Entrée de carnet

Jimmy Fazzino et la fonction de manifeste

Joël Gauthier
couverture
Article paru dans With Boots, sous la responsabilité de Joël Gauthier (2011)

Dans une communication intitulée «The Impossible Manifesto: Tracing the Manifesto Form through Avant-Garde and Beat Writing» présentée lors du Beat Generation Symposium de 2008 (Columbia College, Chicago, 10 et 11 octobre), Jimmy Fazzino explorait les implications de la performativité derridienne dans un contexte d’avant-garde. Je ne reprendrai pas ici toute sa démonstration (son texte peut être consulté en ligne au http://www3.wooster.edu/beatstudies/pdfs/symposium_2008/impossible.pdf), mais deux idées me semblent particulièrement intéressantes pour réfléchir en parallèle au mouvement néo-hipster/néo-beat actuel:

1. L’abandon des formes classiques du manifeste chez les écrivains beat au profit d’une «fonction de manifeste» plus diffuse, caractérisée selon Fazzino par l’omniprésence d’actes d’autodéfinition et d’autoreprésentation répétés (p. 3);

2. Et la temporalité du manifeste beat comme «vision prophétique du passé» ancrée dans un présent éternel (p. 7-8; pensons ici au «Howl» de Ginsberg).

Le «je» lancinant des néo-hipsters (éternels geignards!) remplit-il la même fonction de manifeste? Dans quelle mesure la temporalité particulière du manifeste beat (prophétie au passé coupée de tout avenir) fait-elle écho à l’imaginaire de la défaite annoncée (voir entrée précédente, 21 janvier 2011)?

La plupart des chercheurs refusent d’associer la beat generation à une avant-garde manifestaire, faisant souvent appel à cette célèbre citation de John Clellon Holmes pour fermer le débat: «For the wildest hipster, making a mystique of bop, drugs and the night life, there is no desire to shatter the ‘square’ society in which he lives, only to elude it. To get on a soapbox or write a manifesto would seem to him absurd» («This Is the Beat Generation», 1952). Pourtant, le manifeste revient aujourd’hui hanter le vocabulaire néo-hipster: apparition du mystérieux dedrabbit’s Manifesto, présentation de plus en plus courante d’On the Road de Jack Kerouac (1957) comme étant «LE» manifeste hipster… Simple écarts de langage? Ou, comme le propose Fazzino, y a-t-il quelque chose qui nous a échappé jusque là?

Bibliographie

Fazzino, Jimmy. 2008. «The Impossible Manifesto: Tracing the Manifesto Form through Avant-Garde and Beat Writing». The Beat Studies Association/College of Wooster. <http://www3.wooster.edu/beatstudies/pdfs/symposium_2008/impossible.pdf>. Consultée le 2 février 2011.
Ginsberg, Allen. 2006. Howl, 50th Anniversary Edition. New York: Harper Perennial, 194 p.
Holmes, John Clellon. 1952 [16 novembre 1952]. «This Is the Beat Generation». New York Times Magazine.
dedrabbit,. 2006. Manifesto. Northampton (MA): dedrabbit International Artist Collectives, 200 p.
Kerouac, Jack. 1976. On the Road. Londres: Penguin Books, 307 p.
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