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La Confédération Haudenosaunee du futur: réflexions sur les méthodes de traduction décoloniales

Kacey Chagnon
couverture
Article paru dans Matérialités coloniales de la traduction, sous la responsabilité de René Lemieux et Mélissa Major (2024)

Je tiens à remercier Skawennati pour sa contribution au présent chapitre, pour sa relecture attentive, sa rétroaction et ses précisions. Niawenhkó:wa!

   

La traduction a historiquement fait office d’outil de colonisation dans les Amériques en participant à imposer une forme coloniale du langage, notamment par le biais des écrits des premiers colons, des traductions religieuses des missionnaires ou des tentatives d’anéantissement des langues autochtones au profit des langues coloniales par le système des pensionnats autochtones. La critique littéraire Barbara Godard relève la façon dont ces diverses stratégies ont concouru à instituer des rapports de force asymétriques entre les langues coloniales et les langues autochtones. Seulement, au Canada, ces stratégies ont mené à la reconnaissance officielle des premières et à la marginalisation de dizaines de langues autochtones parlées à travers le territoire1Barbara Godard, «Writing Between Cultures», TTR: Traduction, terminologie, rédaction, 1997, vol. 10, no 1, p. 53-99.. Toutefois, la hiérarchisation langagière ne s’est pas limitée aux langues, mais également aux formes langagières. Ainsi, certaines matières textuelles et langagières se sont vues valorisées —l’écriture linguistique— au détriment de matérialités textuelles non alphabétiques, notamment des ceintures de wampum. De la même façon, l’idéologie coloniale semble effectivement sous-tendre les diverses dynamiques langagières, mais il serait faux de croire que cette idéologie se limite à la minorisation des langues autochtones. Comme le remarque Dalie Giroux, cette colonisation langagière affecte également, quoique dans une différente mesure, le parler français en Amérique du Nord2Dalie Giroux, «Les langages de la colonisation: quelques éléments de réflexion sur le régime linguistique subalterne en Amérique du Nord», Trahir, 2017, en ligne, <https://trahir.wordpress.com/2017/05/23/giroux-langages/>, consulté le 16 décembre 2019..

Du constat selon lequel la traduction représente une des facettes où se répercute la forme coloniale dans le langage, la question qui se dégage est la suivante: quelle forme pourrait-on dégager d’une traduction qui vise à être décoloniale? Quels éléments pourraient constituer une méthodologie pour reconnaître les nœuds de traduction —ces lieux de significations plurielles ou résistantes—, dans les œuvres autochtones vers le français nord-américain et ainsi éviter de traduire dans une forme coloniale? Ces nœuds de traduction s’expliquent en partie par les langues impliquées et par l’asymétrie de leurs rapports de force, mais également en raison des nombreux autres codes sémiotiques contenus dans ces productions devant faire l’objet d’une traduction culturelle et intersémiotique. Mon objectif est de proposer une méthodologie pour des traductions qui se veulent décolonisantes en échappant aux présupposés qui conditionnent l’approche euroaméricaine. Rappelons les postulats de la traduction recensés par Maria Tymoczko: 1) le monolinguisme d’État (dans le cas du Canada, le bilinguisme d’État); 2) la traduction comme une pratique se limitant aux textes écrits; 3) la catégorisation hiérarchique des types de textes; 4) la traduction comme une pratique exclusivement professionnelle; 5) la difficulté d’appréhender les modalités d’interfaces culturelles non linguistiques3Maria Tymoczko, “Reconceptualizing translation theory: integrating non-Western thought about translation”, Translating Others, vol. 1, 2006, p. 13-32. .

Au cours des dernières années, avec le nombre sans cesse croissant de productions artistiques et culturelles autochtones, on constate qu’un certain consensus se dégage en ce qui a trait aux pratiques d’édition, d’interprétation et des méthodologies de recherche. Ces pratiques ont été théorisées comme étant les meilleures, notamment dans le domaine de l’édition, par le chercheur universitaire et éditeur cri Gregory Younging dans son ouvrage Elements of Indigenous Style: A Guide for Writing By and About Indigenous Peoples4Gregory Younging, Elements of Indigenous Style: A Guide for Writing By and About Indigenous Peoples, Edmonton, Brush Education, 2018.. Ce livre traite de l’intégration de différentes traditions de pensée autochtones dans toutes les disciplines, avec des dépositaires de savoirs décoloniaux ancrés hors des milieux universitaires.

Jusqu’ici, les techniques de traduction propres aux productions autochtones n’ont pas bénéficié d’une explicitation comparable à celles qui ont cours dans le domaine de l’édition. Cependant, des tendances claires se profilent: le travail de traduction d’une œuvre autochtone, lorsqu’il est accompli par une personne allochtone, est parfois révisé par un·e autre auteur·e autochtone maîtrisant la langue cible pour assurer la justesse du contenu culturel et linguistique de la traduction. C’est le cas du recueil de poésie femme-rivière5Katherena Vermette, femme-rivière, traduit par Rose Després, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2019. de l’auteure métisse Katherena Vermette, traduit par Rose Després et révisé par la poétesse innue Marie-Andrée Gill avec les Éditions Prise de parole6Radio-Canada, «Femme-rivière: une poétesse métisse traduite par une poétesse acadienne», 6 septembre 2019, en ligne < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1289189/femme-riviere-traduction-katherena-vermette-francais-rose-despres>, consulté le 3 décembre 2019.. Dans d’autres cas, comme celui de la traduction de Cartographie de l’amour décolonial de Leanne Betasamosake Simpson7Leanne Betasamosake Simpson, Cartographie de l’amour décolonial, traduit par Arianne Des Rochers et Natasha Kanapé Fontaine, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018., la traduction est réalisée en tandem, avec une traductrice professionnelle allochtone, Arianne Des Rochers, et la poétesse innue Natasha Kanapé Fontaine. Enfin, on peut penser aux Productions Menuentakuan dont les membres ont collectivement participé à la création de leur pièce originale en français, Muliats. Actuellement, le comédien et metteur en scène wendat Charles Bender, membre de ce collectif théâtral, se concentre sur l’adaptation de pièces phares du théâtre autochtone de la sphère anglophone. Déjà, il a mis en scène l’adaptation française de la pièce Là où le sang se mêle/Where the Blood Mixes8Productions Menuentakuan, Là où le sang se mêle, adaptation française de Where the Blood Mixes par Charles Bender, Montréal, Théâtre Denise Pelletier, 16 janvier au 3 février 2018, en ligne <https://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/68/>, consulté le 9 décembre 2019. de Kevin Loring et AlterIndiens/AlterNatives9Productions Menuentakuan, AlterIndiens, adaptation française de AlterNatives par Charles Bender, Montréal, Théâtre Denise Pelletier, 7 au 25 septembre 2021, en ligne <https://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/99/>, consulté le 9 décembre 2021. de Drew Hayden Taylor, présentée au printemps 2021. De plus en plus, des techniques de traduction décoloniales sont à l’œuvre dans divers domaines, et il est opportun d’en faire un survol en vue de jeter les bases de leur théorisation, tout en rappelant que cette présentation sera appelée à se raffiner dans les années à venir grâce, surtout, au nombre sans cesse grandissant de traductions.

À partir de ces pratiques, on peut déduire que la traduction n’est qu’un outil et qu’elle n’est pas nécessairement vouée à être définie à partir d’une forme coloniale. Ce constat étant fait, il faut voir maintenant comment la traduction est appelée à rendre compte de la culture matérielle qui sous-tend les productions décoloniales à traduire. Les divers courants de recherche qui se penchent actuellement sur la matérialité de la culture partagent l’idée que les sociétés ou encore les cultures ne peuvent être appréhendées sans tenir compte des matières, des espaces et des ressources qui les composent. Dans la discipline de la traductologie, l’intérêt pour la matérialité fait suite aux transformations technologiques des outils de traduction et aux relations complexes que les traducteur·ices entretiennent avec ceux-ci, ainsi qu’aux nouvelles modalités qui s’imposent à la traduction et à l’interprétation comme modes de communication. Dans un article remarqué sur les matérialités de la communication, la traductologue Karin Littau10Karin Littau, «Translation and the materialities of communication», Translation Studies, vol. 9, no 1, 2016, p. 82-96, en ligne, <https://doi.org/10.1080/14781700.2015.1063449>, consulté le 9 janvier 2020. définit certains aspects matériels de la traduction comprise comme un mode de communication. Ces matérialités comprennent les modes de communication interlinguistique et intersémiotique, les processus cognitifs impliquant des interactions avec des technologies et les produits situés dans leur contexte historique, social et culturel.

Pour le dire autrement, je m’intéresserai à la forme que doit prendre la traduction pour s’arrimer à un fond idéologique décolonial, et je déterminerai les techniques traductives aptes à éviter d’imposer une forme langagière coloniale en tenant compte des matérialités qui composent les productions. La traduction d’œuvres subalternes exige, somme toute, des techniques de traduction elles aussi subalternes. Pour ce faire, on peut se servir des techniques décoloniales pertinentes qui ont déjà été théorisées dans le domaine de l’édition pour les appliquer à la sphère traductive. Afin d’exemplifier l’usage de ces techniques telles que théorisées par Gregory Younging, je les appliquerai à l’analyse d’une traduction que j’ai effectuée: la production multisémiotique de l’artiste kanien’kehá:ka Skawennati, une machinima intitulée Le retour du Pacificateur.

