Colloque, 13 avril 2018

«La ballade de C’Mell»: le sous-peuple chez Cordwainer Smith

André Duhamel
couverture
L’animal et l’humain. Représenter et interroger les rapports interespèces, événement organisé par Jérôme-Olivier Allard, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault

Les animaux non-humains occupent une place non négligeable dans la littérature de science-fiction, de L’île du docteur Moreau (Wells 1896) à La planète des singes (Boule 1963). Cette place est cependant peu étudiée: on leur préfère celle du mutant, du robot, de l’extraterrestre. On constate néanmoins rapidement que leur statut dans ces fictions dépasse celui de miroir pédagogique des comportements humains qui leur est dévolu dans la fable animale classique. Ce statut devient en effet ambigu: si l’altérité animale est soulignée, ou si l’animalité de l’humain, affirmée, la relation normative binaire animal/humain est retravaillée mais rarement dépassée. Nous nous intéresserons ici à une œuvre de science-fiction très riche de ce point de vue, celle du «sous-peuple» (Underpeople) chez Cordwainer Smith (1913-1966). Ce sont des animaux anthropomorphisés par les «seigneurs de l’instrumentalité» (une autocratie bienveillante d’un lointain futur), des créatures sans droits et à qui incombent les tâches serviles, à l’instar de la «chatte» C’Mell. Les nouvelles et le roman de Smith (La ballade de C’Mell 1961, La planète Shayol 1962, La dame défunte de la cité des gueux 1963, Le sous-peuple 1968) dépeignent leurs souffrances, leurs revendications et leur triomphe dans une «Révolution de l’amour» contribuant à rendre les humains (biologiques) à nouveau humains (moraux), ce que Smith nomme la «Redécouverte de l’Homme». Dans ces récits au style intemporel des contes archaïques, les animaux du sous-peuple deviennent non seulement sujets de leur destin, mais aussi de celui des humains: reconnaissance et rédemption. Nous interpréterons cette œuvre à la lumière de la remise en cause contemporaine de la relation humain /animal, dans le domaine du langage, des affects ou de l’écologie: la saga du sous-peuple permet alors de transposer les questions urgentes qui nous taraudent à des espèces autres que la nôtre, leur donner voix et les écouter. [Texte d’André Duhamel]

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