Entrée de carnet

Testostérone, photographie et empathie

Vincent Lavoie
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Article paru dans Photovigie, sous la responsabilité de Vincent Lavoie (2010)
Auteur inconnu. Année inconnue. «Sans titre [1]» [Testostérone, photographie et empathie]

Auteur inconnu. Année inconnue. «Sans titre [1]» [Testostérone, photographie et empathie]
(Credit : Autism Research Center, Cambridge University)

La testostérone altère notre intelligence sociale et notre sens de l’empathie. Telle est en substance la conclusion d’une étude parue dans la livraison du 22 février 2011 du très respecté Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Les professeurs Jack van Honk de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas et Simon Baron-Cohen de l’Université Cambridge en Grande-Bretagne soutiennent que l’hormone masculine, telle qu’elle se trouve en chacun de nous en quantité plus ou moins importante selon le sexe, entrave l’expression de sentiments tels que l’empathie ou la compassion. Les chercheurs ont constaté que les femmes exposées à une plus forte concentration de testostérone au cours de leur développement prénatal sont moins susceptibles d’éprouver semblables sentiments. Ils ont en outre remarqué que la longueur relative de l’index par rapport à l’annulaire de celles-ci, un indicateur de la testostérone fœtale, était moins marquée, comme chez les hommes. Pensez-y lorsque vous demanderez la main d’une dame … <--break->“> Les chercheurs ont poursuivi leur enquête en mettant à contribution un groupe de 16 sujets féminins, volontaires et dans la jeune vingtaine, invitées à identifier les sentiments de personnes photographiées. Les images soumises à l’examen ne montraient que la partie supérieure du visage, essentiellement les yeux, les sourcils, la portion inférieure du front et la racine du nez, chacune accompagnée de quatre mots correspondant à des états émotifs précis. L’expérience a été conduite en deux temps : sous placebo tout d’abord, après administration d’une dose de 0,5 mg de testostérone ensuite. Conclusion : 75% des sujets ont éprouvé plus de difficulté à identifier le sentiment représenté, une fois l’hormone masculine absorbée.</p>



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Auteur inconnu. Année Inconnue. «Sans titre [2]»
(Credit : Autism Research Center, Cambridge University)

Cette recherche participe de l’intérêt actuel pour la psychobiologie des sentiments.  Plusieurs ouvrages parus récemment, parmi lesquels The Compassionate Instinct. The Science of Human Goodness (New York, W.W. Norton & Company, 2010), tendent à réduire les déterminations morales du sujet à des considérations endocriniennes. Or, l’empathie et la compassion appartiennent au registre des émotions altruistes, objets de prédilection de la philosophie éthique. Nous sommes émus devant la douleur des autres.  Nous le sommes aussi, quoique souvent moindrement, face aux images de cette même douleur. La transmissibilité des affects au moyen de la représentation visuelle est un problème ancien que l’étude de van Honk et Baron-Cohen, à son insu, rappelle à la mémoire. Le protocole scientifique retenu par les chercheurs assimile en effet la photographie à une pourvoyeuse d’affects, que les participantes à l’étude interpréteront avec plus ou moins de bonheur selon leur taux de testostérone. On se surprendra toutefois que ces 36 photographies, propriété du Autism Research Center de l’Université de Cambridge, paraissent avoir été élaborées sur le modèle des cartographies faciales de Johann-Caspar Lavater, père de la physiognomonie (XVIIIe), sinon des études de Charles le Brun sur la représentation des passions (XVIIe).  Bien entendu, il n’est nulle part fait mention dans le papier du PNAS que les instruments du Autism Research Center puissent partager quoique ce soit avec les traités artistiques ou les pseudo-sciences du XVIIIe siècle.  L’intérêt de ces images photographiques tient pour beaucoup à ces survivances d’imaginaires scientifiques ou passionnels en parfait porte-à-faux avec les ambitions académiques de l’article. Qui plus est, ces images, surtout celles montrant des femmes, sont à n’en point douter des recadrages de photographies de mode, de plateau de cinéma ou publicitaires. Visible, la trame de la reproduction trahit l’emprunt au magazine illustré.  On croit reconnaître les yeux de Brigitte Bardot constellés des mots «dérouté», «consterné», «méfiant», «terrifiant ». C’est avec certitude en revanche qu’on identifie dans une autre photographie le comédien Jean Lefebvre.  À n’en point douter, cet encodage culturel de l’image, plus que la testostérone, vient troubler la désignaition des sentiments.

Auteur inconnu. Année inconnue. «Sans titre [3]» [Testostérone, photographie et empathie]

Auteur inconnu. Année inconnue. «Sans titre [3]» [Testostérone, photographie et empathie]
(Credit : Autism Research Center, Cambridge University)

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