «Literacy and education in England 1640-1900», Past & Present, no 42 (fév., 1969), p. 138.
  • 21
    Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 53.
  • 22
    Sur Hobbes, voir Richard Ashcraft, «Hobbes’s Natural Man: A Study in Ideology Formation», The Journal of Politics, vol. 33, no 4, 1971; Noel Malcolm, «Hobbes, Sandys, and the Virginia Company», The Historical Journal, vol. 24, no 2, Cambridge University Press, 1981. Sur Locke, voir Barbara Arneil, John Locke and America: the Defence of English Colonialism, Oxford, Clarendon Press, 1996; Nagamitsu Miura, John Locke and the Native Americans: Early English Liberalism and its Colonial Reality, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2013; Matthieu Renault, L’Amérique de John Locke: l’expansion coloniale de la philosophie européenne, Paris, Éditions Amsterdam, 2014.
  • 23
    Michel Foucault, LArchéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 275.
  • 24
    «Concerning the first, there is a saying much usurped of late, that wisdom is acquired, not by reading of books, but of men. Consequently whereunto, those persons, that for the most part can give no other proof of being wise, take great delight to show what they think they have read in men. But there is another saying not of late understood, by which they might learn truly to read one another, if they would take the pains; and that is, nosce te ipsum, read thyself.» Thomas Hobbes. Leviathan. Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 7-8, c’est Hobbes qui souligne.
  • 25
    Sylvia Scribner, «Literacy in Three Methaphors», American Journal of Education, vol. 93, no 1, (Nov. 1984), p. 13.
  • 26
    On peut ainsi considérer l’écriture comme un outil coextensif à certaines techniques de soi, inscription d’un discours vrai sur soi, sur son propre corps et son âme propre, comme nous le verrons en finale.
  • 27
    Graphein signifie en effet peinturer, graver, égratigner, tracer des signes, inciser ou encore rayer avec un objet pointu.
  • 28
    «[scriptura] a désigné une taxe sur les pâturages de l’État fixée par écrit […] praescribere “écrire en tête d’une loi” a pris le sens de “prescrire” […]; de même praescriptio, praescriptiuus; proscribo “publier par écrit, afficher” s’est entendu dans le sens de “afficher le nom et les biens d’un condamné, proscrire, confisquer”, […] prescribo […] a pris le sens de “rendre un arrêt”, d’où rescriptum; subscribo “soussigner une accusation” (se dit du censeur qui blâme un citoyen, ou d’un particulier qui accuse un citoyen) […]. On voit par là l’importance du document écrit dans le droit romain.» Albert Ernout & Alfred Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001.
  • 29
    C’est ce que soutient Alastair Minnis, pour qui la littérature savante latine gravite autour de ces deux concepts. A. J. Minnis. Medieval Theory of Authorship, London, Scolar Press, 1984.
  • 30
    Pierre Déléage, Le geste et l’écriture. Langues des signes, Amérindiens, logographies, Paris, Armand Colin, 2013, p. 109.
  • 31
    Pierre Maillard, «Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions de l’Acadie et particulièrement sur les missions micmaques, à Madame de Drucourt», (1759) dans Les soirée canadiennes, Québec, Brousseau Frères Éditeurs, 1863, p. 358, cité dans Déléage, op. cit., p. 94.
  • 32
    Déléage, ibid., p. 94.
  • 33
    Ibid., p. 98.
  • 34
    Ibid.
  • 35
    Pierre Maillard, ibid., pp. 358-359.
  • 36
    Denys Delâge et Jean-Philippe Warren, Le piège de la liberté, Montréal, Boréal, 2017, p. 128. Pour un exemple de correspondance innue, voir José Mailhot, «Deux lettres montagnaises du XVIIIe siècle», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 22, n1, printemps 1992, p. 9-11.
  • 37
    Michel Foucault, Les Aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018, p. 53.
  • 38
    Ibid., p. 52.
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