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Le jardin, seul véritable survivant de la guerre

Roxane Maiorana
couverture
Article paru dans Paroles d’arbres. Histoires de jardins, sous la responsabilité de Rachel Bouvet, Marine Bochaton et Roxane Maiorana (2020)

(Credit : Image libre de droits)

Dans Le Modèle occidental de la guerre (2007), Victor Davis Hanson explique que, si bon nombre d’historiens de la Grèce classique considèrent la dévastation des terres cultivables comme le commencement favori d’«une bataille entre des cités grecques antiques en guerre» (25), il n’en est rien: «Presque toutes nos sources littéraires anciennes font voir que les Grecs eux-mêmes croyaient que ravager des champs de céréales, des vergers et des vignobles était une affaire sérieuse.» (25) John Keegan, qui fait l’introduction à cet ouvrage de Hanson, précise que «la vigne est une sorte de mauvaise herbe qui croît d’autant plus qu’on la coupe avec sauvagerie» (8), «que les oliviers, durs, noueux et résistants au feu ne sont pas exposés à un déboisement rapide» (8). En soi,

un État vaincu, bien qu’il perdît sans doute sa récolte de céréales et passât ainsi un hiver de disette, ne devait pas perdre son capital agricole ―vignes et oliviers― parce que les vignes se régénéraient en une saison. Les vainqueurs, à la fois pour des raisons économiques et militaires, ne pouvaient consacrer le temps nécessaire à l’abattage radical des oliveraies. (8)

Très tôt, donc, dans l’histoire des civilisations, l’humain a modifié ses stratégies guerrières face aux plantes comprenant que ces dernières, peut-être, gagneraient toujours d’une quelconque façon que ce soi: d’abord parce qu’elles lui sont trop essentielles à sa survie, puis parce qu’elles sont aussi plus résistantes ―capables de se renouveler quoi qu’il arrive sous d’autres formes. Les exemples contemporains de déforestation illustrent par ailleurs les moyens considérables, économiques et matériels, qui sont nécessaires pour détruire, voire raser, des surfaces entières de végétaux. Cependant, ils évoluent dans des contextes sans affrontements entre des humains où les plantes sont l’objet de convoitise en tant que marchandises plutôt que comme armes de guerre. Les derniers perfectionnements apportés aux dispositifs de la guerre du XXIe siècle, dont l’invention des drones, n’ont pas dévié de cette perspective. Ils ont pour objectif une «élimination ciblée» (Sartre, 2013: 445) souligne Patrice Sartre, même si elle est contestable. Valant très cher, le drone est «de plus en plus utilisé dans les opérations présentant un risque de pertes fratricides ou de dommages collatéraux» (442). Par conséquent, toutes les installations humaines, sommaires ou plus complexes, qui visent à cultiver des végétaux ne sont pas visées en particulier lors d’affrontements. S’ils peuvent être touchés ―n’étant pas complètement à l’abri―, ils ne sont pas des agents déclencheurs. En ce sens, les lieux d’exploitation végétale, à des fins de consommation alimentaire tout autant que de divertissement, sont relativement stables en termes de structures sociales. Pour Encarnación Medina Arjona, le jardin fait le pont entre l’humain et la nature (2016: 7) parce que c’est un espace ambivalent qui contribue à une certaine liberté spirituelle et artistique alors même qu’il se constitue fondamentalement en instance organisationnelle:

S’approprier à la fois de la nature et de l’environnement social dans les frontières d’un espace limité, organiser la condensation résultante d’une manière intelligible et jouer à écrire le monde dans la clôture d’un morceau de nature, rend compte d’une volonté esthétique et symbolique qu’il convient de déchiffrer comme étant le langage d’un amour de la mesure, d’une condensation du savoir sur l’homme et la nature. (7)