    

Traduction intersémiotique et décolonialité

Divers éléments sémiotiques de la décolonialité se retrouvent dans les matérialités de l’œuvre The Peacemaker Returns/Le retour du Pacificateur. Le récit de la machinima, une forme artistique qui sera définie plus bas, est structuré autour d’une ceinture de wampum qui constitue un système d’écriture non alphabétique. À cette matérialité se joint celle de l’oralité, des images, de l’utilisation de plateformes virtuelles, de la mise en valeur de la continuité de la pensée politique, de la notion circulaire du temps et du futurisme autochtone. Ces éléments s’entremêlent pour produire une sémiotique de la décolonialité dont la dimension langagière, qui exige une traduction vers le français nord-américain, n’est qu’une de ses nombreuses composantes sémiotiques. Par une analyse détaillée de la machinima de Skawennati, je propose de mettre en lumière la manière dont les éléments épistémologiques présentés plus haut forment le contexte permettant d’entrevoir les conditions d’invention de techniques de traduction particulières.

D’abord, l’analyse de la traduction d’une des productions de l’artiste kanien’kehá:ka Skawennati sert à exemplifier la pertinence d’une perspective de traduction intersémiotique pour les productions décoloniales, puisque celle-ci appelle à une traduction qui n’est pas exclusivement linguistique. En effet, la traduction intersémiotique permet de rendre compte des modalités d’interfaces culturelles non linguistiques, comme celles que l’on retrouve dans Le retour du Pacificateur11Skawennati, The Peacemaker Returns, 2017, Wallach Art Gallery, <https://vimeo.com/657110527>, consulté le 12 août 2022.. Cette machinima a d’abord été présentée dans le cadre d’une exposition jeunesse, Teiakwanahstahsontéhrha’/Nous tendons les perches12Skawennati, «Teiakwanahstahsontéhrha’ | Nous tendons les perches», Exposition jeunesse, 28 octobre 2017 au 27 janvier 2018, en ligne <http://centrevox.ca/exposition/skawennati-teiakwanahstahsontehrha-nous-tendons-les-perches-circulation-2/>, consulté le 3 décembre 2019., au Centre Vox à Montréal en 2017-2018. L’exposition a aussi été présentée dans de nombreuses galeries d’art au Canada. Une machinima, mot-valise regroupant «machine et cinéma», définit une production cinématographique faite à partir d’une plateforme virtuelle, dans ce cas-ci, la plateforme en ligne Second Life. Au fil des ans, Skawennati et son équipe Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC)13Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC), en ligne <abtec.org/#projects>, consulté le 1er décembre 2019. de l’Université Concordia ont réalisé de nombreuses machinimas qui explorent des moments phares de l’histoire autochtone; plus récemment, elle s’intéresse à l’invention de versions futuristes de récits traditionnels de sa nation. Dans cette machinima, Skawennati a créé une saga futuriste inspirée du récit historique de Tekanawí:ta et de la création de la Confédération Haudenosaunee, un événement politique historique enchâssé dans le wampum de Hiawatha. Le récit de la Confédération sert ainsi de point de départ au déploiement d’une production artistique et pédagogique pour un public composé d’enfants de 5 à 11 ans. En plus de la machinima, l’exposition comprend une Maison Longue futuriste en métal et «un musée du futur», où se côtoient des reproductions de ceintures wampum historiques et des créations originales de ceintures wampum que l’on retrouve dans la machinima. Enfin, l’exposition s’accompagne d’ateliers sur la médiation et le consensus sous forme de jeux de société pour les jeunes.

Figure 1.1 Atelier de médiation dans l’exposition Skawennati. Teiakwanahstahsontéhrha’ | Nous tendons les perches, VOX, du 28 octobre 2017 au 27 janvier 2018

Composée de nombreuses matérialités, l’exposition présente des univers historiques et futuristes décoloniaux où la traduction linguistique de la machinima n’est qu’une composante parmi d’autres. Ainsi, la traduction linguistique doit rendre compte d’une vision décoloniale de l’histoire et de l’avenir qui se déploie, à la fois, dans les modalités audiovisuelles, les wampums, les systèmes graphiques non verbaux comme les couleurs, la plateforme de réalité virtuelle et, enfin, le web. L’utilité d’une approche intersémiotique de la traduction dans l’interprétation de ces univers s’explique par la capacité de l’approche à décloisonner la définition de ce qu’est un texte. D’ailleurs, la matière à traduire sera rendue à l’oral dans la machinima, comme toute production audiovisuelle. Le récit, conté oralement par un avatar, est aussi intimement lié au support matériel des ceintures wampum, et ces dernières contiennent, comme je l’ai dit plus haut, un système d’écriture non alphabétique.

Si j’évoque le caractère multisémiotique de la production de Skawennati, il convient de remarquer que j’applique une approche analytique qui peut être qualifiée de non autochtone. En revanche, des théoriciens de la pensée décoloniale, comme Anibal Quijano et Walter Mignolo, ont recours au concept apparenté de «sémiose coloniale» pour décrire la coexistence des représentations sémiotiques du territoire entre deux ou plusieurs cultures radicalement différentes. Dans cette définition, la «sémiose» remplace le concept de discours pour mettre en évidence le rôle de pratiques discursives non écrites comme les tissus, les peintures, les rituels, les harangues et les silences14Nicolas Beauclair, «Hétérogénéité et pensée frontalière dans la littérature amérindienne: Expression de la décolonialité», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 46, nos 2-3, 2016, p. 36.. L’intérêt de qualifier cette production de «multisémiotique» provient principalement du fait que cela permet de repenser la traduction au-delà de sa dimension linguistique afin d’y inclure d’autres matérialités. Récemment, de nombreux chercheurs ont tenté de regrouper les dimensions sociale, politique et culturelle des contacts, des communications et des coexistences interculturelles, notamment grâce à l’apport de la sémiotique15Voir Renée Desjardins, Translation and the Bouchard-Taylor Commission: translating images, translating cultures, translating Québec, Thèse de doctorat, Université d’Ottawa, 2013, p. 53-90, en ligne, <https://www.ruor.uottawa.ca/handle/10393/24078> consulté le 16 avril 2017. Desjardins souligne notamment les recherches portant sur le rôle social de la traduction: Salah Basalamah, «La traduction citoyenne n’est pas une métaphore», dans Traduction engagée/Translation and Social Activism, TTR, vol. 18, no 2, 2005, p. 49-69; Sherry Simon, «Introduction to Traduction engagée/Translation and Social Activism», TTR, vol. 18, no 2, 2005 p. 9-16; Maria Tymoczko, «Translation and the Political Engagement: Activism, Social Change and the Role of Translation in Geopolitical Shifts», The Translator, vol. 6 no 1, 2000, p. 23-47.. Dans son expression la plus simple, la sémiotique s’intéresse à notre façon de produire, d’interpréter et de négocier la communication ainsi que la signification à partir de signes16Ubaldo Stecconi, «Semiotics and Translation», dans Handbook of Translation Studies, Yves Gambier et van Doorsaler (dir.), vol. 1, 2010, p. 315. . Le tournant sémiotique en traductologie s’inspire des travaux du linguiste Roman Jakobson qui, en 1959, avançait déjà l’idée que la traduction avait lieu non seulement sur le plan linguistique, mais aussi avec des objets non linguistiques — d’où ses catégories de traduction intralinguale, interlinguale et intersémiotique. Jakobson définit la traduction intersémiotique ainsi: « Inter-semiotic translation, or transmutation, is an interpretation of verbal signs by means of signs of nonverbal sign systems17Roman Jakobson, «On Linguistic Aspects of Translation», dans Translation Studies Reader, L. Venuti (dir.), 2e éd., 2002, p. 143..» Puisque la sémiotique s’étend à tous les aspects de la culture, on décèle une certaine symbiose naturelle entre la sémiotique et la traduction18Ubaldo Stecconi, op. cit., p. 315.. Pour citer Umberto Eco, la perpétuelle traduction de signes en d’autres signes constitue le fondement de la communication culturelle19Umberto Eco, A Theory of Semiotics, Bloomington, Indiana University Press, 1976, p. 71.. Envisager la traduction à travers le prisme intersémiotique permet alors d’élargir les définitions de la traduction pour y inclure les dimensions non verbales et leur transfert avec le langage ou entre différentes dimensions non linguistiques.

Comme l’explique Yves Gambier, malgré l’intérêt grandissant en traductologie pour les interactions entre le verbal et le visuel, le langage et le non-verbal —notamment à travers la pratique de la traduction audiovisuelle—, les paradigmes conceptuels traductologiques demeurent paradoxalement linguistiques. Ce paradigme linguistique tend à négliger les mélanges multisémiotiques, malgré la prolifération de textes multimodaux où cohabitent diverses ressources sémiotiques (langue, images et sons) dans les environnements audiovisuels et numériques20Yves Gambier, «Multimodality and Audiovisual Translation», MuTra 2006, 2006, p. 7, en ligne, <http://www.euroconferences.info/proceedings/2006_Proceedings/2006_Gambier_Yves.pdf>, consulté le 7 septembre 2017.. En revanche, l’approche sémiotique nous aide à comprendre que la traduction ne se résume pas à ce que nous faisons avec les mots, mais également à ce que nous faisons aux mots et à d’autres signes21Ubaldo Stecconi, op. cit., p. 316.. Sous cet angle, le texte et sa traduction se voient définis comme n’importe quel produit ou processus sémiotique qui entraîne un enchaînement interprétatif traductif22Kay L. O’Halloran, Sabine Tan et Peter Wignell, «Intersemiotic Translation as Resemiotisation: A Multimodal Perspective», Signata, Traduire: signes, textes, pratiques, vol. 7, 2016, p. 200..

