Colloque, 14 au 16 septembre 2017
Le concept d’imaginaire social. Nouvelles avenues et nouveaux défis
Le colloque Le concept d’imaginaire social. Nouvelles avenues, nouveaux défis, organisé par Alex Gagnon et Sylvano Santini (UQAM), s’est déroulé du 14 au 16 septembre 2017 à la Maison du développement durable et à l’Université du Québec à Montréal.
La notion d’«imaginaire», souvent associée aux perspectives archétypologiques, a longtemps été suspectée par les historiens et, plus largement, par ceux et celles qui, issus des disciplines culturelles et sociales, rattachent les phénomènes humains et langagiers à des forces sociohistoriques particulières plutôt qu’à des grandes matrices «universelles». La notion a pourtant aujourd’hui, depuis la théorisation fondamentale proposée par Cornelius Castoriadis, sa déclinaison sociale. Elle suscite d’ailleurs, depuis quelques années, un engouement dans le champ des études historiques et culturelles, bénéficiant assurément d’un certain effet de mode. Ses occurrences sont nombreuses (l’expression «l’imaginaire de» s’est répandue) mais la notion reste encore assez rarement conceptualisée, comme en témoigne à sa manière l’ouvrage de Pascal Ory consacré à l’histoire culturelle: l’«imaginaire social» y est présenté comme l’objet par excellence de cette discipline mais le concept n’y est pourtant pas défini.
La publication, au printemps 2016, d’un Dialogue sur l’histoire et l’imaginaire social (1985) entre Ricoeur et Castoriadis a rappelé l’actualité et l’importance de la théorie castoriadienne de l’«imaginaire social instituant». Mais la discussion entre les deux philosophes en fait également apparaître les lacunes ou, pour mieux dire, les pierres d’achoppement. Pour Castoriadis, l’imaginaire social, moteur des transformations historiques et culturelles, est une «création incessante et essentiellement indéterminée» de représentations du monde et de formes de vie, l’«indétermination» renvoyant à la possibilité, à la capacité humaine de toujours faire advenir et de «faire être des formes autres». Or l’entretien avec Ricoeur porte précisément sur les facteurs et conditions (historiques, sociales, culturelles) qui limitent l’indétermination de cette capacité créative qu’est l’imaginaire.
Le concept d’imaginaire social permettrait-il d’appréhender, dans le domaine historique et culturel, la création de formes nouvelles? Doit-on, d’ailleurs, le penser comme une «création», ce qui suppose l’avènement d’une nouveauté radicale, ou plutôt comme une «production», idée qui suggère, au contraire, que chaque nouvelle configuration ne peut être produite qu’à partir de configurations existantes et sédimentées, sur la base d’une reproduction partielle du préexistant? La difficulté réside sans doute dans le passage du spéculatif au concret: la définition de l’imaginaire social comme création de formes nouvelles (Castoriadis) ou comme «dialectique de l’innovation et de la sédimentation» (Ricoeur) résiste-t-elle à l’épreuve de l’analyse historique et littéraire des discours, des oeuvres et des représentations du monde?
C’est pour tenter de répondre à ces questions que quelques chercheurs s’efforcent aujourd’hui, tant en sociocritique qu’en histoire culturelle, de théoriser rigoureusement l’«imaginaire social». Le présent colloque, qui entend réunir autour de cette notion des chercheurs issus de disciplines variés, voudrait poursuivre cet effort de théorisation en soumettant le concept à l’épreuve d’analyses concrètes. Défini essentiellement comme l’ensemble des représentations que produisent, partagent et diffusent les membres d’une société pour lire et interpréter le monde qui les entoure, l’«imaginaire social» fait intervenir, dans le champ de l’analyse historique ou culturelle, une série de concepts issus de la sémiologie: «représentations» (Kalifa, Gagnon), «significations» (Castoriadis), «sémiosis sociale» (Popovic), etc. Se situant au point de rencontre entre théories de l’histoire et de la société et théories du langage et des représentations, la notion appelle, sur le plan théorique, un dialogue interdisciplinaire dont ce colloque souhaite être l’occasion.
Communications de l’événement
Écrire l’histoire de l’imaginaire
«L’historien ou l’historienne prend conscience que son discours relève aussi d’un imaginaire: celui que chaque société, chaque moment, et parfois même chaque individu, entend produire sur le temps, l’espace et le monde social qui sont les siens.»