Si les jardins vivriers ou d’agrément jouent donc un rôle patrimonial important pour l’humain, le comportement des Grecs envers les champs de leurs ennemis prend tout son sens: ils préservent en partie leurs connaissances du monde ―touchant à l’alimentation, aux méthodes de soins par pharmacopée végétale, etc.― à travers ce microcosme qu’incarnent ces lieux. Nous nous sommes alors questionnés à savoir ce qu’il advenait de ces espaces en temps de guerre puisqu’ils ne sont pas totalement détruits, mais ne sont pas non plus au cœur des préoccupations de la société à ce moment-là pour des raisons évidentes de priorité. Dans ce texte, nous nous proposons d’étudier les rapports du jardin à la guerre dans un roman contemporain The Blind Man’s Garden1Il a été traduit en français sous le nom de Le jardin de l’aveugle (2013) aux Éditions du Seuil. (2013) de l’écrivain Nadeem Aslam. Loin du contexte de la Grèce classique, ce texte relate les conséquences de la déclaration de guerre des États-Unis à l’Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001, c’est-à-dire la déstabilisation de la région s’étalant jusqu’au Pakistan où vivent les personnages principaux. Au milieu de la peur de l’envahissement étatsunien, la violence grandissante de la guerre ―dont le chaos qui s’exprime à travers les attentats-suicide, les prises d’otages, etc.― s’oppose à la pérennité du jardin de Rohan, l’homme devenu aveugle à la suite d’une explosion survenue lors d’un combat opposant des soldats étatsuniens à des seigneurs de guerre afghans. Tout au long du récit, il se déploie en un endroit immuable où, certes, la nature poursuit un mouvement, celui de son cycle annuel; cependant, c’est bien la seule chose prévisible parmi toutes les violences arbitraires qu’entraînent les conflits. Le froid désert d’Afghanistan où s’affrontent les différentes entités impliquées dans les luttes armées établit un contraste avec la luxuriante végétation du jardin. Notre analyse se déroulera en deux temps: pour commencer, nous étudierons l’entrelacement existant entre l’espace-temps de la guerre et celui du jardin afin de montrer que, si nous pouvons apercevoir de prime abord une scission entre les deux, leurs relations sont plus complexes; ensuite, étant donné que le jardin de Rohan est divisé en six parties représentant chacune «Allah’s six beloved cities» (10) ―La Mecque, Bagdad, Cordoue, Le Caire, Delhi et Istanbul― il nous semble important d’étudier la symbolique accordée à la réunion de plusieurs pratiques religieuses au sein d’un même lieu. En effet, dans le roman la venue d’armées dites «occidentales» en terres musulmanes sectionne les perspectives d’interprétation de l’islam à pratiquer. Désormais, il n’y a plus que le jardin de Rohan qui témoigne d’une possible cohabitation hétérogène. Bref, il incarne aussi l’éventualité d’un après-guerre, soit d’une survivance.

Dans son introduction à l’ouvrage Jardins littéraires et méditerranéens (2016), Arjona décrit les jardins de l’islam comme héritiers de la tradition perse dans laquelle la magnification de la nature s’assimile au paradis (9). Elle donne en exemple les jardins de Damas qu’elle dépeint à travers les travaux de Gaëlle Gillot (2006: 413) en «une sorte de paradis sur terre, une ville paradis, un monde meilleur dans lequel on pouvait pénétrer sans qu’il soit nécessaire de mourir» (2016: 9). Selon nous, l’intérêt du roman d’Aslam se situe dans le dévoiement que propose ce dernier de cette vision idyllique du jardin de l’islam. En ce sens, The Blind Man’s Garden met en scène plutôt les entrecroisements incessants que le jardin et la guerre façonnent:

Rohan looks out of the window, his glance resting on the tree that was planting by his wife. […] The scent of the tree’s flowers can stop conversation. […] A small section of it moves in the cold wind ―a handful of foliage on a small branch, something a soldier might snap off before battle and attach to his helmet as camouflage. (2013: 6)

L’un ramène toujours à l’autre parce que chacun construit le quotidien des personnages à sa façon. S’il symbolise un havre de paix dans l’environnement familial par rapport aux zones de combats qui se multiplient au Pakistan, le jardin rappelle quand même qu’à l’extérieur se joue la vie de chaque proche de Rohan, car, depuis que les États-Unis ont été attaqués le 11 septembre 2001, «there are no innocent people in a guilty nation. And similarly, these weeks later, it is the buildings, orchards and hills of Afghanistan that are being torn apart by bombs and fire-shells» (6). La majorité du texte alterne donc les chapitres traitant des affrontements menés en Afghanistan avec les scènes se déroulant dans les alentours du jardin de Rohan. Parfois, un élément de l’un se glisse dans le récit de l’autre par un souvenir déclenché à l’aide d’une image, d’une odeur, d’un acte dissonant. Ainsi quand un oiseleur, nommé «”the bird pardoner”» (7) par le quartier, vient chez Rohan poser des pièges à oiseaux dans les arbres du jardin afin d’attraper les petites créatures pour faire payer les gens qui veulent les relâcher, le propriétaire n’est pas à l’aise. Les cris des oiseaux prisonniers perturbent le calme du lieu faisant écho aux horreurs engendrées par la guerre à l’extérieur du périmètre du jardin: «The wind lifts now and then but otherwise there is silence and stillness, a perfect hush in the night air. [Rohan] is certain that many of the snares have already been activated and he cannot help but imagine the fright and suffering of the capturing birds, […].» (7) Dans un mouvement similaire, alors qu’il tente, lui, de revenir au Pakistan après toutes les morts qu’il a croisées et toutes les tortures qu’il a subies, Mikal a cette réflexion en plein territoire de combats: «The house is painted yellow, and is located in a dense grove of trees, all the same kind. One of them grows in Rohan’s garden in Heer, its small green-white flowers filling the winter evening with a rich smell.» (201) Ainsi, jardin et guerre ne sont pas des espaces-temps clos, mais peuvent, bien au contraire, se superposer, voire se confondre.