Bien que cette définition ne relève d’aucune épistémologie autochtone, je crois qu’il est pertinent de faire dialoguer cette première approche théorique avec la pensée décoloniale afin de rendre compte des multiples matérialités qui s’agencent dans les littératures autochtones. En effectuant un survol de quelques distinctions terminologiques à garder en tête lorsque l’on traite de littératures autochtones, Gregory Younging propose des catégories conceptuelles pour comprendre en quoi consiste la «voix autochtone contemporaine23Younging, p. 11.» et comment celle-ci se distingue des styles d’écriture et des genres littéraires européens. La «voix autochtone contemporaine», se définissant comme un mélange de traditions orales contemporaines et ancestrales, produit des littératures autochtones en regroupant des techniques de conte et de transmission orale qui intègrent des méthodes de documentation matérielles, comme des ceintures wampum ou des totems24Ibid., p. 12.. Younging insiste sur le fait que les littératures autochtones contemporaines, fruits de multiples traditions de différentes nations et de peuples, se sont développées et ont évolué indépendamment du canon littéraire canadien fortement marqué par les cultures européennes et américaines, exclusivement centrées sur le texte écrit. Ces littératures précèdent l’avènement d’institutions littéraires coloniales et continuent de s’ancrer dans des traditions qui leur sont propres25Ibid., p. 15.. Tout en gardant en tête les distinctions entre l’approche traductive intersémiotique et les littératures autochtones définies à partir de leur propre épistémologie, il serait utile d’en explorer les possibles croisements. C’est ainsi que je propose de traiter de la machinima comme d’une production littéraire.

   

Des techniques d’édition à la pratique traductive

Certains principes élaborés par Younging dans le domaine de l’édition d’ouvrages autochtones seront transposés ici comme techniques traductives, en commençant par le principe du cercle de collaboration. D’entrée de jeu, je décrirais mon expérience de traduction par une forme de collaboration autochtone/allochtone, à la suite de ma rencontre fortuite avec Skawennati lors d’un cours de langue kanien’kéha (mohawk) offert par l’organisme communautaire Montréal Autochtone en 2015-2017. Dans ce contexte d’apprentissage, j’ai découvert le travail artistique de Skawennati que j’ai pu consulter sur son site web26www.skawennati.com. À son tour, elle a su que je traduisais de l’anglais vers le français. Ensemble, nous avons appris quelques bases de la langue kanien’kéha avec un aîné traditionaliste, Kevin Kanasohon Deer et, l’année suivante, avec Akwiratékha’ Martin, un linguiste et traducteur kanien’kéha/anglais. Kanasohon Deer, de son côté, s’efforçait de transmettre des bases de la philosophie haudenosaunee en partageant des récits fondateurs, comme celui de la Création de l’Île de la Tortue (l’Amérique du Nord). Skawennati, qui connaissait déjà ces récits fondateurs, a d’ailleurs créé une machinima à partir de ce récit, intitulée She Falls for Ages27Skawennati, She Falls for Ages, Aboriginal Territories in Cyberspace, 2017, en ligne <http://www.skawennati.com/SheFallsForAges/>, consulté le 3 décembre 2019.. Elle a aussi créé une version machinimagraphique du Ohén:ton Karihwatéhkwen (L’allocution de l’Action de grâce) en trois langues: le kanien’kéha, le français et l’anglais. Skawennati a repris cette allocution traditionnelle pour en faire une courte machinima intitulée Words Before All Else28Skawennati, Words Before All Else, Aboriginal Territories in Cyberspace, 2017, en ligne https://vimeo.com/212767670/d95968aa5a, consulté le 6 décembre 2019., propulsant ce protocole dans un contexte futuriste. Son avatar, xox, prononce des paroles habituellement réservées à l’ouverture de rassemblements solennels ou encore pour accueillir le lever du jour. D’ailleurs, la traduction vers le français d’une partie du Ohén:ton Karihwatéhkwen a constitué ma première brève expérience de collaboration avec l’artiste.

La traduction de la machinima The Peacemaker Returns/Le retour du Pacificateur a succédé à cette première collaboration traductive à partir du fond matériel idéologique de la cosmologie kanien’kehá:ka. Ces notions, déjà connues de Skawennati, étaient nouvelles pour moi. Je ne prétends pas avoir acquis une grande connaissance de la philosophie kanien’kehá:ka, mais j’en ai eu un aperçu, notamment la manière dont elle s’exprime par des enseignements transmis oralement par des gardiens du savoir. La relation me liant à Skawennati s’est ainsi développée sur deux ans avant que nous travaillions ensemble sur la machinima Le retour du Pacificateur. Nous avons établi un rapport de confiance —un des principes élaborés par Gregory Younging qui met l’accent sur le rôle des rapports humains dans ce qu’il appelle «le cercle de collaboration». Le penseur reconnaît que ce principe existe dans le domaine de l’édition pour parler de la nécessité de prendre le temps de travailler avec un réseau étendu de collaborateur·ices autochtones, qu’iels soient auteur·es, détenteur·ices de savoirs ou spécialistes de la langue, et ce, pour assurer la plus grande authenticité possible et conserver au mieux l’intégrité culturelle d’une production autochtone29Gregory Younging, op. cit., 2018, p. 31.. En commençant à travailler sur la portion traductive du projet de machinima, je me suis aperçu que je m’inscrivais dans un réseau de collaboration que l’artiste avait tissé autour d’elle et de son œuvre. Skawennati travaillait entre autres avec des aîné·es, des expert·es de la langue kanien’kéha, dont notre enseignant, en plus de consultant·es linguistiques du Kanien’kehá:ka Onkwawén:na Raotitióhkwa Language and Cultural Center, situé à Kahnawà:ke30Kanien’kehá:ka Onkwawén:na Raotitióhkwa Language and Cultural Center, en ligne, <http://www.korkahnawake.org/>, consulté le 8 décembre 2019.. Le cercle incluait également l’artiste multidisciplinaire anishnaabe française Caroline Monnet qui assurait la narration en français, ainsi que l’équipe d’AbTeC à l’Université Concordia, qui s’occupait de la conception des décors et des personnages du récit sur la plateforme virtuelle Second Life. Bien que le projet était ancré à l’Université Concordia, le cercle de collaboration s’étendait au-delà de l’institution universitaire pour se relier à des gens issus d’organismes communautaires comme Montréal Autochtone et le centre culturel de Kahnawà:ke31Skawennati ajoute que certaines collaboratrices n’étaient pas affiliées à des groupes communautaires, dont Owisokon Lahache, qui a fabriqué la ceinture de Hiawatha, et Katheleen Dearhouse, qui a contribué à la fabrication d’autres ceintures wampum pour Skawennati..

Dans ma portion traductive du projet, j’ai pu profiter du fait que l’artiste parle et lit le français suffisamment pour discuter de la traduction française et donner son avis. Le travail de traduction conventionnel, souvent réalisé en binôme avec un·e réviseur·se professionnel·le, s’est transformé ici en une collaboration réticulaire avec d’autres participant·es. Le processus s’est échelonné sur plusieurs semaines, voire quelques mois. Skawennati et moi avons discuté du projet avant même que le scénario ne soit écrit. Elle m’a parlé de sa vision du projet, des aîné·es, des expert·es et des sources historiques écrites qu’elle consultait, ainsi que des éléments essentiels de la philosophie haudenosaunee qu’elle voulait transmettre à travers son projet, dont les pratiques de médiation et de résolution de conflit. Ce dernier aspect reflète la particularité du rôle des artistes autochtones dans la transmission des traditions orales et du savoir traditionnel.

Younging propose une description du rôle complexe des artistes autochtones dans son ouvrage: selon lui, le travail des auteur·es autochtones consiste à perpétuer leurs systèmes de savoirs, leurs propres histoires et récits, tout comme leur version de l’histoire de la colonisation ainsi que des réalités contemporaines32Ibid., p. 15.. La «perspective de l’intérieur» dont jouissent les artistes offre une certaine flexibilité dans la transmission de versions novatrices du savoir ancestral, mais cette liberté artistique dépend du rapport entre l’artiste et sa nation. Ce rapport entre l’individu et sa collectivité est certes complexe, mais, en tout cas, une telle liberté artistique n’est pas consentie aux auteur·es ou aux traducteur·ices non autochtones, entre autres en raison du manque de connaissances des perspectives autochtones ou encore des représentations coloniales réductrices et l’usurpation de la propriété intellectuelle, dont certains se sont rendus coupables par le passé33Les exemples sont nombreux. Philippe Cardinal relate l’épisode du poète Robert Bringhurst qui a reçu son lot de critiques en 1999 à la suite de la publication de sa traduction, vers l’anglais, du premier tome de récits fondateurs haïdas. Cette entreprise était le fruit d’une trouvaille: les notes ethnologiques des récits d’aînés haïdas dans un musée. Des membres de la communauté haïda l’ont critiqué pour avoir publié ces histoires sans leur permission ou leur consultation. Mais ceci n’a pas empêché Bringhust de récolter les éloges et de publier deux tomes subséquents. Philippe Cardinal, ‟Cross-Purposes: Translating and Publishing Traditional First Nations Narratives in Canada at the Turn of the Millenium”, dans K. Mezei, S. Simon et L. Von Flotow (dir.), Translation Effects: The Shaping of Modern Canadian Culture, Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014, p. 271–287.. Comme l’explique la penseuse nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson, il existe une éthique des récits autochtones stipulant, par exemple, que certains soient racontés seulement par des aînés ou lors de cérémonies et que d’autres ne soient pas largement diffusés34Leanne Betasamosake Simpson, Dancing on our Turtle’s Back. Stories of Nishnaabeg Re-Creation, Resurgence and a New Emergence, Winnipeg, ARP Books, 2011, p. 35. . Toujours selon Younging, quiconque désire travailler sur des enjeux autochtones sans avoir cette «perspective de l’intérieur» gagnerait à forger des liens, par exemple avec les auteur·es à traduire, et à consulter des gardien·nes du savoir de la nation concernée par l’œuvre afin de réviser le contenu. Cette première technique consiste en une collaboration étroite avec l’artiste pour comprendre l’étendue de sa perspective et comment elle la dépeint dans sa production à traduire. À cela s’ajoute l’impératif de s’informer préalablement des distinctions culturelles de la nation d’appartenance de l’artiste et de poser des questions sur les interrelations entre les savoirs traditionnels, les traditions orales et l’œuvre en question.

