Entrée de carnet

Désir et progrès dans «L’herbe rouge» de Boris Vian

Justin Ainsley
couverture
Article paru dans Viril, vous avez dit viril?, sous la responsabilité de Véronique Cnockaert (2017)

Auteur inconnu. 1985. «Photo de presse, Jean Sorel» [Photographie de presse de la production de L’herbe rouge de Pierre Kast]

Auteur inconnu. 1985. «Photo de presse, Jean Sorel» [Photographie de presse de la production de L’herbe rouge de Pierre Kast]
(Credit : http://kebekmac.forumprod.com/kast-1985-l-herbe-rouge-t5168.html)

Par rapport au fantastique, la science-fiction, c’est l’extrapolation; plus que l’invention: mais l’invention dans l’extrapolation, au lieu de l’invention non contrôlée. (Labarthe, 1958)

J’ai toujours pu résister à mes désirs […] Mais je meurs de les avoir épuisés… (Vian, 1962 [1950]:191)

Paru en 1950, le roman L’herbe rouge de Boris Vian présente des modèles masculins dans un univers que l’on pourrait dire futuriste en raison de son rapport à une technologie inédite. En ce sens, il est possible d’affirmer que Vian tente de penser le jeune homme de demain, et celui de son temps, à travers le prisme de la fiction. Notons toutefois que le futurisme fictionnel de Vian emprunte beaucoup à une structure onirique, mise au service de l’invention poétique. À ce sujet, Jean-Marc Gouavnic, dans un texte qui établit l’importante influence de la science-fiction américaine sur l’œuvre de Boris Vian, affirme qu’«[o]n voit comment la science-fiction a pu, pour Vian, présenter un puissant caractère de contestation de la société et des piliers qui la soutiennent, par le simple fait qu’elle n’accepte pas tels quels les données du réel et le cadre social» (1975:86). Ainsi, si le jeune homme de demain est difficile à envisager, c’est notamment parce que son anticipation est inévitablement pensée à partir du présent. Nous tenterons d’aborder les figures de trois personnages masculins de l’œuvre, dont deux, Wolf et Lazuli, sont des jeunes hommes, sous l’angle d’une dynamique commune qui se développe entre désir, plaisir et existence. Également, nous aborderons la question du progrès, qui est intimement liée à la fictionnalisation du jeune homme de demain et particulièrement dans L’herbe rouge, parce que les protagonistes masculins, faute de s’intégrer à leur société, n’appartiennent pas à l’avenir qui est envisagé. À cet effet, nous étudierons les trois figures choisies séparément: tout d’abord celle du sénateur Dupont, qui présente un rapport simplifié à ses désirs, le menant ainsi à un suicide social; ensuite, celle de Saphir Lazuli, pour qui le désir est éminemment problématique parce qu’il met en jeu son individu même dans un éclatement de son être, en raison du rapport à l’autre (l’être aimé); et finalement, celle de Wolf, qui revisite son passé à l’aide d’une mystérieuse machine à voyager dans le temps, dans le but d’unifier les différentes parties de son identité morcelée. Nous essaierons également de montrer comment les trois figures abordées se répondent, précisément sur la question du désir, en tant qu’elles présentent autant de facettes d’une même quête: le devenir-homme présenté dans L’herbe rouge passe inévitablement par un rapport, que nous tenterons d’éclaircir, aux désirs, qui trouvent encore une fois leur place dans l’incessante lubricité littéraire déployée dans les textes de Boris Vian.

 

Machines circulaires, machines suicidaires, machines inutiles, machines onanistes.

C’est ainsi que l’on pourrait décrire les jeunes hommes de demain, à l’instar de l’intrigante machine mise en scène par Vian. Sans cesse à la recherche d’un désir justifiant leur existence, ceux-ci sont jetés dans un présent hors du temps, sans repères, entre passé et futur, et sans réelle possibilité de progresser autrement que par des inventions artificielles, sans fondement, telle que la machine mystérieuse. Ainsi, l’unification des trois ekstases temporelles peut apparaître comme le but, inextricablement uni à leur quête du désir, poursuivi par ces protagonistes: leur agentivité désirante ne peut se construire que par leur capacité à s’inscrire dans les rapports du présent au passé et à l’avenir. Or, les personnages masculins de L’herbe rouge se suicident à la fin du récit parce qu’ils ne parviennent pas à vivre leurs désirs qui sont intimement liés, comme nous l’observerons pour Wolf, à leur enfance (donc dans un rapport au passé) sans supprimer les multiples facettes de leur identité.

 

I. Le sénateur Dupont

Le personnage du sénateur Dupont, selon nous, s’inscrit dans une dynamique simplifiée entre désir, plaisir et existence. Dans L’herbe rouge, Vian met en scène une société axée exclusivement sur la recherche de la satisfaction (ou peut-être du bonheur). Le désir et son assouvissement sont les moteurs de cette société, et ils semblent produire une injonction avec laquelle le sénateur paraît tout d’abord être en parfaite adéquation. En effet, le sénateur Dupont personnage hybride, selon sa description romanesque, entre homme et chien (donc entre humanité et animalité1 Il n’est pas clairement déterminé si c’est un chien doué de parole ou un homme qui a adopté un comportement canin. Toutefois, il est selon nous nécessaire de modérer l’interprétation que l’on peut faire du statut ontologique du sénateur: souvent dans l’œuvre de Vian, il est difficile de départager ce qui est porteur de sens de la simple fantaisie romanesque.) illustre une existence entièrement axée sur la satisfaction d’un désir individuel. C’est une simplification du monde qui est à l’œuvre dans cette linéarité orientée du désir vers sa satisfaction, le plaisir. Le Sénateur veut un ouapiti:

Depuis que j’ai trois mois, dit le sénateur d’un ton confidentiel, je voudrais un ouapiti […] Ça au moins, expliqua-t-il, c’est une envie précise et bien définie. Un  ouapiti, c’est vert, ça a des piquants ronds et ça fait plop quand on le jette à l’eau. Enfin… pour moi… un ouapiti est comme ça. (Vian, 1962 [1950]:39)

Notons que l’accent est mis sur le caractère artificiel de ces désirs: ce sont des envies plastiques, qui semblent créées de toutes pièces afin de se tromper soi-même, d’avoir un but à atteindre dans une société désenchantée. Dans cet extrait, on remarque une simplification de la dynamique entre désir, plaisir et existence: le désir est un; il est indivisible, incontestable. Cela s’affirme aussi dans le caractère loufoque et totalement arbitraire du désir du Sénateur: alors qu’il affirme que c’est «une envie précise et bien définie» (Vian, 1962 [1950]: 39)], le lecteur n’a aucun référent pour le ouapiti2À ne pas confondre avec le wapiti, cervidé du nord de l’Amérique. Plus encore, la définition qu’il en fait est succincte, et il avoue d’ailleurs sa subjectivité: «Enfin… pour moi… un ouapiti est comme ça» (Vian, 1962 [1950]: 39, je souligne). Le sénateur Dupont postule également le caractère efficace, utilitaire, en quelque sorte, de la structure linéaire du but à atteindre, qui détermine son statut ontologique: «Et j’ai un but dans ma vie et je suis heureux comme ça» (Vian, 1962 [1950]: 39)]. Il va le confirmer plus loin, une fois qu’il aura obtenu ce qu’il désirait si ardemment:

Moi, je n’ai plus besoin de comprendre. C’est du contentement intégral, c’est donc végétatif, et ce seront mes paroles finales […] du moment que je suis vivant et que je ne désire plus rien, je n’ai plus besoin d’être intelligent […] Je fonctionne, dit-il. Le reste c’est de la rigolade. Et maintenant, je rentre dans le rang. Je vous aime bien, je continuerai peut-être à vous comprendre mais je ne dirai plus rien. J’ai mon ouapiti. Trouvez le vôtre. (Vian, 1962 [1950]:140)

Notons que le plaisir vécu par le sénateur alors qu’il possède enfin un ouapiti s’apparente bien plus à de la jouissance, qui le mène à un état décrit comme «végétatif»: «Bouleversé, ravi, le sénateur le suivait. Enfin son idéal se matérialisait… il s’était réalisé… Une sérénité onctueuse lui envahit l’âme et il ne sentait plus ses pieds» (Vian, 1962 [1950]:50).

