Journée d'étude, 20 mai 2022
Laissé·es-pour-compte et minores: penser l’oubli en études littéraires
La tradition des journées d’étude organisées par l’Association étudiante des cycles supérieurs en études littéraires (AECSEL-UQAM) est longue. Cette année, le comité organisateur vous a concocté tout un programme sous le thème des «Laissé·es-pour-compte et minores: penser l’oubli en études littéraires». La journée s’est déroulée le vendredi 20 mai 2022 à l’Université du Québec à Montréal.
Communications de l’événement
La vie littéraire contre le canon
Lucie Robert remonte aux sources de la canonisation qui crée le corpus littéraire de référence, c’est-à-dire le corpus qui est le plus largement reconnu et partagé, et, du même coup, le type d’oubli qu’il engendre.
Tisser une mémoire interdisciplinaire: Les cas des vulgarisatrices scientifiques
L’engouement pour les sciences naturelles, à la suite des travaux du frère Marie Victorin (1885-1944), a été un contexte propice à l’émergence de vulgarisatrices, entre le champ scientifique et le champ culturel. Nous pouvons nommer Marcelle Gauvreau, plus célèbre, mais d’autres, comme Marcelle Lepage-Thibaudeau et Germaine Bernier n’ont laissé que peu de traces. Ces dernières œuvraient en littérature jeunesse, en illustration et dans les journaux. Dans leurs productions, une réflexion se tisse autour de l’attention au monde, de la sensibilité et de l’émerveillement. De tels propos sont dévalorisés dans le champ scientifique, d’autant plus qu’elles s’adressent une partie du temps à un lectorat enfant. À la même période, Rachel Carson commençait à publier des ouvrages de vulgarisation, dont celui qui demeure son plus célèbre, Silent Spring, en 1962. À sa parution, ses détracteurs remettent en doute sa rigueur, la qualifient de sentimentale et l’accusent d’hystérie (D’Erm, 2017).
Ces textes de vulgarisation, qui ne sont ni adressés à un public scientifique universitaire ni qualifiés de «littéraires», se retrouvent ainsi dans une zone intermédiaire. Lorsque nous ajoutons à cette problématique la question du genre et de l’époque, elle se complique. Dans cette communication, Pénélope Ouellet s’intéresse aux enjeux concernant les vulgarisatrices scientifiques et le statut littéraire de leurs œuvres. Elle explore, à partir de cas entre 1945 et 1965, le potentiel d’analyse de ces productions et se demande s’il est possible de restaurer une mémoire par le littéraire pour celles qui, œuvrant entre les disciplines, se sont retrouvées dans un angle mort.
La propagande catholique aux éditions Fides: «Je me souviens»
Le 23 janvier 1941 paraît officiellement aux éditions Fides le premier fascicule de Face au mariage. La collection, qui comportera éventuellement quarante titres d’une trentaine de pages, met en garde les jeunes de l’époque contre les dangers de l’amour, de la mode et du maquillage. Mine de rien, en 1962, ces petits tracts colorés, au carrefour du catéchisme, de l’essai et du guide de bonne manière, ont dépassé le tirage total d’un million d’exemplaires. Dans une espèce de «je me souviens» du temps où un religieux n’ayant connu de relation que l’amour de Jésus pouvait se mêler de la vie intime de tout un chacun, Marie-Catherine Lapointe se demande quels arguments l’auteur Gérard Petit, père de la congrégation de Sainte-Croix, sort de sa soutane pour convaincre «les jeunes gens» de l’importance du mariage et des dangers du flirt? C’est mue par un devoir de mémoire qu’elle sort donc des boules à mites deux de ces espèces d’ovnis. Dans la communication proposée, elle s’attarde plus particulièrement au numéro 12 Le flirt et au numéro 22 Puis-je divorcer? pour lesquels elle relève, non sans une pointe d’humour, divers dispositifs utilisés. Elle porte également, au passage, un regard sur le monde de l’édition au Québec qui, à l’aube de la grande noirceur, avait comme mandat premier la diffusion massive de l’idéologie catholique.
Le refus de genrer comme stratégie de résurgence autochtone dans «Noopiming» de Leanne Betasamosake Simpson
Dans sa communication, Marilou LeBel Dupuis postule que Leanne Betasamosake Simpson participe à la résurgence autochtone en transcendant le patriarcat cis-hétéronormatif colonial par son refus maintes fois réitéré de la binarité femme-homme dans son roman Noopiming.
