Colloque, 10 juin 2022
Le factum: l’usage de l’acculturation judiciaire au service d’un nouvel idéal féminin (XVIIe- XVIIIe siècle)
Factums, publications des arrêts, canards, ne sont que des exemples de mise à disposition de l’information judiciaire auprès du public au 18ème siècle, alors que la censure réelle est faible et que la critique d’une décision de justice n’est pas considérée comme un délit.
Le factum est probablement le genre de publication qui plus que tout autre voit exploser l’intérêt du grand public autour de lui au cours de l’Époque moderne. À l’origine de leur création et succès, se trouvent les ordonnances royales de Villers-Cotterêts de 1539 et de Saint-Germain-en-Laye de 1667, qui excluent peu à peu les avocats de la procédure judiciaire: des premières démarches de l’instruction jusqu’aux débats du procès, il leur est désormais interdit de représenter leur client. Les avocats se tournent alors vers la production de ces mémoires écrites. Composé essentiellement d’un compte rendu des faits, d’où son nom, le factum est destiné initialement au seul juge avant de devenir un véritable moyen d’orientation de l’opinion publique à une époque où la voie publique a une valeur judiciaire probatoire majeure.
Signées la plupart du temps par un avocat, les paroles que nous pouvons lire sur les pages d’un factum sont très souvent féminines. Prononcées par le biais d’une «voix masculine» et transcrites par un homme, la pensée féminine ainsi que la production épistolaire de genre trouvent une dimension de légitimation et tutelle. La plupart des mémoires judiciaires de ce genre conservés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) contiennent des milliers de lettres.
Certes, ce n’est pas une pratique inhabituelle car la lettre a toujours constitué une pièce importante dans les dossiers juridiques. Mais l’on voit ici les correspondances privées de nombreuses femmes imputées transcrites et réélaborées pour en tirer un profil propre et pudique à travers de véritables simulations d’échanges épistolaires créées à partir de lettres originales souvent conservées parmi les documents de l’avocat.
L’analyse de ces simulations permet de réfléchir aux modalités de l’acculturation judiciaire, dans une perspective de mise en valeur de la capacité de la population féminine à s’emparer de l’appareil judiciaire pour l’exploiter selon des stratégies bien définies.