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New York September 11

Émilie Houssa
couverture
Article paru dans Photographie, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Magnum Photographers (2002) New York September 11.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project, au Labo NT2)

  

Problématique principale et thèses

New York September 11 by Magnum Photographers se présente comme un recueil de photographies sur les attentats du 11 septembre 2001 à New York par les photographes de l’agence Magnum. Le recueil s’ouvre avec un poème de W.H. Auden intitulé «September 1, 1939» et tiré de Another time. À sa suite, un texte d’introduction rédigé par David Halberstam, 16 jours seulement après les attentats, donne le ton de l’ensemble de l’ouvrage et le fait passer du statut de simple recueil à une véritable proposition d’essai. Trois pistes sont ainsi ouvertes.

Le premier aspect mis en avant est la réflexion historique associée à la reprise et à la documentation de l’événement: «Up until that moment America had been spared the ravage of the last century of modern warfare.» (p.4). Cet aspect historique met en avant toute la pensée documentaire qui se déploie à travers l’ouvrage. Car New York September 11 by Magnum Photographers propose une documentation visuelle des événements. Plus précisément, l’ouvrage, à travers ces images, cherche à montrer tout ce que ces événements représentent, c’est-à-dire l’impact réel et symbolique des tours et de leur destruction dans l’imaginaire mondial et new-yorkais. La dernière partie de l’ouvrage regroupe ainsi sous le titre «Farewell to the towers» douze photographies des tours «debout», rappelant leur place dans le paysage new-yorkais.

Dans cette perspective, le texte d’introduction relate également un deuxième élément qui prend tout son ampleur dans l’ensemble de l’ouvrage: l’impact des attentats sur la vie personnelle des auteurs/photographes et comment chacun a vécu et ressenti cette journée. Ainsi chacun des auteurs/photographes est amené à légender ses images et à proposer des textes relatant leur point de vue, leur expérience de l’événement. Cette structure de l’ouvrage amène à penser non seulement l’événement mais le regard, le point de vue sur l’événement. New York September 11 by Magnum Photographers, c’est finalement une série de regards exposés et exposant, chacun des auteurs se décrivant en train de photographier.

La mise en page de l’ouvrage est hétérogène. Certaines photographies s’étalent sur deux pages, d’autres se partagent une demie page. L’iconographie est également très diversifiée. En dehors de la différence radicale entre les photographies représentant les événements du 11 septembre et celles reprises pour «les adieux aux tours», les photographies des événements sont autant des vues panoramiques du quartier du World Trade Center (comme les premières images de Steeve McCurry), que des portraits de personnes émergeant des nuages de poussière ou pleurant les victimes des attentats, ou encore de policiers travaillant dans les décombres. Le livre suit une certaine chronologie des événements (on commence par l’impact des avions dans les tours pour arriver aux veillées en l’hommage des victimes), mais il n’y a pas de point de vue général unifié pour l’ensemble de l’ouvrage. Au contraire, New York September 11 by Magnum Photographers se construit à partir de la diversité des regards offerts en partage et exposés en formation. L’aller-retour entre textes et images joue ici un rôle capital, du moins à première vue. Dans certains textes, comme ceux de Steeve McCurry, Susan Meiselas ou de Larry Towell, les auteurs/photographes reprennent leur journée du 11 septembre 2001 et expliquent comment ils ont été amenés à photographier leurs sujets pour représenter les événements du 11 septembre. D’autres textes, comme ceux de David Alan Harvey, de Bruce Gilden ou de Chien-Chi Chang, ne font que légender leurs images mises à la suite les unes des autres. Seul Gilles Peress ne propose qu’une seule légende en dessous de la première de ses images: «I don’t trust words. I trust pictures» (p.46). Ce point nous mène au troisième aspect de l’introduction qui semble ouvrir une piste de réflexion que propose l’ouvrage: les images-documents.

En effet, le texte d’introduction est traversé par une série de photogrammes repris de la bande vidéo que filmait Evan Fairbanks au moment de l’impact des avions. En tout, sept images, présentées sous format de vignette, traversent les pages 3, 4 et 5 qui ouvrent l’ouvrage. Ces 7 images présentent seconde par seconde et en contre-plongée l’impact du deuxième avion dans la tour sud. Dans le coin gauche en bas de ces images un homme «guide» le regard de la caméra. Au fil des images, il tourne sa tête vers les tours et regarde l’avion entrer de plein fouet dans la tour. La caméra doit être en train d’effectuer un panoramique gauche/droite et bas/haut car sur la dernière image l’homme a disparu, on ne voit plus que les tours en flamme. Ces images, à elles seules, pourraient remplacer le texte d’introduction, elles montrent toute la force de l’ouvrage. Plus exactement, elles révèlent directement la place des images dans cet ouvrage: une place centrale, puisque les image ne semblent pas ici être là pour «illustrer» mais pour être pensées et faire penser.