Il y a donc des mouvements contraires à l’œuvre dans le roman: on observe dans cet univers futuriste une simplification du monde en même temps qu’une régression des personnages qui sont parfaitement adaptés à leur société. De surcroît, ceux-ci en viennent à constituer des modèles pour les autres protagonistes: c’est après sa conversation avec le sénateur que Wolf voudra, à son tour, trouver un désir ontologiquement structurant. Or, une fois que le but qui orientait leur existence est atteint, ils cessent tout simplement d’exister c’est pourquoi nous affirmons que le personnage du sénateur Dupont est bel et bien mort (de jouissance), aux yeux de sa communauté, ce sont par conséquent des modèles éminemment problématiques. Dans cette optique, il est impératif de définir la jouissance et, à l’instar de Silvia Lippi, qui s’inspire elle-même de Jacques Lacan, de la distinguer du désir:

Le sujet est divisé à cause des mouvements contradictoires de son désir pris dans sa course vers la jouissance. La jouissance, confondue par les anciens avec le plaisir et assimilée par Freud à la joie et à la volupté, même masochiste, prend une signification particulière chez Lacan et devient un concept-pivot: pour déployer cette notion complexe, Lacan s’inspire de la philosophie du droit de Hegel. La jouissance (Genuss) est quelque chose d’entièrement «subjectif»: elle est impossible à partager et inaccessible à l’entendement […] On peut alors simplifier la question du rapport entre désir et jouissance et soutenir, en accord avec une certaine doxa psychanalytique, que le désir s’oppose à la jouissance: le désir est ce qui fait barrage, ce qui, étant articulé à la loi, protège de la jouissance; en revanche, la jouissance serait de l’ordre de l’infini et sans méditation. (2008:11-12, je souligne)

Dans cette optique, obtenir trop rapidement l’objet du désir, c’est se suicider socialement, comme l’exemplifie le sénateur qui se retranche complètement de la société. Cette simplification de la relation entre désir, plaisir et existence, on la retrouve dans l’éducation du jeune homme, qui est présentée lorsque Wolf entre dans la machine; c’est d’ailleurs à cela que s’oppose Wolf. En effet, comme il l’affirme à monsieur Brul, un personnage qui sera, dans le récit, l’examinateur de sa vie antérieure: «Oui, j’ai cru que j’avais un but, monsieur Brul… et je n’avais rien… J’avançais dans un couloir sans commencement, sans fin, à la remorque d’imbéciles, précédant d’autres imbéciles. On roule la vie dans des peaux d’ânes» (Vian, 1962 [1950]:132). Wolf, du moins, comprend et expose clairement que l’existence ne peut être orientée selon un but unique: inévitablement, cette orientation est factice, plastique, parce qu’à elle seule, elle ne peut justifier toute une vie. Concrètement, ce fantasme projeté de la société idéale où chacun sait ce qu’il désire et qui oriente son existence vers une avenue nettement définie est inapplicable; c’est un leurre. Il s’agit d’une vision simplifiée à l’extrême de la dynamique des désirs, qui comporte elle-même, dans son accomplissement fantasmé, un paradoxe. En effet, lorsque la quête du sénateur Dupont est complétée, celui-ci s’isole complètement de la société. Le personnage du sénateur est donc éminemment problématique, puisqu’on remarque qu’à la suite d’une satisfaction trop immédiate, le moteur de l’action possible sur le monde et l’agentivité s’enrayent. Dans cette optique, il apparaît préférable de conserver un rapport asymptotique aux objets du désir ce qui compte réellement, c’est de désirer, et non pas d’obtenir ce que l’on souhaitait (peut-être est-il même préférable de ne pas l’obtenir du tout). Par conséquent, il est possible d’avancer que le personnage du sénateur Dupont illustre, par son silence qui tient de la béatitude et le condamne à mort dans l’économie narrative, son inadéquation à la société mise en scène dans l’œuvre de Vian… à moins qu’il ne s’agisse de montrer, par renversement, que c’est la société présentée resterait encore à voir les liens qui l’unissent à la nôtre qui est elle-même problématique dans ses fondements.

 

II. Saphir Lazuli

Dans un second ordre d’idées, Saphir Lazuli présente également un cas intéressant: s’il est également plutôt simple d’identifier les objets du désir de celui-ci, une résistance s’oppose à leur accomplissement, comme s’il s’agissait d’exprimer, implicitement encore une fois, l’inaptitude à décrire la dynamique des désirs dans une simplification. Lazuli, jeune mécanicien à l’emploi de Wolf l’ingénieur, doit faire l’épreuve de sa virilité. À ce sujet, il est important de souligner que c’est socialement et collectivement qu’est construite la virilité: celle-ci n’est pas uniquement la résultante d’un combat intérieur, de l’apprentissage d’un contrôle de ses pulsions; elle nécessite des agents extérieurs qui agissent à la fois comme les témoins et les juges de cette virilité en acte. Comme l’affirme Anne-Marie Sohn dans « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle3 Nous référons à l’édition suivante:SOHN, Anne-Marie, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, coll. «L’univers historique», 2009, 456 p , la virilité est bien plus que la simple intégration d’un habitus masculin: il est impératif pour le jeune homme de tester celle-ci, de la soumettre au jugement des pairs (et des pères): « Il lui faut aller au-delà des apparences et prouver qu’il est un homme par son comportement» (2009: 83). Saphir Lazuli éprouve une attraction avouée à l’égard de Folavril, une jeune femme, attirance d’ailleurs réciproque:

Pourquoi tout ça? dit Lazuli. Je veux te prendre dans mes bras et avoir le goût de framboise de ton rouge […] Une heure plus tard, tout était obscur, sauf dans un rond de soleil qui restait, où il y avait les yeux clos de Folavril et les baisers de Lazuli, à travers une vapeur qui venait de leur corps. (Vian, 1962 [1950]: 53)

Ainsi, l’attraction physique qu’ils éprouvent l’un pour l’autre se manifeste également matériellement, dans l’écriture de Vian, par un nuage de vapeur qui s’installe entre eux, qui peut rappeler les émanations gazeuses d’une machine fonctionnant à plein régime. Il est toutefois possible d’affirmer que la narration prend un ton ironique pour décrire cette attirance, de manière à souligner que le désir de Lazuli pour Folavril n’est que symétrie, mimétisme, n’a pas d’autre lieu d’être que de se conformer au modèle hétéronormatif du couple: «en somme, Saphir était amoureux de Folavril, Lil de Wolf et vice versa pour la symétrie de l’histoire». (Vian, 1962 [1950]:17)

Pourtant, l’attirance de Lazuli envers Folavril est complexifiée du fait que chaque fois qu’il éprouve ce magnétisme amoureux, la figure d’un homme entièrement vêtu de noir qui l’observe surgit:

Et puis il regarda la bouche de Folavril et ses yeux relevés aux coins comme des yeux de biche-panthère et il sentit soudain la présence de quelqu’un d’autre. Pas Wolf et Lil… Un étranger… Il regarda. Il y avait un homme à côté de lui, qui les observait […] Il pressa violemment ses yeux jusqu’à voir des taches fulgurantes, et les rouvrit. Personne. Folavril ne s’était aperçue de rien. (Vian, 1962 [1950]:14)

