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Traduire An Antane Kapesh vers l’espagnol: le parcours circulaire de «Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse»

Ana Kancepolsky Teichmann
couverture
Article paru dans Matérialités coloniales de la traduction, sous la responsabilité de René Lemieux et Mélissa Major (2024)

En 2019, la maison d’édition montréalaise Mémoire d’encrier publiait Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse, d’An Antane Kapesh, en format bilingue qui intègre l’innu-aimun et la traduction en français de José Mailhot. Pourtant, l’œuvre de Kapesh dut parcourir un long chemin pour en arriver à cette édition, la quatrième depuis sa publication originale en 19761L’œuvre a été aussi rééditée en 1982 (Paris, Des femmes) et en 2015 (Chicoutimi, Centre d’amitié autochtone du Saguenay).. Quoiqu’il soit essentiel, voire fondateur des littératures autochtones en plein épanouissement dans le contexte contemporain, ce texte est resté relativement méconnu et difficile à se procurer pendant plus de quarante ans. Sa nouvelle publication, éditée et préfacée par Naomi Fontaine, peut être accueillie à la lumière d’un renouvellement de la reconnaissance envers la figure de Kapesh et le rôle qu’elle a joué non seulement dans la formation d’un corpus de littérature innue écrite au Québec, mais aussi dans la résistance à l’endroit des pratiques dominatrices de la colonisation, et dans la défense de la langue, de l’identité et des savoirs traditionnels de son peuple. La volonté de revendication de son œuvre au sein du milieu littéraire canadien se confirme par la publication en 2020 de la première traduction vers l’anglais de ses deux livres: Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/I Am a Damn Savage, et Tanite nene etutamin nitassi?/What Have You Done to My Country?, traduits par Sarah Henzi à partir de la traduction en français de José Mailhot, et publiés par Wilfried Laurier University Press. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre réflexion sur la traduction du livre2En effet, cet article est le fruit du travail de traduction vers l’espagnol (à partir de la version en français, par manque de compétences en innu-aimun) des deux premiers chapitres de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse pendant un stage de recherche supervisé par René Lemieux à l’Université de Sherbrooke en 2021. Ces deux chapitres n’ont pas été publiés ; nous exposerons ici seulement des exemples et des réflexions issues de l’expérience de traduction conçue en tant que processus et non pas en tant que résultat. Nous remercions M. Lemieux pour son soutien et ses commentaires, qui ont nourri significativement notre réflexion. Nous avons exposé une version préliminaire et différente de ce travail dans le cadre du colloque «L’autochtonie comparée des Amériques», à l’USAL, en Argentine, en mars 2022. Cette version sera publiée prochainement. Nous y avons développé en particulier la problématique de la traduction vers l’espagnol du mot «innu» dans l’œuvre d’An Antane Kapesh. Dans le présent article, nous aborderons d’autres enjeux de la traduction de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse., née de la volonté de le rendre disponible en espagnol3Lors de la réalisation de cette recherche, aucune traduction hispanophone du livre n’avait été publiée officiellement. En août 2023, Espacio Hudson, maison d’édition argentine, a publié une version bilingue espagnol/innu-aimun, traduite du français par Violeta Percia. De futurs travaux pourront l’examiner à l’aune de l’analyse ici proposée. Nous célébrons cette publication qui souligne le début d’une nouvelle relation Nord-Sud. Nous tenons à souligner, pourtant, que la diffusion du lancement présentait An Antane Kapesh en tant que «femme inuit», une erreur dont nous appelons de nos vœux la correction..

Dans l’exercice de traduction vers l’espagnol de ce texte innu, plusieurs réseaux de lecture se déploient. Aux diverses versions du livre de Kapesh en innu-aimun, en français et en anglais, s’ajoutent d’autres écrits qui nourrissent la réflexion sur la parole autochtone. Penser l’activité traductive à la croisée de ces écrits multiples nous a permis de mettre en dialogue la réflexion francophone et anglophone sur les littératures autochtones avec certains aspects des pensées autochtones hispanophones, notamment par la lecture d’autrices et d’auteurs mapuches, comme Liliana Ancalao ou Elicura Chihuailaf. Par ailleurs, dans ce processus de traduction, le texte original n’est qu’un chaînon de la roue de lectures qui donnent lieu à une nouvelle version: le point de départ n’est pas unique (la version en espagnol peut avoir comme source une des versions en français, la version en anglais, ou l’innu-aimun). De même, chaque décision de traduction implique un parcours, à travers toutes les autres versions, qui nous ramène au point d’origine. Se trace alors un chemin circulaire, à la manière d’un cercle de parole où toutes les voix sont entendues sur un pied d’égalité.

Dans le présent texte, l’acte de traduire convoque des sens multiples. Étudier les versions, circulations et publications de l’œuvre de Kapesh en vue de sa traduction vers l’espagnol nous permettra d’élucider deux aspects différents, mais liés l’un à l’autre, d’un même processus: d’abord, l’idée que la traduction peut contribuer à l’esprit anticolonial du texte en le diffusant dans de nouveaux contextes où sa lecture peut devenir pertinente en relation avec les luttes des peuples autochtones, et en mettant à disposition du projet de l’autrice les outils de la langue et de la culture «d’arrivée». Pourtant, en étudiant les spécificités du texte, il devient évident que les catégories traditionnelles d’analyse traductologique s’avèrent insuffisantes ou inadéquates. Alors, en deuxième lieu, nous croyons que l’étude du chemin particulier de ce livre peut nous aider à établir des perspectives traductologiques qui dépassent les dichotomies et les hiérarchies sous-jacentes à la pensée coloniale eurocentrique, telles qu’«original» opposé à «traduction» ou «oralité» comparativement à «écriture». Ces réflexions seront entamées à partir d’exemples de problématiques de traduction survenues lors de l’exercice de traduction des deux premiers chapitres de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse vers l’espagnol. Les cas étudiés relèvent, d’un côté, du rapport à l’oralité et, d’un autre côté, des problèmes lexicaux liés à l’acte de médiation interculturelle qu’est la traduction. Comme le rappellent Susan Bassnett et Harish Trivedi, «translation does not happen in a vacuum, but in a continuum; it is not an isolated act, it is part of an ongoing process of intercultural transfer» (2002[1999], p. 2). Elles ajoutent également que «[t]ranslation is not an innocent, transparent activity but is highly charged with significance at every stage; it rarely, if ever, involves a relationship of equality between texts, authors or systems» (2002[1999], p. 2). Dans le présent article, nous nous demanderons s’il est possible, en reconnaissant la circularité d’un parcours textuel qui place toutes les versions du texte sur un même pied, de remettre en question ce présupposé d’inégalité entre les textes lors de la traduction, celle-ci étant comprise comme processus et non pas comme résultat.

     

Le parcours de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse

Née le 21 mars 1926 à proximité de Kuujjuaq, An Antane Kapesh est élevée par sa famille en forêt selon les modes de vie traditionnels, en vivant de la chasse et de la pêche. Elle reçoit une éducation innue, contrairement à ses neuf enfants, qui sont obligés d’aller à l’école publique. En 1953, elle s’installe avec sa famille à la réserve récemment créée de Maliotenam, près de Sept-Îles. En 1956, elle et sa famille décident de quitter la réserve pour retourner dans leur territoire et s’installer dans un campement près de Schefferville avec d’autres familles innues, mais ils sont plus tard chassés par l’entreprise Iron Ore, qui les oblige à déménager au lac John. Kapesh devient ensuite la première femme cheffe du conseil de bande de la réserve de Matimekosh de 1965 à 1967. C’est à partir de ces expériences, qui lient profondément sa vie personnelle, la politique et le territoire, que Kapesh décide de commencer à écrire, dans le but de «défendre la culture innue et contester la discrimination sociale et économique et les contraintes de la vie sous l’administration paternaliste du gouvernement québécois et du ministère fédéral alors appelé les Affaires indiennes et du Nord canadien» (Huberman, 2018, p. 112).

