Carnets de recherche, 2021
L’imaginaire intermédial du masque
La pandémie nous avait aussi conduits à faire une autre «première expérience»: avoir à porter un masque dans l’espace public. Nous avons donc voulu rassembler, dans le cadre d’un projet collectif, un des fiches documentaires ou analytiques dont l’ensemble devait permettre d’aborder le «masque»— objet protéiforme et polysémique par excellence— dans une perspective intermédiale.
Bien entendu, le masque n’est pas un média au sens institutionnel du terme (comme le cinéma, la télévision, la presse écrite, par exemple). Mais nous pensons qu’il peut être abordé comme un médium, pour peu que nous donnions à ce terme la définition suivante: tout objet, instance, ou technique (sujet parlant, dispositif, appareil, etc.) qui met en relation des êtres de langage, des espaces, des temps ou des espace-temps— ou qui est cette relation (au sens d’un milieu). En effet, tout masque met en rapport, mais aussi en réserve, deux termes, par exemple: ce qu’il soustrait et ce qu’il révèle, mon espace et le tien, moi et l’autre. C’est à partir de ce constat que nous avons voulu explorer l’intermédialité du masque, en nous intéressant d’abord à sa dimension imaginaire.
Ce carnet se veut donc un espace de documentation et de réflexion sur le champ sémantique du masque et de son imaginaire, à partir de représentations, d’usages sociaux et de diverses productions artistiques et culturelles. Il demeure ouvert et acceptera, au fil du temps, d’autres fiches visant à consolider notre travail.
Références : RAJEWSKY, Irina O. 2005. «Intermediality, Intertextuality and Remediation.» Intermédialités. No 6, p.43-64.
Aide à la révision : Jules Valiquette
Articles de la publication
Introduction à l’imaginaire intermédial du masque
Le terme «masque» recouvre un ensemble fort hétéroclite d’objets et de représentations: masque de protection médicale, de carnaval, de plongée, masque à gaz, masque de beauté, masque de théâtre, masques rituel et de cérémonie. Spontanément, il fait surgir la question du rapport au visage. Bien entendu, le masque n’est pas un média au sens institutionnel du terme (comme le cinéma, la télévision, la presse écrite, par exemple). Pourtant, le «masquage» renvoie à toutes sortes de pratiques, de croyances et de conceptions des relations humaines, le plus souvent rattachées aux domaines de l’identité, du visible et de l’invisible— des pratiques et des conceptions qui fondent parfois le social et le politique. Les masques sont au cœur d’activités humaines, de pratiques culturelles et de manifestations sociales.
De l’objet inanimé à l’art total. Le masque burkinabè
À propos de l’art africain, Césaire précise qu’il n’est pas copie du réel, mais «recomposition» de la nature. Composer, du latin «componere», signifie «mettre ensemble» ce qui est séparé en divers éléments. C’est en rapport à cette idée d’une composition totalisante que nous souhaitons aborder le sujet du masque burkinabè. Sans refaire l’illustration des circonstances dans lesquelles la formule wagnérienne «d’œuvre d’art totale» tire ses origines, force est de constater que la notion recoupe souvent celle d’intermédialité, dont elle fonde l’un des nombreux arrière-plans. L’on peut suivre l’acception du terme jusque dans le cadre des études culturelles africaines, où les «vocables d’art» et le «langage total» reviennent d’abord sous la plume de Louis Millogo, que d’aucuns désignent comme le père de la sémiotique africaine du non verbal.
Du masque de Nietzsche à la machine à écrire kittlérienne. Pour une théorie (médiatique) de l’écriture à sa surface
Le masque mortuaire de Friedrich Wilhelm Nietzsche se donne comme surface, comme la trace matérielle de l’apparence d’un homme qui, de son vivant déjà, se disait «posthume». C’est que dès lors, il aura appris à porter le masque d’un mort, entre autres masques, pour ouvrir l’étrange temporalité que son époque peinait, écrit-il, à laisser advenir. Si cette temporalité est posthume, ce n’est pas parce qu’elle est mortifère, mais bien parce qu’elle était (et demeure sans doute) historiquement irrecevable: elle appelle un devenir. «Ce n’est qu’après la mort [que] nous réaliserons notre vie, que nous nous mettrons à être vivants, très vivants! nous autres hommes posthumes!» Sans doute l’appel à cette philosophie qui vient aura agi à la manière d’un écho, d’une surface d’en deçà des surfaces pour les penseurs de la médialité, de l’intermédialité et de l’archéologie des média.