Dans le cas à l’étude, la version anglaise-kanien’kéha du scénario était toujours en élaboration lorsque j’ai entamé la traduction, puisque d’autres acteurs du réseau y travaillaient encore, notamment pour la terminologie en kanien’kéha, laquelle nécessitait d’inclure de la toponymie et de créer des prénoms de personnages uniques et porteurs de sens pour le récit. Le développement du scénario original s’est poursuivi tandis que Skawennati et moi avions de fréquentes conversations téléphoniques pour discuter des raisons des changements dans le texte et les choix de traduction correspondants. Nous avons continué de collaborer jusqu’à l’enregistrement audio de la narration pour la machinima, dans un studio de l’Université Concordia. J’ai pu participer à l’enregistrement pour apporter des conseils sur des questions de langue ou des changements de dernière minute avec la narratrice Caroline Monnet, qui donnait sa voix au personnage d’Iotetshèn:’en dans la version française. Une des contraintes de l’audiovisuel est que les dialogues doivent avoir l’air le plus naturels possible à l’oral, et non seulement être bien écrits. La séance d’enregistrement a ainsi permis une troisième révision linguistique collaborative à trois. Un processus plus long comme celui-ci est la meilleure façon de s’assurer, toujours selon Gregory Younging, que le travail n’efface pas la voix de l’artiste et qu’il démontre du respect envers la complexité de l’œuvre et de l’individu qui l’a produite. Cette manière de faire rappelle la méthode du work-in-progress que l’on retrouve dans le théâtre contemporain. La traductologue Agata Gołębiewska décrit cette pratique de la reconnaissance du rôle créatif de chaque personne impliquée dans le spectacle —qu’elle soit dramaturge, metteuse en scène, membre de l’équipe technique, comédienne ou traductrice— comme une caractéristique fondamentale du théâtre post-dramatique35Agata Gołębiewska, «Le traducteur dans un théâtre à mille temps», Meta – Journal des traducteurs, vol. 62, n3, décembre 2017, p. 616, en ligne, <https://doi.org/10.7202/1043952ar>, consulté le 7 janvier 2020.. La dimension de la collaboration permet de modifier l’écriture et la traduction tout au long du processus de création. Les mots écrits, puisqu’ils sont voués à devenir paroles avec un ton juste et des formulations qui «fonctionnent» pour les acteur·es, participent à redéfinir la traduction. N’étant plus limitée au transfert d’un texte d’une langue à une autre, la traduction devient une collaboration étroite en évolution. Gołębiewska explique:

Dans tous les cas où il est présent, le traducteur doit faire preuve d’une disponibilité et d’une réactivité particulières, mais surtout d’une grande complicité avec le metteur en scène. Souvent, ce dernier fait appel à «son» traducteur, comme il s’adresse à «son» dramaturge. J’oserais dire que dans ce genre de collaboration, le seul professionnalisme n’est pas suffisant. Il faut bien connaître la démarche du metteur en scène et y adhérer, car il est difficile de participer à un tel processus sans partager les objectifs du metteur en scène et adhérer à la sensibilité qui l’anime. Dans ce théâtre de liberté et de créativité, les personnes impliquées travaillent de concert pour un même but.36Ibid., p. 622.

Le parallèle entre la pratique de la traduction théâtrale décrite plus haut et la traduction de la machinima se comprend par l’importance octroyée à la création, une tendance longtemps esquivée dans la pratique traductive au profit d’un idéal de fidélité.

Cependant, en raison des multiples dimensions sémiotiques à l’œuvre dans la machinima, dont l’oralité, le texte-wampum, le son, l’image et la plateforme virtuelle, la traduction fait face à de nouveaux enjeux qui dépassent la simple traduction d’un texte. Kay O’Halloran, Sabine Tan et Peter Wignell se demandent comment conceptualiser les changements de significations à travers des dimensions sémiotiques fondamentalement différentes. Comment la re-sémiotisation des significations —à travers d’autres dimensions sémiotiques— peut-elle être conservée? La traduction directe entre des significations provenant de systèmes sémiotiques divers (langue/image) est improbable, sinon impossible. Néanmoins, une approximation traductive est certainement envisageable37Kay L. O’Halloran et al., op. cit., p. 201.. C’est grâce à une telle définition de la traduction intersémiotique comme processus interprétatif dynamique qu’il devient possible de développer des outils critiques et analytiques pour rendre compte des glissements de signification qui ont lieu dans la traduction intersémiotique, mais qui expriment, plus largement, les dimensions culturelle, politique et sociale qui modulent ces transformations de significations.

Les transformations de significations relèvent, pour Jacques Fontanille, de la sémiotique du discours, où la sémiose se crée à partir du passage de la substance (le lieu des tensions intentionnelles, des affects, des variations) à la forme (le lieu des systèmes de valeurs et des positions interdéfinies). La frontière de ce passage se déplace et donne lieu à de nouvelles corrélations, alors que sa stabilité, plus ou moins grande, est la conséquence de la place que se donne l’analyste38Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, Limoges, PULIM, 1998, p.40.. Le traducteur ou la traductrice acquiert le même rôle d’analyse et de création lorsque vient le temps de traduire le discours, d’où la pertinence de l’approche sémiotique et la reconnaissance de son agentivité pour comprendre les stratégies utilisées par la personne traduisante.

   

Matérialité du récit à partir de wampum

Le travail de Skawennati s’inscrit dans le mouvement du futurisme autochtone, un terme forgé en 2003 par Grace Dillon pour décrire un mouvement qui englobe les arts, la littérature, les jeux et d’autres formes médiatiques envisageant l’avenir, le présent et le passé à partir d’un point de vue autochtone39Chelsea Vowel, «Writing Toward a Definition of Indigenous Futurism», Literary Hub, 10 juin 2022, en ligne, <https://lithub.com/writing-toward-a-definition-of-indigenous-futurism/>, page consultée le 27 juillet 2022.. En s’inspirant du mouvement afrofuturiste, Dillon définit ainsi toutes les déclinaisons du futurisme autochtone:

[Indigenous futurisms] involve discovering how personally one is affected by colonization, discarding the emotional and psychological baggage carried from its impact, and recovering ancestral traditions in order to adapt in our post-Native Apocalypse world.40Grace L. Dillon, «Imagining Indigenous Futurisms», dans Walking the Clouds: An Anthology of Indigenous Science Fiction, Grace L. Dillon (dir.), Tucson, University of Arizona Press, 2012, p. 3.

En plus d’offrir une pédagogie ludique, les machinimas créent des espaces matériels décolonisés dans le monde virtuel, d’une part, pour permettre aux Premiers Peuples de se représenter dans l’avenir et dans le genre de la science-fiction et, d’autre part, dans le but de contrer le stéréotype colonial tenace qui veut que les savoirs, les cultures, les langues et même les êtres autochtones soient confinés au passé. Les machinimas de Skawennati proposent des récits exclusivement peuplés de héros et d’héroïnes autochtones, et c’est à partir du futur que des retours dans le temps s’effectuent pour revisiter des jalons historiques des Premiers Peuples. Le retour du Pacificateur commence à bord d’un vaisseau spatial en l’an 3025 où on retrouve une équipe intergalactique en mission diplomatique en route vers les planètes hospitalières les plus proches. La machinima opère des retours en arrière par les rêves de l’héroïne, Iotetshèn:’en (elle rêve en ce moment). D’abord, la jeune femme transmet le récit politique de la formation de la Confédération Haudenosaunee dont elle a rêvé et narre ensuite le récit de la réincarnation du Pacificateur en une jeune femme qui intervient dans notre ère pour sauver la planète de la destruction environnementale. Son don pour transmettre ses rêves du passé sert à diriger la délégation intergalactique pour régler un problème politique qui traverse les galaxies. De cette façon, Skawennati propose de renouveler le récit historique qui a mené à la fondation de la Ligue des cinq nations haudenosaunee, représentée par le wampum de Hiawatha, comme une traduction qui actualise la philosophie politique haudenosaunee dans le monde contemporain et ses futurités.

Dans Reading the Wampum: Essays on Hodinöhsö:ni’ Visual Code and Epistemological Recovery, Penelope Myrtle Kelsey décrit le rôle central des wampums pour la mémoire collective, la pensée, l’épistémologie, l’esthétique de la narration, l’histoire des protocoles et les droits issus des traités. Elle recense le travail de nombreux·ses artistes et intellectuel·les qui recourent aux ceintures wampum comme manière d’habiter l’espace, les lieux et les institutions pour démontrer la continuité de la production intellectuelle haudenosaunee avant et après le contact colonial41Penelope Myrtle Kelsey, Reading the Wampum: Essays on Hodinöhsö:ni’ Visual Code and Epistemological Recovery, Syracuse, Syracuse University Press, 2014, p. XI-XIII.. Le wampum, un code visuel, s’apparente à un système d’écriture non alphabétique, puisqu’il est composé de symboles et d’images communiquant des idées culturellement signifiantes. Ce code du wampum est traditionnellement interprété oralement en récit par un gardien du savoir, c’est-à-dire un expert, et ce savoir se transmet au fil des générations. Par sa lecture, et à la façon d’un hypertexte42Angela Haas, «Wampum as Hypertext: An American Indian Intellectual Tradition of Multimedia Theory and Practice», Studies in American Indian Literature, vol. 18, no 4, winter 2007, p. 89, 92., la ceinture sert à forger des associations mnémoniques entre la représentation visuelle de celle-ci et l’histoire qui l’accompagne. En retraçant les nœuds d’informations, le lecteur transmet, en les articulant oralement, les savoir contenus dans les ceintures wampum43Penelope M. Kelsey, op. cit. p. XVIII..