Le parcours de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse, déjà évoqué dans d’autres articles (cf. Kancepolsky et Lemieux, 2022), invite à faire une lecture plurielle du texte, qui produit des échos, des résonances et dissonances, comme le ferait un récit, dont la transmission orale permettrait à chaque oratrice de faire sienne la narration, en y apportant des changements pour la raconter dans de nouveaux contextes, à de nouveaux publics. Pour rappeler brièvement l’histoire du livre, il a été publié en 1976 chez Leméac, dans une version bilingue travaillée avec l’anthropologue et linguiste José Mailhot, qui a joué non seulement le rôle de traductrice, mais aussi de réviseuse, d’agente littéraire et de conseillère pour la rédaction en innu-aimun (Mailhot, 2021, p. 12). Cette première publication est donc intéressante du point de vue traductologique, non seulement car il s’agit de la première fois qu’une autrice innue écrivait et était éditée dans sa langue, mais aussi parce que les processus d’écriture, d’édition et de traduction ont été le fruit d’une étroite collaboration entre ces deux femmes, Kapesh et Mailhot. Ce travail horizontal basé sur l’expérience du lien humain constitue en soi une particularité qui défie potentiellement les hiérarchies entre «traduction» et «original»4Les théoriciennes féministes de la traduction avaient déjà signalé l’importance de cette «complicité littéraire active entre femmes» (de Lotbinière-Harwood, 1991, p.71). Selon de Lotbinière-Harwood, la construction des relations de collaboration dans le processus de traduction contredit «le discours mâle qui a habituellement assimilé le rapport auteur-traducteur à celui de maître-esclave» (de Lotbinière-Harwood, 1991, p.23).. Il ne s’agit pas d’un parcours linéaire et unidirectionnel, car l’intervention de Mailhot s’étend à la production même du texte en langue autochtone qu’elle allait traduire postérieurement vers le français, de sorte que nous pouvons supposer qu’il y ait eu une influence d’une version sur l’autre dans un rapport circulaire qui produit des changements dans les deux directions.

L’œuvre est reprise par la maison d’édition parisienne Des femmes, qui publie en 1982 la version en français du texte traduit par José Mailhot, en invisibilisant complètement le fait qu’il s’agit d’une traduction de l’innu-aimun. Il se passe ensuite plusieurs années avant qu’elle ne soit republiée, cette fois-ci en milieu autochtone: en 2015, le livre est réédité par les Éditions du Centre d’amitié autochtone du Saguenay, dans une version bilingue qui présente d’abord tout le texte en innu-aimun et puis le texte en français, de sorte que l’éditeur change la configuration originale offrant les deux versions en parallèle. Encore une fois, c’est une femme qui reprend la parole de Kapesh: le texte est révisé par Geneviève Shanipiap McKenzie-Sioui, qui a apporté des modifications à plusieurs termes de la première version en français, dont la plus remarquable est le changement de «Indien» par «Innu».

En 2019, Mémoire d’encrier fait reparaître le livre. Il s’agit d’une version préfacée par Naomi Fontaine, actualisée selon la normalisation de l’orthographe innue et révisée par la traductrice originale, José Mailhot. Cette édition, qui reste plus proche de celle de 1976 concernant, par exemple, le choix du terme «Indien», a réactualisé dans la scène littéraire québécoise le texte de Kapesh, en réussissant à le placer comme une référence indispensable dans le champ des études littéraires autochtones, et plus spécifiquement dans la littérature innue. La même maison d’édition a réédité par la suite le deuxième livre de l’autrice, Tanite nana etutamin nitassi?/Qu’as-tu fait de mon pays?

Enfin, une version en anglais des deux livres est publiée en 2020, éditée par Wilfrid Laurier University Press et traduite par Sarah Henzi. Cette publication, comme celle de 2019, reprend le format bilingue original avec pages en regard. Elle est également accompagnée de plusieurs notes et d’une postface de la traductrice, où celle-ci s’exprime sur le processus et les décisions de traduction. Son travail est différent de celui de José Mailhot, en ce que son «original» était la version en français et non pas en innu-aimun, problématique qu’elle manifeste explicitement:

[T]he process through which the French versions came to be—a close collaboration between Kapesh and Mailhot over many years—gave me the assurance that working from them was almost (but of course, never entirely) as acceptable as translating from the original Innu. (Henzi dans Kapesh, 2020, p. 275)

C’est à partir de cette même considération que nous avons entrepris l’exercice de traduction des deux premiers chapitres de Je suis une maudite sauvagesse du français vers l’espagnol, en assumant les défis de traduire «d’une langue coloniale à une autre» (Moyes, 2018, notre traduction). Dans ce contexte, l’activité traductive a impliqué un travail comparatif des différentes versions du texte, dans le but de comprendre les décisions de traduction originales entre l’innu-aimun et le français ainsi que les changements entre les éditions, et d’approfondir la compréhension du texte pour pouvoir en formuler une possible lecture en espagnol. Or, dans le présent article, nous ne proposons pas de mettre en relief les différences entre les traductions dans le but de les juger ou de choisir celle qui semblerait la plus «correcte». Dans notre lecture, la constellation formée par les différentes versions offre une vue d’ensemble enrichie du récit, se transmettant par la voix de diverses femmes qui portent la parole de Kapesh. Chaque version interagit avec les autres en les transformant et en défiant la linéarité imposée par le mode traditionnel de lecture occidental et/ou universitaire. En ce sens, nous pensons aux propos du poète mapuche Elicura Chihuailaf quand il fait référence aux modifications qu’il réalise dans ses propres textes déjà lus ou publiés:

Mes livres sont un seul livre, auquel j’ajoute –ou j’enlève– des poèmes que, en bien ou en mal, je modifie fréquemment (soit dans les lectures publiques, soit dans ses versions éditées en triptyques ou en revues); cela résulte d’une plus haute exigence envers les textes écrits, et surtout, d’une tentative de me situer au bord de l’oralité –toujours en vigueur– de notre poésie. (Chihuailaf, 1991, p. 6, notre traduction)5En espagnol: «Mis libros son un solo libro, al que agrego –o quito– poemas que, a su vez, para bien o para mal, modifico con frecuencia (ya sea en las lecturas públicas o en sus versiones editadas en trípticos o revistas); resultado un poco de exigir más a los textos a la mano, y sobre todo, como intento de situarme a orillas de la oralidad –aún vigente– de nuestra poesía» (Chihuailaf, 1991, p. 6).

Cette idée nous permet de penser le parcours de Je suis une maudite sauvagesse comme on pourrait envisager une chaîne de transmission orale, où les propos sont repris par les différentes voix qui, en assumant le rôle d’intermédiaires d’un récit, y apportent des changements liés à leurs positionnements personnels. En ce sens, notre perspective d’analyse est basée sur la conception de l’oralité pratiquée par des Premiers Peuples des Amériques, mise en dialogue avec les idées des traductrices féministes comme Susanne de Lotbinière-Harwood, qui déclare: «[E]ntre femmes, la parole alimente notre pensée et notre pratique autant que l’écriture. Cette façon de vivre les choses vocales rompt la hiérarchie conventionnelle établie entre ces deux formes langagières» (de Lotbinière-Harwood, 1991, p. 70).

    

L’importance de l’oralité

Comme Chihuailaf, Kapesh se situe «au bord de l’oralité». Si elle déclare, au début de son livre, qu’«il ne fait pas partie de ma culture d’écrire» (2019, p. 13), elle décide de s’approprier l’écriture afin de transmettre ses propos aux jeunes de sa nation, mais aussi pour montrer aux «Blancs» sa version de l’histoire coloniale. Ses affirmations témoignent d’un mode de connaissance qui s’appuie sur l’expérience personnelle dans la construction du récit, propre à plusieurs cultures autochtones du continent. Selon l’universitaire Isabelle St-Amand, «Kapesh fait la relation écrite d’évènements dont elle a été témoin ou d’évènements qui lui ont été racontés par des Innus en ayant été témoins» (2015, p. 74), et ainsi elle se rapproche du «tipatshimun», un type de récit traditionnel innu. En faisant référence aux évènements qu’elle a vécus ou en se rapportant à des histoires qu’elle a entendu raconter à d’autres Innus, comme celle de la découverte du minerai de fer, transmise par son père, Kapesh légitime les modes traditionnels de transmission du savoir de son peuple. Le récit oral est donc constitutif de son écriture. Dans Une histoire de la littérature innue, Myriam St-Gelais affirme:

La subjectivité ne remet pas en question la légitimité du savoir et de sa transmission ; au contraire, le savoir est intrinsèquement lié aux «interactions humaines», donc aux sujets. Ainsi, par ses propos et l’imaginaire qu’elle convoque, mais aussi par la syntaxe de son texte qui se rapproche de l’oralité, notamment par l’utilisation de nombreuses répétitions, Kapesh affirme le rôle de l’oralité innue dans la transmission des savoirs de son peuple et se sert de l’écriture pour rassembler des éléments de l’histoire de ce dernier (St-Gelais, 2022, p. 41).

