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Comment conjuguer l’art et le spirituel pour envisager la sortie de crise?

Nicolas Gendron
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Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

Comment conjuguer l’art et le spirituel pour envisager la sortie de crise?

Au plus fort de la première vague pandémique, on s’accrochait aux quelques nouvelles lumineuses qui surgissaient de nos quotidiens sédentaires : Venise voyait ses eaux s’assainir en l’absence des touristes et, de Marseille à Montréal, on s’ébahissait d’apercevoir des cétacés s’aventurer près des métropoles.

L’artiste Éric Noël s’est d’ailleurs inspiré du « rorqual de Montréal » pour sa plus récente pièce, L’Amoure Looks Something Like You (Hamac, 2022), dont il a offert un extrait en lecture-performance lors des journées d’étude « Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences ». Il y convie « l’histoire d’amour mystique et télépathique entre une baleine à bosse perdue en eaux douces et une personne non-binaire confinée sur l’île de Tiohtiake-Mooniyang-Montréal1Synopsis de la pièce tel que présenté par le Centre des auteurs dramatiques : https://www.cead.qc.ca/_cead_repertoire/id_document/9653 ». En entretien après sa performance, Noël confie qu’à ses yeux, « la sortie de crise est spirituelle. »

J’entends d’abord le mot crise comme la jonction névralgique de la pandémie et de l’urgence climatique. Et si cet appel spirituel s’incarnait entre autres par l’action de « faire une place » à nos morts, en les situant et en leur assignant un lieu afin qu’ils puissent « terminer ce pour quoi ils étaient faits », comme nous y invite Vinciane Despret dans son ouvrage Au bonheur des morts (2015, p. 19)? Ainsi Noël paraît-il cartographier les disparu·e·s de 2020 : les aîné·e·s sacrifié·e·s dans les CHSLD québécois, les Afro-Américain·e·s Breonna Taylor et George Floyd, tristes symboles du mouvement Black Lives Matter, la femme trans Dominique “Rem’mie” Fells assassinée à Philadelphie, mais aussi le « rorqual de Montréal ». Les autres qu’humains ont droit de cité sur le territoire de nos morts!

Quant à l’ancien sous-titre de sa pièce, Transrituel pour une baleine à bosse, il m’évoque le pouvoir cathartique du rituel qui, sur les traces de Stéphane Crête, nous permet de Marquer le temps2Pour sonder le potentiel créateur du rituel, on peut lire l’ouvrage de Stéphane Crête, Marquer le temps. Entre profane et sacré, la recherche de nouveaux rituels (Le Jour, 2021). https://editionslejour.groupelivre.com/products/marquer-le-temps?variant=42638056128769 (2021). Sortir de la crise impliquera de situer nos mort·e·s, vivant·e·s en tous genres, de manière topographique, mais aussi sur la ligne temporelle de notre mémoire collective, pour passer à l’action, chargé·e·s de la vie de nos morts.
Eric Noël, dans sa performance L’Amoure Looks Something Like You – Transrituel pour une baleine à bosse, au Vieux-Port de Montréal, dans le cadre du Petit Fun Palace du OFFTA 2021. Photo de Camille Messier.

Eric Noël, dans sa performance L’Amoure Looks Something Like You – Transrituel pour une baleine à bosse, au Vieux-Port de Montréal, dans le cadre du Petit Fun Palace du OFFTA 2021. Photo de Camille Messier.
(Credit : Camille Messier)

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