Être femme et écrire en occitan pendant la Seconde Guerre mondiale: les oubliées des histoires littéraires
Au XXe siècle, de plus en plus d’études sur la place des femmes dans l’histoire littéraire française voient le jour, cependant les critiques littéraires et les historiens de la langue d’oc ne semblent pas encore s’intéresser fermement à ce sujet. La figure féminine, qu’elle soit publique ou anonyme, souffre souvent d’une non-reconnaissance et, si la femme ne se cache pas derrière l’emploi d’un pseudonyme masculin, elle est généralement étouffée. C’est particulièrement le cas au cours de la Seconde Guerre mondiale, où l’on rencontre une surreprésentation de l’homme, l’homme-soldat, l’homme politique, l’homme-héros. L’analyse indexique des deux histoires littéraires majeures de l’espace occitan du XXe siècle (Camproux 1953 et Lafont et Anatole 1970) témoigne de cet effet palimpseste qui invisibilise les écrivaines de langue d’oc au cours de l’histoire, du moyen-âge au XXe siècle, représentées dans ces histoires littéraires à une hauteur inférieure ou égale à 3%. Étudier la place des femmes dans l’espace littéraire amène donc à s’interroger à la fois sur le rôle qu’elles ont pu jouer dans la production et l’institution de langue d’oc pendant la Seconde Guerre mondiale et avant tout, sur l’importance qui leur est accordée dans les histoires littéraires déjà publiées. Enfin, se questionner sur la place des femmes dans la littérature en langue d’oc pendant la Seconde Guerre mondiale revient donc à ancrer la réflexion dans une approche intersectionnelle à trois niveaux. Dans la société française de la première moitié du XXe siècle, plongée dans le second conflit mondial, quelle place est réservée aux femmes qui écrivent dans cette langue d’oc minorisée?
Table ronde «L’oubli: un impensé de la littérature»
Bertrand Gervais, Pierre Gabriel Dumoulin, Eve Lemieux-Cloutier et Yohann-Mickaël Fiset participent à une table ronde sous le thème de l’oubli en littérature.
«Sans violence et sans secousse.» La pratique du roman parlementaire québécois au tournant du XXe siècle
Jean-Nicolas Roy prononce une communication portant sur une pratique littéraire que l’historiographie contemporaine semble méconnaître et qui ne ne reçoit pour l’instant aucune attention tangible de la part de l’institution universitaire québécoise, à savoir le roman de mœurs parlementaires.
Les romans parlementaires sont particuliers en ce sens qu’ils s’interrogent couramment sur le devenir politique du Canada et qu’ils établissent des rapports étroits entre leurs récits et des événements d’actualité ou de récente mémoire. Ils procèdent chacun à une transposition d’événements d’actualité politique dans un cadre fictionnel qui autorise leurs auteurs à réfléchir, par la représentation d’un avenir plus ou moins menacé, au devenir sociopolitique de la nation québécoise. Situées au croisement du récit d’apprentissage et du journalisme politique, ces œuvres semblent de même appartenir à la catégorie du roman à thèse: tout en sensibilisant les lecteurs au fonctionnement de l’univers politique, elles corroborent des systèmes de pensée dichotomiques. Manœuvres électorales, échos et travers du pouvoir, sectarisme, ralliements, agitations sociales, oraisons, escroqueries et corruption des uns, éloquence et héroïsme des autres: ce sont là quelques-uns de ses thèmes névralgiques, tout comme le cadre parlementaire, son substrat, qui devient le théâtre des crises, des tensions et des luttes démocratiques, et «l’un des lieux privilégiés de la fiction romanesque, dans la mesure où celle-ci entend être en prise sur les problèmes fondamentaux de l’époque» (Pléau, 2011).
Une réception critique sans le texte: le cas des «Advis» (1642) de Marie de Gournay
Marie de Gournay est une figure intellectuelle importante de la première moitié du XVIIe siècle. Auteure de nombreux traités de morale et de linguistique, rassemblés sous le nom des Advis, ou Présens de Mademoiselle de Gournay (1642), elle est avant tout connue comme la «fille d’alliance» de Montaigne, duquel elle est la première éditrice. Dans le cadre de cette communication, Kevin-Berger Soucie analyse la réception critique de son œuvre qui lui apparaît marquée, paradoxalement, par l’oubli du texte lui-même.
Pas qu’une simple «adaptation à l’envers»: la novellisation comme récit de soi
Dans cette communication, Jaëlle Marquis-Gobeille souhaite sortir la novellisation de l’ombre de l’œuvre qui l’a inspirée en invitant le thème du récit de soi comme l’intermédiaire entre cinéma et écriture. Elle démontre les effets de ce discours intimiste et passionné, et parle de cette nouvelle entité narrative qui est ainsi créée, inexistante dans le film source.