Colloque, 13 avril 2018

«Rose Goret», un livre pur porc

Myriam Boucharenc
couverture
L’animal et l’humain. Représenter et interroger les rapports interespèces, événement organisé par Jérôme-Olivier Allard, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault

Livre d’artiste réalisé par l’imprimeur typographe François Da Ros à partir d’un texte de Gérard Farasse, illustré de gravures sur cuivre de Martine Rassineux, Rose Goret a vu le jour aux éditions Anakatabase en 2005. Il s’agira de présenter cet «ouvrage» exceptionnel, tant par sa rareté (tirage à 15 exemplaires) que par la place marquante qu’il occupe dans les productions contemporaines du livre d’artiste. Tout, dans ce livre, depuis son titre, le texte qui l’a inspiré (lui-même faisant référence à deux œuvres «cochonnes» de Félicien Rops, La tentation de Saint-Antoine et Pornocratès), son impression à même «la peau de la bête», la série des gorets gravés, ainsi que le coffret qui le contient et s’ouvre au moyen de deux poignées en forme d’oreilles de porc, est dédié à l’animal à la fois fangeux et céleste. Il s’agit, pour mieux dire, d’un livre fait goret ou d’un goret fait livre: un livre-animal –ou «animot» (Derrida, L’Animal que donc je suis, 2006)–, en somme, qui ne se contente pas de dire ou de figurer le cochon, mais de le (re)constituer dans toute son épaisseur à la fois physique et sémantique. Pour désigner le porc, la langue française dispose en effet d’un luxe de vocables aux étymologies labyrinthiques –qui prédispose cet animal à la polymorphie en même temps qu’à une sorte, éminemment poétique, d’hyper-signifiance (Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, 1948), comme en témoignent les variations symboliques qu’il connaît dans l’histoire religieuse et culturelle (Michel Pastoureau, Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, 2009). Signe toujours en crise, qui n’admet guère le repos ni l’univocité de la signification, le cochon semble, ainsi que le démontre le dispositif mis en œuvre dans Rose Goret, l’animal pertinent par excellence pour exprimer la «crise», que ce soit celle «du langage» caractéristique, selon George Steiner (Réelles présences. Les arts du sens, 1991) de la modernité du premier XXe siècle (le texte de Gérard Farasse se termine sur une citation d’Artaud, «Toute l’écriture est de la cochonnerie»), des valeurs artistiques et plus largement de la relation que l’art entretient avec la réalité. Nous montrerons comment cette œuvre concourt à faire du goret le double animal et la figure consubstantielle de l’artiste moderne, dont il incarne, entre gravité et légèreté, grotesque et sublime, la condition tragi-bouffonne. [Texte de Myriam Boucharenc]

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