   

Place des événements dans l’œuvre

Les événements, à première vue, tiennent la place centrale de l’ouvrage. Ils constituent sa raison d’être. Pourtant, le texte de présentation, le poème de W.H. Auden en exergue et l’adieu aux tours, déplacent le regard, de sorte que ce ne sont pas tant les événements en eux-mêmes qui sont le sujet de l’ouvrage mais leur représentation et leur documentation. Les photographies et les légendes de l’ouvrage semblent ainsi confronter ces deux pensées autour des événements du 11 septembre: Comment représenter une action symbolique? Comment et pourquoi documenter son impact? Ce n’est pas tant le 11 septembre qui semble décliné dans l’ouvrage contrairement à ce qu’annonce le titre, mais bien plutôt notre capacité à comprendre ces actions, cette journée comme un événement. Ce qui fait que, comme l’énonce Steve McCurry sous sa première image: “You felt the horror and you immediately, instinctively understood as soon as the tower collapsed that our lives would never be the same again.” (p.6,7).

   

Donnez une citation marquante, s’il y a lieu

“I sit in one of the dives
On Fifty-second Street
Uncertain and afraid
As the clever hopes expire
Of a low dishonest decade:
Waves of anger and fear
Circulate over the bright
And darkened lands of earth,
Obsessing our private lives;
The unmentionable odour of death
Offends the September night.

Into this neutral air
Where blind skyscrapers use
Their full height to proclaim
The strength of Collective Man,
Each language pours its vain
Competitive excuse:
But who can live for long
In an euphoric dream…”
W.H Auden

   

Table des matières

Aucune.

   

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Il n’y a pas de texte sur la 4e de couverture de l’ouvrage mais sur la page du site web de l’agence Magnum consacrée à l’ouvrage figure un texte de présentation :

“Many have seen the images of the collision, the burning towers, the fall and the rubble. Most of  us remember exactly where we were and what we were doing on September 11, 2001 when New York was attacked. However a few of us were actually on the ground next to the falling towers which became a cloud of dust. Eight Magnum photographers were there at what later became known as Ground Zero. In this story they give their eyewitness account of the attack and their perspectives on the consequences, five years later.”1https://web.archive.org/web/20080721183023/http://inmotion.magnumphotos.com/essay/september11 [Page consultée le 3 août 2023]

   

Dédicace

Aucune.

   

Entrevues

Sur la page web du site magnum consacrée à New York September 11 by Magnum Photographers2https://web.archive.org/web/20080720153417/http://inmotion.magnumphotos.com/essay/september11 [Page consultée le 3 août 2023], une autre forme de New York September 11 by Magnum Photographers est proposée. Au centre défilent les images de photographes. Les images sont classées par séquences qui, mise à part l’introduction, sont reliées à chaque photographe. Ces images sont montées en fondu enchaîné. Une trame sonore accompagne les images : chacun des photographes y commente son point de vue, mais aussi sa journée du 11 septembre 2001 et sa pensée sur les événements et leurs conséquences. Deux faits sont ici intéressants à noter parce qu’ils révèlent l’intention derrière le projet (multiforme: site web, exposition, ouvrage) de New York September 11 by Magnum Photographers. D’une part, les séries ne sont pas rangées par nom de photographe, bien que ce soit cette forme de classement qui ait été choisie, mais par une expression qui synthétise la réflexion de chacun sur les événements (comme “State of shock”, “Radical changes”, “Falling towers”, ou “Covering war”). D’autre part, la page web présente une large documentation autour des attentats (sites web, pensées politique, chronologie précise de la journée du 11 septembre, autres œuvres reliées aux événements). L’ensemble crée une véritable plateforme de documentation sur les événements du 11 septembre 2001. Ainsi, les commentaires des photographes apposés à ces images ne sont pas les mêmes que les textes de l’ouvrage. Les commentaires énoncés sur le site sont des réflexions plus générales mais aussi, souvent, plus polémiques. Les photographes proposent par ce biais de véritables pistes d’analyse des événements. Ces pistes d’analyse passent par l’exposition des moyens de captation qui leur ont été donnés (ou refusés: Susan Meiselas parle, par exemple, d’une véritable censure visuelle mise en place dès le 12 septembre par le gouvernement autour des événements).

