Entrée de carnet
Vers un terrorisme stochastique
Une nouvelle forme de terrorisme a fait son apparition, le terrorisme stochastique. Cette entrée de carnet examine un cas récent, lié aux élections présidentielles américaines.
En s’adressant à une foule à Wilmington, en Caroline du Nord, Donald Trump s’est dit préoccupé qu’Hillary Clinton, si elle est élue, puisse choisir les juges de la Cour suprême et, ce faisant, modifier le portrait constitutionnel et légal des États-Unis, notamment sur la question du port d’armes. Il a dit: «Si elle doit choisir ses juges, vous ne pourrez rien faire, les amis. Bien que les gens qui défendent le deuxième amendement, peut-être qu’ils le pourront. Je ne sais pas. » (« If she gets to pick her judges, nothing you can do, folks. Although the Second Amendment people, maybe there is. I don’t know. ») On a tous compris l’appel à peine voilé à une action terroriste à l’encontre de la candidate démocrate et des juges de la cour suprême.
David S. Cohen, dans un article du magazine Rolling Stone, explique qu’il y a là la manifestation d’une nouvelle forme de terrorisme: « ce que Trump vient de faire, c’est de s’engager dans ce qu’on appelle du terrorisme stochastique. C’est un terme obscur et non juridique discuté dans le monde académique ces 10 ou 15 dernières années. » (David S. Cohen, « Trump’s Assassination Dog Whistle Was Even Scarier Than You Think », Rolling Stone)
Le terrorisme stochastique désigne l’utilisation d’outils de communication de masse afin d’inciter de manière aléatoire des acteurs à commettre des actes violents ou terroristes qui sont statistiquement prévisibles, mais individuellement imprévisibles. » (« The use of mass communication to incite random actors to carry out violent or terrorist acts that are statistically predictable but individually unpredictable » (Stochastic Terrorism)
Une telle forme de terrorisme est sous-jacente au discours de Donald Trump à Wilmington, quoiqu’il n’y ait pas encore eu de passage à l’acte. Mais, c’est bel et bien la forme de terrorisme qu’on retrouve à l’œuvre dans les attentats commis récemment au nom de l’organisation État islamique par des individus isolés et, souvent, faiblement radicalisés.
Cohen cite Valerie Tarico qui a écrit sur cette forme de terrorisme après l’attentat au Planned Parenthood de Colorado Springs en novembre dernier. Dans une entrée de son blogue, datée de novembre 2015, elle identifie un certain scénario:
« 1. Un personnage public ayant accès aux médias ou à un tribune diabolise une personne ou un groupe.
2. À force de répéter cette diabolisation, la personne ou le groupe ciblés sont progressivement déshumanisés, dépeints comme odieux et dangereux, suscitant une combinaison hautement inflammable de peur et de dégoût moral.
3. On remarque une multiplication d’images et de métaphores violentes, des blagues sur la violence, des références à des « purges » contre des groupes honnis, l’utilisation d’un vocabulaire religieux et moral, une rhétorique qui s’arrête à l’orée d’un appel aux armes explicite.
4. Et, lorsque éclate enfin la violence, la figure publique qui a incité à la violence s’empresse de la condamner, prétendant que personne ne pouvait prévoir la ‘tragédie’. » (Valerie Tarico, citée par David Cohen)
Cohen continue en expliquant que ce scénario correspond parfaitement au type de campagne menée par Donald Trump contre Hillary Clinton. Il ne cesse de la démoniser en l’appelant « Crooked Hillary » et en la dégradant à répétition. Le thème central de la convention républicaine de Cleveland, réitéré à satiété, voulait que Clinton soit une criminelle, qui se devait d’être emprisonnée, propos énoncés sur le mode du dégoût moral. Et il se sert maintenant de métaphores et d’allusions violentes, de blagues selon ses dires, qui flirtent avec l’appel aux armes. » (« Trump’s Assassination Dog Whistle Was Even Scarier Than You Think »)
Il ne nous reste plus qu’à attendre le passage à l’acte.
Ce terrorisme stochastique apparait comme une donnée de plus en plus prégnante de l’imaginaire contemporain. Les actes se multiplient, faiblement motivés, imprévisibles, contaminant notre quotidien. Puisqu’il est statistiquement prévisible, mais individuellement imprévisible, on ne sait pas où il apparaîtra, on espère simplement ne pas être là quand il le fera.