L’imaginaire social à l’épreuve de l’affaire judiciaire
«Je considère l’imaginaire social comme une fabrique de représentations du monde social. Je préfère le mot fabrique à celui de répertoire qui est souvent utilisé par les quelques historiens qui ont donné une définition de l’imaginaire social qui est, à mon sens, plus statique. Au contraire, l’imaginaire social évoque pour moi une réalité fondamentalement dynamique, et c’est la différence que je vois avec la notion de représentation qui est plus plate.
L’imaginaire n’est pas seulement pour moi ce que les dictionnaires de langues définissent comme le domaine ou le produit de l’imagination, dans la mesure où j’intègre au contenu de l’imagination la dimension créatrice de celle-ci.
Les représentations de l’imaginaire social, loin d’être juxtaposées comme dans un répertoire, se donnent comme en un système cohérent, c’est-à-dire qu’elles sont reliées et fonctionnent ensemble. Ces représentations sont évolutives parce que leur contenu est conjugué aux problèmes, enjeux et anxiétés successives qui travaillent les sociétés et elles sont agissantes parce qu’elles pèsent sur la manière dont les acteurs sociaux donnent du sens à ce qui advient et agissent dans la société.»
La légende du cercueil de verre (1893-1937) ou l’imaginaire social de la «dernière demeure»
«Ma communication se propose de réfléchir à la notion d’imaginaire social et, en particulier, à l’imaginaire social singulier, celui de la dernière demeure à partir d’une légende que je vais résumer brièvement et dont on peut voir une des formulations à travers ces articles de presse.
Il y a cinq ans, une princesse russe est morte à Paris en léguant toute sa fortune à celui ou celle qui garderait son cercueil de verre pendant 365 jours et 366 nuits.
Cet énoncé était bien sûr un canular, mais ce n’était pas le plus important. Ce qui fait tout l’intérêt de cette histoire-ci, c’est qu’elle est une des toutes premières légendes contemporaines, légende urbaine identifiée comme tel par les folkloristes et les proto-ethnologues de la fin du XIXe siècle.»
Création, reprise et re-création: ontologie et épistémologie de l’histoire chez Ricœur et Castoriadis
«Ricœur et Castoriadis proposent tous deux une ontologie du sens, du symbolique et de l’imaginaire qui sont autant de médiations essentielles au déploiement de la vie sociale. Cela signe leur commun rejet de tout réductionnisme, qu’il soit d’ordre structuraliste, fonctionnaliste, économiste, positiviste ou naturaliste.
Malgré de nombreuses divergences, cet intérêt commun pour l’imaginaire suffit à les lire ensemble ou, comme je vais le faire, côte à côte.»
Sur les ruines de la littérarité: sociocritique et imaginaire social
«Ma présentation d’aujourd’hui s’inscrit, sans doute davantage que je ne le voudrais, dans une démarche personnelle, une enquête plutôt subjective liée à des angoisses et à des questionnements existentiels. Elle sera néanmoins strictement théorique.
L’objet de ma thèse de doctorat, dans une conception large, est la littérature. Dans une conception restreinte, je traque ce signifiant littérature dans les fictions québécoises contemporaines, dans la représentation du romancier et du professeur. Mais restons-en à la conception large.
À l’époque contemporaine, après tout ce qui a été dit et récusé, qu’est-ce qui reste au concept que l’on nomme littérature?
Aujourd’hui, il ne fait pas de doute pour moi que ma démarche est sociocritique et même qu’elle s’inscrit dans l’ordre de ce qu’on a appelé l’école de Montréal.»
Pour une poétique médiatique de l’imaginaire social: le cas des pionniers de l’air
«Je vais exposer comment se décline l’imaginaire de l’aviation pionnière, avec ses appareils et ses héros pionniers, dans deux supports donnés qui sont très différents l’un de l’autre, mais qui appartiennent tous les deux à la même période, soit à l’entre-deux-guerres (1920-1930).
Ces supports, ce sont d’un côté des romans pour la jeunesse publiés en série de fascicules illustrés à bon marché et l’hebdomadaire de faits divers Détectives.
On va voir que ces deux supports remodèlent l’imaginaire de l’aéronautique pionnière en fonction d’un principe de réflexivité médiatique tout en réactivant en même temps certains motifs et scénarios qui, eux, sont partagés et circulent entre les supports et qui appartiennent à une sorte de matrice narrative partagée qui se déploie dans le temps et qui évolue. Il y a une dynamique que j’aimerais exemplifier entre des spécificités de supports et des configurations récurrentes: une dynamique qu’on peut repérer dans la sérialité des productions culturelles.»