Les textes que constituent les wampums peuvent aussi servir d’archives diplomatiques et culturelles. À ce titre, ils ont fait l’objet de campagnes de vol par les gouvernements coloniaux, tant au Canada qu’aux États-Unis. Le poids politique des wampums et leur tradition intellectuelle souveraine de nation à nation étaient perçus comme une menace par les nations européennes, et les pouvoirs coloniaux ont historiquement tenté de mettre un frein à la transmission de ces savoirs en privant matériellement les Haudenosaunee de leur autodétermination intellectuelle et politique. Ainsi, en plus d’être confisqués, les wampums ont été interdits dans l’État de New York en 1899. Au Canada, la GRC a confisqué des wampums en 1924 dans le but d’instaurer le conseil de bande de Grand River44Ibid, p. XV.. De pair avec l’instauration des pensionnats autochtones visant à éradiquer les langues des peuples colonisés, ces politiques étatiques s’ajoutaient à l’objectif colonial d’anéantir la transmission des savoirs ancestraux. Grâce au militantisme des années 1960, des wampums ont pu être rapatriés depuis les musées et les collections privées45Ibid, p. XVII.. Aujourd’hui, très peu de ceintures wampums originales sont encore en circulation dans les Maisons Longues, mais la transmission de ces savoirs a toujours cours chez les traditionalistes.

L’inscription du savoir traditionnel dans le futur est un exemple de ce que Gregory Younging décrit comme une des caractéristiques des littératures autochtones et de la « voix autochtone contemporaine ». Plutôt que de représenter les savoirs traditionnels comme appartenant au passé, les récits à la base des machinimas se déroulent selon leur propre temporalité, qui recoupe les temps anciens, le présent et l’avenir. Cette notion de la temporalité unit des actions, dans ce cas-ci de diplomatie politique, pour dépasser la conception euroaméricaine du temps linéaire. La création d’une machinima de science-fiction autour du récit du wampum de la Confédération Haudenosaunee en fait sa matérialité sous-jacente. C’est un acte de réappropriation des savoirs traditionnels et une rupture épistémique d’avec la colonialité. Le désengagement épistémique signifie qu’il existe des systèmes de signes qui produisent des significations autonomes. Ces codes sui generis survivent et se développent malgré la colonisation, même si cette sémiose décoloniale est imbriquée dans la société coloniale. Le désengagement épistémique, fondamental à l’expression de la décolonialité, se révèle tout aussi central à la tâche du traducteur ou de la traductrice qui, justement, se retrouve dans la zone de contact frontalière pour prendre en considération ces systèmes sémiotiques qui viendront se répercuter dans la matière linguistique.

Le Pacificateur, du nom de Tekanawí:ta, est le personnage à la source de l’événement historique précontact qu’est la formation de la Confédération Haudenosaunee, qui a vu le jour vers le XVe siècle ou même avant –certains avancent que les nations se sont confédérées au XIIe siècle. Le Pacificateur —souvent décrit comme un être surnaturel— et son allié Hiawatha ont rallié cinq nations situées au sud des Grands Lacs, qui étaient alors en guerre —les Kanien’kehá:ka (Mohawks), les Gayogohó:no’ (Cayugas), les Onʌyoteʔa∙ká (Oneidas), les Onöndowa’ga (Sénécas) et les Gana’dagwëni:io’geh’ (Onondagas)—, pour fonder la Confédération Haudenosaunee (Le Peuple de la Maison Longue). Plus tard, la Confédération a admis les Skarù:ręˀ (Tuscaroras) en 1722 pour englober les six nations. L’interprétation de ce récit politique sur une plateforme virtuelle émane d’une volonté de valoriser les philosophies politiques ancestrales pour les adultes et les jeunes d’aujourd’hui. L’inscription de ces savoirs, de la culture et de la langue dans de nouvelles technologies sert également à prouver le grand intérêt de ces éléments à appréhender des enjeux sociétaux actuels. Présenter l’histoire de la Confédération à des enfants est d’une grande actualité, alors que la Ville de Montréal vient de changer les armoiries de son drapeau, en 2017, pour y inclure, au centre, un pin blanc. Cet arbre, symbole de la présence autochtone millénaire sur le territoire, n’est nul autre que le Grand Arbre de la Paix de la Confédération Haudenosaunee, que l’on retrouve également dans la machinima Le retour du Pacificateur/The Peacemaker Returns. La recréation d’un récit sur une plateforme virtuelle offre des codes sémiotiques illustrant l’imbrication de la pensée politique qui se retrouve ailleurs sur le territoire, comme sur le drapeau de Montréal. Gregory Younging précise que cette forme de tradition orale accompagnée de matériaux comme les ceintures wampum fait partie des formes des littératures autochtones. Compris ensemble, les signes que l’on retrouve à travers différentes modalités constituent cette sémiose décoloniale.

    

Matière linguistique et orale

Dans ses deux versions caractérisées par l’hybridité langagière kanien’kéha/anglais et kanien’kéha/français, la machinima donne à comprendre la traduction comme un effet de l’enchevêtrement des langues. L’hybridité langagière présente dans le territoire virtuel reflète aussi les possibilités d’un imaginaire langagier hybride dans le monde physique. La machinima intègre des portions de la langue kanien’kéha, notamment par l’usage de prénoms kanien’kéha pour tous les personnages principaux, en explicitant parfois leur signification, dont les prénoms Iotetshèn:’en [elle rêve en ce moment même] et Kahentéhshon [celle qui est à la tête]. Quant à la terminologie toponymique, le lac Ontario retrouve son nom du lac Kahniatarí:io, tandis que Tekanawí:ta traverse l’étendue d’eau à l’aide de son canot volant. L’image de ce véhicule rappelle la légende de la chasse-galerie pour un public canadien-français et ajoute ainsi à l’hybridité de l’imaginaire canadien en évoquant ses origines variables46Une des plus célèbres légendes du monde franco-américain est issue de la tradition orale et comporte ainsi plusieurs variantes qui traitent du voyage vers l’au-delà, du transport des corps et des âmes. Dans la version christianisée écrite par Honoré Beaugrand en 1892, la rédemption est évoquée face à la menace du diable. Cette version répandue relate un pacte entre huit bûcherons et le diable leur permettant de prendre un canot pour s’envoler voir leurs amoureuses le soir du réveillon et revenir à temps pour travailler au petit matin. Ils doivent s’abstenir de blasphémer ou de toucher les clochers des églises au risque de perdre leur vie et le salut de leur âme. De ses origines européennes médiévales, la légende opère un déplacement géographique et culturel, notamment avec l’utilisation du canot d’écorce qui fait état de l’influence autochtone. Voir Jacques Ferron (2015), Du fond de mon arrière-cuisine: les salicaires, Montréal, Bibliothèque québécoise.. L’effet cumulatif de ces choix terminologiques déploie, par la langue, un imaginaire du territoire proprement haudenosaunee. La grande majorité de la narration se déroule en anglais ou en français selon les versions, mais c’est d’abord pour promouvoir la philosophie, la pratique politique et diplomatique haudenosaunee, en démontrant que ces savoirs précèdent l’ère coloniale et se perpétueront au-delà de celle-ci.

On retrouve dans Elements of Indigenous Style des réflexions liées à l’importance qu’on doit accorder à ces philosophies et aux institutions qui en découlent. Par exemple, Younging propose l’utilisation de majuscules pour les institutions politiques autochtones au même titre que les institutions politiques de l’État47Le Guide de Younging comporte une section consacrée à la terminologie, op. cit., p. 61.. On écrira ainsi la «Maison Longue» pour faire référence à l’institution politique de la Confédération Haudenosaunee. Dans le domaine de l’édition, Younging privilégie également la terminologie que la nation emploie pour se nommer elle-même. Ce principe est une tendance que l’on retrouve aussi en traduction, où on privilégie les noms dans la langue des Peuples concernés, même lorsqu’il s’agit de traduire des sources historiques employant des termes désuets. Pour souligner l’apport des langues autochtones aux langues coloniales, Younging suggère de mettre en italiques les termes ou les noms de lieux issus des langues autochtones dans un texte. Cela étant dit, tous ces principes d’écriture ne correspondent pas pour autant aux modalités spécifiques de l’audiovisuel, et de tels choix stylistiques ou terminologiques n’apparaîtront pas à l’écran. Toutefois, ces principes serviront à la rédaction des descriptions écrites de l’audiovisuel sur le site web du projet.