Donc, la place qu’occupe l’oralité dans le livre de Kapesh est double: d’un côté, elle est revendiquée comme mode légitime de conservation et de transmission des informations contenues dans des formes narratives ; d’un autre côté, elle est présente comme influence au niveau structurel de l’écriture. Comme le signale Myriam St-Gelais, ce second aspect, lié à la forme du récit, peut se voir dans les nombreuses répétitions de syntagmes entiers tout au long du texte. Dans le cas suivant, il est possible d’apprécier ce rythme répétitif marqué par l’anaphore:

Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a demandé de permission à personne, il n’a pas demandé aux Indiens s’ils étaient d’accord. Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a fait signer aux Indiens aucun document disant qu’ils acceptaient qu’il exploite et qu’il détruise tout notre territoire afin que lui seul y gagne sa vie indéfiniment. Quand le Blanc a voulu que les Indiens vivent comme des Blancs, il ne leur a pas demandé leur avis et il ne leur a rien fait signer disant qu’ils acceptaient de renoncer à leur culture pour le reste de leurs jours. (2019, p. 15)6En innu-aimun: «Kauapishit ka ui apashtat kie ka ui pikunak nitassinannu, apu ut natuenitamuat auennua kie apu ut kukuetshimat innua miam tshetshi tapuetakukue. Kauapishit ka ui apashtat nitassinannu kie ka ui pikunak, apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishuniti tiapuetakut tshetshi apashtat kie tshetshi pikunak nutim eshpishanit nitassinannu, mukᵘ uin natshishk tshetshi pakassiuatshet. Kauapishit ka ui tutuat innua tshetshi ishinniuniti miam kauapishiniti, apu ut kukuetshimat innua kie apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishuniti tiapuetakut innua tshe ishpish inniuniti tshetshi nakataminiti utinniunnu.» (2019, p. 14)

Parfois, un début de phrase est constamment repris, comme il est possible de voir avec «Quand le Blanc a voulu […]»; parfois, des phrases entières sont reproduites tout au long des chapitres. Par exemple, au début de la page 21 (2019), où l’autrice parle de la mise en place du travail salarié dans le territoire innu, on peut lire: «Vous les Indiens, attention que je vous trompe et attention de vous tromper vous-mêmes.» Cette phrase, rendue en espagnol par «Ustedes, los indios, cuidado con que yo los engañe y cuidado con engañarse ustedes mismos», réapparaît à la page 23, quand l’autrice parle de l’argent et des maisons que le Blanc donnera aux «Indiens», et encore à la page 25, où elle se consacre à la question de l’éducation des Blancs. Bien que les différents contextes d’apparition puissent tenter la traductrice à modifier la tournure de la phrase, nous avons choisi d’utiliser les mêmes formes pour garder l’effet produit par ces «mantras» répétés exactement de la même manière tout au long du récit. Dans un entretien avec Jean-François Villeneuve, José Mailhot affirme que cette façon d’écrire répond aux formes de la littérature orale innue: «Dans les récits, il y a beaucoup de répétitions comme ça. On avance une idée et après ça, on en avance une autre. On fait un petit pas pour avancer un peu plus dans l’histoire» (Mailhot dans Villeneuve, 2019). Cette démarche accomplit aussi une fonction mnémotechnique, aidant l’auditoire à se souvenir du récit grâce aux répétitions. Il s’agit alors d’un élément constitutif de l’écriture de Kapesh que la traduction ne peut pas passer sous silence. Le rythme créé par la répétition peut prendre forme tant en innu-aimun qu’en français, en anglais et en espagnol. Les langues coloniales sont alors imprégnées par cette configuration particulière de la parole.

Le deuxième point important lié au rythme et au rapport à l’oralité concerne la ponctuation. José Mailhot explique que la ponctuation du texte a été construite grâce à l’écoute de la lecture à voix haute de Kapesh: «Guidée par son intonation et sa respiration, j’ajoutais dans le texte les signes de ponctuation qui s’imposaient […]» (Mailhot, 2021, p. 24). L’écriture évoque alors un récit oral où les pauses sont employées par la narratrice pour produire différents effets, ce qui amène le processus de traduction à concevoir une réécriture de la ponctuation qui permette d’«écouter» cette forme de narration. En ce sens, nous avons décidé de respecter certaines absences de virgules normalement obligatoires tant en français qu’en espagnol pour éviter ce que Berman appelle la «destruction des rythmes» (1999, p. 61). C’est le cas de celle qui devrait précéder la conjonction de coordination «mais» dans la phrase suivante:

Par exemple, quand les arpenteurs blancs ont essayé au début de venir arpenter le Nord, ils n’ont pas trouvé un seul Indien pour les accompagner, mais malgré cela, ils ont tenté d’aller à l’intérieur des terres. (2019, p. 53)7En innu-aimun: «Mate kakusseshiu-katipaitshesht ushkat ka kutshipanitat tshetshi natshi-tipaik Tshiuetinnu, apu
ut mishkuat peikᵘ innua tshetshi uitsheukut mukᵘ iapit kutshipanitapan tshetshi kushpit eka peikᵘ innua e uitsheukut.» (2019, p. 56)

Por ejemplo, cuando los agrimensores blancos intentaron al principio venir a cartografiar el Norte, no encontraron ni un solo indio para acompañarlos pero a pesar de eso, intentaron ir tierra adentro.

Si la reconnaissance des enjeux de rythme et de ponctuation est importante dans tout processus de traduction, elle devient essentielle au sein des textes qui, comme celui de Kapesh, sont héritiers et porteurs d’une tradition orale. D’ailleurs, traduire vers l’espagnol signifie également rendre lisible ce texte par des peuples autochtones hispanophones qui partagent cette tradition, comme le confirme l’écrivaine mapuche Liliana Ancalao:

La tradition orale est l’univers que l’on respire dans l’air de nos réunions, l’univers irrépressible dans notre corps. La mémoire.

La mémoire parmi les Anciens avait circulé seulement sous forme orale. Ce sont nos peuples qui ont décidé d’utiliser les graphèmes occidentaux pour écrire la langue originaire.

Écrire la mémoire dans une lutte pour la défendre de l’oubli. (Ancalao, 2019, notre traduction)8«La tradición oral es el universo que se respira en el aire de nuestras reuniones, el universo incontenible dentro de nuestro cuerpo. La memoria.
La memoria entre los antiguos había circulado sólo en forma oral. Fue una decisión de nuestros pueblos usar los grafemas occidentales para escribir el idioma originario.
Escribir la memoria en una pelea por defenderla del olvido.» (Ancalao, 2019)

      

L’Indien, le Montagnais, le Blanc et les Aînés

Dans un article précédent (Kancepolsky Teichmann, sous presse), nous avons fait référence à la problématique de traduire le terme «innu9Cette problématique a été analysée plus profondément dans la communication présentée dans le cadre du colloque «L’autochtonie comparée des Amériques», qui sera bientôt publiée sous forme d’article. Donc, nous rappellerons très brièvement la discussion sur les termes «innu» et «Indien» sans la reproduire au complet.», de l’innu-aimun, terme que José Mailhot a traduit en général comme «Indien» (il apparaît ainsi dans les versions en français de 1976, de 1982 et de 2019). Le même terme est traduit en français par « Innu » dans la version de 2015, révisée par McKenzie-Sioui, et dans la version en anglais de Henzi, comme on peut le voir dans les extraits suivants:

Quand le Blanc a voulu que les Indiens vivent comme des Blancs, il ne leur a pas demandé leur avis et il ne leur a rien fait signer disant qu’ils acceptaient de renoncer à leur culture pour le reste de leurs jours. (1976, p. 13 ; 1982, p. 9 ; 2019, p. 15)10En innu-aimun: «Kauapishit ka ui tutuat innua tshetshi ishinniuniti miam kauapishiniti, apu ut kukuetshimat innua kie apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishiniti tiapuetakut innua tshe ishpish inniuniti tshetshi nakataminiti utinniunnu.» (Kapesh, 2019, p. 14)

Quand le Blanc a voulu que les Innu vivent une vie de Blanc, il ne leur a pas demandé leur avis et ne leur a pas non plus donner [sic] un document à signer disant que l’Innu consent durant toute sa vie à quitter sa propre vie d’Innu. (2015, p. 93)

When the White man wanted for the Innu to live like the White men, he did not ask them for their opinion and he did not give them a document to sign saying they agreed to give up their culture for the rest of their days. (2020, p. 11)

Si le mot «innu» en innu-aimun peut signifier, à la fois, «être humain», «Autochtone» ou «membre de la nation innue», la divergence entre les versions répond, selon notre critère, à deux stratégies de traduction différentes. Celle qui se donne la tâche de «recontextualiser», comme le signale le titre de la postface écrite par Sarah Henzi dans sa traduction (2020, p. 277), peut se permettre d’utiliser le terme «Innu», revendiqué actuellement par les membres de la nation. Il s’agit donc d’un positionnement actuel qui conteste les appellations coloniales dans la quête d’une justice, liée à la reconnaissance de l’identité, des droits et du territoire, qui se manifeste par l’utilisation des mots corrects pour désigner chaque nation. L’autre stratégie, celle utilisée par José Mailhot dans sa première version et conservée dans la dernière, contextualise le texte dans le vocabulaire des années 1970, qui est aussi le vocabulaire de Kapesh. En même temps, cette stratégie témoigne, nous croyons, de la reconnaissance d’une opération discursive menée par Kapesh dans son texte: comme dans le titre de son livre, l’autrice s’approprie les mots de l’Autre (Indien, sauvagesse) pour les renverser et leur fournir un nouveau sens, propre, qu’elle peut revendiquer avec fierté. Ce jeu de réappropriation du terme colonial pourrait également fonctionner en espagnol par la mise en place de «indio», comme nous avons essayé dans notre traduction: «Cuando el blanco quiso que los indios vivieran como los blancos, no les pidió su opinión y no les hizo firmar nada que dijera que aceptaban renunciar a su cultura por el resto de sus días».

La problématique devient encore plus complexe si l’on tient compte de l’apparition du mot «Montagnais» dans le texte. Comme «Indien», ce terme, qui désignait les Innus, représentait une vision coloniale, faisant allusion au fait que ce peuple habitait dans des régions perçues comme montagneuses par les colonisateurs. Cette appellation apparaît dans le deuxième chapitre du livre, quand l’autrice reproduit l’histoire de la découverte du minerai de fer à partir des histoires qu’elle a entendu raconter à son père, pour contester le fait que c’est un prêtre blanc qui a été responsable de la découverte. Dans la première traduction en français, on lit: «Quand le Père Babel a songé à venir ici sur notre territoire, qui l’a amené dans le Nord? C’est l’Indien montagnais» (1976, p. 39)11En innu-aimun: “Kakuskuenitak ka itenitak tshetshi takushint ute nitassinat, tshekuenu eukuannu eshinniunJ peshukupan ute tshiuetint? Eukuannu innu Mutania peshukupan.” (1976, p. 38). Dans les versions de 1982 et de 2019, le terme «montagnais» est conservé, tandis que dans celle de 2015 on peut lire «Quand le Père Babel a songé à venir ici sur notre territoire, qui l’a amené dans le Nord? C’est l’Innu qui l’a amené» (2015, p. 99), ce qui confirme la volonté d’effacer les traces du langage colonial dans le texte, comme la réviseuse avait fait pour «Indien». Dans la version anglaise, on peut lire: «When Father Babel thought about coming to our territory, who brought him to the North? It is the Montagnais Innu who brought him there» (2020, p. 31). Cela répond au fait que, dans le texte original en innu-aimun, Kapesh avait utilisé le terme «innu Mutania», où «Mutania» est une translittération de «Montagnais12Dans la version en innu-aimun de l’édition de 2015, une note en bas de page signale que «[l]e terme “Mutania” est un néologisme qui signifie “Montagnais”». (2015, p. 19)»: peut-être l’autrice l’a-t-elle utilisé pour donner à interpréter le mot «innu» dans le sens strict d’une personne de la nation innue, et ainsi le différencier du sens de «Autochtone» ou «Indien» qui serait plus général. Si tel est le cas, cela pourrait indiquer que les autres occurrences du mot «innu» évoquent ce concept général, ce qui pourrait entraîner de la confusion dans les versions où «innu» est traduit par «Innu». En français comme en anglais, ce terme ne renvoie qu’aux personnes appartenant à cette nation et exclut celles d’autres nations autochtones, en remplacement du mot «Montagnais» qu’on utilisait auparavant.

Toutefois, le mot est utilisé dans la version française à plusieurs reprises, même dans des cas où la version en innu-aimun précise seulement «innu». Nous avons également remarqué que, dans certains cas, elle apparaît dans la version de 2019 et non pas dans celle de 1976, comme dans cet extrait: «Le portrait que vous voyez aujourd’hui suspendu dans la salle des Chevaliers de Colomb est celui du Père Babel et d’une famille indienne» (1976, p. 47), qui devient: «L’image que vous voyez aujourd’hui accrochée au mur dans la salle des Chevaliers de Colomb représente le Père Babel et une famille montagnaise» (2019, p. 43)13En innu-aimun: «Ne akunikan kashikanit uiapamekui ekuashkuauakanit anite Shepaniekanautshuapit, Kakushkuenitak mak peikᵘ innu-kautishkuemit.» (2019, p. 44). Le mot utilisé en innu-aimun est «innu-kautishkuemit», que nous pouvons interpréter, à l’aide du Dictionnaire innu-aimun en ligne, comme «famille innue». Ce qu’il reste à savoir, c’est si le choix d’utiliser «montagnaise» dans la version la plus récente répond à l’interprétation du mot «innu» dans le sens spécifique que nous avons mentionné avant, qui le distingue du groupe des «Autochtones» ou des «Indiens».

Le problème se pose alors pour la traduction, puisque ce gentilé n’existe pas en espagnol en tant que tel. Si le terme «montañés» partage avec «montagnais» son étymologie et son sens premier (une personne qui habite dans les montagnes), il ne partage pas la référence socioculturelle à un groupe déterminé, celui du peuple innu. La traduction peut alors mettre en place deux stratégies différentes: la première consisterait à essayer d’élargir le sens du terme existant dans la langue espagnole par le biais de son utilisation dans ce contexte spécifique. Ainsi, «montañés», accompagné d’une contextualisation dans une note en bas de page, adopterait le sens de «Montagnais» dans l’extrait suivant: «cuando el padre Babel quiso venir aquí a nuestro territorio, ¿quién lo llevó al norte? Fue el indio montañés». La deuxième stratégie ferait appel à l’hétérolinguisme en réponse au manque de termes précis dans la langue cible. Cela impliquerait l’inclusion du mot en français au sein du texte en espagnol, dans le but de garder la référence socioculturelle renvoyant directement au contexte québécois: «cuando el padre Babel quiso venir aquí a nuestro territorio, ¿quién lo llevó al norte? Fue el indio montagnais». Cette dernière stratégie permettrait au lectorat hispanophone de se mettre en contact avec la matérialité du mot colonial, de reconnaître l’Autre dans le mot étranger, comme dans la version innue, où Kapesh décide d’utiliser ce néologisme provenant du français. Ici, comme dans les exemples précédents, la réflexion découle de la lecture et de la relecture circulaires de toutes les versions du texte, qui apportent, au vu des différences de chacune, de nouveaux défis, mais aussi de nouvelles formes de compréhension de l’emploi du terme choisi par l’autrice ou les traductrices.

