Entrée de carnet
Un char de love qui rêvait d’être feuilles
Ce soir la lune déborde
Une mélodie raconte un son
Chante une terre
Un loup hurle sa joie
Les caribous sont là
Le coeur bat
Un rythme sonne un sourire
Une danse invite
A la musique
Ou les pas laissent leurs traces— Poème de Joséphine Bacon tiré du recueil Un thé dans la toundra – Nipishapui nete mushuat publié chez Mémoire d’encrier, Montréal, 2013.
En cette douce soirée de Novembre, je marche é(mer)veillée entre les arbres centenaires du Jardin Botanique de Montréal. Pour pénétrer dans le monde majestueux des autochtones, j’ai traversé un astre fait de brume et de vapeur tel Neptune. Ce portail magique lumineux transporte mon corps au plus proche de la Terre-Mère. Le cercle de vie, entre terre et ciel, m’invite à vivre en harmonie avec toutes formes de vie qui m’entourent. Le symbole du cercle est au cœur de la spiritualité autochtone. Dans cette philosophie, les êtres humains font partie des forces cosmiques de l’univers et participent également à ce mouvement circulaire et cela, durant toute leur vie, puisqu’ils retournent à la Terre afin d’en perpétuer le cycle. Cet enseignement est transmis de génération en génération par tous les peuples autochtones d’Amérique du Nord. Lorsque je parcours l’œuvre de Moe Clark, la forêt me renvoie tous ces éclats scintillants de beauté et le rythme de la vie résonne à travers les mots de la poétesse innue Joséphine Bacon. L’Esprit des lieux est une expérience immersive sous la forme d’un parcours initiatique, où le public est en contact direct avec les richesses de la Terre-Mère. Cette mise en lumière nous questionne sur nos attitudes contemporaines face à la nature. A Tiohtiá:ke, “là où le groupe se scinde ou emprunte des chemins différents”, j’ai découvert les récits autochtones, leur langue et le concept d’animéité. Dorénavant, je m’exprime aux “autres qu’humains” comme à mes amis. Inspirée par ma lecture du texte de Robin Wall Kimmerer, Tresser les herbes sacrées, tous les matins, sur mon chemin en vélo, je suis en éveil, “je suis nature” et je salue les conifères humbles du Parc La Fontaine. J’aimerais tant pouvoir parler leur langue discrète, entendre leurs histoires ancestrales et ressentir leurs émotions. En effet, il serait intéressant de laisser la porte ouverte à de nouvelles perception sensorielle en replaçant l’humain à une échelle géologique. C’est ainsi que les voix des autochtones ont toujours fonctionné; dans leurs belles langues il est possible de devenir ruisseau, d’“être-rivière”, d’“être-colline” ou d“être-crique” en fonction des états d’âmes. Les noms et les verbes sont à la fois animés et inanimés. Ainsi l’eau, la terre et même le jour font jaillir de la vie sensible. Cette grammaire vitaliste place notre monde comme étant un tout vivant. Celui-ci est notre plus proche voisin et il convient donc de l’écouter, de le chérir et surtout de le protéger. Il est primordial de construire des relations durables avec les écosystèmes car le monde vivant est avant tout notre famille. Si on l’aime profondément, on peut espérer être aimé en retour : l’ultime réciprocité. Parfois, celui-ci tente de faire disparaître nos objets du quotidien pour nous rappeler sa présence, malheureusement trop souvent négligée en zone urbaine. En redevenant attentif, nous pourrons apprendre de cette intelligence autre que la nôtre. Il est important de prendre le temps de “s’apprivoiser” mutuellement. De plus, nos relations intimes avec la Terre renforcent notre sentiment d’unité, d’appartenance et de bien-être. Lors de la déambulation de Lundi dernier sur les récits coloniaux dans nos espaces publics avec Carling Sioui, j’ai appris que les peuples autochtones ne s’imposent pas sur les territoires qu’ils habitent, ils appartiennent au territoire (“we belong”) et le territoire ne leur appartient pas, la notion de propriété n’existe donc pas. De plus, les frontières sont naturelles (“overlap”) entre les différentes communautés et les murs des campements temporaires. Les autochtones, principalement nomades, laissent à la Terre le temps de se régénérer, l’équilibre entre les ressources et les exploitations qui en sont faites est primordial. En tant qu’être humain il faut s’adapter à la nature, pas la dominer. J’ai retrouvé cette notion de “vivre avec” dans l’exposition, Voix autochtones d’aujourd’hui, savoir-trauma-résilience au musée McCord Stewart de Montréal. Celle-ci dévoile des récits enfouis et amène la discussion comme guérison. La parole des autochtones permet de mettre en lumière leurs savoirs et leurs philosophies, tout comme leurs souffrances. Ces blessures profondes qu’ils portent depuis si longtemps témoignent de leur incroyable résilience. Les nombreuses assimilations qu’ils ont subies, impliquent de prendre la parole sur les traumatismes mais aussi sur les rêves et les projets garants d’un avenir meilleur. Pour commencer, comme l’a évoqué Carling Sioui, il faudrait rééquilibrer les récits afin que tout le monde se sentent le bienvenu quand il rentre dans un parc public par exemple. Retirons les têtes des autochtones qui crachent de l’eau sur la fontaine du Parc Saint-Henri et enlevons les barrières austères en métal noir qui la cloisonnent. Décloisonnons les espaces rectilignes du Square Dorchester et installons des infrastructures chaleureuses telle une patinoire pour jouer, tous ensemble, au hockey en hiver. Repensons les textes écrits sur la statue Place d’Armes et redonnons de la place aux racines des doux géants protecteurs. La véritable réconciliation dépend de ces premiers pas écopolitiques vers le changement. La rencontre a le pouvoir d’amorcer un dialogue pour une meilleure compréhension mutuelle, entre humains, mais aussi entre “autres-qu’humains”. Aujourd’hui, à Montréal/Tiohtiá:ke, la nation Kanien’kehá:ka veille sur nous comme gardienne des terres et des eaux sur lesquelles nous résidons. Nous sommes, toutes et tous, les responsables de ce monde animé. Prenons en soin et vivons en accordance entre nous et avec lui.
Jardin de lumière, Montréal, Espace pour la Vie, automne 2023.