La présence angoissante de cet homme mystérieux, surgi de nulle part et qui se manifeste à lui seul, empêche Lazuli de se comporter normalement aux moments où il est en présence de Folavril et leur relation amoureuse naissante en pâtit. Comme l’affirme lui-même Lazuli lorsqu’il se confie à Wolf, plus âgé de quelques années, au cours d’une sortie entre garçons, «[e]n garçons pas sérieux» (Vian, 1962 [1950]:91): «Avec elle, dit Lazuli, j’ai des embêtements. Je ne suis jamais seul. Toutes les fois que je commence à m’occuper d’elle sexuellement, c’est-à-dire avec mon âme, il y a un homme» (Vian, 1962 [1950]:92). Au cours de cette soirée, qui reprend d’ailleurs plusieurs des caractéristiques de cette virilité construite par le groupe telle qu’elle est décrite par Sohn (alcool, maison close, déambulations nocturnes, duels, jeux d’adresse et épreuves physiques) (Sohn, 2009: 83-136), on remarque que Lazuli tente d’affirmer sa virilité. Au cœur de cette épopée nocturne, les compagnons se prêtent entre autres au jeu de la «saignette», qui consiste à tirer des fléchettes d’une pipe (style sarbacane) sur le corps nu et impubère d’adolescentes et d’adolescents aux membres ligotés4 Ce tableau n’est pas sans rappeler l’iconographie de Saint-Sébastien, martyr qui, dès la Renaissance est considéré comme symbole homoérotique, puis comme une icône homosexuelle au XIXe siècle. Cette lecture vient ainsi enforcer la violence sexuelle virile du jeu de la saignette.. Cet exercice de la domination des corps rendus impuissants qui se présente de façon ludique domination des corps présentés comme les objets du plaisir tiré de la douleur ressentie par ces cibles humaines et des blessures qui leur sont infligées est joué dans un établissement où des marins s’enivrent d’alcool d’ananas bouillant. Lazuli, plus jeune que son collègue, est tenté par l’expérience alors que Wolf, pour sa part, se désiste. Saphir Lazuli souhaite affirmer sa virilité, malgré sa réticence morale, par sa participation au jeu d’adresse; démontrer qu’il est homme par le plaisir qu’il est en mesure de retirer de ce jeu de pouvoir pervers issu de la domination de ceux et celles en situation d’impuissance: «Lazuli hésitait. “J’ai très envie d’essayer, dit-il à Wolf. Mais je ne suis pas tellement sûr d’aimer ça autant qu’eux”» (Vian, 1962 [1950]:102).

«Eux», les marins Sandre et Berzingue, jouissent de la saignette au sens propre du mot:«Sandre avait lancé ses dix aiguilles. Ses mains tremblaient et sa bouche déglutissait doucement. On ne voyait plus que le blanc de ses yeux. Il eut une sorte de spasme et se laissa aller en arrière dans son fauteuil de cuir» (Vian, 1962 [1950]:103). La description du puissant orgasme d’un des marins nous renseigne sur le caractère éminemment sexuel du jeu. Alors que ces derniers y tirent satisfaction (et y tirent littéralement leur coup), Lazuli est une nouvelle fois hanté par l’inquiétante présence de l’homme vêtu de noir: ce dernier apparaît juste au moment où il allait s’essayer à la saignette. Comment interpréter cette angoisse incarnée, née de la chair et faite chair? Est-ce l’angoisse personnifiée de la performance, au sens de performer dans l’acte sexuel lui-même ou plutôt de la performance d’une identité masculine virile, sans cesse à affirmer, d’un rôle viril à jouer ?5 Au sujet du caractère itératif de la performance de l’identité de genre, nous renvoyons aux travaux de BUTLER, Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Cynthia Krauss, Paris, La Découverte, 2006 [1990], 283 p. Dans tous les cas, cette angoisse mène à l’impuissance la plus complète chez Lazuli, lui-même une machine suicidaire qui se détraque.

Au moment de rejoindre Folavril dans la chambre pour sa dernière apparition du roman, Lazuli est décrit virilement, dans un élégant mélange de beauté masculine, de force physique, de dureté minérale (qui font écho à son nom) et de mystère:

Il se découpait sur le panneau de vide, avec ses cheveux sablés, ses épaules larges et sa taille mince. Il portait sa combinaison de toile cachou et la chemise ouverte. Ses yeux étaient gris comme le gris métallique de certains émaux sa bouche bien dessinée avec une petite ombre sous la lèvre inférieure, et les lignes de son cou musclé donnaient au col de sa chemise un mouvement romantique. (Vian, 1962 [1950]:150).

Notons que le corps masculin est décrit pour la première fois dans cet extrait, alors que les corps féminins sont peints à de nombreuses reprises dans le roman. Lazuli tente, pour une ultime fois, de faire l’épreuve de sa virilité, d’intégrer son rôle masculin qui est, dans la logique du roman, si l’on prend l’exemple du sénateur Dupont, de donner libre cours à ses pulsions, à ses désirs, alors que jusqu’à ce point, ses tentatives avaient échoué. Inévitablement, l’homme en noir apparaît à Lazuli lorsque ce dernier et Folavril se dénudent. Or, Lazuli tente cette fois-ci d’attaquer l’apparition menaçante, à l’aide d’un poignard dissimulé sous sa combinaison:

D’un geste vif de la main gauche, il crocha le col de l’homme et le coucha sur le lit. Il se sentait une force sans limites […] Alors, sauvagement, il le poignarda au cœur, par-dessus le corps de Folavril qui murmurait des mots de calme […] Il avait dans tous ses muscles une puissance sauvage prête à bouillir. Il éleva sa main devant ses yeux pour voir si elle tremblait. Elle était dure et tranquille comme une main d’acier. (Vian, 1962 [1950]:154-155)

Dans cette épreuve violente où l’accent est mis sur la force physique presque animale de Lazuli qui brandit le couteau, qui peut être vu comme un symbole phallique, en rappel de l’activité prévue qui se transforme soudainement en activité meurtrière, comme l’affirmation d’une masculinité puissante, il est possible d’observer que le jeune homme se bat afin de prouver sa virilité, dans le but d’avoir le dessus sur son rival et d’ainsi «mériter» l’amour de Folavril (ou plutôt, afin de pouvoir en jouir tout à fait). Toutefois, suite à ce premier combat, d’autres hommes surgissent, identiques au premier, identiques à Lazuli lui-même, comme le remarque Folavril lorsqu’elle aperçoit les cadavres épars dans la pièce. C’est par conséquent au cours d’un affrontement contre lui-même que le jeune homme fait l’épreuve de sa virilité. Or, c’est un combat constant et sans issue: chaque fois que Lazuli parvient à tuer l’une des apparitions, une autre émerge comme autant de rappels d’une inquiétante étrangeté au sens freudien, un «refoulement en angoisse» (Freud, 1985 [1919]: 245), «quelque chose de refoulé qui fait retour» (Freud, 1985[1919]:246). Freud aborde d’ailleurs, dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, le motif du double, qui fait émerger l’inquiétante étrangeté, «de sorte qu’on ne sait plus à quoi s’en tenir quant au moi propre, ou qu’on met le moi étranger à la place du moi propre donc dédoublement du moi, division du moi, permutation du moi…» (Freud, 1985 [1919]: 236) Submergé par ces manifestations usurpatrices de son moi, Lazuli retourne son arme contre lui-même. Dans cette optique, on peut observer que faire l’expérience de l’altérité implique également, et littéralement dans L’herbe rouge, l’introduction d’une certaine forme d’altérité dans le sujet lui-même. C’est l’exploration d’une altérité intrinsèque qui est dépeinte dans la scène entre Lazuli et Folavril: la rencontre avec l’autre produit invariablement une division du moi, un dédoublement. À ce sujet, il est possible d’avancer que l’onomastique de Saphir Lazuli préfigure ce dédoublement: le saphir est une gemme (et l’une des quatre variétés de pierres précieuses) et le lapis-lazuli une pierre ornementale; autant de prismes qui favorisent l’éclatement de la lumière les traversant, comme si les désirs de Lazuli, qui le parcourent violemment lors de ses premières expériences sexuelles, révélaient toutes les facettes de son être et laissaient apparaître le morcellement de son identité. Répétons ici ce que disait Lippi à propos du désir et de la jouissance: «Le sujet est divisé à cause des mouvements contradictoires de son désir pris dans sa course vers la jouissance» (2008:11). Ainsi, L’herbe rouge permet d’entrevoir que le rapprochement asymptotique de l’altérité désirée résulte en un éclatement du sujet. De cette manière, alors qu’effectivement tout était sans danger lorsque Lazuli acceptait cette division intrinsèque, le véritable problème survient lorsqu’il tente non pas d’unifier les facettes de son identité, mais de supprimer toutes celles qui ne cadrent pas avec une image indivisible, monolithique: la tentative de simplification de son identité (par la satisfaction violente d’un désir qui mène à une finalité) résulte en la mort du sujet. Comme l’affirmera Wolf alors qu’il discute avec Lil, sa femme:

[O]n ne peut pas être dans la peau d’un autre. Ça fait deux. Tu es complète. Toi entière, c’est trop; et tout vaut d’être gardé, alors il faut bien que tu sois différente. / Mets-toi dans ma peau avec moi, dit Lil. Moi je serai heureuse, rien que nous deux. / C’est pas possible, dit Wolf. On ne peut pas se mettre dans la peau d’un autre sauf en le tuant et en l’écorchant pour la lui prendre. / Écorche-moi, dit Lil. / Après, dit Wolf, je ne t’aurai pas plus; ça sera toujours moi dans une autre peau. (Vian, 1962 [1950]: 142)

Ce passage, mis en parallèle avec la scène entre Lazuli et Folavril, tente-t-il d’induire que l’amour est sans issue pour les hommes du roman? Il semble possible d’affirmer que Lazuli et Wolf croulent sous la pression d’exercer leur puissance masculine: ils peinent à s’intégrer au modèle présenté par leur société (et idéalisé de manière problématique par le sénateur Dupont) et succombent faute de pouvoir s’intégrer. Pourtant, on remarque que si c’est la simplification de l’identité (et des désirs) qui est mortifère, le désir de l’insatisfaction peut être le moteur permettant de résister à une pulsion de mort. Ainsi, comme l’affirme Isabelle Dhonte à propos du désir, «[s]on temps est celui du différé, de la projection, et sa présence est de l’ordre d’une présence hallucinée. Le désir est toujours désir de, désir de quelque chose ou de quelqu’un» (2010 :122).

 

III. Wolf et la machine

Le jeune homme de demain devra apprendre à composer avec la technologie qui, de façon exponentielle, tend à devenir un prolongement de son être. La machine présentée par Vian dans L’herbe rouge est une extension qui prend racine à celui qui l’utilise, dans l’optique où elle déploie intérieurement le théâtre du passé de ses utilisateurs. Seulement, il est possible d’affirmer que cet homme augmenté par l’usage de la technologie est envisagé de manière pessimiste par l’auteur: on a l’impression qu’une certaine circularité, plutôt qu’un progrès, est engagée dans la recherche d’un futur à travers l’introspection du passé. L’avenir mis en scène par Vian est caractérisé par une absence de repères, d’un point d’ancrage d’où l’on pourrait avancer. En effet, L’herbe rouge présente une machine à remonter le temps peu ordinaire dont l’objectif principal consiste à effacer les souvenirs de ses utilisateurs. Seulement, avant d’atteindre le vide recherché, il est nécessaire d’entreprendre un voyage psychique et de revivre ces souvenirs, de les interroger (sur le modèle de la pratique psychanalytique, c’est-à-dire que Wolf ne va pas explorer concrètement sa mémoire, mais plutôt l’interroger à l’aide de représentants qui sont différents pour chacune des étapes de son éducation) afin de confirmer la volonté de leur suppression. En effet, la machine, lorsqu’on l’utilise, permet d’interroger la mémoire, mais elle l’efface aussitôt qu’elle est réactualisée. Dans cette optique, le futur est aboli pour les utilisateurs de la machine, puisqu’il tire son potentiel, son existence même, du
passé d’où il est issu. Au sujet de la machine, Jean-Marc Gouavnic affirme que «[l]’existence de la machine de L’herbe rouge modifie complètement le récit. C’est […] l’un des personnages principaux de l’œuvre. Elle est aussi indispensable au récit que Wolf lui-même. Sans elle, il ne se passerait peut-être rien» (1975: 100). Pourtant, force est de constater que la machine est essentiellement un défouloir pour Wolf: si le jeune homme y dresse le procès des institutions de son éducation de jeune homme, accuse ses parents, ses professeurs, les religieux, ses amantes, etc., ce n’est en aucun cas une proposition de réforme du système et des institutions en place: ce qui se passe dans cette machine à voyager dans le temps est infécond, n’a aucun effet concret pour la suite des choses.

Dans cette optique, le roman de Vian n’échappe pas tout à fait à une certaine conception de la virilité dont le moteur principal serait la révolte: s’élever en tant qu’homme, c’est d’abord s’élever contre quelque chose (et contre soi-même, en premier lieu). Comme l’affirme Foucault, dans le second volume de son Histoire de la sexualité:

[Le désir sexuel] constitue un domaine privilégié pour la formation éthique du sujet: d’un sujet qui doit se caractériser par sa capacité à maîtriser les forces qui se déchaînent en lui […] Le régime physique des plaisirs et l’économie qu’il impose font partie de tout un art de soi. (1984 :183) 6 Nous référons à l’édition suivante: FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité II. L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1984, 339 p.

Or, c’est une machine inutile, au fonctionnement circulaire. Wolf se révolte, mais sa révolte n’a aucun effet sur la réalité excepté l’effacement progressif de son identité par la suppression de ses souvenirs, c’est-à-dire des différentes facettes qui composent son identité. Elle s’oppose par conséquent au progrès de ses usagers dans l’Histoire, parce qu’elle ne fonctionne pas dans le sens où ceux-ci réinvestiraient leurs souvenirs pour régler quelque chose du passé, pour progresser vers l’avenir; éliminer certaines choses pour bâtir du neuf; déconstruire pour mieux reconstruire. Wolf, le personnage principal, n’a pas de désirs parce qu’à un âge trop jeune, il a été déçu par la vie factice, sans envergure, qu’on lui a proposée:

J’accuse mes maîtres, dit Wolf, de m’avoir par leur ton et celui de leurs livres, fait croire à une immobilité possible du monde. D’avoir figé mes pensées à un stade déterminé […] et de m’avoir fait penser qu’il pouvait exister un jour, quelque part, un ordre idéal. (Vian, 1962 [1950]: 135)

Il tente par conséquent de faire sens de cette absence de désirs et de l’ordre pétrifié du monde à l’aide de la machine, qui est une arme à double tranchant: si elle permet d’interroger les souvenirs et d’en faire le bilan, elle est également celle qui les supprime:

«Et ta vieille machine horrible? dit Lil. / Ça me fait peur, murmura Wolf. La façon dont on repense aux choses là-dedans…»/ Il eut une crispation de déplaisir dans la région du cou. / «C’est fait pour oublier, mais d’abord on repense à tout. Sans rien omettre. Avec encore plus de détails. Et sans éprouver ce qu’on éprouvait.» (Vian, 1962 [1950]: 141)

On retrouve ici un motif paradoxal qui réapparaît tout au long du récit: l’invention investigue et fait jaillir du sens, pour ensuite abolir le référent même d’où ce savoir provient au sens progressif, c’est une machine inutile. Dans cette optique, le jeune homme à venir est sans doute comme Wolf, à la recherche de sens dans un univers désenchanté, où l’initiation à la vie de jeune homme est une mascarade, un écran opaque, mais mal ajusté et placé devant un vide existentiel.