L’imaginaire des lieux comme imaginaire social? L’hiver et les représentations stéréoscopiques de Québec au XIXe siècle
«Je vais m’intéresser aujourd’hui à la notion d’imaginaire et plus précisément à l’avènement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, d’un nouveau marqueur de l’identité visuelle urbaine de la ville de Québec: la neige et surtout les traces laissées par les tempêtes de neige.»
Plasticité d’un concept: l’imaginaire social
Dans le cadre de cette communication, Pierre Popovic s’intéresse à redéfinir le concept d’imaginaire social à la lumière de la sociocritique.
Histoire culturelle et imaginaire social: remarques épistémologiques et programmatiques sur les enjeux d’un concept
«Je propose aujourd’hui, à partir des perspectives de l’histoire culturelle (qui sont mon horizon général), une sorte de synthèse théorique sur l’imaginaire social.»
Toy Stories: Dolls and Social Distinction in Late XIXth Century France
«Dans cette communication, j’espère contribuer à notre interrogation collective sur l’imaginaire social en introduisant une perspective méthodologique un peu différente, celle de l’articulation entre l’imaginaire, la culture matérielle et les pratiques de classe. Je prends pour sujet le monde des enfants au XIXe siècle.
Mon inspiration méthodologique vient de l’ouvrage déjà classique de Robert Bernstein, Racial Innocence: Performing American Childhood from Slavery to Civil Rights, qui examine les relations raciales aux États-Unis au XIXe siècle à travers le prisme de l’enfance.»
L’imaginaire réflexif de la bohème
Dans cette communication, Anthony Glioner s’intéresse aux différentes incarnations et aux avatars de la bohème présentés dans l’ouvrage de Laren Stover, Bohemian Manifesto: A Field Guide To Living on the Edge.
Compléments visuels
(Crédit : Time Warner Book Group)
Existe-t-il un «imaginaire social» de l’économique? Les représentations du crédit et de la dette dans la France du XIXe siècle
«C’est vrai que je me suis intéressé au crédit au départ dans une approche qui était plutôt sociale et c’est en lisant les nombreux écrits publiés sur le sujet dans la première moitié du XIXe siècle que j’ai découvert le poids de l’imaginaire social dans ce thème qui est a priori fort peu ouvert sur l’imaginaire. Il est vrai que le crédit, qui a aujourd’hui une acception essentiellement économique, porte en lui des croyances, des représentations et des valeurs. Des textes chrétiens révèlent qu’il s’agit d’une métaphore centrale pour définir la condition humaine: l’homme est le débiteur de Dieu, un débiteur insolvable à qui Dieu pourtant accorde son pardon et sa libération, mais qui attend, en retour, qu’il fasse de même avec son prochain. “Remettez-nous de nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs” est-il écrit dans la version originale du Notre Père.»
Compléments visuels
Le social n’est pas le national: Fernand Dumont, l’imaginaire social et les théories des nationalismes
«Un écueil majeur menace quiconque tente d’adapter la notion d’imaginaire social aux études québécoises. Cet écueil, c’est le roman national qui tend à traiter les concepts de société et de nation comme s’ils étaient des synonymes. Les travaux du sociologue Fernand Dumont auront servi à perpétuer ce discours fondé sur l’essentialisme, notamment à travers leur reprise par le nationalisme identitaire au tournant du XXIe siècle.»
Le Québec comme un enfant: à propos d’un lieu commun de la recherche
«En parcourant les études portant sur le statut de l’enfant dans la littérature québécoise –pour préparer l’écriture de ma thèse– j’ai pris connaissance d’un lieu commun insistant que je me suis engagé à dépasser par mes recherches. Ce lieu commun, que je vais exposer aujourd’hui, c’est celui du Québec comme un enfant, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Serge Cantin.
Un ensemble de textes critiques cherche à démontrer que le Québec, qui n’aurait jamais atteint l’âge adulte sur le plan politique, est à l’image de tous ces enfants morts, battus, tués ou qui refusent de vieillir, bel et bien omniprésents dans la littérature québécoise.