L’intermédialité par l’allégorie. Le masque de la mort rouge, d’Edgar Allan Poe à Punchdrunk
«Le masque de la mort rouge» d’Edgar Allan Poe a paru en mai 1842. Cette nouvelle raconte l’histoire du Prince Prospero qui, en raison d’une épidémie qui sévit sur ses terres, décide d’accueillir ses amis afin de les mettre à l’abri. Après plusieurs mois d’isolement au château, il organise un bal masqué afin de les distraire. Tandis que l’horloge sonne minuit, on découvre la présence d’un intrus portant masque et costume, et évoquant la mort rouge. Ignorant la terreur de l’assemblée, le Prince, furieux, s’élance pour démasquer le personnage. La mort rouge, cachée sous le masque, se révèle alors, emportant la vie du Prince et de ses invités.
La persona, médiation d’une béance identitaire. «Confession d’un masque» de Mishima Yukio
Si ce que je projette n’est pas ce que je suis, alors qui est-ce que je laisse à la vue d’autrui? L’homme est un être social. Son individualité se développe dans un milieu collectif et codifié. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’une inadéquation est postulée entre la nature d’un homme et les normes de sa société? À la lisière du moi et de l’autre, l’intervention d’un objet de médiation ne devient-il pas nécessaire pour assurer une certaine harmonie collective? Cet objet prend les apparences de ce qui est attendu par le collectif tout en dissimulant ce qui lui fait défaut. Entre moi et l’autre, un masque social se construit, mais il n’est pas sans effets. Comment se greffe-t-il à l’identité de celui qui le porte?
Masques et jeux vidéo. Essai de classification: masques accessoires, identitaires et fusionnels
Alors que les jeux vidéo gagnent en popularité, le milieu académique s’intéresse de plus en plus à ce nouveau médium et à ses caractéristiques uniques, notamment à son interactivité (Deen 2011) et la combinaison unique qu’il offre entre design visuel et jeu («gameplay») (Friedman: 293). Je m’intéresse ici à la prévalence des masques dans les jeux vidéo, et propose une classification en fonction de leur rôle. Loin d’être exhaustifs, les exemples donnés se concentrent plutôt sur les masques les plus connus, tirés de jeux de genres divers (action, jeux de rôle, combat, puzzle, etc.). Ceux-ci sont regroupés dans les tableaux placés à la fin des sections du texte.
L’imaginaire du bourreau masqué
Le bourreau, affublé de son masque ou de sa cagoule noire, apparaît dans de nombreuses fictions historiques. La peinture, le cinéma, la littérature sont tous des arts qui associent le bourreau à son masque et qui, ce faisant, le transforment en le réduisant «de manière visible et symbolique à son geste» (Voyer: 88). La cagoule du bourreau, en plus d’agir comme une référence à l’irrémédiabilité d’un jugement exercé par la justice, efface l’identité et l’humanité de la personne qui la porte. Chez celui qui reçoit et interprète une telle image, celle-ci réduit cette personne à une unité de sens, ce qui montre bien comment l’imaginaire du masque du bourreau est admis collectivement.
Le masque neutre au théâtre: masque de vie ou masque de mort?
Pour appréhender ce qu’est le masque neutre au théâtre, il nous apparaît essentiel de clarifier ce qu’il n’est pas. En effet, la plupart des gens, lorsqu’ils rencontrent les mots «masque neutre» pour la première fois, ont immédiatement l’image de ces masques blancs utilisés un peu partout dans des défilés, des fêtes ou des manifestations. Des masques produits, à la chaîne et par centaines, par des machines froides. Des masques qui ne montrent rien, qui effacent le visage, qui dissimulent.
Les masques des politiques aux premiers temps de la COVID-19
Le port du masque est une norme sociale qui s’est répandue dans le monde entier depuis janvier 2020 en raison de la pandémie de coronavirus COVID-19. Certes le masque joue un rôle de protection de soi et des autres, mais il devient par ailleurs un vrai sujet politique. D’ailleurs, le port du masque sanitaire entre dans le domaine discursif, dans la mesure où il est aussi relié à la façon de communiquer et d’exprimer son existence et son identité.
Interculturalité. Le masque Kaba Ngondo
Cette fiche propose, dans une perspective intermédiale, une réflexion sur le médium masque en tant qu’objet intersubjectif. L’analyse s’appuyera sur la réactualisation d’un vêtement, ou masque africain, le Kaba Ngondo, pour rendre compte de l’interculturalité, soit le processus de dialogue et de partage d’expériences entre les cultures.