Wolf, souhaite néantiser sa mémoire. On le sait anticonformiste; c’est un personnage masculin problématique dans la société dans laquelle il évolue: «Ce n’est pas de travailler qui me rend fou, dit Wolf. Je le suis naturellement. Pas exactement fou, mais mal à mon aise» (Vian, 1962 [1950]: 35). C’est un jeune ingénieur (c’est d’ailleurs lui qui construit, avec l’aide de Lazuli, son mécanicien, la machine) qui semble sans cesse en décalage avec le monde qui l’entoure:

Wolf fit un brin de toilette […] Se lava les mains, laissa pousser sa moustache, constata que ça ne lui allait pas, la coupa sur-le-champ et noua sa cravate d’une autre, plus volumineuse, façon, car la mode venait de changer. Puis, au risque de le choquer, il prit le couloir en sens inverse. (Vian, 1962 [1950]: 23)

Seul et mélancolique, il décide de rayer de sa conscience des instants de son enfance; il doit par conséquent revisiter les scènes constitutives de sa formation de jeune homme. Le roman de Vian, à l’instar de l’ensemble de son œuvre littéraire, présente un personnage principal désintéressé, apathique. Une dynamique entre les souvenirs du personnage et ses désirs (ou plutôt son absence de désir, mise en relation avec ses espoirs déçus) s’établit peu à peu, ce qui permet au lecteur de saisir les causes de cette absence d’agentivité. L’ambiguïté du personnage de Wolf tient au fait qu’il est capable de résister à ses désirs, tellement, qu’en fin de compte, il en est dépossédé.

À travers le motif du double, Wolf et Lazuli présentent une identité morcelée qui ne pourrait être unifiée que par la simplification au plus petit commun dénominateur du désir (à l’instar du sénateur Dupont). Ainsi, Wolf, sous le signe de la révolte et de la remise en question des institutions, revisite son passé dans l’étrange machine: il se rencontre lui-même, par effet de dédoublement temporel à plusieurs étapes de son éducation masculine (parentale, scolaire, religieuse et amoureuse). Par la multiplication de ces présences archaïques, le roman instaure un développement plus complet de l’identité du protagoniste. Ainsi, la quête de Wolf serait de tenter d’unifier les facettes d’un moi qui a cessé d’être, dans un acte désirant. Cet éparpillement identitaire est également mis en lumière dans le roman par la scène du miroir, au tout début du récit:

Là, dans un coin, il y avait, sur quatre pieds, un grand miroir d’argent poli. Wolf s’approcha et s’étendit de tout son long, la figure contre le métal, pour se parler d’homme à homme. Un Wolf d’argent attendait devant lui. Il pressa ses mains sur la surface froide pour s’assurer de sa présence. (Vian, 1962 [1950]: 21)

Wolf est ainsi présenté comme un personnage à l’identité diffuse, sans cesse confronté à lui-même, à ce qu’il est et à l’image qu’il projette; une indécision qui ne cadre pas avec l’affirmation claire des désirs et la recherche de leur accomplissement, l’idéal viril dominant de la société du roman, le je veux ceci et tout de suite du sénateur. À ce sujet, il peut être intéressant de penser le personnage de Wolf en ayant en tête l’approche lacanienne du stade du miroir:

Ce corps morcelé, dont j’ai fait aussi recevoir le terme dans notre système de références théoriques, se montre régulièrement dans les rêves, quand la motion de l’analyse touche à un certain niveau de désintégration agressive de l’individu […] Corrélativement la formation du je se symbolise oniriquement par un camp retranché, voir un stade, distribuant de l’arène intérieure à son enceinte, à son pourtour de gravats et de marécages, deux champs de lutte opposés où le sujet s’empêtre dans la quête de l’altier et lointain château intérieur, dont la forme (parfois juxtaposée dans le même scénario) symbolise le ça de façon saisissante. (Lacan, 1966: 97) 

Ainsi, pour exister, le sujet a besoin d’une forme, d’une structure fixe pouvant le soutenir: l’image que l’on se fait de soi-même dans le miroir constitue cette assise servant de réceptacle subjectivant. Or, dans L’herbe rouge, on observe que Wolf présente une identité qui se dédouble dans le miroir, parce qu’elle est continuellement trop consciente de la distance «asymptotique» 7 Nous reprenons ici le terme employé par Lacan dans LACAN, Jacques, «Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous l’est révélée dans l’expérience psychanalytique. Communication faite au XVIe congrès international de psychanalyse, à Zürich, le 17 juillet 1949», dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 93-100 entre le sujet dans son être-même et l’image projetée:

Une solution qui vous démolit vaut mieux que n’importe quelle incertitude.T’es pas d’accord ? / Pas d’accord, répéta le reflet. / Ça va, dit Wolf, brutalement. C’est moi qui ai parlé. Tu ne comptes pas. Tu ne me sers plus à rien. Je choisis. La lucidité. Ah ! Ah ! Je cause majuscule. (Vian, 1962 [1950]: 23)

Cette «surconscience» permettant à Wolf de se parler à lui-même «d’homme à homme» (Vian, 1962 [1950]: 21) illustre l’étiolement de son identité, d’ailleurs mis en évidence dans le texte: il s’approche tout d’abord du miroir simplement dans le but de «s’assurer de sa présence» (Vian, 1962 [1950]: 21). Toutefois, on observe déjà dans cet extrait la volonté de Wolf d’unifier son identité: il ne prend pas en compte l’avis antagoniste de sa réflexion8 «Réflexion» est à entendre aux sens à la fois de reflet et de pensée: au cours de cette scène du miroir, il est possible d’affirmer que l’un des aspects majeurs de la poétique de Vian dans L’herbe rouge est de présenter un univers où les différentes facettes de notre identité nous sommes tous et toutes, en effet, divisé.e.s à l’instar de Lazuli et des hommes en noir, sont incarnées. Le roman présente une réalité où la division inhérente à chaque individu est matérialisée, mais tente plutôt de la faire taire.

L’objectif de Wolf, semble-t-il, consiste à unifier son identité par l’accès à un désir; c’est donc dans cette optique qu’il revisite son passé. S’instaure alors une dynamique entre le souvenir (déception de l’enfance, haine de l’inutile), et l’absence de désir: d’avoir trop été déçu (et trop tôt), le garçon devenu homme n’espère plus, ne désire plus. Par exemple en ce qui a trait à la religion, Wolf affirme sa désillusion envers la proposition d’un monde manquant d’envergure, de magie, peut-être: «On prend les gosses trop tôt […] On les prend à un âge où ils croient aux miracles; ils désirent en voir un; ils n’en ont pas et c’est fini pour eux […] Vous avez une religion de petit garçon» (Vian, 1962 [1950]: 119-120). Ainsi, la révolte du jeune homme s’exerce sur deux niveaux: déception infantile et accusation d’une institution de l’inutile, du faux, des prodiges bon marché. Le motif de l’invention artificielle de l’inutile, d’un être-au-monde factice, réapparaît par rapport à cette même religion que Wolf accuse: «J’ai été déçu par les formes de votre religion, dit Wolf. C’est trop gratuit. Simagrées, chansonnettes, jolis costumes… le catholicisme et le music-hall, c’est du pareil au même» (Vian, 1962 [1950]: 121).

