Entrée de carnet
Le fantastique d’Yves Thériault sous l’optique de la nature
Dans le cadre du séminaire présent, il nous a été demandé de repenser notre sujet de mémoire en y incluant le thème dudit séminaire, c’est-à-dire la nature au Québec. Considérant que mon mémoire offre une lecture ethnocritique de nouvelles fantastiques, j’ai décidé de me pencher sur des textes fantastiques québécois qui présentent la nature comme centre d’intérêt.
J’ai donc sélectionné des nouvelles de Yves Thériault (1915-1983) issues de son recueils Contes pour un homme seul (1944), à savoir : « La fleur qui faisait un son », « Les fourmis », « Le cheval de Vaudoux », « Le sac » et « Le cochon de la mère Soubert »[1]. Ces cinq nouvelles racontent sont intimement liées, puisqu’elles racontent les aventures du Troublé, suite à sa rencontre avec une fleur qui produisait des sons.
J’ai aussi choisi d’analyser quelques nouvelles tirées du recueil La femme Anna et autres contes (1981), puisqu’il s’agit, selon moi, d’une réécriture des nouvelles sélectionnées dans Contes pour un homme seul. Il m’est d’avis que quarante ans d’écart entre la publication de ces nouvelles ont drastiquement modifié l’écriture des thèmes équivalents dans chacune des nouvelles de Thériault. À cet égard, j’effectuerai une analyse comparative des nouvelles énumérées plus haut avec deux autres, issues de La femme Anna, à savoir : « La fleur qui disait amour » et « Le merdier de Vérin ».
L’univers narratif des contes de Thériault se déroule dans un contexte de terroir : dans Contes pour un homme seul, les nouvelles prennent toutes place dans un hameau, avec des personnages récurrents tels le Troublé, Daumier, Simon-la-main-gourde, et bien d’autres, qui pratiquent l’agriculture (l’expression employée par l’auteur est celle figurative du « travail de la terre »). C’est d’ailleurs aussi le cas pour la nouvelle « Le merdier de Vérin », mais pas pour « La fleur qui disait amour ». Dans cette nouvelle, le récit se déroule dans une ville, et le changement dans la relation avec la nature que provoque ce nouveau contexte sera exploré.
Ces petits villages où prennent place des différents contes sont directement inspirés de réalités québécoises : « L’univers est celui du quotidien : paysan, bûcheron, pêcheur, […] avec en toile de fond la Gaspésie, le Grand Nord, le Saint-Laurent […]. [Ces récits] sont situés dans un contexte social précis (le Québec, le joual que parlent les personnages) […].[2] » La nature est donc au centre du quotidien des personnages, puisqu’ils doivent la travailler. L’auteur décrit ainsi le rôle de la nature dans ses nouvelles: « La nature, dans mon œuvre, c’est une sorte de deus ex machina qui influence puissamment le comportement des personnages; c’est la force première qu’ils doivent respecter[3] ». Pour le Troublé, la rencontre avec une fleur qui fait un son attise ses pulsions de vie et de mort : il se met en quête de détruire, et même de tuer, tout ce qu’il aime. Effectivement, et le Troublé en est le parfait exemple, la nature est ce « lieu où se déploient sans entrave les pulsions ataviques à la base de notre comportement collectif, [et constitue un] espace sacré privilégié par Thériault dans la plupart de ses romans et contes.[4] » Dans l’œuvre de Thériault, la nature « ne peut servir de simple accessoire [et est] douée de pouvoirs souvent étranges […].[5] »
Cela résume les questions centrales au travail présent : comment le fantastique se déploie-t-il dans ces textes de Thériault ? Est-ce différent de l’usage habituel du fantastique ? Quels sont les rapports entre le fantastique, la nature et les personnages, et comment évoluent-ils ? Ma problématique peut donc se résumer ainsi : comment la nature provoque-t-elle des situations dignes du fantastique, et quels sont les enjeux que cela soulève ?
Je vais également me pencher sur l’analyse du Troublé, qui, dans « La fleur qui faisait un son », est le premier personnage de ces récits à être affecté par un événement surnaturel, ainsi que Vérin, qui entend la terre chanter dans « Le merdier de Vérin ». Ces deux personnages abordent des caractéristiques du personnage liminaire[6], ce qui leur permet d’entretenir une relation particulière avec le phénomène fantastique.
[1] Dans l’édition que j’utilise, ces cinq nouvelles totalisent 26 pages, excluant les images. Yves Thériault, Contes pour un homme seul, Québec, Éditions du Dernier havre, 1944, p. 3 à 33.
[2] René Godenne, « Yves Thériault, nouvelliste », dans Études littéraires, 1988, vol. 21, no 1, p. 173.
[3] Yves Thériault, Textes et documents, Montréal, Leméac, 1969, p. 29.
[4] Mark Benson, « Yves Thériault : Un vert avant la lettre », dans Canadian Literature, 2011, no 209, p. 90.
[5] Maurice Émond, « Thériault aux frontières du fantastique », dans Études littéraires, 1988, vol. 21, no. 1, p. 77.
[6] Marie Scarpa, « Le personnage liminaire », dans Romantisme, 2009, no. 145, p. 25-35.