Le caractère oral de la machinima fait en sorte qu’il s’avère plus facile de traduire un niveau de langue familier vers le français. Cela n’est pas assuré à l’écrit, où Younging remarque la tendance des éditeurs à relever systématiquement le niveau de langue employé par les écrivain·es autochtones. Younging insiste sur le fait que la langue anglaise couramment employée par les Autochtones, parfois appelée Red English ou encore Rez English, a sa raison d’être, et que celle-ci ne devrait aucunement être effacée par le travail d’édition48Ibid., p. 82.. Younging appelle ainsi à décoloniser l’anglais. J’ajouterais que cet appel s’applique particulièrement bien au domaine de la traduction vers le français, où l’écart qui sépare la langue française parlée de la langue écrite est, de fait, un fossé idéologique colonial que l’on s’impose quotidiennement. Il s’avère dès lors impératif de traduire l’anglais «décolonisé» de niveau familier dans sa forme correspondante en français, ce qui ressemblera probablement à une oralité familière francophone, avec différentes particularités dialectales et idiomatiques selon l’imaginaire du territoire que l’on souhaite façonner, qu’il soit régional, urbain, du Nord, du Sud, de l’Ouest ou de l’Est. La machinima a cette particularité que la narratrice présente ses rêves à une équipe diplomatique. Les dialogues sont donc légèrement plus soutenus sur le plan de la langue qu’un dialogue familier en raison du caractère pédagogique de la production. La traduction d’expressions idiomatiques francophones pour un jeune public s’est avérée un défi supplémentaire, en évitant le recours à des expressions idiomatiques démodées.

Figure 2.1 Skawennati, Le retour du Pacificateur/The Peacemaker Returns, [machinimage] 2017

Skawennati a également utilisé des sources historiques écrites, dont l’ouvrage Concerning the League49John Arthur Gibson, Concerning the League: The Iroquois League Tradition as Dictated in Onondaga, (dir., trad.) Hanni Woodbury. Algonquian and Iroquoian Linguistics Memoir, 9, Winnipeg, Manitoba: Linguistics Department, University of Manitoba, 1992. qui est une transcription orale de la tradition de la Ligue haudenosaunee telle que racontée en 1912 par John Arthur Gibson, un chef de la nation Gana’dagwëni:io’geh (Onondaga), à un anthropologue. La transcription originale en onoñdaʼgégaʼ (langue onondaga) ne contient pas de traduction anglaise. Toutefois, la réédition du manuscrit présente quatre lignes de transcription: une transcription phonétique, une analyse morphologique, une glose morphème par morphème et une traduction libre de chaque mot50Marianne Mithun, «Concerning the League: The Iroquois League Tradition as Dictated in Onondaga», Journal of Linguistic Anthropology, 1995, p. 112-113.. Parfois, les ressources linguistiques sont inadéquates pour traduire des concepts qui correspondent à des réflexions épistémologiques plus larges. À titre d’exemple, il existe des traductions consacrées51Je pense notamment à l’ouvrage de l’intellectuel kanien’kéha Taiaiake Alfred, Peace, Power, Righteousness: An Indigenous Manifesto, Don Mills, Ontario, Oxford University Press, 1999, et sa traduction française, Paix, pouvoir et droiture. Un manifeste autochtone, trad. Caroline Pageau, Wendake, Éditions Hannenorak, 2014. des principes de la Confédération qui rendent les concepts inscrits dans le wampum par les termes «Peace, Power, Righteousness» en anglais et «Paix, pouvoir et droiture» en français.

En consultant l’ouvrage de transcription Concerning the League, Skawennati a pu interpréter, de son côté, les termes en langue onondaga grâce à sa connaissance de la langue kanien’kéha, ces langues étant apparentées. Avec la langue onondaga comme source aidant à exprimer les concepts fondamentaux de la Confédération, Skawennati a conclu que les concepts clés, comme celui d’«unité» se traduisaient mieux, plutôt que les termes couramment employés tels que «pouvoir» et «droiture». Skawennati relate à cet effet:

I kept looking for those three concepts and how they were talked about, and never did I find “righteousness” in there. What I found was “respect.” So the three words that I use, in the Peacemaker Returns are “peace, unity, and respect.” That’s what I read in that book. I did not read “power.” I read, “there’s power.” […] But, you know, “strength in numbers” is what I say in the movie even. And that’s the strength in numbers, strength in unity. That’s what power means.52Skawennati, entrevue, 13 mai 2019

C’est ainsi que dans la machinima, on constate la répétition des trois concepts clés avec les termes «paix, unité et respect». Skawennati explique ses choix terminologiques en entrevue53Ibid. par le fait qu’elle n’aime pas les connotations actuelles associées aux concepts de «droiture» («righteousness» en anglais) et de «pouvoir». Elle raconte également qu’une experte de langue kanien’kéha, venue voir son exposition, l’a questionnée sur ses choix terminologiques, car ceux-ci s’éloignaient des traductions convenues. Au terme de leur discussion, l’experte de langue s’est montrée en faveur de cette traduction. C’est dire que la charge idéologique contenue dans ces principes politiques est difficile à rendre en anglais ou en français tant ces plans d’existence ne sont pas présents dans ces langues. De plus, la connotation des termes change au fil du temps. Par conséquent, les choix de traduction sont aussi appelés à devoir changer. En entrevue, Skawennati explique que, dans la perspective haudenosaunee, la langue est surtout une façon d’agir dans le monde. D’ailleurs, certain·es locuteur·ices privilégient l’emploi du terme «Onkwehonwe’néha» plutôt que le terme «kanien’kéha» pour parler de leur langue. «Onkwehón:we» signifie «le vrai peuple54Dans sa traduction contemporaine, «Onkwehón:we» s’apparente au terme «Autochtone» ou encore «Premier Peuple».» et le suffixe «-’néha» signifie non seulement «la langue du peuple…», mais aussi «la façon d’être ou d’agir de…» ou encore «la façon de se comporter de…55Carrie Dyck, «Should Translation Work Take Place? Ethical Questions Concerning the Translation of First Nations Languages», dans Born in the Blood: On Native American Translation, Brian Swann (dir.), Lincoln, University of Nebraska Press, 2011, p. 32.». Dans cette perspective, la langue et la façon d’agir dans le monde sont intimement liées, et les traductions nécessitent d’être contextualisées afin que l’on saisisse la portée épistémologique et pratique de ces termes.

Figure 2.2 Family in the Sky, Skawennati, Le retour du Pacificateur/The Peacemaker Returns, [machinimage], 2017.

     

Travailler avec des savoirs ancestraux

La narratrice Iotetshèn:’en décrit, à partir d’un de ses rêves, l’arrivée de Jacques Cartier et les siècles de colonisation qui ont suivi, avec leurs conséquences pour les Peuples autochtones et la survie de la planète. Dans son rêve, qui correspond à notre présent, les Haudenosaunee traditionalistes ayant réussi à sauver de l’anéantissement par les pouvoirs coloniaux les traditions, font une cérémonie pour appeler le Pacificateur. Ainsi, Tekanawí:ta se réincarne-t-elle en une petite fille surdouée, nommée Kahentéhshon, qui grandit dans le monde contemporain et parvient, grâce à ses talents diplomatiques et à son influence sur les réseaux sociaux, à côtoyer les politiciens de ce monde —on la suit notamment à la Maison Blanche avec Trump. Kahentéhshon parvient à convaincre les puissants de ce monde de vivre selon la Grande Loi de la Paix en créant un autre wampum planétaire. Iotetshèn:’en, la narratrice du futur, s’adresse alors à ses collègues intergalactiques pour les inviter à devenir les nouveaux Pacificateurs et à tendre les perches de la Maison Longue politique aux habitants d’autres galaxies, une réitération du travail politique qui passe, entre autres, par la création d’un troisième wampum intergalactique.

L’effet de répétition de l’application des principes de la Confédération —du passé à notre présent et dans le temps futur de la machinima— rejoint d’une certaine manière l’appel à «l’américité» de Georges E. Sioui56Georges E. Sioui, «1992. La découverte de l’Américité», dans Indigena. Perspectives autochtones contemporaines, Gerald McMaster et Lee-Ann Marin (dir.), Hull, Musée canadien des civilisations, 1992, p. 59-69., qui invite les allochtones à reconnaître et à s’inspirer des forces des savoirs autochtones, et de l’idéologie qui y est contenue, pour mieux agir dans le monde. Le style d’oralité présenté dans la machinima se veut le relais d’un message politique et idéologique —mais cette fois d’une façon humoristique— à l’attention du jeune public. La production artistique met toutefois l’accent sur le pouvoir de la pensée politique ayant mené à la formation de la Confédération Haudenosaunee. En abordant des questions contemporaines de paix, de justice humaine et environnementale ou encore de résolutions de conflits au prisme de cette institution politique décoloniale, celle-ci prend vie dans les univers du passé, du présent et de l’avenir. La répétition dans le style de la conteuse reflète également la pensée cyclique traditionnelle —comme le dit la militante kanien’kehá:ka Ellen Gabriel: « Nos peuples ont toujours voyagé dans le temps pour trouver des solutions aux problèmes d’aujourd’hui57Ellen Gabriel citée dans Alice Ming Wai Jim, “Technologies of Self-Fashioning: Virtual Ethnicities in New Media Art”, Disruptions: Proceedings of the 21st International Symposium on Electronic Art (ISEA), Simon Fraser University, Vancouver, 2015, p. 4.».