Ce désintérêt généralisé est également intimement lié à l’enfance du personnage, à la constitution de Wolf en homme par l’apprentissage de la virilité. En effet, son passage de l’adolescence à l’âge adulte passe par un combat entre la dureté et la mollesse de son corps, mais également de son attitude: «Il y a plusieurs choses distinctes. Mon désir de vaincre ma mollesse et mon sentiment que j’étais redevable de cette mollesse à mes parents, et la tendance de mon corps à se laisser aller à cette mollesse» (Vian, 1962 [1950]: 80). C’est donc à travers cette lutte que Wolf s’affermit, qu’il développe ses caractéristiques viriles. En effet, la conception de la virilité a longtemps été développée en traçant un parallèle entre la fermeté du corps et celle de l’esprit: contrôler son corps, c’est d’abord et avant tout maîtriser la médiation entre son intériorité et le monde extérieur, en même temps que dominer l’image de soi que l’on projette (image qui, rappelons-le, n’est pas contrôlée par Wolf adulte: son reflet dans le miroir est en désaccord avec ce qu’il affirme). Toutefois, si Wolf s’exerce à la masculinité par une opposition à la loi parentale surprotectrice, force est de constater que le résultat obtenu est peu concluant:

[P]eu à peu, je me suis construit un monde à ma mesure… sans cache-nez, sans parents […] et j’y errais, infatigable et dur, le nez droit et l’œil aigu […] Je m’y entrainais, des heures, derrière une porte et il me venait des larmes douloureuses que je n’hésitais pas à répandre sur l’autel de l’héroïsme; inflexible, dominateur, méprisant […] Sans me rendre compte un instant que je n’étais qu’un petit garçon assez gras et que le pli méprisant de ma bouche, encadré par mes joues rondes, me donnait tout juste l’air de retenir une envie de faire pipi. (Vian, 1962 [1950]: 82)

C’est par conséquent une parodie de virilité qui est mise en scène dans le roman de Vian. Il n’y a pas de réel accès à un état autre: on fait sans cesse l’homme sans jamais l’être véritablement.

Au cœur de la machine, Wolf fait la rencontre de M. Perle, qui sera l’examinateur principal de sa vie passée, selon un programme clairement défini: «Le plan est évident […] 1° Rapports avec votre famille; 2° Travail d’écolier et études postérieures; 3° Premières expériences en matière de religion; 4° Puberté, vie sexuelle d’adolescent, mariage éventuel; 5° Activité en tant que cellule d’un corps social…»(Vian, 1962 [1950]: 75). C’est donc ce strict parcours préétabli que suivra Wolf dans la machine. Notons que les examinateurs masculins rencontrés un pour chaque étape constitutive de la vie de jeune garçon incarnent tour à tour la loi institutionnelle et la loi du père. Ainsi se succèdent M. Perle, l’abbé Grille, M. Brul l’instituteur, Mlle Aglaé et Mlle Héloïse, infirmières, et finalement leur nièce Carla. Il est intéressant de remarquer que d’une part, les hommes présentés dans le roman sont les représentants d’une institution qu’ils incarnent à eux seuls, verticalement en quelque sorte, tandis que de l’autre, les femmes forment une communauté, à l’instar des deux jeunes femmes, Lil et Folavril, qui survivront aux personnages masculins. En tant qu’infirmières9 Par ailleurs, notons qu’il est plutôt ironique de parler d’amour avec des représentantes de l’institution médicale. De ce fait, ce choix montre encore plus clairement l’inadéquation du système éducatif présenté au jeune homme dans le roman., on peut dire qu’Aglaé et Héloïse représentent l’institution médicale, mais par leur union, elles s’éloignent du modèle solitaire de l’homme seul avec lui-même ou plutôt, seul contre lui-même présenté dans le roman. En effet, à la toute fin du récit, alors que Wolf et Lazuli combattent en solitaires des forces qui leur échappent (mais qui sont constitutives de leur identité divisée), les personnages féminins, Lil et Folavril se rejoignent dans le malheur de la perte de leurs compagnons respectifs et s’unissent afin de former une communauté: «On va aller au spectacle, sitôt qu’on sera arrivées, dit Lil. Il y a des mois que je ne suis pas sortie./ Oh! oui, dit Folavril. J’en ai tellement envie. Et puis on se cherchera un joli appartement.» (Vian, 1962 [1950]:194) Dans cet extrait Lil et Folavril font enfin ce qu’elles désirent parce qu’elles sont débarrassées du fardeau de leurs compagnons: c’est le triomphe futur d’un univers de désirs multiples, mais duquel les hommes tels que Wolf et Lazuli, et dans une certaine mesure, le sénateur Dupont, sont exclus. Notons que leur mort est présentée par les deux jeunes femmes qui leur survivent, Lil et Folavril, comme une simplification, un mal pour un bien (ou un mâle pour un bien), pour la suite de l’histoire: «Dieu! dit Lil. Comment a-t-on pu vivre si longtemps avec des hommes./ C’est de la folie, approuva Folavril» (Vian, 1962 [1950]: 194).

Il apparaît donc essentiel, pour évoluer dans l’univers présenté par Vian, d’avoir des désirs multiples: l’objet du désir ne doit en aucun cas être fixé sur un seul élément. Plus encore, il est crucial de ne pas obtenir ce que l’on désire. En ce sens, la complétude de la satisfaction tue l’homme: comme Wolf l’affirmera à Lil, sa femme, par rapport au sénateur Dupont, qui a finalement obtenu le ouapiti qu’il désirait si ardemment: «Note bien qu’il y a deux façons de ne plus avoir envie de rien: avoir ce qu’on voulait ou être découragé parce qu’on ne l’a pas […] C’est la béatitude. Lui, c’est parce qu’il a ce qu’il voulait. Je crois que dans les deux cas, ça finit par l’inconscience.» (Vian, 1962 [1950]:140) Ici, Wolf fait la synthèse du destin des deux autres personnages abordés précédemment: tout d’abord, le sénateur Dupont n’a plus envie de rien parce qu’il a obtenu son ouapiti; par la suite, Lazuli se donnera la mort parce qu’il sera incapable d’étreindre Folavril.

La fin du roman est équivoque. À travers sa haine de l’inutile («Je vais céder à mes instincts, dit-il, emphatique. Pour la première fois. Non, la seconde, c’est vrai. J’ai déjà cassé un saladier de cristal 10 L’épisode de la destruction du saladier de cristal, placé peu avant dans le récit, peut renvoyer, allégoriquement, à la suppression des facettes multiples de l’identité, comme nous l’avons vu pour Lazuli. Le rapport à la minéralité et à la capacité des prismes (saphir, lapis-lazuli et cristal) de refléter, en la décomposant, la lumière est selon nous essentiel à la compréhension du roman et nécessiterait une analyse plus approfondie . Vous allez voir se déchaîner une passion dominante de mon existence: la haine de l’inutile»(Vian, 1962 [1950]:187)), Wolf a supprimé tous ses souvenirs: par conséquent, il se suicide. En effet, il est impossible de vivre vidé de toute sa mémoire, comme le protagoniste le pressentait suite à quelques incursions dans la machine à remonter dans le temps:

Rien de ce qu’il avait vu ne restait dans sa tête. Il était ivre, comme déséquilibré. Pour la première fois, il se demanda si l’on pouvait continuer à vivre après avoir détruit tous ses souvenirs. Ce ne fut qu’une idée fugace, qui le traversa l’espace d’un instant. Combien de séances lui faudrait-il encore? (Vian, 1962 [1950]:178).

