Entrée de carnet

Quelle place peut-on prendre?

Alexandre Côté-Perras
couverture
Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

L’autrice et artiste en danse Lucy Fandel, invitée aux journées d’études « Avec l’autre-qu’humain : penser, agir et écrire les coprésences », dit s’aménager, chez elle au matin, un « espace négatif » d’où elle crée. L’artiste se place au creux de sa journée pour « s’abriter en tant [qu’elle-même] » sans déranger ni être dérangée. C’est dans ce creux que Lucy cultive un sentiment écologique. Elle dit préférer s’intégrer dans le monde naturel d’une manière semblable, c’est-à-dire sans rien bousculer, ou presque.

Lucy danse parfois auprès des arbres, non pas dans la volonté de leur apposer, par son art, une signification qui leur est étrangère, mais bien de s’harmoniser à celle qu’ils contenaient déjà. Si ses mouvements s’inspirent du frémissement des feuillages, ce n’est d’abord que pour canaliser l’attention vers ceux-ci ; elle les met en évidence par une « négativité » incarnée. Un geste d’écoute, un choix d’« emphase ». Elle entre en relation avec eux « en tant qu’elle-même » sans espérer trouver en retour autre chose que les arbres en tant qu’eux-mêmes. Cela n’est pas anodin, puisqu’en regardant l’autre-qu’humain, les Occidentaux n’ont longtemps vu que deux choses : soit leur reflet, soit rien du tout.

L’approche de Lucy préserve l’unicité des choses : elles peuvent s’imbriquer l’une à l’autre sans se confondre ni se perdre de vue. Il y a un creux (et non un mur, comme l’aurait voulu la pensée dualiste) entre les réseaux de sens humains et ceux autre-qu’humains ; c’est dans ce creux que peut avoir lieu leur rencontre. Un « espace négatif » qui reste ouvert aux possibles.

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