Nous avons également cité dans un article précédent le problème de traduction posé par «le Blanc», expression utilisée à plusieurs reprises dans le livre de Kapesh (Kancepolsky et Lemieux, 2022), qui constitue en soi une catégorie politique (Mailhot, 2017, p. 42) de laquelle l’autrice souhaite se distinguer: «Dans mon livre, il n’y a pas de parole de Blancs» (2019, p. 13)14En innu-aimun: «Ute nimashinaikanit apu takuannit kauapishit utaimun.» (2019, p. 12).. L’innu-aimun ne partage pas les mêmes genres grammaticaux que le français: les noms ne sont pas masculins ou féminins, mais animés ou inanimés. La traduction du mot «kauapishit» a alors impliqué pour Mailhot la décision de réécrire le mot au masculin, même si cette marque de genre peut être lue comme «neutre» en innu-aimun. Cette stratégie est reprise explicitement dans la traduction anglaise, où Henzi a décidé de traduire «the White Man», en expliquant dans une note en bas de page que, par ce geste, elle voulait souligner l’aspect genré et patriarcal de la colonisation. «Le Blanc» est alors rendu spécifiquement par «l’Homme Blanc», à travers une intervention consciente de la traductrice qui relève de sa posture politique.

En espagnol, il serait acceptable de trouver «el blanco», contrairement à l’anglais qui ne permettrait pas de dire «the White» dans ce contexte. Pourtant, la majuscule ne devrait pas s’utiliser et le nom pourrait sembler vague, puisque l’idée de personne blanche n’est qu’un des sens possibles du mot et est habituellement communiquée au pluriel («los blancos») ou accompagnée d’un nom («las personas blancas»). Ce dernier syntagme se trouve surtout dans un contexte qui cherche à éviter l’utilisation du masculin générique. Ainsi, une intervention similaire à celle de Henzi pourrait donner lieu à l’emploi de «el hombre blanco», mais cela représenterait une intervention encore plus marquée (car il n’y a pas d’obligation grammaticale en espagnol) de la posture traduisante. Dans notre processus de traduction, nous avons choisi de conserver «el blanco», consciente du fait qu’il s’agit en effet d’un mot masculin qui peut être interprété dans le sens de l’aspect genré du colonialisme signalé par Henzi sans avoir besoin de le rendre plus explicite.

Une autre désignation dont l’aspect culturel attire l’attention dans le texte de Kapesh en vue de sa traduction est celle des Aînés. Dans le chapitre 2, lorsqu’elle fait référence au récit des Blancs sur la découverte du minerai de fer par le Père Babel, elle écrit: «Je n’ai jamais entendu raconter cette histoire par mon père, ni par d’autres Indiens ni par d’autres Aînés» (2019, p. 37)15En innu-aimun: «Ume tipatshimun apu nita ut petuk nutaui tshetshi tipatshimut kie peikuan kutakat innuat kie tshishennuat apu nita ut petukau tshetshi tipatshimuht.» (2019, p. 36). Elle y fera référence encore à d’autres moments, quand il est question de leur rôle dans la transmission des histoires. En effet, les Aînés constituent une catégorie sociale particulière au sein de la culture innue. Leur statut implique une connaissance approfondie de la culture et des récits qui la constituent, ainsi que la mission de former les jeunes dans la tradition: comme le signalent Guay et Delisle, «les aînés sont la mémoire incarnée des Innus» (Guay et Delisle, 2019, p. 68). Dans ce contexte, la définition du mot possède donc des connotations qui vont au-delà de la question de l’âge: ils représentent la conservation et la transmission de la culture, des histoires et des savoirs du peuple. L’importance du concept se confirme peut-être par l’utilisation de la majuscule.

En ce sens, la lecture des différentes versions en vue de la traduction vers l’espagnol impose une réflexion intéressante: si José Mailhot choisit d’utiliser «Aînés», dans l’édition révisée par Geneviève Shanipiap McKenzie-Sioui, on peut lire «Vieux» (2015, p. 100). En effet, le mot innu «tshishennu» signifie, selon le Dictionnaire Innu-aimun en ligne, «un vieux, un vieillard, un aîné». Dans la traduction anglaise, Sarah Henzi utilise le terme «Elders». En espagnol, divers mots pourraient être proposés, dont «mayores», qui est, comme en français, à la fois un adjectif et un nom (par exemple, «ma sœur aînée» devient «mi hermana mayor») et qui est souvent utilisé pour parler des personnes âgées. Dans le prologue de Uiesh/Quelque part, Joséphine Bacon écrit «J’appartiens à la race des aînés», phrase que Leonor Sara a traduit ainsi: «Pertenezco a la raza de los mayores» (Bacon dans Sara et Zaparat, 2021, p.29). Dans ce cas, il s’agit de souligner la position exprimée par l’autrice, qui se reconnaît comme héritière des savoirs et des expériences vécues par ceux qui l’ont précédée: «Je n’ai pas marché Nuthsimit, la terre. Ils me l’ont racontée. J’ai écouté mes origines» (Bacon dans Sara et Zaparart, 2019, p. 28). En ce sens, nous pourrions penser également à «antepasados»: ceux qui ont vécu avant nous dans notre famille. Cependant, ce terme implique souvent que les personnes dont on parle sont décédées. Une troisième option peut être énoncée: «ancianos». Ce mot, qui pourrait se traduire par «des anciens» et même «des vieux», ne semblait d’abord pas approprié, puisque sa définition renvoie principalement au concept de vieillesse, souvent perçu non pas comme une qualité, mais comme un défaut (la preuve en est que le mot n’est pas utilisé dans des contextes institutionnels, où l’on préfère des termes plus neutres ou euphémistiques tels que «adultos mayores» ou «la tercera edad»).

C’est toutefois sur ces points-là que le processus de traduction peut s’avérer révélateur des contraintes d’une culture particulière: l’idée de l’ancienneté, de la vieillesse comme un aspect négatif ou à éviter pourrait être symptomatique d’une tradition capitaliste ancrée dans le culte du travail salarié, où les personnes retraitées, et donc improductives, ne sont pas valorisées. L’ancienneté est fréquemment associée à une perte de pouvoir, d’autonomie et des capacités propres. Dans ce sens, il nous semble important de revenir sur l’idée du renversement des termes perçus comme péjoratifs pour revendiquer les sujets nommés comme des acteurs sociaux et politiques actifs. Ainsi, il est possible de percevoir, grâce au contexte, que les «Ancianos», les Aînés, sont des sujets respectés au sein de la culture innue, qui possèdent une certaine autorité sur le savoir et les informations transmises. Une analyse d’un corpus parallèle de textes en espagnol écrits en contexte autochtone du Cône Sud confirme l’utilisation du mot, comme on peut voir dans les écrits de l’écrivaine mapuche Liliana Ancalao (2019), qui nomme les «ancianos portadores del conocimiento» (les aînés porteurs des connaissances) dans les récits de réappropriation de sa culture mapuche. Nous avons donc choisi d’utiliser ce terme, qui attirera l’attention du lectorat par son emploi avec majuscule, dans l’espoir d’aider à la construction d’un imaginaire des Aînés plus juste et en accord avec l’organisation sociale des peuples autochtones, tant dans le Nord que dans le Sud des Amériques.

    

Les lieux

Le territoire est un élément constitutif du récit de Kapesh. En effet, elle dénonce la dépossession vécue par son peuple dans le cadre de l’imposition d’un mode de vie blanc basé sur le travail salarié et l’exploitation des ressources naturelles. Pour le Blanc, la sédentarisation des Innus, l’école obligatoire pour leurs enfants et l’affaiblissement de leur culture avaient pour objectif de prendre possession des terres ancestrales pour en tirer un profit économique. Amélie-Anne Mailhot signale que dans le mode d’habitation politique du Blanc, «[l]’usage du territoire s[e] […] révèle extractif et privatif, spéculatif et exclusif, arrimé à un régime foncier ancré dans la propriété privée et dont l’horizon est la transformation des éléments naturels en capital» (2017, p. 41). Pourtant, Kapesh explique qu’au sein de sa culture traditionnelle, l’argent n’est pas nécessaire: le lien avec le territoire est direct, la terre serait capable de fournir la nourriture, si les terrains de chasse n’avaient pas été ruinés par le Blanc: «Mon mari, par exemple, a été poussé par le Blanc à prendre un travail salarié et il a accepté cela. Un jour il s’est rendu compte que le terrain où il chassait se trouvait sous l’eau, avec tous ses animaux indiens. Je parle de la rivière Hamilton où on a construit un barrage, c’est là que se trouve notre terrain de chasse. […] Cela fait à présent presque vingt ans que mon mari est salarié. Moi je pense que le travail salarié n’a aucune valeur pour moi qui suis Indienne» (2019, p. 89).