Par son suicide, il supprime également la machine, sa propre création: celle-ci est intimement liée à Wolf; peut-être s’abreuve-t-elle de ses souvenirs:

La fosse qui avait reçu les souvenirs béait, obscure,[…] un liquide sombre l’emplissait presque maintenant. On commençait à distinguer sur le métal des montants, des traces de corrosion, étrangement profondes […] Le vaste quadrilatère demeurait désert, et la grande machine d’acier se décomposait doucement au gré des orages du ciel. (Vian, 1962 [1950]:191-192)

Ainsi, suite à la mort de Wolf, la machine, d’ailleurs décrite comme une «fosse», l’endroit où l’on jette les cadavres, tombe en désuétude; la végétation, composée en grande partie d’herbe rouge, reprend indolemment la place occupée, le temps du roman, par la froide mécanique. Ainsi, c’est une technologie qui, si l’on suit son fonctionnement jusqu’au bout, sert à se suicider. De cette manière, celle-ci est radicalement opposée à toute forme de progrès excepté pour une chose: elle élimine les individus inaptes, ceux qui se montrent incapables de cadrer avec l’ordre établi. Ainsi, à plusieurs égards, la machine de L’herbe rouge fonctionne sensiblement comme l’appareil de la nouvelle de Kafka Dans la colonie pénitentiaire (Kafka, 1979): elle se saisit du corps des individus pour y tracer sa loi (littéralement dans la nouvelle de Kafka); c’est une mécanique sacrificielle et punitive. En effet, il est possible de penser les deux mécanismes comme des «machines célibataires», au sens développé par Michel Carrouges: «Le mythe des machines célibataires signifie de façon évidente l’empire simultané du machinisme et du monde de la terreur» (Carrouges, 1954: 24). Par conséquent, il s’agit de machines qui visent une suppression de l’homme; en somme, des mécaniques de maintien de l’ordre établi qui se suffisent à elles-mêmes. Dans le dernier chapitre de son ouvrage, intitulé «La traversée du miroir», Carrouges précise sa pensée:

Elles nous apparurent d’abord comme machines célibataires et machines de mort. Elles ne semblaient nées que pour détruire le pouvoir de vie et la vie elle-même […] À mesure que se développe devant nous le réseau de ces grandes énigmes, on voit davantage se multiplier les significations célibataires et meurtrières de ces machines, mais en même temps se produit un retournement magique par lequel l’irruption de la mort, loin d’être terminale, s’affirme l’entrée dans les domaines interdits. (Carrouges, 1954: 207-208)

Dans cette optique, parce qu’il a finalement donné libre cours à son désir, en se suicidant, Wolf en vient à cadrer de manière perverse avec la logique de l’efficience de l’existence préconisée dans la société du roman: l’ordre établi suit son cours. En accédant à la satisfaction d’un désir (et selon la logique de l’œuvre, un désir signifie un but dans la vie; l’existence est justifiée du fait qu’elle s’oriente vers un désir), il est possible d’affirmer que Wolf rentre dans le rang semblablement au sénateur Dupont: «Un mort, continuait Wolf, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet quand on est pas mort […] et si on se débarrasse alors de ce qui vous gêne… de soi-même… on touche à la perfection. Un cercle qui se ferme» (Vian, 1962 [1950]:189-190). Dans cette optique, en se suicidant, le jeune homme laisse libre cours à ses désirs, et les muscles de son corps se détendent, à l’instar de l’effet du plaisir charnel. À ce sujet, notons que Carrouges insiste sur le caractère libidinal des machines célibataires présentées par Franz Kafka (1919) et Marcel Duchamp (1915): «Leurs deux grandes machines ont d’abord ce caractère du mythe du célibat par le fait qu’elles représentent sous un aspect mécanique et noir le processus sexuel[…] Elles signifient une attitude tout à fait particulière à l’égard de l’érotisme» (Carrouges, 1954: 40). Ainsi, la machine dont se sert Wolf afin d’investiguer ses souvenirs tisse un lien important entre la jouissance de la satisfaction de la réalisation d’un désir et la jouissance sexuelle. Par la suite, Wolf anticipe fictivement le saisissement de son corps mort par l’institution, un corps qui, finalement, se conformera à sa société:

Quoi de plus seul qu’un mort… Mais quoi de plus tolérant? Quoi de plus stable… hein, monsieur Brul, et quoi de plus aimable? Quoi de plus adapté à sa fonction… de plus libre de toute inquiétude […] On se débarrasse de ce qui vous gêne […] et on en fait un cadavre. Ça c’est une opération fructueuse. Un coup double. (Vian, 1962 [1950]:189)

Si les désirs, et le fait de se battre contre eux et contre soi-même sont constitutifs du sujet, que se passe-t-il lorsqu’il y a absence de désir, en raison d’une trop grande maîtrise de soi? Wolf répond à cette question à la toute fin du roman, avant de se jeter dans un abîme mortel: «J’ai toujours pu résister à mes désirs […] Mais je meurs de les avoir épuisés» (Vian, 1962 [1950]:191). C’est donc de manière ambiguë que le dernier acte du personnage principal est finalement d’accéder à une sorte de plaisir béat parce qu’il a laissé libre cours à son désir. Toutefois, par ce premier acte d’agentivité, Wolf se donne la mort. Le problème reste insoluble, puisqu’en commettant ce suicide, Wolf se retrouve comme le sénateur Dupont, dans un état proche de la béatification qui réduit au silence ceux qui accèdent à leurs désirs.

Dans cette optique, peut-on affirmer que le mécanisme de la masculinité, basé sur un certain rapport viril aux désirs (qui se développe dans la volonté d’être satisfait), est exposé dans sa circularité et son absurdité, se retourne en quelque sorte contre lui-même? Le mythe viril, tel que proposé par Jean-Jacques Courtine dans l’introduction au troisième tome de l’Histoire de la virilité, ne parvient plus à se déployer: c’est par cette fiction futuriste qu’on sent le détachement entre le mythe d’origine et son application grotesque dans le présent. L’auteur reprend d’ailleurs la formule de Françoise Héritier, qui qualifie la virilité de «”modèle archaïque dominant” […] un socle anthropologique de représentations extrêmement anciennes mais toujours présentes» (Courtine, 2011 :8). Trop éloignées temporellement, les mutations culturelles du mythe de la virilité sont toujours agissantes dans le récit de Vian; seulement, les personnages du récit nous permettent d’en étudier les rouages: comme souvent, la présentation d’un modèle détraqué nous force à réfléchir au modèle d’origine, découvre des taches d’ombre insoupçonnées. Peut-on lire à travers l’écriture du détraquement de L’herbe rouge le spectre d’une virilité en crise, l’essoufflement d’un mythe devenu assez détaché du réel pour l’analyser, bref, un mythe devenu impuissant ?