Ce genre de réinterprétation des récits traditionnels dans le cyberespace est-il bien reçu par les membres de la nation Kanien’kehá:ka ? Skawennati maintient que oui, et que ses productions ne sont pas perçues comme portant atteinte au contenu idéologique du récit —mais cela n’a pas toujours été le cas. En entrevue, l’artiste explique qu’au début de sa démarche artistique, elle a fait face à une réticence de la part de quelques personnes dans la communauté à l’idée de partager des savoirs traditionnels avec un public large et non autochtone, puisque d’habitude, certains enseignements ou savoirs sont réservés aux membres de la nation. Ces enjeux sont soulevés par Gregory Younging qui se penche sur la volonté d’une collectivité de partager certains récits, qu’ils soient collectifs ou personnels, dans un souci de reconnaître que ces récits constituent une propriété intellectuelle. Skawennati n’est pas une artiste ou une chercheuse extérieure à sa nation et elle organise même des activités d’apprentissage de plateformes virtuelles à Kahnawà:ke avec des jeunes. Sans pouvoir plaire à tous les membres de la communauté, son art semble susciter plus d’enthousiasme que de désapprobation. Tout en reconnaissant qu’elle ne demande pas nécessairement la permission pour créer ses machinimas, l’artiste prend soin de présenter ses scénarios à des aîné·es et à des gardien·nes du savoir pour s’assurer que le contenu soit respectueux et que son œuvre n’offense personne. Voilà la mise en pratique d’un autre principe du style autochtone par Younging: la reconnaissance du rôle des aîné·es qui assurent une certaine intégrité culturelle.

Rendre un récit comme celui de Tekanawí:ta pertinent pour le monde contemporain et le diffuser auprès des jeunes s’apparente également au rôle d’un·e conteur·se, et c’est ainsi qu’on pourrait qualifier le rôle artistique de Skawennati. De plus, son œuvre particulière s’accompagne d’une action pédagogique portant sur la médiation et le consensus qui sont, finalement, des pratiques politiques développées et employées par les Haudenosaunee bien avant la colonisation. L’artiste emploie pour son exposition la métaphore de l’acte de «tendre les perches» auquel s’adonne la Maison Longue. Les maisons longues, des habitations traditionnelles haudenosaunee, sont construites à partir de poutres de bois massives, plantées dans le sol, auxquelles on attache des perches de bois. Comme ces demeures abritent de grandes familles matrilinéaires, les perches aux extrémités sont placées de façon à pouvoir les rallonger afin d’y accueillir de nouveaux membres de la famille. La métaphore des perches de la Maison Longue politique renvoie à ce même acte d’agrandissement des maisons longues pour inviter quiconque souhaitant partager les valeurs de Paix, d’Unité et de Respect à s’installer symboliquement au sein de la Confédération Haudenosaunee et à faire partie de la famille politique. C’est également la raison pour laquelle les lignes horizontales aux extrémités du wampum de Hiawatha s’étendent vers l’extérieur — comme des perches tendues vers d’autres. Dans l’exposition, la Maison Longue futuriste prend la forme d’une structure d’acier à l’intérieur de laquelle le public s’installe pour visionner la machinima. Ce sont autant de perches que l’artiste tend au public pour qu’il se familiarise avec les fondements politiques de sa nation et s’en inspire dans sa manière de vivre.

Enfin, l’imaginaire futuriste de la machinima, où les Peuples autochtones et leurs savoirs sont valorisés, est modelé par la langue employée. Dans la traduction, cette langue est un mélange de français américain peuplé de prénoms en kanien’kéha, de noms de lieux et de simples termes employés au quotidien comme «niá:wen», qui signifie «merci» en langue kanien’kéha. La machinima propose un agencement assez précis entre les langues française et kanien’kéha, où le territoire et les corps se nomment selon la coutume des habitants d’origine et où le savoir traditionnel se réaffirme dans sa valeur politique. Ces caractéristiques me font dire que le langage de machinima est «décolonial».

Figure 2.3 Maison Longue futuriste, Skawennati. Teiakwanahstahsontéhrha’/Nous tendons les perches, Vox, 2017-2018.

   

Une énonciation située

Le fond idéologique de la décolonialité et sa traduction appellent à réfléchir à l’énonciation des acteur·es participant au travail de traduction. Dans le cas de traductions réalisées par des allochtones n’ayant pas la «perspective de l’intérieur» de la sémiose décoloniale, de nombreuses conditions matérielles sont à considérer pour assurer un processus, donc une forme, qui reflète le fond idéologique subalterne de la production à traduire. Le contexte de sémiose (dé)coloniale et des zones frontalières où se retrouvent les traducteur·ices exige en premier lieu une réflexion plus générale sur la traduction et sur la manière dont les différentes traditions littéraires amènent à revoir certains postulats occidentaux liés à la définition d’un texte et à la pratique traductive. La traductologue Maria Tymoczko a déjà démontré quels concepts sous-tendaient les pratiques traductives euro-américaines, dont l’idée que la traduction se limite au travail avec des textes comportant une écriture linguistique, ou encore que la pratique traductive n’ait pas à rendre compte des modalités d’interfaces culturelles non linguistiques —les sonorités, les images ou les couleurs, par exemple. L’arrimage entre la pensée décoloniale et l’approche de traduction intersémiotique s’est fait de façon à proposer une manière de pallier les connaissances possiblement limitées des traducteur·ices allochtones en matière de savoirs non occidentaux. Ensuite, le recours à l’ouvrage de Gregory Younging a servi de point de départ pour l’élaboration d’une méthode transposée du domaine de l’édition au domaine de la traduction.

L’ouvrage Elements of Style a établi des principes utiles à conserver, car ils témoignent de pratiques réussies. Mettre de l’avant le contenu idéologique d’une œuvre et en respecter l’intégrité culturelle se manifeste comme un processus, un travail axé sur la collaboration, dont une des caractéristiques est d’inclure des acteur·ices de divers milieux. Les personnes issues des sphères communautaires ou universitaires, ou encore des membres de nations, dont des spécialistes de la langue et des aîné·es, représentent autant de possibilités de collaborations fructueuses. Le processus dépend des rapports humains et des liens de confiance qui se créent, et il est normal qu’une telle méthode exige du temps. Le temps passé avec l’artiste et les leçons que l’on peut en tirer deviennent une matérialité en elle-même et, dans le cas où une personne voudrait traduire l’œuvre d’un·e artiste autochtone, elle pourrait suivre les conseils élaborés par Younging afin de tisser ce cercle de collaboration. À ce titre, je ne peux passer sous silence un des seuls principes que Younging formule au sujet de la traduction des langues autochtones. L’éditeur appuie la demande de plusieurs traducteur·ices de langues autochtones d’être rémunéré·es au-delà des tarifs habituellement accordés à la traduction anglais/français, puisque ces personnes effectuent un travail immensément important en matière de revitalisation culturelle, et que la tâche de traduction est compliquée en raison des langues concernées58Gregory Younging, op. cit., 2018, p. 97..

J’ai voulu démontrer l’utilité de concevoir la traduction de la machinima à partir de la matérialité du wampum pour renverser l’importance accordée à la dimension linguistique. En ce qui concerne la matérialité langagière et l’oralité, on retiendra que les méthodes techniques ne se résument pas à de simples normes typographiques ou terminologiques. La méthode implique un effort pour comprendre ce que représentent les termes et le style dans leurs matérialités, et en saisir toute la portée politique. Ce que je retiens le plus de mon expérience de traduction, c’est le processus comme tel, plus long, certes, mais aussi plus valorisant quant à l’importance accordée à la traduction. Avoir l’occasion de participer au travail de tout un réseau composé d’expert·es et de traducteur·ices de langue kanien’kéha et d’aîné·es est un inédit dans mon expérience de traduction, mais c’est une pratique qui est appelée à prendre de l’ampleur avec l’engouement croissant envers la traduction d’œuvres autochtones. Cette forme de pratique collaborative fait en sorte que tout le monde se sent plus investi dans le projet; elle permet également de développer des liens avec des gens qui, au-delà d’un projet artistique, travaillent à diffuser des pratiques décoloniales.

    