La territorialité, ou espace, prend donc une grande importance dans la narration, où elle est évoquée de diverses manières: «notre territoire» («votre territoire» quand il est évoqué du point de vue du Blanc, ou «vos terres»), «chez nous», «l’intérieur des terres». Ces derniers syntagmes s’avèrent particulièrement problématiques dans le processus de traduction. L’espagnol ne possède pas de préposition équivalente à «chez», impliquant la nécessité de trouver chaque fois une manière différente de reconstituer le sens du lieu et de l’appartenance dénoté par son utilisation en français. S’il s’agit d’une maison, l’opération est simple: «chez moi» devient «mi casa», «chez nous» devient «nuestra casa». Néanmoins, l’idée évoquée par Kapesh ne pourrait jamais prendre la forme d’une «casa», le concept de maison étant justement contesté par l’autrice au moment de raconter le déménagement de sa communauté vers des «maisons des Blancs». «Chez nous» représente, dans ce cas, les terres arpentées pendant des années par les Innus du Québec, un vaste territoire où ils se déplaçaient et chassaient chaque saison, contrairement aux Blancs, qui y sont étrangers. Dans le premier chapitre, l’expression fait son apparition dans la traduction de José Mailhot quand la version en innu-aimun précise «nitassinat»:

Quand le Blanc a eu l’idée d’exploiter et de détruire l’ensemble de notre territoire, il est tout simplement venu nous rejoindre. Après être arrivé chez nous, il nous a pris pour nous enseigner sa façon de vivre à lui, il nous a donné toutes les choses de sa culture et il nous a fourni tous les services des Blancs […]. (2019, p. 15)16En innu-aimun: «Kauapishit ka itenitak tshetshi apashtat kie ka itenitak tshetshi pipikunak nutim eshpishanit nitassinannu, kuishkᵘ ninatuapamikutan. Katshi takushinit ute nitassinat ekue nutinikutan tshetshi tshishkutamuimit nenu uin utinniun kie ekue nimaminikutan kassinu tshekuannu nenu uin utinniun kie nenua utaitapashtauna kauapishit kassinu tshekuannu nutinamakutan […].» (2019, p. 14)

Face à ce conflit lexical, dans un premier temps, nous avions décidé de traduire «chez nous» par «hogar», concept proche de celui de «foyer», puisque la volonté était de transmettre l’idée d’un lieu auquel on appartient, où l’on se sent à l’aise. La problématique relève, encore une fois, des distances entre les cultures: elle fonctionne donc comme reflet des projections de la propre culture dans celle de l’Autre. En effet, ces idées ne semblent pas adéquates pour reconstituer la parole d’une femme appartenant à un peuple nomade, qui revendique un mode de vie différent à celui de la modernité occidentale dont l’idée de confort est l’un des piliers. «Hogar» ne pourrait pas fonctionner correctement dans ce contexte. Dans la version anglaise, «chez nous» est la plupart du temps effacé ou remplacé par une tournure qui implique, parfois implicitement, la présence du territoire. C’est par la lecture de cet extrait en anglais que nous avons pensé à mettre en place un choix de traduction similaire. Nous avons donc choisi d’élider l’expression «chez nous», vu que le verbe qui le précède («llegar») dénote l’idée de lieu, et que dans le même paragraphe on fait référence au territoire. Voici les deux versions:

When the White man had the idea to exploit and destroy all of our territory, he simply came to see us. After he arrived, he took us so as to teach us his way of life, he gave us all the things of his culture and he provided us with all the White man’s services […] (2020, p.11).

Cuando el blanco tuvo la idea de explotar y destruir todo nuestro territorio, simplemente vino a encontrarse con nosotros. Luego de haber llegado, nos tomó para enseñarnos su propia manera de vivir, nos dio todas las cosas de su cultura y nos proporcionó todos los servicios de los blancos […].

Dans le deuxième chapitre, «l’intérieur des terres» pose un défi pour la traduction. Si l’expression existe en français (le Dictionnaire Larousse en ligne la définit ainsi: «dans l’arrière-pays ou assez loin de la côte, par opposition au bord de mer»), l’équivalence en espagnol n’est pas évidente. La transposition directe, la «traduction de la lettre» dans les mots de Berman, qui respecterait l’image évoquée par l’expression, nous a amenée, d’abord, à traduire par «el interior de las tierras». Le but est de conserver également l’idée d’intériorité, de profondeur, d’un lieu qui se trouve loin de la côte ou qui s’oppose à elle. Comme Kapesh l’affirme dans son livre, la côte représentait le lieu du colonisateur, tandis que l’intérieur des terres appartenait aux Indiens. Le renversement de ces positions par le Blanc, qui a envoyé les Indiens vers la côte pour s’emparer des territoires, a été la source de l’éventail de problèmes nommés par l’autrice. L’expression «el interior de las tierras» n’existe pas en tant que telle en espagnol. Pourtant, les autres possibilités semblent encore moins convaincantes: «el territorio» constitue une neutralisation du terme, un «appauvrissement qualitatif» (Berman, p. 59), puisque le terme «territoire» est aussi utilisé dans le texte. Pour sa part, «el interior» possède des connotations régionales très concrètes, du moins dans la toponymie argentine, où il représente le territoire des provinces, tout ce qui n’est pas la capitale.

Le choix de la traduction anglaise est intéressant, car il condense tous les aspects du concept exprimés par Kapesh en un seul mot: par exemple, l’extrait «[…] le Père Arnaud, quand il a songé à venir à l’intérieur des terres, c’est aussi l’Indien qui l’a amené […]» (2019, p. 37) devient en anglais «[…] Father Arnaud, when he thought to go inland, it is also the Innu who brought him there […]» (2020, p. 31, nous soulignons). C’est l’idée de «inland» qui a inspiré une dernière possibilité en espagnol, «tierra adentro», locution adverbiale définie par le Dictionnaire de la RAE17Nous avons décidé de citer ce dictionnaire, car il s’agit, aujourd’hui, du seul dictionnaire en ligne qui est utilisé comme référence pour toute question relative à la langue espagnole, et qu’il a été utile dans le contexte de cet exemple en particulier. Nous souhaitons exprimer, pourtant, qu’il ne représente pas toujours la réalité des variétés de l’espagnol d’Amérique latine et qu’il ne constitue pas, en ce sens, une autorité linguistique indiscutable. ainsi: «loc. adv. U. para determinar todo lugar que en los continentes y en las islas se aleja o está distante de las costas o riberas». Le changement de «interior» par «adentro» permet de créer l’idée de spatialité d’une manière plus concrète, sans perdre le sens proposé par l’autrice, mais en accord avec les usages de la langue espagnole. Ce cas confirme, encore une fois, que c’est de la lecture multiple des différentes versions du texte que la nouvelle proposition émerge. En fait, il est possible d’affirmer que la «source» de cette stratégie traductive est le texte en anglais, qui constitue en soi la traduction d’une traduction. Notre version hispanophone vient alors s’imbriquer dans cette série de relectures sans pour autant s’éloigner des propos de l’autrice, dans un processus de traduction qui relève d’un parcours circulaire.

