Cahiers de l'IREF, numéro 07, 2016

Féminismes et luttes contre l’homophobie: de l’apprentissage à la subversion des codes

Line Chamberland
Caroline Désy
Lori Saint-Martin
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En 1903, à Berlin, Anna Rueling appelait le mouvement homosexuel et le mouvement des femmes à s’entraider puisque tous deux luttaient pour la liberté et l’autodétermination individuelle. Plus d’un siècle plus tard, quelles convergences peut-on observer entre féminismes et luttes contre l’homophobie? Sur le plan de la pensée, quels rapprochements contemporains peut-on établir entre le champ des études féministes et celui de la diversité sexuelle et de genre? Comment s’articule l’intersection entre ces deux systèmes de différenciation hiérarchique que sont le sexisme et l’hétérosexisme ? Quels théories et concepts y circulent de manière transversale, et avec quelles redéfinitions?

Ces questions ont guidé l’organisation du colloque «Féminismes et luttes contre l’homophobie: zones de convergence» tenu dans le cadre du congrès de l’ACFAS 2014 à l’Université Concordia, Montréal, le 16 mai 2014.

Avec des textes de Christine Bard, Janik Bastien-Charlebois, Isabelle Boisclair, Dominique Bourque, Line Chamberland, Amélie Charbonneau, Étienne Deshoulières, Caroline Désy, Rosine Horincq Detournay, Bruno Laprade, Christelle Lebreton, Sabrina Maiorano, Nathalie Ricard et Olivier Vallerand.

Articles de la publication

Line Chamberland & Caroline Désy

Présentation: Féminismes et luttes contre l’homophobie

Tout en se constituant le plus souvent comme des champs spécifiques de recherche dans les cadres universitaires institutionnels, les études féministes et les études sur la diversité sexuelle et de genre se sont mutuellement alimentées sur le plan théorique. Alors que le dialogue entre les deux n’a pas toujours été exempt de tension, on voit aujourd’hui émerger des préoccupations communes. Ainsi d’un côté, la réflexion sur l’entrecroisement des systèmes d’oppression et des luttes contre les diverses discriminations sociales occupe une place centrale dans les théories féministes contemporaines. De l’autre, le domaine des études gaies s’est élargi pour englober la diversité des orientations sexuelles (gai, lesbienne, bisexuel-le, dénominations auxquelles s’ajoutent désormais de nouvelles identités telles que pansexuel-le ou asexuel-le) et la pluralité des genres (transexuel-le, transgenre, genderqueer, etc.) —une transformation que résume bien sa désignation anglaise de queer studies.

Christine Bard

«Toutes des lesbiennes!» Antiféminisme et lesbophobie, une complicité à l’épreuve du temps

Ce qui est sûr, c’est que dans le «toutes des lesbiennes !», l’intention n’est pas bienveillante et qu’à l’évidence, la lesbophobie est un moyen de dénigrer le féminisme. Un antiféminisme lesbophobe donc. Ou une lesbophobie antiféministe? Les dosages, instables, varient. Partir à la recherche de ces discours/de ces pratiques n’est pas simple. Il faut faire avec la dispersion, l’hétérogénéité, l’euphémisation dans des sources documentaires disparates et dispersées. Il faut aussi historiciser cette question et la confronter à la réalité qu’elle combat autant qu’au fantasme qu’elle construit.

Janik Bastien-Charlebois

La portée de l’épithète «gai»: sujets interpelés, sujets touchés

Notre propre recherche avait pour but de comprendre la diversité des attitudes des garçons adolescents à l’endroit des hommes gais, de même que les pratiques de l’épithète. Les emplois de «gai» y étaient un des thèmes abordés dans les entrevues semi-directives individuelles que nous avons menées auprès de garçons adolescents –toutes orientations sexuelles confondues (Bastien-Charlebois, 2009, 2010, 2011a).

Amélie Charbonneau & Olivier Vallerand

Expression de genre et démystification de l’homosexualité et de la bisexualité

Les questions entourant l’expression de genre dans les interventions font aussi partie des préoccupations qui motivent le travail de recherche du GRIS-Montréal. La notion de genre s’est imposée d’elle-même dans divers projets de recherche menés par le GRIS-Montréal (Petit et Richard, 2012, 2013). C’est en se basant sur ces travaux que le présent article aborde successivement la perception de l’expression de genre des intervenants-es par les jeunes rencontrés dans les milieux scolaires, puis les préoccupations autour de cette question chez les intervenants-es eux-mêmes.

Christelle Lebreton

Pour une approche matérialiste de l’identité sexuelle: la formation identitaire des adolescentes lesbiennes québécoises

Le présent article est consacré au milieu scolaire, qui constitue un espace de socialisation significatif dans la formation identitaire des jeunes. La plus grande partie de l’adolescence coïncide avec les années d’éducation de niveau secondaire. Le contenu scolaire et, plus fondamentalement, les relations entre pairs sont autant d’occasions d’actualiser les attentes normatives reliées au genre et à la sexualité. Mes analyses rompent avec le modèle psychosocial de développement identitaire, généralement mobilisé pour rendre compte de la formation de l’identité homosexuelle.

Etienne Deshoulières

Injures homophobes: ordre et désordre hétéronormatifs

Les femmes comme les hommes dont la sexualité ou l’expression du genre ne se conforment pas au modèle hétéronormatif sont rappelées à l’ordre. Les femmes sont insultées parce qu’elles ne se cantonnent pas à leur rôle de femme. Les hommes sont insultés parce qu’ils ne renvoient pas l’image de la virilité. La simple interpellation d’un homme par une expression le comparant à une femme est censée l’injurier. Les injures gayphobes, omniprésentes dans les cours de récréation, classifient et hiérarchisent les attributs masculins et féminins, participant ainsi, en stigmatisant l’homosexualité masculine, à inférioriser les femmes. C’est dire si l’étude des injures homophobes est inextricablement liée aux enjeux du féminisme.