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  • 1
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  • 2
    Dalie Giroux, «Les langages de la colonisation: quelques éléments de réflexion sur le régime linguistique subalterne en Amérique du Nord», Trahir, 2017, en ligne, <https://trahir.wordpress.com/2017/05/23/giroux-langages/>, consulté le 16 décembre 2019.
  • 3
    Maria Tymoczko, “Reconceptualizing translation theory: integrating non-Western thought about translation”, Translating Others, vol. 1, 2006, p. 13-32.
  • 4
    Gregory Younging, Elements of Indigenous Style: A Guide for Writing By and About Indigenous Peoples, Edmonton, Brush Education, 2018.
  • 5
    Katherena Vermette, femme-rivière, traduit par Rose Després, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2019.
  • 6
    Radio-Canada, «Femme-rivière: une poétesse métisse traduite par une poétesse acadienne», 6 septembre 2019, en ligne < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1289189/femme-riviere-traduction-katherena-vermette-francais-rose-despres>, consulté le 3 décembre 2019.
  • 7
    Leanne Betasamosake Simpson, Cartographie de l’amour décolonial, traduit par Arianne Des Rochers et Natasha Kanapé Fontaine, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018.
  • 8
    Productions Menuentakuan, Là où le sang se mêle, adaptation française de Where the Blood Mixes par Charles Bender, Montréal, Théâtre Denise Pelletier, 16 janvier au 3 février 2018, en ligne <https://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/68/>, consulté le 9 décembre 2019.
  • 9
    Productions Menuentakuan, AlterIndiens, adaptation française de AlterNatives par Charles Bender, Montréal, Théâtre Denise Pelletier, 7 au 25 septembre 2021, en ligne <https://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/99/>, consulté le 9 décembre 2021.
  • 10
    Karin Littau, «Translation and the materialities of communication», Translation Studies, vol. 9, no 1, 2016, p. 82-96, en ligne, <https://doi.org/10.1080/14781700.2015.1063449>, consulté le 9 janvier 2020.
  • 11
    Skawennati, The Peacemaker Returns, 2017, Wallach Art Gallery, <https://vimeo.com/657110527>, consulté le 12 août 2022.
  • 12
    Skawennati, «Teiakwanahstahsontéhrha’ | Nous tendons les perches», Exposition jeunesse, 28 octobre 2017 au 27 janvier 2018, en ligne <http://centrevox.ca/exposition/skawennati-teiakwanahstahsontehrha-nous-tendons-les-perches-circulation-2/>, consulté le 3 décembre 2019.
  • 13
    Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC), en ligne <abtec.org/#projects>, consulté le 1er décembre 2019.
  • 14
    Nicolas Beauclair, «Hétérogénéité et pensée frontalière dans la littérature amérindienne: Expression de la décolonialité», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 46, nos 2-3, 2016, p. 36.
  • 15
    Voir Renée Desjardins, Translation and the Bouchard-Taylor Commission: translating images, translating cultures, translating Québec, Thèse de doctorat, Université d’Ottawa, 2013, p. 53-90, en ligne, <https://www.ruor.uottawa.ca/handle/10393/24078> consulté le 16 avril 2017. Desjardins souligne notamment les recherches portant sur le rôle social de la traduction: Salah Basalamah, «La traduction citoyenne n’est pas une métaphore», dans Traduction engagée/Translation and Social Activism, TTR, vol. 18, no 2, 2005, p. 49-69; Sherry Simon, «Introduction to Traduction engagée/Translation and Social Activism», TTR, vol. 18, no 2, 2005 p. 9-16; Maria Tymoczko, «Translation and the Political Engagement: Activism, Social Change and the Role of Translation in Geopolitical Shifts», The Translator, vol. 6 no 1, 2000, p. 23-47.
  • 16
    Ubaldo Stecconi, «Semiotics and Translation», dans Handbook of Translation Studies, Yves Gambier et van Doorsaler (dir.), vol. 1, 2010, p. 315. 
  • 17
    Roman Jakobson, «On Linguistic Aspects of Translation», dans Translation Studies Reader, L. Venuti (dir.), 2e éd., 2002, p. 143.
  • 18
    Ubaldo Stecconi, op. cit., p. 315.
  • 19
    Umberto Eco, A Theory of Semiotics, Bloomington, Indiana University Press, 1976, p. 71.
  • 20
    Yves Gambier, «Multimodality and Audiovisual Translation», MuTra 2006, 2006, p. 7, en ligne, <http://www.euroconferences.info/proceedings/2006_Proceedings/2006_Gambier_Yves.pdf>, consulté le 7 septembre 2017.
  • 21
    Ubaldo Stecconi, op. cit., p. 316.
  • 22
    Kay L. O’Halloran, Sabine Tan et Peter Wignell, «Intersemiotic Translation as Resemiotisation: A Multimodal Perspective», Signata, Traduire: signes, textes, pratiques, vol. 7, 2016, p. 200.
  • 23
    Younging, p. 11.
  • 24
    Ibid., p. 12.
  • 25
    Ibid., p. 15.
  • 26
  • 27
    Skawennati, She Falls for Ages, Aboriginal Territories in Cyberspace, 2017, en ligne <http://www.skawennati.com/SheFallsForAges/>, consulté le 3 décembre 2019.
  • 28
    Skawennati, Words Before All Else, Aboriginal Territories in Cyberspace, 2017, en ligne https://vimeo.com/212767670/d95968aa5a, consulté le 6 décembre 2019.
  • 29
    Gregory Younging, op. cit., 2018, p. 31.
  • 30
    Kanien’kehá:ka Onkwawén:na Raotitióhkwa Language and Cultural Center, en ligne, <http://www.korkahnawake.org/>, consulté le 8 décembre 2019.
  • 31
    Skawennati ajoute que certaines collaboratrices n’étaient pas affiliées à des groupes communautaires, dont Owisokon Lahache, qui a fabriqué la ceinture de Hiawatha, et Katheleen Dearhouse, qui a contribué à la fabrication d’autres ceintures wampum pour Skawennati.
  • 32
    Ibid., p. 15.
  • 33
    Les exemples sont nombreux. Philippe Cardinal relate l’épisode du poète Robert Bringhurst qui a reçu son lot de critiques en 1999 à la suite de la publication de sa traduction, vers l’anglais, du premier tome de récits fondateurs haïdas. Cette entreprise était le fruit d’une trouvaille: les notes ethnologiques des récits d’aînés haïdas dans un musée. Des membres de la communauté haïda l’ont critiqué pour avoir publié ces histoires sans leur permission ou leur consultation. Mais ceci n’a pas empêché Bringhust de récolter les éloges et de publier deux tomes subséquents. Philippe Cardinal, ‟Cross-Purposes: Translating and Publishing Traditional First Nations Narratives in Canada at the Turn of the Millenium”, dans K. Mezei, S. Simon et L. Von Flotow (dir.), Translation Effects: The Shaping of Modern Canadian Culture, Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014, p. 271–287.
  • 34
    Leanne Betasamosake Simpson, Dancing on our Turtle’s Back. Stories of Nishnaabeg Re-Creation, Resurgence and a New Emergence, Winnipeg, ARP Books, 2011, p. 35.
  • 35
    Agata Gołębiewska, «Le traducteur dans un théâtre à mille temps», Meta – Journal des traducteurs, vol. 62, n3, décembre 2017, p. 616, en ligne, <https://doi.org/10.7202/1043952ar>, consulté le 7 janvier 2020.
  • 36
    Ibid., p. 622.
  • 37
    Kay L. O’Halloran et al., op. cit., p. 201.
  • 38
    Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, Limoges, PULIM, 1998, p.40.
  • 39
    Chelsea Vowel, «Writing Toward a Definition of Indigenous Futurism», Literary Hub, 10 juin 2022, en ligne, <https://lithub.com/writing-toward-a-definition-of-indigenous-futurism/>, page consultée le 27 juillet 2022.
  • 40
    Grace L. Dillon, «Imagining Indigenous Futurisms», dans Walking the Clouds: An Anthology of Indigenous Science Fiction, Grace L. Dillon (dir.), Tucson, University of Arizona Press, 2012, p. 3.
  • 41
    Penelope Myrtle Kelsey, Reading the Wampum: Essays on Hodinöhsö:ni’ Visual Code and Epistemological Recovery, Syracuse, Syracuse University Press, 2014, p. XI-XIII.
  • 42
    Angela Haas, «Wampum as Hypertext: An American Indian Intellectual Tradition of Multimedia Theory and Practice», Studies in American Indian Literature, vol. 18, no 4, winter 2007, p. 89, 92.
  • 43
    Penelope M. Kelsey, op. cit. p. XVIII.
  • 44
    Ibid, p. XV.
  • 45
    Ibid, p. XVII.
  • 46
    Une des plus célèbres légendes du monde franco-américain est issue de la tradition orale et comporte ainsi plusieurs variantes qui traitent du voyage vers l’au-delà, du transport des corps et des âmes. Dans la version christianisée écrite par Honoré Beaugrand en 1892, la rédemption est évoquée face à la menace du diable. Cette version répandue relate un pacte entre huit bûcherons et le diable leur permettant de prendre un canot pour s’envoler voir leurs amoureuses le soir du réveillon et revenir à temps pour travailler au petit matin. Ils doivent s’abstenir de blasphémer ou de toucher les clochers des églises au risque de perdre leur vie et le salut de leur âme. De ses origines européennes médiévales, la légende opère un déplacement géographique et culturel, notamment avec l’utilisation du canot d’écorce qui fait état de l’influence autochtone. Voir Jacques Ferron (2015), Du fond de mon arrière-cuisine: les salicaires, Montréal, Bibliothèque québécoise.
  • 47
    Le Guide de Younging comporte une section consacrée à la terminologie, op. cit., p. 61.
  • 48
    Ibid., p. 82.
  • 49
    John Arthur Gibson, Concerning the League: The Iroquois League Tradition as Dictated in Onondaga, (dir., trad.) Hanni Woodbury. Algonquian and Iroquoian Linguistics Memoir, 9, Winnipeg, Manitoba: Linguistics Department, University of Manitoba, 1992.
  • 50
    Marianne Mithun, «Concerning the League: The Iroquois League Tradition as Dictated in Onondaga», Journal of Linguistic Anthropology, 1995, p. 112-113.
  • 51
    Je pense notamment à l’ouvrage de l’intellectuel kanien’kéha Taiaiake Alfred, Peace, Power, Righteousness: An Indigenous Manifesto, Don Mills, Ontario, Oxford University Press, 1999, et sa traduction française, Paix, pouvoir et droiture. Un manifeste autochtone, trad. Caroline Pageau, Wendake, Éditions Hannenorak, 2014.
  • 52
    Skawennati, entrevue, 13 mai 2019
  • 53
    Ibid.
  • 54
    Dans sa traduction contemporaine, «Onkwehón:we» s’apparente au terme «Autochtone» ou encore «Premier Peuple».
  • 55
    Carrie Dyck, «Should Translation Work Take Place? Ethical Questions Concerning the Translation of First Nations Languages», dans Born in the Blood: On Native American Translation, Brian Swann (dir.), Lincoln, University of Nebraska Press, 2011, p. 32.
  • 56
    Georges E. Sioui, «1992. La découverte de l’Américité», dans Indigena. Perspectives autochtones contemporaines, Gerald McMaster et Lee-Ann Marin (dir.), Hull, Musée canadien des civilisations, 1992, p. 59-69.
  • 57
    Ellen Gabriel citée dans Alice Ming Wai Jim, “Technologies of Self-Fashioning: Virtual Ethnicities in New Media Art”, Disruptions: Proceedings of the 21st International Symposium on Electronic Art (ISEA), Simon Fraser University, Vancouver, 2015, p. 4.
  • 58
    Gregory Younging, op. cit., 2018, p. 97.
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