Finalement, dans le deuxième chapitre, Kapesh parle des arpenteurs blancs qui sont venus dans le territoire:

Quant aux arpenteurs blancs, il est inutile de rappeler à combien d’années remonte leur venue dans le Nord, plusieurs Indiens les ont vus à leur arrivée, dit mon père. Quand eux sont arrivés ici, l’Indien avait depuis très longtemps fini d’arpenter avec ses jambes tout son territoire et il avait depuis très longtemps, lui le premier, dit comment s’appelleraient, à la grandeur de son territoire, les rivières, les lacs, les montagnes et les ruisseaux. […] Par exemple, quand les arpenteurs blancs ont essayé au début de venir arpenter le Nord, ils n’ont pas trouvé un seul Indien pour les accompagner […]. (2019, p. 51, nous soulignons)18En innu-aimun: «Ekᵘ ne kakusseshiu-katipaitshesht apu tshi uauinakanit tan ka tatupipunnit ka takushinit ute Tshiuetinit usham mitshetipanat innuat ka uapamaht ushkat ka takushinniti kakusseshiu-katipaitsheshiniti ute, issishueu nutaui. Kakusseshiu-katipaitshesht ka takushinit ute, innu shash mishta-shashish tshishi-tipaimupan nutim eshpishanit utassi, ushkata e apashtat, kie shash nete mishta-shashish uinishtam innu uauitamupan tshe ishinikatenit nutim eshpishanit utassi: shipua, shakaikana, utshua kie shipissa. Mate kakusseshiu-katipaitshesht ushkat ka kutshipanitat tshetshi natshi-tipaik Tshiuetinnu, apu ut mishkuat peikᵘ innua tshetshi uitsheukut mukᵘ iapit kutshipanitapan tshetshi kushpit eka peikᵘ innua e uitsheukut.» (2019, p. 56)

Dans cet extrait, José Mailhot utilise deux fois le verbe «arpenter», lorsque Kapesh utilise le verbe «tipaimu» (qui, selon le Dictionnaire Innu-aimun en ligne, signifie «il mesure quelque chose avec un instrument»): dans la première occurrence (en innu-aimun, «tipaimupan»), le référent est l’Indien; dans la deuxième occurrence (en innu-aimun, «tipaik»), il fait référence aux arpenteurs blancs. L’un arpente avec ses jambes, les autres probablement avec des outils pour mesurer. Ici, la polysémie du verbe français entre en jeu, puisqu’il peut faire référence tant à l’action technique de mesurer la superficie d’un terrain (en espagnol, «medir»), qu’à l’action métaphorique de parcourir un endroit, voire marcher, surtout si c’est «avec ses jambes» (en espagnol, «recorrer, caminar con pasos largos»). Cependant l’idée de l’Indien qui arpente le terrain est aussi liée, dans le texte, au fait de connaître et de nommer les différentes parties du territoire. Il nous semble donc important de conserver les différents sens en utilisant un même mot dans les deux cas, car traduire l’action de l’«Indien» par «recorrer» (parcourir) et celle du «Blanc» par «medir» (mesurer) contribuerait, d’une certaine façon, à nourrir un imaginaire colonial selon lequel l’ordre, la rationalité, donc les connaissances scientifiques qui guident le travail (dans ce cas, celui de l’arpenteur) n’appartiennent qu’au Blanc. Nous optons donc pour le verbe «cartografiar», qui permet de garder l’idée de connaissance et d’enregistrement des espaces, même si c’est «con las piernas» («avec les jambes»):

En cuanto a los agrimensores blancos, es inútil recordar hace cuánto que vinieron al Norte, muchos indios los vieron llegar, dice mi padre. Cuando ellos llegaron aquí, hacía mucho tiempo que el indio había terminado de cartografiar con sus piernas todo su territorio y hacía mucho tiempo que había dicho, él primero, cómo se llamarían, en la extensión de su territorio, los ríos, los lagos, las montañas y los arroyos. […] Por ejemplo, cuando los agrimensores blancos intentaron al principio venir a cartografiar el Norte, no encontraron ni un solo indio para acompañarlos […]. (c’est nous qui soulignons)

     

Le chemin circulaire des traductions

Travailler Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse dans le cadre d’une lecture multiple, constituée d’une constellation de versions, mais aussi de textes d’autres latitudes, nous a permis d’élargir notre pratique traductive et de mettre en question les normes qui établissent des hiérarchies entre les langues et les modes de narration ou de traduction. Nos décisions ne répondent pas nécessairement à une quête de «fidélité au texte original», mais plutôt à une compréhension globale des propos et du projet de Kapesh transmis par les différentes éditions qui se sont réapproprié sa voix à travers la matérialité de l’écriture. L’idée d’un chemin circulaire des traductions, des discours qui se juxtaposent, se superposent et se parlent entre eux nous fait penser, encore une fois, aux propos de Liliana Ancalao:

On écrit dans la langue originaire, dans la langue qui est toujours maternelle, même si on l’apprend comme deuxième langue, et aussi dans l’autre: le castillan, l’anglais, le français, le portugais.

Les traductions vont et viennent, de la première à la deuxième langue et vice-versa, et dans les allers-retours les mots se polissent comme des pierres. (Ancalao, 2019, notre traduction)19En espagnol: «Se escribe en el idioma originario, en la lengua que sigue siendo materna, aunque la aprendamos como segunda lengua, y también en el otro idioma: castellano, inglés, francés portugués. Las traducciones van y vienen, desde la primera a la segunda lengua y viceversa, y en las vueltas las palabras se pulen entre sí como piedras» (Ancalao, 2019).

Le processus de traduction d’un texte comme celui de Kapesh peut être également révélateur des distances et des rapprochements entre les langues-cultures travaillées. Le sujet traduisant est capable de formuler un dialogue constant entre celles-ci afin de produire le plus juste texte possible, permettant la création d’autres rapports, peut-être plus égalitaires, entre les langues et les cultures.  Dans ce sens, nous considérons qu’il nous reste beaucoup de travail à faire: cela n’est qu’un premier pas sur un long chemin qui devra impliquer un approfondissement des connaissances sur la culture innue et sur les cultures autochtones de l’Amérique latine, ainsi que la collaboration des membres de ces communautés pour assurer l’authenticité du projet et le respect en raison de la complexité du sujet.

En effet, il s’agit d’une œuvre qui aborde des enjeux clés concernant tant le peuple innu que d’autres nations du continent. C’est pour cette raison que nous souhaitons rejoindre les voix des traductrices qui ont repris la voix de Kapesh. En ce sens, nous sommes guidée non seulement par l’intérêt intellectuel de traduire son écriture, mais aussi par un engagement envers la parole de Kapesh, et par un profond désir de la faire connaître: nous sommes convaincue que ce livre mérite de circuler et de faire résonner les propos de son autrice aux quatre coins des Amériques.

    

Bibliographie

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Kapesh, An Antane (1982). Je suis une maudite sauvagesse. Traduit par José Mailhot, Des femmes.

Kapesh, An Antane (2019). Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse. Édité par Naomi Fontaine, Traduit par José Mailhot, Mémoire d’encrier.

Kapesh, An Antane (2020). Eukuan Nin Matshi-Manitu Innushkueu / I Am a Damn Savage; Tanite Nene Etutamin Nitassi? / What Have You Done to My Country? Traduit par Sarah Henzi, Wilfrid Laurier University Press.

Mailhot, Amélie-Anne (2017). «La perspective de l’habitation politique dans Je suis une maudite sauvagesse/Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu d’An Antane Kapesh». Recherches féministes, vol. 30, no 1, p. 29-45.

Mailhot, José (2021). Shushei au pays des Innus. Mémoire d’encrier.

Moyes, Lianne (2018). «From one colonial language to another: translating Natasha Kanapé Fontaine’s “Mes lames de tannage”». TranscUlturAl, vol. 10, no 1, p. 64-82. En ligne: <https://doi.org/10.21992/tc29378>.

Sara, María Leonor, et María Julia Zaparart (dir.) (2021). Mujer tierra, mujer poema. Malisia.

St-Amand, Isabelle (2015). «Le pouvoir de la parole, d’An Antane Kapesh à Réal Junior Leblanc». Littoral, no 10, p. 73-76.

St-Gelais, Myriam (2022). Une histoire de la littérature innue. Laboratoire international de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique et Institut Tshakapesh.

Venuti, Lawrence (1995). The Translator’s Invisibility. A History of Translation. Routledge.

Villeneuve, Jean-François (2019). «La colère d’An Antane Kapesh, toujours aussi pertinente 43 ans plus tard». Radio Canada, 9 août 2019. En ligne: <https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1251743/an-antane-kapesh-innu-litterature-essai> [consulté le 20 avril 2021].

