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Baie James: Le rapport québécois à la nature et à l’Autre à l’ère d’un grand bouleversement

Nathalie Dion
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Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

Les paysages seront dénaturés par une machinerie à ciel ouvert et les peuples autochtones avoisinant les rivières concernées devront migrer et faire place aux chantiers. Mais les québécois sont fiers : de cette appropriation d’une source d’énergie renouvelable, de cette appropriation de leurs besoins futurs en électricité. Une identité nouvelle se dessine, mais au détriment de qui, au détriment de quoi.

Ce projet important mais contesté de la société québécoise forcément contribuer à forger notre vision identitaire, notre façon de nous positionner face au reste du monde. Je tenterai, à travers les archives de La Presse de l’époque et l’essai Puissance Nord de Caroline Desbiens[2], de saisir l’influence du chantier de la Baie James sur notre rapport au non-humain et au territoire, tout en essayant de mieux comprendre nos relations avec l’Autre, ici, les peuples autochtones.

Car le projet de la Baie James n’affectera pas uniquement le rapport des québécois avec la nature et le territoire, qu’il réalisent alors presqu’infini, mais aussi leur rapport avec l’Autre. Car si la cour a d’abord tranché en faveur des Cris, arrêtant momentanément les travaux, et forçant une négociation entre le gouvernement et les peuples autochtones, la construction de ces barrages demeure un affront de taille à la nature et aux traditions des nations qui se trouvent sur le lieu désormais transformé, à jamais trasnfiguré.

Pour mieux saisir la dualité des voix, je confronterai la découverte d’une nouvelle identité nationale et l’appropriation d’une notion de territoire à la parole dure et inquisitrice (sans doute plus réaliste) de l’œuvre phare Je suis une maudite Sauvagesse, d’An Antane Kapesh[3], autrice innue déracinée de son Grand Nord par le gouvernement quelques décennies plus tôt: « Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a demandé de permission à personne, il n’a pas demandé aux Indiens s’ils étaient d’accord. »[4] Antane Kapesh, dans son essai, trace en filigranes le portrait de son propre rapport à la nature, et celui de son peuple.

En liant ces deux essais, j’espère tracer des parallèles et comparaisons issus de cette dichotomie des usages de la nature.

Les québécois, comme la majeure partie de la société occidentale de l’époque, placent l’humain au-dessus de la nature. La Cour d’appel du Québec ira même jusqu’à l’énoncer clairement en renversant la décision du juge Malouf, statuant que « l’intérêt de millions de Québécois » prime sur celui « d’environ deux mille de ses habitants ».[5] L’économie régit la réflexion et la société.

Par opposition à cette vision « blanche », les peuples autochtones voient leur existence imbriquée dans la nature et la respectent avant tout, comme en fait la démonstration Kim O’Bomsawin dans son documentaire Je m’appelle humain [6]. Ce barrage est donc une menace pour leur mode de vie, mais aussi et surtout, témoigne d’une incompréhension de l’importance du territoire et de la nature pour les peuples autochtones.

Comme le souligne Caroline Desbiens, dans l’essai Puissance Nord, « si la Baie James appartenait à tous les  Québécois […] cette appartenance relevait beaucoup plus de l’ambition que de la réalité. L’analyse des discours et des images diffusés pendant la phase initiale du projet de la Baie James révèle à quel point les Québécois du Sud souhaitaient qu’on leur reconnaisse une certaine autochtonie nordique :  les  Québécois  affirmaient  en  effet  leur  présence  ancestrale  dans le Nord en réécrivant les origines de la région à travers un discours de  découverte,  de  conquête  et  d’innovation  par  le  développement.  Ils considéraient que leur passé et leurs gènes les connectaient à cette terre, poussés comme ils l’étaient par « un atavisme qui leur viendrait de lointains  ancêtres,  trafiquants  de  fourrures,  coureurs  de  bois,  mâtinés  de  sang indien»[7].

Les mots de Desbiens font écho à ceux d’Antane Kapesh, alors que nous entamons encore une fois, avec l’expansion des oléoducs, la trahison et la transgression d’un territoire qui ne nous appartient pas.


[1] Radio-Canada, La convention de la Baie James, un traité historique pour le Québec et pour les Cris.

[2] Desbiens, C. (2014), Puissance Nord.

[3] Antane Kapesh, Je suis une maudite Sauvagesse.

[4] Antane Kapesh, A., op.cit., p. 15.

[5] Radio-Canada, op.cit.

[6] O’Bomsawin, K. (réal.). (2020), Je m’appelle humain. Québec : Maison 4 :3.

[7] DESBIENS, C. (2014), Puissance Nord, Presses de l’Université Laval, p.9.

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