Les exemples ne manquent pas: Anne Hébert, Marie-Claire Blais, Michel Tremblay, Réjean Ducharme, Suzanne Jacob, VLB, Gilbert Larocque, Gaétan Soucy, Bruno Hébert, Louky Bersianik, Michael Delisle, Larry Tremblay, Normand Chaurette, Hervé Bouchard ou, plus récemment, Martin Clavet, Cassie Bérard, Kevin Lambert. Les enfants morts ou maltraités dans la littérature québécoise, ce n’est pas ce qui manque.
C’est avec une approche psychanalytique, d’orientation lacanienne, que je montre dans ma thèse que les enfances littéraires peuvent lues dans une autre perspective que la perspective nationale largement privilégiée par les critiques.»
La métaphysique: le grand imaginaire. Vers un impossible dépassement?
Dans cette communication, Lorenzo Vinciguerra aborde le travail de l’anthropologue et philosophe italien Ernesto de Martino. Il s’intéresse plus particulièrement aux études de ce dernier sur la religion et l’imaginaire.
Une source pour l’imaginaire social: l’imagination chez Pascal
«Je vous soumettrai cette hypothèse que l’inventeur du concept d’imaginaire social n’est pas Castoriadis ou d’autres personnes très contemporaines, mais Blaise Pascal. Il va falloir remonter dans le temps et, surtout, remonter à son écriture.»
Entre la mémoire culturelle et imaginaire social: le rôle de la Commune de Paris dans les écrits du Comité invisible et dans certaines pratiques activistes contemporaines
«Dans le cadre de cette communication, je voudrais essayer de problématiser les rapports entre mémoire culturelle et imaginaire social en me penchant sur le rôle joué par la Commune de Paris dans les écrits du Comité invisible.»
Ni l’un, ni l’autre: ambiguïté et imaginaire du corps intersexué
«Dans le cadre de cette communication, il s’agira d’étudier un imaginaire de l’extrême contemporain et spécifique –je dirais même très spécifique– soit une représentation constituante quoique souvent éclipsée du mouvement queer: les personnages intersexués dans la fiction québécoise.
Si aux États-Unis, la communauté intersexe commence à jouir d’une certaine visibilité, notamment grâce à un rapport sans précédent qui prend position contre les chirurgies inutiles et non consenties pratiquées sur les enfants présentant des organes génitaux ambigus, la question demeure peu discutée au Québec.
Du côté académique, la sociologue Janik Bastien Charlebois dénonce la façon dont les études féministes commencent à intégrer la question de l’intersexualité. Les personnes intersexuées, traitées comme des objets d’étude, deviennent la preuve d’une construction sociale du genre plutôt que d’être traités comme des sujets.
La voix militante de la communauté intersexe, au sein de laquelle évolue aussi Janik Bastien Charlebois, et la littérature qui met en scène de tels personnages, semblent agir en vase clos. Les discours agissent en parallèle, sans tenir compte un de l’autre. Je me propose d’examiner, à l’aide des fictions québécoises qui mettent en scène un personnage intersexué, l’apport de l’imaginaire dans une lutte très concrète.»
Le poète, au petit et au grand écran
«Le poète apparaît régulièrement en littérature, entre autres dans les recueils de poésie, mais aussi dans des romans et des pièces de théâtre. La représentation de ce genre d’écrivain n’est cependant pas l’apanage de la littérature et il serait même assez difficile de prétendre qu’elles sont d’abord littéraires tant elles traversent l’ensemble du discours social et de l’imaginaire social. On trouve donc des personnages de poètes dans un certain nombre de productions culturelles non-littéraires contemporaines tels les films et les téléséries.
Que nous apprennent ces images du poète au petit et au grand écran, d’une part sur le rôle que revêt le producteur de poésie dans l’imaginaire social en général et, d’autre part, sur le rôle des représentations des composantes du littéraire par la communauté artistique extra-littéraire (entre autres, la communauté cinématographique)?»
La place du mythe dans l’imaginaire social: trois exemples tirés de la fiction populaire
Dans cette communication, Christophe Bruno se lance à la recherche des mythes fondateurs au sein des fictions populaires à l’aide d’une méthode structurale.
L’imaginaire apocalyptique sécularisé: la représentation médiatique des temps derniers selon Richard Grusin
Dans cette présentation, Jean-Sébastien Hardy se lance à la recherche des mythes dans les fictions populaires. Son analyse se fonde en grande partie sur les écrits du théoricien Richard Grusin.