  • 1
    L’œuvre a été aussi rééditée en 1982 (Paris, Des femmes) et en 2015 (Chicoutimi, Centre d’amitié autochtone du Saguenay).
  • 2
    En effet, cet article est le fruit du travail de traduction vers l’espagnol (à partir de la version en français, par manque de compétences en innu-aimun) des deux premiers chapitres de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse pendant un stage de recherche supervisé par René Lemieux à l’Université de Sherbrooke en 2021. Ces deux chapitres n’ont pas été publiés ; nous exposerons ici seulement des exemples et des réflexions issues de l’expérience de traduction conçue en tant que processus et non pas en tant que résultat. Nous remercions M. Lemieux pour son soutien et ses commentaires, qui ont nourri significativement notre réflexion. Nous avons exposé une version préliminaire et différente de ce travail dans le cadre du colloque «L’autochtonie comparée des Amériques», à l’USAL, en Argentine, en mars 2022. Cette version sera publiée prochainement. Nous y avons développé en particulier la problématique de la traduction vers l’espagnol du mot «innu» dans l’œuvre d’An Antane Kapesh. Dans le présent article, nous aborderons d’autres enjeux de la traduction de Eukuan nin matshi-manitu innushkueu/Je suis une maudite sauvagesse.
  • 3
    Lors de la réalisation de cette recherche, aucune traduction hispanophone du livre n’avait été publiée officiellement. En août 2023, Espacio Hudson, maison d’édition argentine, a publié une version bilingue espagnol/innu-aimun, traduite du français par Violeta Percia. De futurs travaux pourront l’examiner à l’aune de l’analyse ici proposée. Nous célébrons cette publication qui souligne le début d’une nouvelle relation Nord-Sud. Nous tenons à souligner, pourtant, que la diffusion du lancement présentait An Antane Kapesh en tant que «femme inuit», une erreur dont nous appelons de nos vœux la correction.
  • 4
    Les théoriciennes féministes de la traduction avaient déjà signalé l’importance de cette «complicité littéraire active entre femmes» (de Lotbinière-Harwood, 1991, p.71). Selon de Lotbinière-Harwood, la construction des relations de collaboration dans le processus de traduction contredit «le discours mâle qui a habituellement assimilé le rapport auteur-traducteur à celui de maître-esclave» (de Lotbinière-Harwood, 1991, p.23).
  • 5
    En espagnol: «Mis libros son un solo libro, al que agrego –o quito– poemas que, a su vez, para bien o para mal, modifico con frecuencia (ya sea en las lecturas públicas o en sus versiones editadas en trípticos o revistas); resultado un poco de exigir más a los textos a la mano, y sobre todo, como intento de situarme a orillas de la oralidad –aún vigente– de nuestra poesía» (Chihuailaf, 1991, p. 6).
  • 6
    En innu-aimun: «Kauapishit ka ui apashtat kie ka ui pikunak nitassinannu, apu ut natuenitamuat auennua kie apu ut kukuetshimat innua miam tshetshi tapuetakukue. Kauapishit ka ui apashtat nitassinannu kie ka ui pikunak, apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishuniti tiapuetakut tshetshi apashtat kie tshetshi pikunak nutim eshpishanit nitassinannu, mukᵘ uin natshishk tshetshi pakassiuatshet. Kauapishit ka ui tutuat innua tshetshi ishinniuniti miam kauapishiniti, apu ut kukuetshimat innua kie apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishuniti tiapuetakut innua tshe ishpish inniuniti tshetshi nakataminiti utinniunnu.» (2019, p. 14)
  • 7
    En innu-aimun: «Mate kakusseshiu-katipaitshesht ushkat ka kutshipanitat tshetshi natshi-tipaik Tshiuetinnu, apu
    ut mishkuat peikᵘ innua tshetshi uitsheukut mukᵘ iapit kutshipanitapan tshetshi kushpit eka peikᵘ innua e uitsheukut.» (2019, p. 56)
  • 8
    «La tradición oral es el universo que se respira en el aire de nuestras reuniones, el universo incontenible dentro de nuestro cuerpo. La memoria.
    La memoria entre los antiguos había circulado sólo en forma oral. Fue una decisión de nuestros pueblos usar los grafemas occidentales para escribir el idioma originario.
    Escribir la memoria en una pelea por defenderla del olvido.» (Ancalao, 2019)
  • 9
    Cette problématique a été analysée plus profondément dans la communication présentée dans le cadre du colloque «L’autochtonie comparée des Amériques», qui sera bientôt publiée sous forme d’article. Donc, nous rappellerons très brièvement la discussion sur les termes «innu» et «Indien» sans la reproduire au complet.
  • 10
    En innu-aimun: «Kauapishit ka ui tutuat innua tshetshi ishinniuniti miam kauapishiniti, apu ut kukuetshimat innua kie apu ut minat innua mashinaikanuiannu tshetshi mashinatautishiniti tiapuetakut innua tshe ishpish inniuniti tshetshi nakataminiti utinniunnu.» (Kapesh, 2019, p. 14)
  • 11
    En innu-aimun: “Kakuskuenitak ka itenitak tshetshi takushint ute nitassinat, tshekuenu eukuannu eshinniunJ peshukupan ute tshiuetint? Eukuannu innu Mutania peshukupan.” (1976, p. 38)
  • 12
    Dans la version en innu-aimun de l’édition de 2015, une note en bas de page signale que «[l]e terme “Mutania” est un néologisme qui signifie “Montagnais”». (2015, p. 19)
  • 13
    En innu-aimun: «Ne akunikan kashikanit uiapamekui ekuashkuauakanit anite Shepaniekanautshuapit, Kakushkuenitak mak peikᵘ innu-kautishkuemit.» (2019, p. 44)
  • 14
    En innu-aimun: «Ute nimashinaikanit apu takuannit kauapishit utaimun.» (2019, p. 12).
  • 15
    En innu-aimun: «Ume tipatshimun apu nita ut petuk nutaui tshetshi tipatshimut kie peikuan kutakat innuat kie tshishennuat apu nita ut petukau tshetshi tipatshimuht.» (2019, p. 36)
  • 16
    En innu-aimun: «Kauapishit ka itenitak tshetshi apashtat kie ka itenitak tshetshi pipikunak nutim eshpishanit nitassinannu, kuishkᵘ ninatuapamikutan. Katshi takushinit ute nitassinat ekue nutinikutan tshetshi tshishkutamuimit nenu uin utinniun kie ekue nimaminikutan kassinu tshekuannu nenu uin utinniun kie nenua utaitapashtauna kauapishit kassinu tshekuannu nutinamakutan […].» (2019, p. 14)
  • 17
    Nous avons décidé de citer ce dictionnaire, car il s’agit, aujourd’hui, du seul dictionnaire en ligne qui est utilisé comme référence pour toute question relative à la langue espagnole, et qu’il a été utile dans le contexte de cet exemple en particulier. Nous souhaitons exprimer, pourtant, qu’il ne représente pas toujours la réalité des variétés de l’espagnol d’Amérique latine et qu’il ne constitue pas, en ce sens, une autorité linguistique indiscutable.
  • 18
    En innu-aimun: «Ekᵘ ne kakusseshiu-katipaitshesht apu tshi uauinakanit tan ka tatupipunnit ka takushinit ute Tshiuetinit usham mitshetipanat innuat ka uapamaht ushkat ka takushinniti kakusseshiu-katipaitsheshiniti ute, issishueu nutaui. Kakusseshiu-katipaitshesht ka takushinit ute, innu shash mishta-shashish tshishi-tipaimupan nutim eshpishanit utassi, ushkata e apashtat, kie shash nete mishta-shashish uinishtam innu uauitamupan tshe ishinikatenit nutim eshpishanit utassi: shipua, shakaikana, utshua kie shipissa. Mate kakusseshiu-katipaitshesht ushkat ka kutshipanitat tshetshi natshi-tipaik Tshiuetinnu, apu ut mishkuat peikᵘ innua tshetshi uitsheukut mukᵘ iapit kutshipanitapan tshetshi kushpit eka peikᵘ innua e uitsheukut.» (2019, p. 56)
  • 19
    En espagnol: «Se escribe en el idioma originario, en la lengua que sigue siendo materna, aunque la aprendamos como segunda lengua, y también en el otro idioma: castellano, inglés, francés portugués. Las traducciones van y vienen, desde la primera a la segunda lengua y viceversa, y en las vueltas las palabras se pulen entre sí como piedras» (Ancalao, 2019).
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