L’herbe rouge présente par conséquent un monde futuriste où les idéaux virils traditionnels ou plutôt seulement les jeunes hommes multidimensionnels ont peine à s’imposer. On le voit à la fin du récit: Lazuli et Wolf périssent ils sont évacués de l’univers fictionnel parce qu’ils ne parviennent pas à s’y intégrer. C’est donc que les jeunes hommes présentés ne s’inscrivent pas dans l’avenir envisagé par Lil et Folavril. Le pénultième et l’ultime chapitre du roman sont d’ailleurs assez cyniques à ce sujet: «Mon rêve, dit Folavril en réfléchissant, mon rêve ça serait d’épouser un pédéraste avec plein d’argent» (Vian, 1962 [1950]:192). La virilité est donc évacuée des hommes à venir. Elles imaginent finalement le jeune homme idéal, à leur sens, l’homme de demain:

Et puis, plus d’hommes sérieux, dit Folavril./ Non, dit Lil. Rien que des affreux coureurs. Des qui dansent, qui s’habillent bien, qui soient bien rasés et qui aient des chaussettes en soie rose./ Ou en soie verte, pour moi, dit Folavril./ Et des voitures de vingt-cinq mètres de long, dit Lil./ Oui, dit Folavril. Et on les fera ramper./ Sur les genoux. Et à plat ventre. Et ils nous paieront des visons, des dentelles, des bijoux et des femmes de ménage./ Avec des tabliers d’organdi./ Et on ne les aimera pas, dit Lil. Et on leur en fera voir. Et on ne leur demandera jamais d’où vient leur argent./ Et s’ils sont intelligents, dit Folavril, on les plaque./ Ça va être merveilleux… (Vian, 1962 [1950]:191-192)

 

En conclusion de L’herbe rouge, ce sont donc les femmes qui, jusqu’alors des personnages plus ou moins secondaires, prennent la parole, agissent, esquissent les projets d’un avenir qui leur appartient. Elles proposent ainsi un nouvel idéal. Nous pouvons nous interroger sur cette proposition: à bien des égards, le modèle rêvé des hommes-pantins de Lil et Folavril dessine des individus dont l’identité est aussi cristallisée que celles de Wolf et Lazuli (ce dernier présentant littéralement une minéralisation préméditée par son onomastique du sujet, parce qu’en somme, atteindre l’objet du désir viril, c’est mourir 11 La désignation de l’acte sexuel par «la petite mort», suivant l’expression commune en est un exemple assez évocateur. ). Aussi, le rapport au temps est, selon nous, fondamental dans le récit: la machine est pensée comme l’ultime pont entre les personnages et leur propre histoire, dans un univers atemporel condamnant au présent: «À ce moment, il s’aperçut qu’il se rappelait. Il ne lutta pas contre les souvenirs et se maîtrisa plus profondément, baigné dans le passé […] Sa vie s’éclairait devant lui aux pulsations ondoyantes de sa mémoire» (Vian, 1962 [1950]: 66-67). Dans cette optique, la machine de L’herbe rouge est l’unique moyen permettant d’envisager les individus comme des êtres complexes, notamment parce qu’ils sont inscrits, lors de leur passage dans l’appareil, dans leur division intrinsèque. L’identité de Wolf est fragmentée par sa propre histoire. Or, c’est cette histoire personnelle qui permettrait, en somme, aux individus d’accéder à une identité qui fait sens, dans sa complexité (si les souvenirs n’étaient pas aussitôt effacés); c’est également celle-ci qui permettrait aux personnages du roman de s’inscrire dans une Histoire commune, impossible dès lors que l’individualisme des désirs prend la place de la communauté et la plonge, de ce fait, au cœur d’une atemporalité désirante, dans une «immobilité possible du monde» (Vian, 1962 [1950]: 135).

 

Bibliographie

Butler, Judith. 2005. Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité. Paris: La Découverte.

Carrouges, Michel. 1954. Les machines célibataires. Paris: Arcanes, «Chiffres», 245p.

Courtine, Jean-Jacques. 2011. «Introduction. Impossible virilité», dans Histoire de la virilité. La virilité en crise? Le XXe-XXIe siècle. Paris: Seuil, «Points Histoire», p. 7-11.

Courtine, Jean-Jacques. 2011. «Balaise dans la civilisation», dans Histoire de la virilité. La virilité en crise? Le XXe-XXIe siècle. Paris: Seuil, «Points Histoire», p. 471-490.

Dhonte, Isabelle. 2010. «Le désir dans la subversion lacanienne du sujet: «Ne pas céder sur son désir»». La revue lacanienne, vol. 1, 6, p. 121-128.

Foucault, Michel. 1984. Histoire de la sexualité, tome 2, l’usage des plaisirs. Paris: Gallimard, «Bibliothèque des histoires», 296p.

Freud, Sigmund. 1919. L’inquiétante étrangeté et autres essais. Paris: Gallimard.

Gouavnic, Jean-Marc. 1975. Boris Vian et la science-fiction. Montréal: Université McGill, 117p.

Labarthe, André S. 1958. «Pierre Kast et Boris Vian s’entretiennent de la science-fiction». L’écran, 1.

Lacan, Jacques. 1949 [août 1949]. Le stade du miroir comme fondateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée, dans l’expérience psychanalytique.

Lippi, Silvia. 2008. Transgressions. Bataille, Lacan. Paris: Érès, «Points Hors Ligne», 264p.

Sohn, Anne-Marie. 2006. «Sois un homme!» La construction de la masculinité au XIXe siècle. Paris: Éditions du Seuil, «L’Univers historique», 464p.

Vialatte, Alexandre. 1919. La colonie pénitentiaire et autres récits. Paris: Gallimard, 184p.

Vian, Boris. 1950. L’herbe rouge. Paris: Jean-Jacques Pauvert, «Le livre de poche», 226p.

  • 1
    Il n’est pas clairement déterminé si c’est un chien doué de parole ou un homme qui a adopté un comportement canin. Toutefois, il est selon nous nécessaire de modérer l’interprétation que l’on peut faire du statut ontologique du sénateur: souvent dans l’œuvre de Vian, il est difficile de départager ce qui est porteur de sens de la simple fantaisie romanesque.
  • 2
    À ne pas confondre avec le wapiti, cervidé du nord de l’Amérique
  • 3
    Nous référons à l’édition suivante:SOHN, Anne-Marie, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, coll. «L’univers historique», 2009, 456 p
  • 4
    Ce tableau n’est pas sans rappeler l’iconographie de Saint-Sébastien, martyr qui, dès la Renaissance est considéré comme symbole homoérotique, puis comme une icône homosexuelle au XIXe siècle. Cette lecture vient ainsi enforcer la violence sexuelle virile du jeu de la saignette.
  • 5
    Au sujet du caractère itératif de la performance de l’identité de genre, nous renvoyons aux travaux de BUTLER, Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Cynthia Krauss, Paris, La Découverte, 2006 [1990], 283 p.
  • 6
    Nous référons à l’édition suivante: FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité II. L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 1984, 339 p.
  • 7
    Nous reprenons ici le terme employé par Lacan dans LACAN, Jacques, «Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous l’est révélée dans l’expérience psychanalytique. Communication faite au XVIe congrès international de psychanalyse, à Zürich, le 17 juillet 1949», dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 93-100
  • 8
    «Réflexion» est à entendre aux sens à la fois de reflet et de pensée: au cours de cette scène du miroir, il est possible d’affirmer que l’un des aspects majeurs de la poétique de Vian dans L’herbe rouge est de présenter un univers où les différentes facettes de notre identité nous sommes tous et toutes, en effet, divisé.e.s à l’instar de Lazuli et des hommes en noir, sont incarnées. Le roman présente une réalité où la division inhérente à chaque individu est matérialisée
  • 9
    Par ailleurs, notons qu’il est plutôt ironique de parler d’amour avec des représentantes de l’institution médicale. De ce fait, ce choix montre encore plus clairement l’inadéquation du système éducatif présenté au jeune homme dans le roman.
  • 10
    L’épisode de la destruction du saladier de cristal, placé peu avant dans le récit, peut renvoyer, allégoriquement, à la suppression des facettes multiples de l’identité, comme nous l’avons vu pour Lazuli. Le rapport à la minéralité et à la capacité des prismes (saphir, lapis-lazuli et cristal) de refléter, en la décomposant, la lumière est selon nous essentiel à la compréhension du roman et nécessiterait une analyse plus approfondie
  • 11
    La désignation de l’acte sexuel par «la petite mort», suivant l’expression commune en est un exemple assez évocateur.
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