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Yoogle!: comment céder l’accès à votre vie privée, une autorisation à la fois

Gabriel Tremblay-Gaudette

Toutes les entreprises du Web 2.0 sont là pour faire du commerce, pour exploiter vos données personnelles afin de les faire fructifier, parfois même en vous faisant payer. Utiliser les concepts de liberté, de créativité, de beaux sentiments, de communautés pour mieux vous abuser, pour mieux pomper tout ce qui fait de vous un consommateur bien identifié est une arnaque.

— Karl Dubost, Conformance Manager au W3C et ex-utilisateur de Flickr


La citation précédente donne le ton à l’expérience qui attend l’internaute lorsqu’il “jouera” à Yoogle!, une sorte de serpents et échelles en ligne autour du thème du Web 2.0, cette supposée révolution sur la sociabilité et le partage d’information. Grâce à cette initiative développée dans le cadre du projet e-traces, vous pouvez jouer à Yoogle en incarnant quatre types de joueurs: l’usager, qui vous permettra de découvrir “l’importance des traces que vous laissez dans les différents services proposés par le Web 2.0.”, l’administrateur, qui collecte les traces de l’usager “pour constituer des profils afin de les vendre aux États et entreprises”, l’état, qui utilise “les profils à des fins de contrôle, surveillance, suprématie… ou propagande”, ou encore l’entreprise qui achète “les profils à des fins de management, marketing, communication… ou nuisance.”

Les informations révélées par les différents rôles au cours de l’expérience de jeu portent à conclure à un certain scepticisme et créent même une méfiance accrue qui peut se redéployer vers les nombreuses plateformes d’échange et de diffusion d’informations qui sont mises à la disposition des internautes depuis des années.

Le principe de la partie est assez simple: vous commencez à la case 1, vous lancez un dé virtuel, et vous arrivez à une case qui vous livre une brève information sur un événement, une clause secrète, une pratique fallacieuse ou tout autre élément entrant dans la catégorie des “choses-que-vous-devez-savoir-afin-de-ne-pas-être-dupe-par-rapport-au-Web-2.0”. Parfois, le jeu nous met face à une question à choix multiple, dont la réponse déterminera notre progression : parfois, on fait des bons avant et arrière. Qu’importe, de toute manière: l’objectif ludique est certainement de se rendre jusqu’à la case 63, mais le but premier de l’expérience n’est pas la réussite en vertu des paramètres ordinaires du jeu, mais plutôt de désillusionner l’internaute face à ce qui se trame réellement derrière les pages comme Youtube, Facebook, et même les intentions peu charitables et envahissantes d’Apple.

S’il est arrivé que la cueillette d’informations aie une finalité bénéfique, cela reste assez rare: par exemple, l’histoire de cette jeune fugueuse au Portugal qui a été retrouvée en quelques heures après que les membres de sa famille aient mis en ligne des détails sur son apparence. Ces capsules d’information (appuyées par un lien externe vers un article détaillant le fait brièvement exposé) donnent froid dans le dos et tempèrent énormément l’optimisme face aux avancées de la technologie et du partage d’information. 

L’expérience de jeu Yoogle culmine lorsque survient une épreuve qui prend tout son sens dans le contexte: la fenêtre des autorisations. Calquée sur les autorisations qu’un internaute doit accepter avant d’accéder à un site Web, cette épreuve, dont l’accomplissement monotone est assez désagréable, surgit à quelques moments du jeu. L’internaute y est transporté et n’aura droit qu’à seulement 20 secondes pour décocher une vingtaine de boîtes donnant son assentiment à des consignes variées (“j’accepte de céder mes droits à la diffusion…”, “j’accepte de respecter les termes d’utilisation…”). Cette épreuve est facile à surmonter, mais elle vient surtout souligner le temps qui serait nécessaire pour désactiver toutes les autorisations que nous accordons à de nombreux sites Web afin de pouvoir accéder à leur contenu. Les innombrables clauses d’un contrat d’utilisation ne sont rarement, voire jamais, lues en détail par un utilisateur, qui appuiera sur l’option “j’accepte” sans être conscient qu’il vient de céder les droits d’utilisation de toutes ses informations à une compagnie privée. Pour agaçante que puisse être “l’épreuve du décochage” de Yoogle!, celle-ci nous donne à réfléchir sur l’implication de nos assentiments instantanés sur le Web parce qu’elle est particulièrement puissante de signification : donnons-nous nos autorisations d’accès et ce faisant, nos informations, trop rapidement, dans l’effervescence du jeu, de la navigation et de la recherche effrénée de l’information?

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