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La fécondité d’une approche écopolitique

Joëlle Papillon, « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine », Études littéraires, « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain », vol. 48, no 3,2019, p. 79-95.
Je reconnais ici mon peuple
femme indigène
femme front
femme territoire
femme terre noire
femme plaisir[1]
La professeure associée à l’Université McMaster en Ontario, Joëlle Papillon, présente une analyse écopolitique du recueil Bleuets et abricots de Natasha Kanapé Fontaine paru en 2016 chez Mémoire d’encrier. Son article « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine » est tiré du dossier « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain » dirigé par Julien Defraye et Élise Lepage et publié dans la revue Études Littéraires en 2019. Emprunté à cette strophe de Kanapé Fontaine, le concept de « femme-territoire » permet à Joëlle Papillon de réfléchir le rapport intime, marqué par le désir et le plaisir, qui unit l’énonciatrice à son territoire. Son approche qu’elle nomme écopolitique permet, en plus de tenir compte des dimensions enchevêtrées à la fois écologique, politique et poétique de l’œuvre, « de mettre en lumière l’importance de l’engagement du “je” lyrique de Kanapé Fontaine[2]. » Ce « je » féminin, par l’écriture, « se réapproprie son corps (sexuel, maternel, créateur) en le réenracinant sur le territoire[3] ». Un extrait du prologue illustre la participation du poème de cette réappropriation à la fois corporelle et territoriale :
Je sais donner la vie. Je suis féconde. Le poème entre en moi comme un amant. L’univers entre en mon corps afin de continuer le mouvement du cycle vital. Tout est cercle. La terre. Les bleuets et les abricots. Le poème est le mouvement qui féconde[4].
En affirmant son désir et sa sexualité, l’énonciatrice retrouve « son pouvoir dans la liberté de consentir[5] ». Bien que Natasha Kanapé Fontaine place la femme au centre de son œuvre, on ne peut qualifier sa démarche comme étant anthropocentrique. Comme l’explique Joëlle Papillon, « bien au contraire, [elle] élargit son personnage de femme au point qu’il contienne en lui tout l’univers : la femme-territoire et la Femme-terre sont humaines et non-humaines, vivantes et immortelles[6]. » La poétesse innue le dit : « Tout est cercle », marquant ainsi la réciprocité de ces relations[7]. En hommage à celle grâce à qui elle écrit maintenant, Natasha Kanapé Fontaine écrit :
Pays mien ô
je me ferai belle pour le poème
de ma grand-mère
Si je te nommais mon ventre
si je te nommais mon visage
le nom de mes montagnes de ma rivière
Utshat Upessamiu Shipu
Le nom de mon fleuve mon sable mon lichen
Unipeku Nutshimit[8].
Ces deux strophes tirées du poème d’ouverture de Bleuets et abricots qui s’intitule « La Marche » rappellent, par l’intertextualité de la première strophe et par le fond et la forme de la deuxième, l’importance qu’accorde Joséphine Bacon à l’innu-aimum. Il faut nommer l’espace avec les mots du Nutshimit. Ainsi, la démarche de Natasha Kanapé Fontaine s’inscrit dans une continuité culturelle, telle que l’entend la chercheuse métis Emma LaRocque[9], qui met à l’avant-plan la transmission des savoirs ancestraux et la création de nouveaux savoirs, le tissage de liens interpersonnels et communautaires, la célébration des vies, des langues et des territoires autochtones. En conclusion, les concepts de femme-territoire de Joëlle Papillon et de continuité culturelle d’Emma LaRocque peuvent être des bonnes pistes pour réfléchir plus globalement aux démarches d’écriture des femmes autochtones afin de mettre en lumière les spécificités de leur écriture respective et d’en dégager les éléments collectifs.
[1] Natasha Kanapé Fontaine, Bleuets et abricots, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, p. 43.
[2] Joëlle Papillon, « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine », Études littéraires, « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain », vol. 48, no 3,2019, p. 81.
[3] Ibid., p. 82.
[4] Natasha Kanapé Fontaine, Bleuets et abricots, p. 7.
[5] Joëlle Papillon, « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine », p. 82.
[6] Ibid., p. 92.
[7] Isabel Altamirano-Jiménez, une chercheuse zapotèque, et Nathalie Kermoal réfléchissent la notion de réciprocité des relations entre humains et autres-qu’humains chez les peuples autochtones : « Indegenous knowledge systems have developed over millenia and are grouded in living relational schemas. Relationships not only highlight the strong attachment Indigenous peoples have to their homelands but also underline the ontological framework that land occupies in those relationships […]. These relationships are reciprocal and develop among people as well as between people and non-human beings. The moral codes, norms, and laws governing those relationships are based on the principles of respect, reciprocity and obligation […]. [T]his knowledge is not fragmented into silos or categories ; rather, ontologies, epistemologies, and experiences are interwoven into this system.» Isabel Altamirano-Jiménez et Nathalie Kermoal, « Introduction : Indigenous Women and Knowledge », Isabel Altamirano-Jiménez et Nathalie Kermoal (dir.), Living on the land : Indigenous Women’s Understanding of Place, Edmonton, Athabasca University Press, 2016, p. 7-8, Joëlle Papillon, « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine », p. 80.
[8] Natasha Kanapé Fontaine, Bleuets et abricots, p. 14.
[9] Emma LaRocque, « Reflections on Cultural Continuity through Aboriginal Women’s Writings », Gail Guthrie Valaskakis, Madeleine Dion Stout et Eric Guimond (dir.), Restoring the Balance : First Nations Women, Community, and Culture, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2009, p. 160, Joëlle Papillon, « Bleuets et abricots : la femme-territoire de Natasha Kanapé Fontaine », p. 82.