Rosine Horincq Detournay

Analyses féministes et luttes contre l’homophobie, écueils et convergences possibles: un essai

Tout d’abord, selon mes pratiques en tant que féministe et ma perception des enjeux de pouvoir, il existe, même entre différents courants féministes, des convergences mais aussi des divergences, voire parfois une absence de compatibilité, entre certains féminismes. Des écueils peuvent rapidement faire surface: sommes-nous toutes d’accord pour affirmer que l’hétérosexualité est un système d’oppression? Que les droits reproductifs et sexuels doivent intégrer d’autres dimensions que la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG)? Qu’il y a une invisibilisation des questions lesbiennes dans des courants féministes et que les questions bisexuelles le sont encore davantage, y compris par certains courants lesbiens? Voilà quelques-unes de mes questions.

Nathalie Ricard

Quelle solidarité pour les femmes allosexuelles réfugiées au Canada?

Je commencerai par décrire le dispositif de la reconnaissance du statut de réfugié au Canada. Puis, je ferai brièvement état de ma démarche ethnographique dans les principales villes où habitent les migrants et migrantes LGBTIQ au pays. Quelques pistes seront alors proposées pour comprendre la faible participation des lesbiennes, femmes bisexuelles et trans dans certains groupes communautaires qui collaborent à ma recherche. Ce sera aussi l’occasion de présenter leurs caractéristiques générales. Dans un troisième temps, j’aborderai à grands traits, avec les risques que cela comporte, le vécu de violence des femmes que j’ai interviewées. Une approche intersectionnelle est indiquée pour appréhender leur processus de subjectivation, dans lequel s’entrecroisent les rapports sociaux de genre et de sexualité et leur statut migratoire. De plus, l’expérience de la racisation des participantes influence le développement de leurs liens de solidarité. Enfin, nous retiendrons que la célébration de l’autonomie et la valorisation de l’énergie sexuelle des femmes repoussent les frontières politiques, affectives, sexuelles et culturelles qui auraient voulu les garder dans une condition victimaire.

Bruno Laprade

Des «feminist sex wars» au matérialisme performatif: relecture de la pornographie et du BDSM

Le présent article cherche donc à mettre de l’avant que l’opposition entre queers et radicales relève davantage de conflits politiques locaux qu’elle n’est liée aux théories elles-mêmes. En effet, il s’est développé dans les dernières années une approche matérialiste queer qui rapproche grandement les deux positions au-delà de leur lutte pour s’établir comme sujet politique légitime du féminisme. Ce matérialisme queer propose d’autres possibilités que l’éternelle tension entre pro-sexe et anti-sexe, division provenant des feminist sex wars des années 1980. C’est pour cette raison que j’aimerais mettre de l’avant des travaux d’intellectuels-les qui utilisent cette approche du matérialisme queer pour relire des objets d’étude au cœur du litige des feminist sex wars, soit la pornographie et le BDSM, et montrer par là que les positions queer, loin de faire l’apologie inconditionnelle de ces manifestations, intègrent diverses dimensions critiques face à celles-ci.

Sabrina Maiorano

Sexualités lesbiennes alternatives en art contemporain: sadomasochisme lesbien et gode-ceinture dans les oeuvres de Catherine Opie et Tejal Shal

Pour ma part, j’ai choisi de situer mon propos dans le champ de la représentation. Je me suis intéressée aux lignes de continuité et de rupture entre féminisme, lesbianisme et histoire de l’art. Je souhaite mettre en valeur un corpus spécifique de l’art lesbien afin d’en dégager l’apport historique pour la culture visuelle lesbienne, mais également pour l’histoire de l’art féministe. Mon analyse débute par le constat suivant: au sein du champ des arts visuels, les lesbiennes font l’objet d’une invisibilisation historique, tant du côté de l’histoire de l’art générale que du côté de l’histoire de l’art féministe (Ashburn, 1996; Cottingham, 1996; Hammond, 2000; Thompson, 2010).

Dominique Bourque

Du lesbicide en images chez Maroch, Bechdel et Obom

Mais qu’advient-il des figures en marge de ce vieil ordre en habits neufs? Et plus particulièrement des lesbiennes politisées, sujets du présent texte? Quel traitement les médias, à la solde des empires financiers, leur réservent-ils? Et comment elles-mêmes représentent-elles, dans leurs œuvres, les affronts qu’elles vivent? Voilà les questions que j’aborde dans ce texte en m’appuyant sur les analyses de l’oppression de la classe des femmes élaborées par les théories du féminisme et du lesbianisme matérialistes.

Isabelle Boisclair

Pour un imaginaire lesbophile

J’insisterai, d’une part, sur l’importance de lire des écrivaines lesbiennes (essayistes comme romancières, théoriciennes comme poètes) et, d’autre part, sur l’importance de lire des récits mettant en scène des personnages lesbiens –ou queer– peu importe l’«orientation» de l’auteur-e (car bien sûr, ce n’est pas l’apanage des lesbiennes que de représenter des personnages lesbiens). Il va de soi que cette plaidoirie s’adresse surtout aux personnes étiquetées «hétéros», question de «nous» faire sortir des fictions dominantes de l’hétéronormativité. Car la mise en place de personnages lesbiens dans les textes littéraires est apte à reconfigurer l’imaginaire, et à défalquer les «résidus culturels» (Butler, dans Rubin, 2001: 16) lesbophobes qui traînent encore dans les représentations.

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