La mort et la souffrance n’appartiennent pas proprement à la guerre. Il en va de même pour l’attribution du calme et de la sérénité au jardin. Il nous semble que suivre pareille dichotomie réduit grandement le rôle du jardin dans la guerre et vice versa, la frontière entre les deux étant loin d’être si étanche. Pourtant, nous rejoignons là en partie la conception de Arjona: le jardin a pour but avant tout de synthétiser le monde dans lequel évolue l’humain. Par conséquent, il ne saurait contenir que les aspects idéaux de la vie, la perfection. Certes, la mort dérange de manière générale les structures sociales puisqu’elle rappelle l’éphémérité de la vie s’immisçant dans la redondance du quotidien ―et c’est en partie la raison pour laquelle Rohan est peu enclin à l’intégrer dans son environnement familial, sachant que le départ de son fils pour les lignes de front sonne probablement le glas de celui-ci―, mais elle est inévitable au destin de tous en temps de guerre et doit s’intégrer de ce fait à la praxis des gestes les plus banaux. C’est ce que catalyse le jardin: «[Naheed] looks down at the finger she has accidentally cut in the glasshouse. Incising her flesh it’s Jeo’s blood she sees. And that of Mikal.» (141) Parfois, c’est même l’unique endroit pour observer les disparus, la réalité soumise alors à l’imagination, au rêve, à moins que ce soit l’inverse. Le jardin ne se définit jamais selon un discours monolithique. Toute interprétation est à prendre en compte:

The jacaranda is in bloom and after a shower the smell enters the house at twilight so thickly she can lie there wondering if it will ever stop. It marks half the distance between Mikal and her, and she halts when she reaches it. Is it his ghost, here to convince her to build a life without him? Or is he real and her thinking has summoned him into her presence? (172)

Nous remarquons que le jardin possède aussi une fonction de maintien, voire d’activation des sens qui favorise des relations polysensorielles à son égard de la part des personnages. La vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et même le goût ―bon nombre des arbres du jardin de Rohan sont fruitiers ce qui implique que les protagonistes y ont indirectement goûté― sont constamment convoqués soit pour exprimer une différenciation, un contraste entre la sécurité de l’espace intérieur délimité par le jardin et le chaos qui sévit à l’extérieur de chez Rohan, soit pour assurer la pérennité mémorielle d’un événement, d’une personne ou autre qui se sont évanouis avec la guerre. Ces innombrables potentialités du jardin permettent à ce dernier de perdurer dans le temps, soit de survivre à l’usure, voire à l’oubli, de se renouveler en soi.

Comprenant que le jardin chez Aslam porte en lui-même une réflexion sur la guerre et ses conséquences, nous voulons questionner maintenant la symbolique interne du jardin de Rohan. En effet, ce dernier entretient des liens très serrés avec l’islam, ce qui n’a rien d’étonnant parce que celui-ci, «issu du désert, lieu du feu, creuset rouge, aura pour couleur identitaire la couleur verte» (Stétié, 1994: 71), «couleur de la terre» (71). C’est la sécheresse du désert qui appelle le besoin de verdure, de sources d’eau; «il y a [donc] incontestablement une dialectique du désert et du verdoiement» (11) qui est reprise notamment dans les symboles de l’islam. Dans le roman, la maison et l’école de Rohan sont elles-mêmes bâties en forme de croissant de lune:

Before building it he had visited the cities of Mecca, Baghdad, Cordoba, Cairo, Delhi and Istanbul, the six locations of Islam’s earlier magnificence and possibility. From each he brought back a handful of dust and he scattered it in an arc in the air, watching as belief, virtue, truth and judgement slipped from his hand and settled softly on the ground. (8)

Quatre parcelles de terre sur les six correspondant à une ville sont caractérisées par une plante ou un arbre possédant sa propre symbolique, laquelle mélange les croyances associées à l’islam, l’histoire de cette religion et les découvertes scientifiques qui en ont découlé. Pour le bâtiment de La Mecque, une plaque à l’entrée précise que c’est parce que les musulmans voulurent connaître l’emplacement exact de la ville du même nom qu’ils ont développé un intérêt pour la géométrie et les mathématiques, inventant par la suite la trigonométrie (17). C’est le dattier qui en est le symbole représentant, dans ce cas-là, l’héritage, ce qui survit «Mecca House is situated amid Arabian date palms that release their fruit onto the roof throughout summer, the dates that are like sweet chewable leather in the mouth.» (17) Il n’est pas anodin que cette sorte d’arbre symbolise La Mecque, la ville natale du prophète Mahomet. Le dattier «a donné lieu à l’iconographie la plus abondante» (Caubet et Michel-Dansac, 2013: s.p.). Dans bien des cultures, il

semble très tôt lié à des notions de fertilité, d’agriculture prospère et de renouvellement de la végétation. […] Cette symbolique est vraisemblablement à rechercher dans les caractéristiques botaniques du palmier dattier, à savoir sa capacité à se régénérer et à indiquer l’eau, à faire de l’ombre et à fournir de la nourriture (s.p.).

En étroite relation avec le désert puisqu’il y pousse avec aisance à «l’état sauvage» dans les oasis, le dattier s’assimile à la vie. Grâce à lui, il est possible de repérer l’eau alors même que ses alentours sont désertiques. Il fournit aussi des fruits tout autant que de l’ombre dans des endroits où le soleil est partout. En ce sens, il est un élément essentiel des jardins de l’islam, lesquels doivent leur existence au contraste d’avec les paysages désertiques qui les enserrent. Il est donc presque évident qu’il soit associé à la ville natale du prophète, La Mecque.

Pour la Maison de Bagdad, «clumbing roses curtain it, spreading on the walls in lean assessing tendrils, and the undone petals lie on the tiles to return loaned light deep into the evening» (17). Les roses de Bagdad sont souvent associées aux récits des Mille et Une Nuits de par leur présence récurrente dans le texte. Un film d’animation italien populaire sorti en 1949, dont le titre est éloquent La Rosa di Bagdad, reprend l’association des roses et certains éléments narratifs des Mille et Une Nuits, comme la lampe du génie (1952: 158). Par ailleurs, une espèce de rose en particulier porte le nom de Mille et Nuits. Pour en revenir au roman d’Aslam, il est aussi signalé qu’en l’an 830 existait déjà une Maison de la Sagesse dans cette ville (17).

La Maison de Cordoue est entourée de «spanish almond trees and carnations» (17). En note, il est écrit que les œillets sont les fleurs qu’a offertes le roi des djinns à Salomon pour qu’il en fasse cadeau à la Reine de Saba. Par ailleurs, il est souligné que les musulmans d’Espagne auraient été les inventeurs du papier, lequel fut banni par l’Empire germanique qui l’a condamné à être inutilisé de par sa provenance musulmane (18). Enfin, «Egyptian blue lotuses stand in crystal-tight arrays in a triangular pool before Cairo House, the blossoms closing at night and sinking underwater to re-emerge in the morning» (18). Le lotus bleu a une symbolique essentielle dans l’Égypte pharaonique. Il est associé à la renaissance, à la réincarnation puisque c’est une plante qui semble se faner la nuit et se régénérer au matin. Nous le retrouvons notamment dans les bassins des jardins intérieurs des palais des pharaons. C’est aussi au Caire qu’a vu le jour la première maison de la science en 995 ainsi que la bibliothèque du palais fatimide contenant quarante salles fournies de 18 000 manuscrits portant sur les «Sciences des Anciens» (18). Les deux autres bâtiments sont liés à l’astronomie.