   

Impact de l’œuvre

De nombreux sites recensent l’ouvrage, des sites de vente en ligne comme Amazon, Barnes&Noble mais aussi comme Musarium3https://web.archive.org/web/20080316132228/http://www.musarium.com/stories/magnum911/ [Page consultée le 3 août 2023] qui donne un petit résumé et qui présente une sélection de photographies. Ces sites nous indiquent que l’ouvrage en est à sa deuxième édition.

New York September 11 by Magnum Photographers a également fait l’objet d’une exposition qui a tourné dans les bibliothèques publiques des Etats-Unis. Le site web de l’une d’entre elles documente l’exposition4https://web.archive.org/web/20081123034945/http://www.aadl.org/gallery/pictureAnnArbor/aadl/magnum/ [Page consultée le 3 août 2023] et donne un bref descriptif du projet : “This exhibit toured the nation on the occasion of the five-year anniversary of the terrorist attacks on the United States. Eleven photographers of the renowned photographic cooperative Magnum Photos dispersed from their monthly New York meeting on September 11, 2001 to document the tragic events of the day as they unfolded.”5https://web.archive.org/web/20081123034945/http://www.aadl.org/gallery/pictureAnnArbor/aadl/magnum/ [Page consultée le 3 août 2023]

Ce projet a donc une ampleur et une reconnaissance nationale aux États-Unis.

   

Pistes d’analyse

Chacune des formes que prend New York September 11 by Magnum Photographers (je m’arrêterai surtout sur l’ouvrage et le site web, laissant de côté les expositions) participe à la réflexion menée pour documenter les événements du 11 septembre 2001. Ainsi l’ouvrage et le site web permettent chacun de développer un aspect des questions fondamentales qui se posent quant à la captation d’un document: Comment représenter une action symbolique? Comment et pourquoi documenter son impact? Mais aussi plus précisément: Comment exposer des regards? Dans cette perspective, quelle peut être la dynamique entre les textes et les images? Peut-on parler d’images documents?

La réflexion de Gilles Peress est ici révélatrice. Dans l’ouvrage, il ne propose aucun texte, comme mentionné plus haut, sa réflexion et son action documentaire passent avant tout par les images. Sur le site web, il énonce cependant quelques commentaires sur les premières images de sa série qui défilent avant de s’arrêter et de laisser les images «dire» seules le reste. Dans son bref commentaire, Gilles Peress essaie de montrer que les images qui “documentent” le 11 septembre ne sont pas seulement celles prises autour et sur Ground Zero. Pour lui, le jeu de LEGO avec lequel son fils construit à présent des machines de guerre pour «se défendre» mériterait de faire l’objet d’images qui documenteraient tout autant les attentats que les images montrant les avions percutant les tours. Cinq ans après les attentats, la réflexion que proposent de partager les photographes de Magnum se construit avant tout sur la visibilité de l’impact de ces événements, c’est-à-dire sur notre capacité (ou non) à réagir et à réfléchir à ces événements. La question qui semble donc se poser ici en filigrane serait celle-ci: est-ce que les images peuvent tenir ce rôle? Est-ce que les images peuvent constituer en elles-mêmes des documents pour ces événements? Or, la réponse que donnent les différentes formes du projet New York September 11 by Magnum Photographers n’est pas si évidente. Dans l’ouvrage la construction entre le texte et l’image reste traditionnelle : le texte commente l’image, l’explique, la contextualise. Cette construction donne une place ambiguë à l’image documentaire. Sur le site web, cette ambiguïté est poussée encore un peu plus loin car aux commentaires prononcés par les photographes s’ajoute une trame sonore reprenant des bruits «canoniques» des attentats: la radio, les appels, les explosions, les sirènes d’ambulances et de voitures de pompier etc. Ces bruits imposent une lecture mais aussi une vision des images qui défilent. La question de l’image-document reste donc entière, mais la forme même de ce projet permet tout du moins de rendre visible la complexité de la représentation et de la documentation d’un événement.

  

Images

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