Ce qui nous intéresse ici, c’est l’aspect inédit des symboliques attribuées aux végétaux que renouvelle le narrateur par l’attribution de faits historiques qui incluent à la fois l’évolution de l’islam et les avancées scientifiques incombées à des penseurs musulmans. C’est une façon de réécrire l’Histoire qui s’inscrit dans un processus similaire à celui d’imaginer le jardin en relation avec la guerre et non plus de manière idéalisée: il s’agit d’intégrer ce qui a volontairement été omis historiquement, ou oublié, et qui donnait dans un même temps une image unilatérale de la question de l’islam. En ce sens, alors que la guerre fait rage contre les États-uniens, mais, surtout entre les musulmans eux-mêmes, le jardin de Rohan est le seul lieu où sont réunies finalement les différentes perspectives de l’islam à travers les symboles et les événements historiques relatés des six villes. Pour reprendre les propos de Marinella Termite, le jardin condense le temps (2019: s.p.). C’est ce qu’elle nomme une «forme vivante du jadis» (2019: s.p.). Si dans La condition postmoderne (1979) Jean-François Lyotard avance l’idée que «la fonction narrative perd ses foncteurs, le grand héros, les grands périls, les grands périples et le grand but» (7) avec la postmodernité, il nous semble au contraire que le jardin de Rohan tente au milieu du chaos que provoque la guerre avec les États-Unis de redonner, ou peut-être de maintenir, la grandeur de certaines figures musulmanes qui ont changé le cours de l’Histoire. Pour Lyotard, «le grand récit a perdu sa crédibilité, quel que soit le mode d’unification qui lui est assigné» (63). Selon nous, le jardin de Rohan est une tentative de retour du grand récit contrebalançant les instabilités sociopolitiques du moment. C’est de cette façon que nous entrevoyons le jardin comme un dispositif de survivance qui postule une construction au sein d’un système en pleine destruction. Il s’agit d’une sorte de projet collectif qui laisse penser qu’il y aura un après-guerre, que l’islam a survécu à d’autres batailles.

En conclusion, nous avons voulu montrer par l’entremise de l’œuvre The Blind Man’s Garden (2013) que le jardin et la guerre ne sont pas deux espaces-temps évoluant en vase clos. Certes, il existe un imaginaire de l’idéal qui façonne le jardin de l’islam. C’est à contre-courant de ce dernier qui se situe le récit de Nadeem Aslam, dévoilant plutôt les intrications entre jardin et guerre, lesquels forment une véritable praxis du quotidien. Par ailleurs, si nous considérons que le jardin est le lieu de la synthèse des connaissances du monde pour les humains, il est aussi le l’endroit où se regroupent les potentialités réflexives sur les changements sociopolitiques qu’entraîne la guerre, un entre-deux où peuvent notamment communiquer morts et vivants. C’est un des premiers aspects de la survivance. Ensuite, nous avons avancé comme hypothèse que le jardin de Rohan, grâce à sa propre symbolique, réunifie les diverses visions de l’islam par le biais de l’association de végétaux et de moments historiques importants suggérant que les premiers ―toujours debout, toujours majestueux― sont l’emblème de la survivance de cette religion à travers les siècles malgré les guerres ou les dissensions internes. En ce sens, le jardin est source d’espoir.

 

Bibliographie

Aslam, Nadeem. 2013. The Blind Man’s Garden. Toronto : Bond Street Books, 367 p.

Caudet, Annie et Fanny Michel-Dansac. 2013. « L’iconographie et le symbolisme du palmier dattier dans l’Antiquité (Proche-Orient, Égypte, Méditerranée orientale) ». Revue d’ethnoécologie. <https://journals.openedition.org/ethnoecologie/1275>.

Hanson, Victor Davis. 2007. Le Modèle occidental de la guerre. Paris : Éditions Tallandier, 298 p.

Lyotard, Jean-François. 1979. La condition postmoderne. Rapport sur le savoir. Paris : Éditions de Minuit.

Monthly Film Bulletin,. 1952. « Rose of Baghdad, The (La Rosa di Bagdad) ». Monthly Film Bulletin, vol. 19, 216, Royaume-Uni : Monthly Film Bulletin.

Sartre, Partrice. 2013. « Drones de guerre ». Études, vol. 11, 419, p. 439-448.

Stétié, Salah. 1994. Réfraction du désert et du désir. Clichy : Babel éditeur, 89 p.

Termite, Marinella. 2020 [04/2020apr. J.-C.]. À la recherche de l’Éden perdu. Paroles d’arbres. Histoires de jardins.

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    Il a été traduit en français sous le nom de Le jardin de l’aveugle (2013) aux Éditions du Seuil.
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